Recasement des
travailleurs et éventuellement des paysans musulmans dans la Métropole
L'accroissement rapide et constant de la
population d'un pays pose toujours à ses dirigeants un problème
social et économique d'une réelle gravité : celui
du recasement et de l'utilisation de la population momentanément
excédentaire. C'est le cas de l'Algérie dont le nombre d'habitants
augmente chaque année de 130.000 unités et dont 600.000
agriculteurs sont aujourd'hui insuffisamment pourvus de terres.
La pauvreté du sol, l'irrégularitéde la pluviométrie,
l'insuffisance des rendements agricoles et la rareté relative des
établissements industriels rendent à peu près impossible
une résorption normale, dans le pays même, de toute la main-d'uvre
disponible.
Sans doute, l'Administration étudie-t-elle actuellement une série
de programmes destinés à perfectionner les techniques agricoles,
multiplier les industries et stimuler le développement de l'économie
algérienne, mais rien n'autorise encore à espérer
que le rythme de ce développement pourra suivre celui de l'accroissement
de la population.
Par contre, la Métropole, qui, dès avant la guerre, faisait
appel à la main-d'uvreétrangère, aura besoin
demain d'un nombre de travailleurs supérieur à ses disponibilités,
pour réaliser sa reconstruction et rétablir son économie.
Il serait souhaitable qu'elle pût trouver, dans la France d'Outre-Mer,
les bras qu'exigent son industrie et son agriculture, de manière
à limiter sa demande d'ouvriers étrangers.
L'émigration saisonnière, temporaire ou définitive
de Nord-africains vers la Métropole, présente donc des avantages
incontestables pour l'équilibre démographique et économique,
non seulement de l'Algérie, mais de la France elle-même.
L'ÉMIGRATION
DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS VERS LA MÉTROPOLE
Durant les années qui ont précédé le dernier
conflit mondial, un nombre important de travailleurs musulmans se sont
rendus en France pour s'employer dans les villes et dans les campagnes.
Avant 1939, aucune obligation particulière n'était imposée
aux travailleurs musulmans désirant se rendre en France, en dehors
des formalités prévues par les règlements de police
(visite médicale préalable, présentation d'une carte
d'identité, versement d'un cautionnement garantissant le remboursement
des frais d'un rapatriement éventuel). L'ouvrier qui s'embarquait
n'était pas astreint à produire un contrat lui assurant
un emploi dans une exploitation française.
Pendant les hostilités, l'émigration vers la Métropole
fut étroitement contrôlée par le Ministère
du Travail qui devint compétent pour fixer l'importance des contingents
de main-d'uvreà diriger vers la France.
Cette réglementation est toujours en vigueur, mais les services
du Gouvernement Général en relation avec le Ministère
de l'Intérieur procèdent actuellement à l'étude
d'un projet qui, s'il admet le principe de liberté de circulation
entre la France et l'Algérie sans discrimination entre les catégories
ethniques de la population, évitera de tomber dans la situation
un peu anarchique de 1939 en offrant toutes les garanties d'aide et d'assistance
aux travailleurs qui se soumettront aux formalités prévues.
ASPECTS ÉCONOMIQUES
C'est en tenant compte des besoins en main-d'uvreétablis
en fonction du plan de production prévu pour la France que devra
s'organiser le départ des travailleurs algériens.
La France possède actuellement un excédent de main-d'uvre,
mais souffrira crise inverse dans un avenir très proche lorsque,
son rééquipement lui permettra d'intensifier sa production
et qu'elle devra se passer des 250.000 prisonniers de guerre allemands
actuellement employés dans l'agriculture.
C'est alors que la main-d'uvre algérienne pourra fournir
un appoint sérieux et apprécié pour la réalisation
du plan de reconstruction qui prévoit l'emploi de 200.000 manuvres
et autant d'ouvriers qualifiés, dans les exploitations minières
où, il ne faut pas l'oublier, de nombreux ouvriers Nord-africainsétaient
employés avant 1940 (Bassin du Gard, Bassin de la Loire), dans
l'agriculture où elle pourra économiquement remplacer la
main-d'uvre saisonnière étrangère et fournir
des bergers et des bûcherons- câbleurs dont la France manque
en ce moment. Particulièrement habiles en agriculture, les Kabyles
pourront être utilisés dans la viticulture du Languedoc.
ASPECT SOCIAL
Les travailleurs qui se rendent en France doivent être orientés
vers les métiers pour lesquels ils possèdent des aptitudes
particulières et leur formation professionnelle sera, dans la plupart
des cas, parachevée sur place.
Les employeurs, soumis à des obligations en ce qui concerne logement
et nourriture, seront contrôlés par des organismes de protection
sociale et l'action sanitaire menée de front avec l'action éducatrice
sur le double plan de la formation professionnelle et de l'instruction
permettra de déceler les su jets inadaptables à un climat
qui sera souvent très différent de celui de l'Algérie.
Le principe et la pratique sont bien admis de faire bénéficier
les Algériens travaillant en France de toutes les lois sociales.
Il ne pourrait en être autrement. Cependant l'attribution d'allocations
familiales, étant donné les taux différents pratiqués
en France et en Algérie, soulève quelques difficultés.
Du point de vue purement social, cette émigration du chef de famille
présente de sérieux inconvénients. L'Algérien
qui s'embarque à destination de la Métropole quitte sa famille
pour un laps de temps parfois considérable, durant lequel il est
souvent lui-même véritablement déraciné, tandis
que les siens demeurent, la plupart du temps sans ressources régulières.
Sous le bénéfice de ces observations, il ne semble pas que
cette émigration saisonnière ou temporaire déjà
pratiquée depuis longtemps par les Nord-africains, soit de nature
à soulever des difficultés particulières, en dehors
de celles que crée momentanément la pénurie des transports.
RECASEMENT DES PAYSANS MUSULMANS EN FRANCE
De tels inconvénients pourraient, semble-t-il, être évités
en mettant en application les suggestions qui ont été mises
par certains membres de la Commission Supérieure des Réformes,
au cours de récentes séances tenues par cette assemblée.
Faisant allusion au dépeuplement des régions du Sud-ouest
de la France, quelques-uns d'entre eux ont proposé d'envisager
la possibilité d'y installer des agriculteurs musulmans, choisis
parmi les 600.000 fellahs dépourvus de terre qui ne peuvent tous
être recasés en Algérie.
La création, dans la Métropole, d'un paysanat musulman,
fortement attaché à la terre, présenterait le triple
avantage d'augmenter la production agricole des régions où
il serait implanté, de fixer définitivement dans une situation
stable des travailleurs jusqu'ici contraintsà des déplacements
saisonniers ou temporaires et, enfin, de donner aux populations métropolitaines
et algériennes une grande conscience de la communauté d'intérêts
qui les unit.
Il ne faut pas se dissimuler, toutefois, la complexité des problèmes
que soulève un tel programme et l'importance que revêt en
la matière le facteur humain, qui peut être, à lui
seul, une cause déterminante d'échec ou de succès.
Les émigrants nord-africains devront être transplantés
dans des régions dont les aspects géographiques rappelleront
ceux de leurs pays natal et les cultures qu'ils seront appelés
à entreprendre devront se rapprocher le plus possible de celles
de l'Algérie, au moins au début, afin de permettre une adaptation
plus facile.
Le recasement de paysans algériens musulmans dans la Métropole
exige donc une enquête très approfondie portant sur le recensement
des terres susceptibles d'être récupérées pour
cette installation, la répartition géographique de ces terres
et le climat des régions où elles sont situées, la
nature des cultures pratiquées ou praticables en raison de la vocation
naturelle du sol, etc..., soit effectuée afin de déterminer
si la réalisation d'un tel projet est souhaitable et possible.
Ainsi si le recasement des paysans musulmans en France, problème
complexe, demande une étude approfondie qui reculera les réalisations
dans un avenir plus ou moins lointain, on peut admettre comme acquis et
prochain le départ d'un contingent important (100.000 environ)
de travailleurs algériens vers l'agriculture et l'industrie métropolitaines.
A différentes reprises, l'organisation de l'émigration de
la main-d'uvre excédentaire algérienne a été
étudiée notamment en 1937-1938. Mais les solutions envisagées
à cette époque sont actuellement largement dépassées
puisque la population de l'Algérie a augmenté de 1 million
d'habitants depuis.
Envisagés sur une échelle plus large, construits sur des
bases économiques et sociales, les projets actuels de recasement
doivent, en apportant une solution au problème démographique
posé par l'Algérie et une aide active à la reconstruction
de la France, marquer une fois de plus la solidarité qui existe
entre les populations de l'Union Française.
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