Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale

Recasement des travailleurs et éventuellement des paysans musulmans dans la Métropole
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mise sur site le 18-4-2011
* Document n° 7 de la série : Sociale - Paru le 10 juillet 1946 - Rubrique EMIGRATION

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Recasement des travailleurs et éventuellement des paysans musulmans dans la Métropole

L'accroissement rapide et constant de la population d'un pays pose toujours à ses dirigeants un problème social et économique d'une réelle gravité : celui du recasement et de l'utilisation de la population momentanément excédentaire. C'est le cas de l'Algérie dont le nombre d'habitants augmente chaque année de 130.000 unités et dont 600.000 agriculteurs sont aujourd'hui insuffisamment pourvus de terres.

La pauvreté du sol, l'irrégularitéde la pluviométrie, l'insuffisance des rendements agricoles et la rareté relative des établissements industriels rendent à peu près impossible une résorption normale, dans le pays même, de toute la main-d'œuvre disponible.

Sans doute, l'Administration étudie-t-elle actuellement une série de programmes destinés à perfectionner les techniques agricoles, multiplier les industries et stimuler le développement de l'économie algérienne, mais rien n'autorise encore à espérer que le rythme de ce développement pourra suivre celui de l'accroissement de la population.

Par contre, la Métropole, qui, dès avant la guerre, faisait appel à la main-d'œuvreétrangère, aura besoin demain d'un nombre de travailleurs supérieur à ses disponibilités, pour réaliser sa reconstruction et rétablir son économie. Il serait souhaitable qu'elle pût trouver, dans la France d'Outre-Mer, les bras qu'exigent son industrie et son agriculture, de manière à limiter sa demande d'ouvriers étrangers.

L'émigration saisonnière, temporaire ou définitive de Nord-africains vers la Métropole, présente donc des avantages incontestables pour l'équilibre démographique et économique, non seulement de l'Algérie, mais de la France elle-même.

L'ÉMIGRATION DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS VERS LA MÉTROPOLE

Durant les années qui ont précédé le dernier conflit mondial, un nombre important de travailleurs musulmans se sont rendus en France pour s'employer dans les villes et dans les campagnes.

Avant 1939, aucune obligation particulière n'était imposée aux travailleurs musulmans désirant se rendre en France, en dehors des formalités prévues par les règlements de police (visite médicale préalable, présentation d'une carte d'identité, versement d'un cautionnement garantissant le remboursement des frais d'un rapatriement éventuel). L'ouvrier qui s'embarquait n'était pas astreint à produire un contrat lui assurant un emploi dans une exploitation française.

Pendant les hostilités, l'émigration vers la Métropole fut étroitement contrôlée par le Ministère du Travail qui devint compétent pour fixer l'importance des contingents de main-d'œuvreà diriger vers la France.

Cette réglementation est toujours en vigueur, mais les services du Gouvernement Général en relation avec le Ministère de l'Intérieur procèdent actuellement à l'étude d'un projet qui, s'il admet le principe de liberté de circulation entre la France et l'Algérie sans discrimination entre les catégories ethniques de la population, évitera de tomber dans la situation un peu anarchique de 1939 en offrant toutes les garanties d'aide et d'assistance aux travailleurs qui se soumettront aux formalités prévues.

ASPECTS ÉCONOMIQUES

C'est en tenant compte des besoins en main-d'œuvreétablis en fonction du plan de production prévu pour la France que devra s'organiser le départ des travailleurs algériens.

La France possède actuellement un excédent de main-d'œuvre, mais souffrira crise inverse dans un avenir très proche lorsque, son rééquipement lui permettra d'intensifier sa production et qu'elle devra se passer des 250.000 prisonniers de guerre allemands actuellement employés dans l'agriculture.

C'est alors que la main-d'œuvre algérienne pourra fournir un appoint sérieux et apprécié pour la réalisation du plan de reconstruction qui prévoit l'emploi de 200.000 manœuvres et autant d'ouvriers qualifiés, dans les exploitations minières où, il ne faut pas l'oublier, de nombreux ouvriers Nord-africainsétaient employés avant 1940 (Bassin du Gard, Bassin de la Loire), dans l'agriculture où elle pourra économiquement remplacer la main-d'œuvre saisonnière étrangère et fournir des bergers et des bûcherons- câbleurs dont la France manque en ce moment. Particulièrement habiles en agriculture, les Kabyles pourront être utilisés dans la viticulture du Languedoc.

ASPECT SOCIAL

Les travailleurs qui se rendent en France doivent être orientés vers les métiers pour lesquels ils possèdent des aptitudes particulières et leur formation professionnelle sera, dans la plupart des cas, parachevée sur place.

Les employeurs, soumis à des obligations en ce qui concerne logement et nourriture, seront contrôlés par des organismes de protection sociale et l'action sanitaire menée de front avec l'action éducatrice sur le double plan de la formation professionnelle et de l'instruction permettra de déceler les su jets inadaptables à un climat qui sera souvent très différent de celui de l'Algérie.

Le principe et la pratique sont bien admis de faire bénéficier les Algériens travaillant en France de toutes les lois sociales. Il ne pourrait en être autrement. Cependant l'attribution d'allocations familiales, étant donné les taux différents pratiqués en France et en Algérie, soulève quelques difficultés.
Du point de vue purement social, cette émigration du chef de famille présente de sérieux inconvénients. L'Algérien qui s'embarque à destination de la Métropole quitte sa famille pour un laps de temps parfois considérable, durant lequel il est souvent lui-même véritablement déraciné, tandis que les siens demeurent, la plupart du temps sans ressources régulières.

Sous le bénéfice de ces observations, il ne semble pas que cette émigration saisonnière ou temporaire déjà pratiquée depuis longtemps par les Nord-africains, soit de nature à soulever des difficultés particulières, en dehors de celles que crée momentanément la pénurie des transports.

RECASEMENT DES PAYSANS MUSULMANS EN FRANCE


De tels inconvénients pourraient, semble-t-il, être évités en mettant en application les suggestions qui ont été mises par certains membres de la Commission Supérieure des Réformes, au cours de récentes séances tenues par cette assemblée.

Faisant allusion au dépeuplement des régions du Sud-ouest de la France, quelques-uns d'entre eux ont proposé d'envisager la possibilité d'y installer des agriculteurs musulmans, choisis parmi les 600.000 fellahs dépourvus de terre qui ne peuvent tous être recasés en Algérie.

La création, dans la Métropole, d'un paysanat musulman, fortement attaché à la terre, présenterait le triple avantage d'augmenter la production agricole des régions où il serait implanté, de fixer définitivement dans une situation stable des travailleurs jusqu'ici contraintsà des déplacements saisonniers ou temporaires et, enfin, de donner aux populations métropolitaines et algériennes une grande conscience de la communauté d'intérêts qui les unit.

Il ne faut pas se dissimuler, toutefois, la complexité des problèmes que soulève un tel programme et l'importance que revêt en la matière le facteur humain, qui peut être, à lui seul, une cause déterminante d'échec ou de succès.

Les émigrants nord-africains devront être transplantés dans des régions dont les aspects géographiques rappelleront ceux de leurs pays natal et les cultures qu'ils seront appelés à entreprendre devront se rapprocher le plus possible de celles de l'Algérie, au moins au début, afin de permettre une adaptation plus facile.
Le recasement de paysans algériens musulmans dans la Métropole exige donc une enquête très approfondie portant sur le recensement des terres susceptibles d'être récupérées pour cette installation, la répartition géographique de ces terres et le climat des régions où elles sont situées, la nature des cultures pratiquées ou praticables en raison de la vocation naturelle du sol, etc..., soit effectuée afin de déterminer si la réalisation d'un tel projet est souhaitable et possible.

Ainsi si le recasement des paysans musulmans en France, problème complexe, demande une étude approfondie qui reculera les réalisations dans un avenir plus ou moins lointain, on peut admettre comme acquis et prochain le départ d'un contingent important (100.000 environ) de travailleurs algériens vers l'agriculture et l'industrie métropolitaines.

A différentes reprises, l'organisation de l'émigration de la main-d'œuvre excédentaire algérienne a été étudiée notamment en 1937-1938. Mais les solutions envisagées à cette époque sont actuellement largement dépassées puisque la population de l'Algérie a augmenté de 1 million d'habitants depuis.

Envisagés sur une échelle plus large, construits sur des bases économiques et sociales, les projets actuels de recasement doivent, en apportant une solution au problème démographique posé par l'Algérie et une aide active à la reconstruction de la France, marquer une fois de plus la solidarité qui existe entre les populations de l'Union Française.