Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale

L'effort social réalisé par l'Algérie au début de 1946

mise sur site le 18-4-2011
* Document n° 5 de la série : Sociale - Paru le 25 juin 1946 - Rubrique EFFORT SOCIAL

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L'effort social réalisé par l'Algérie au début de 1946

Le plan des réformes sociales établi pour l'Algérie et dont une partie importante a déjà été réalisée ( Documents Algériens, Série sociale n° 3, Réformes Sociales.) vise à l'amélioration générale des conditions de vie de tous les travailleurs algériens en sauvegardant leurs droits sociaux et en leur assurant une retraite convenable. Mais il aurait été insuffisant s'il n'avait été complété par des mesures d'assistance générale nécessitées par la situation critique et exceptionnelle que connaît actuellement l'économie musulmane algérienne en raison, d'une part, de la disette générale consécutive à plusieurs années de sécheresse, d'autre part, du rationnement sévère de diverses denrées alimentaires et des céréales en particulier.

L'Algérie, sous l'impulsion de M. Yves Chataigneau, Gouverneur Général, prend une large part à cette lutte contre la misère, sous la double forme de secours aux indigents invalides, et de résorbtion du chômage par la création de chantiers de travail et par la mise en exécution d'un programme de grands travaux.

ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LA MISERE
Création de chantiers de travail
La création de chantiers de travail envisagée à plusieurs reprises ces dernières années avait été repoussée jusqu'en 1945. En effet, la pénurie de main-d'oeuvre se faisait sentir dans plusieurs branches de l'économie algérienne et il ne paraissait pas opportun de la rendre plus sensible encore par l'occupation de nombreux ouvriers à des travaux qui n'étaient pas de première urgence.

En 1945, de nombreux prisonniers de guerre et de soldats démobilisés ayant regagné leur foyer et se trouvant sans travail, la situation se présentait sous un angle différent.

Afin de remédier à un état de choses qui aurait pu avoir en se prolongeant des conséquences désastreuses, des instructions précises furent diffusées dans les trois départements aux termes desquelles chaque commune était tenue d'établir un projet de travaux à entreprendre, en tenant compte à la fois de l'importance approximative de la main-d'oeuvre à employer et de l'utilité certaine de ces travaux pour l'équipement économique de l'Algérie.

Ces projets sont soumis à l'approbation du Gouverneur Général de l'Algérie qui, après avis de la Direction des Travaux publics, fixe le montant des subventions qui seront accordées pour leur réalisation.

Le barème théorique de participation à ces dépenses est de 50 % pour l'Algérie, de 25 % pour le département et de 25 % pour la commune. Dans des cas exceptionnels, la participation des communes peut être diminuée.

Les circulaires instituant cette procédure sont relativement récentes (décembre 1945) et nombre de communes n'ont pu encore soumettre leur projet à l'approbation gubernatoriale. En attendant qu'elles soient en mesure de le faire, des crédits provisionnels ont été accordés aux Préfets chargés de les répartir dans leur département pour " qu'en aucun cas l'étude des projets ne puisse retarder l'aide à apporter aux populations malheureuses ".

Distributions des secours
En vue d'assister les miséreux invalides, le principe de la distribution de secours en nature de préférence au système d'attribution de secours en argent, a été adopté, et ceci pour des raisons auxquelles des considérations d'ordre économique et social ne sont pas étrangères.

C'est ainsi que chaque fois où cela s'avère possible, l'intégralité des rations alimentaires (produits contingentés ou autres) auxquelles ils peuvent prétendre et dont ils se seraient rendus acquéreurs s'ils en avaient eu les moyens, est distribué gratuitement aux indigents invalides.

De plus, dans toutes les agglomérations situées dans des régions particulièrement éprouvées par la sécheresse ou le chômage, les communes ont été invitées à aider au développement des soupes populaires existantes et à en créer de nouvelles en faisant largement appel aux initiatives des collectivités officielles et privées. D'une manière générale, une aide substantielle est apportée aux soupes populaires, aux cantines scolaires et des distributions gratuites de denrées alimentaires ont été organisées.

FINANCEMENT DES SECOURS

Seul le budget de l'Algérie intervient pour assurer le financement de l'effort réalisé aussi bien en faveur des miséreux valides que des miséreux invalides.
Il faut cependant signaler que le Pouvoir central, tuteur légal de l'Algérie, s'est associé à ce dispendieux effort en autorisant l'Algérie à prélever sur son fonds de réserve, au fur et à mesure des besoins exprimés, les sommes qui ont été jugées nécessaires, à savoir un total de 150 millions.

Les collectivités officielles ou privées de toutes les régions touchées par la misère ont pris en charge environ 50 % des dépenses et ont assuré le bon fonctionnement des distributions de soupes et des chantiers.

C'est en tenant compte de la situation des différentes communes, de leur département, que les Préfets fixent approximativement le montant des crédits qui leur paraissent nécessaires pour l'organisation des secours aux miséreux invalides, ainsi que la participation des communes à cet effort.

Cependant, le concours de l'Algérie peut être total dans le cas où les réalisations effectuées par les localités sont disproportionnées avec leur budget.

Le principe étant admis qu'en aucun cas les formalités ne doivent retarder l'attribution des secours ni l'aide à apporter aux malheureux, des crédits provisionnels ont été accordés aux Préfets afin de leur permettre de parer aux situations les plus précaires en apportant aux indigents une aide efficace chaque fois qu'ils l'estiment indispensable et urgente.

La Commission des Finances de l'Assemblée Financière a accordé, pour l'ensemble de l'exercice 46, en tenant compte des avances à régulariser, un crédit de 125.000.000 de francs pour la distribution de secours aux miséreux invalides.

Toutes les branches de l'activité économique de l'Algérie ont absorbé une fraction de plus en plus importante de la main-d'œuvre sans emploi, et tous les chantiers relatifs aux travaux d'ouverture de routes, de pistes, de petite hydraulique et d'édilité, qui font appel aux travailleurs manuels non spécialisés, ont accru, dans de très grandes proportions, le nombre des ouvriers embauchés. Il est, à cet égard, extrêmement difficile de chiffrer la masse de salaires supplémentaires qui a pu entrer en jeu pour soulager les miséreux valides. Tout au plus, pouvons-nous, pour fixer les idées, nous référer aux dépenses de fonctionnement des chantiers employant une main-d'oeuvre de miséreux à des travaux qui entrent dans le cadre du paysanat.

Cette dernière catégorie de travaux peut être payée sur la section 18, chapitre 39, dont le montant global est de 110 millions.

SITUATION GENERALE DANS LES TROIS DEPARTEMENTS


Le retour des prisonniers de guerre et des soldats démobilisés, le départ des armées alliées qui pendant deux ans ont occupé un nombreux personnel, la sécheresse persistante de ces dernières années qui a réduit un grand nombre de petits fellahs et d'éleveurs nomades à la misère, la raréfaction générale des produits alimentaires dont souffrent tous les pays, ont créé en Algérie une crise qui se fait sentir sur l'ensemble des populations françaises musulmanes et non musulmanes ; mais elle atteint plus durement les populations musulmanes valides et invalides des régions des Hauts-Plateaux et pré-sahariennes formant ce que l'on est convenu d'appeler " le pays du mouton ".

Cette crise rappelle la situation dramatique que l'Algérie a connue au cours des hivers 1865 et 1921. Mais la situation était alors différente, les pouvoirs publics n'ayant à s'occuper que du ravitaillement général qui s'applique à l'ensemble des populations algériennes.

Constante en ce qui concerne le chômage dans les grandes villes, la situation générale se présente par ailleurs sous un angle différent dans les trois départements.

Département d'Alger


La misère sévit d'une manière générale dans les villes et dans les campagnes mal situées au point de vue agricole. C'est ainsi que Blida, situé au centre d'une région fertile où les ouvriers agricoles sont particulièrement appréciés, a cependant reçu une subvention de 4.050.000 francs en vue de la création de chantiers destinés à employer tous les chômeurs. Alger, Miliana, Aumale, Médéa, Tizi-Ouzou, sont dans le même cas. De nombreuses communes répondant à l'appel qui leur a été lancé, ont déjà présenté leur projet de travaux à entreprendre à la Direction des Réformes et un grand nombre de crédits sur avances à régulariser leur ont été distribués en fonction des renseignements partiels fournis.

De nombreux chantiers occupent déjà une partie importante des chômeurs et on peut espérer une résorbtion totale du chômage dans un avenir relativement proche. .
La situation des miséreux invalides est beaucoup plus critique. Misère des villes et surtout famine des campagnes par suite de la raréfaction des céréales, aliment de base des populations musulmanes.

Si certaines régions privilégiées au point de vue agricole : Mitidja, plaine d'Orléansville, ne présentent pas une augmentation sensible du paupérisme, d'ailleurs efficacement soulagé par le développement ou la création de soupes populaires et de distributions de vivres, la situation dans les pays montagneux (Hauts-Plateaux, Kabylie) est beaucoup plus critique. Bou-Saâda, Aumale, Tizi-Ouzou signalent des milliers de miséreux et dès maintenant les secours organisés par l'ensemble des administrations et des associations qualifiées sont substantiellement soutenus par l'aide efficace de la colonie. De très larges subventions ont permis, suivant les régions, des distributions gratuites de céréales, de denrées contingentés, de figues sèches, de dattes. Pour la seule ville d'Alger, onze soupes populaires fonctionnent actuellement (voir annexe II) et la municipalité envisage la création d'une nouvelle soupe dans les locaux de l'ancienne gare de Bab-el-Oued ainsi que la création, aux environs d'Alger, d'un centre d'accueil destiné aux plus déshérités.

Département d'Oran


Grâce à des mesures générales et énergiques, le chômage particulièrement sensible pendant les mois de janvier et février 1946, est en voie de régression très nette dans les campagnes et les petits centres du département.

Une réglementation sévère de l'emploi de la main-d'üuvre marocaine et l'embauchage par les particuliers d'une grande partie des ouvriers saisonniers pour les travaux de printemps, ont permis d'employer la plupart des chômeurs agricoles.

En ce qui concerne la ville d'Oran, la situation requiert l'attention et l'appui des Pouvoirs publics : par suite du départ des armées alliées, de l'arrêt par fin d'exécution, de certains grands travaux, du retour assez massif des démobilisés, on enregistre plus de chômage qu'ailleurs et nettement davantage que dans les périodes correspondantes des autres années.

La création d'un certain nombre de chantiers ouverts en ce moment, et la mise sur pied par le Service des Ponts et Chaussées d'un vaste programme de travaux en cours d'étude, doivent cependant pouvoir absorber la presque totalité de la main-d'oeuvre actuellement sans travail.

Le nombre des miséreux invalides va ici en croissant lorsqu'on s'éloigne vers le Sud. La géographie du département formé d'une vaste plaine côtière, non cloisonnée, comme dans le département d'Alger et bordée au Sud de hauts plateaux, explique facilement cette répartition.

L'effort entrepris par les municipalités, pour secourir tous les miséreux qui, par suite d'infirmités, de maladies ou de vieillesse ne peuvent être employés sur les chantiers, soutenu par l'aide des Pouvoirs publics, donne déjà des résultats satisfaisants.

Certaines villes comme Mascara, Tlemcen, Aïn-Témouchent ,ont organisé des asiles pour les indigents invalides. D'autres, comme Saïda, ont procédé à des distributions de dattes, de figues et souvent de céréales. D'une manière générale, l'union étroite de tous les organismes à caractère d'assistance, bénéficiant de l'aide financière et morale des municipalités et du Gouvernement Général, prouve aux populations du département que le soulagement de la misère est une des préoccupations essentielles de l'Administration.

Département de Constantine

Département essentiellement montagneux où les zones de cultures riches se limitent au bord de la mer, aux régions de Bône et de Philippeville, le chômage s'y fait particulièrement sentir autour des centres miniers de l'Ouenza, de Tébessa et du Kouif, par suite du ralentissement relatif des exploitations depuis la guerre et la misère sévit dans les hauts plateaux où la sécheresse a décimé les troupeaux Le séisme du 12 février, en dévastant la région du Hodna n'a fait qu'accentuer une situation déjà critique et si les secours ont été rapidement et généreusement organisés, il n'en reste pas moins beaucoup à faire ; une subvention de 12 millions particulièrement destinée aux sinistrés a d'ailleurs été déjà accordée.

L'ouverture de nombreux chantiers de travail actuellement en fonctionnement, l'établissement de projets de travaux locaux à l'étude dans chaque commune doivent apporter, en ce qui concerne le chômage, une amélioration certaine.

Les secours aux miséreux organisés d'une manière générale par l'administration et exécutés avec une solidarité digne d'éloges par les les bureaux de bienfaisance musulman, l'Entr'Aide Française les cantines scolaires, les communes en général, permettent une solution certaine sinon très rapide à une situation critique à beaucoup de points de vue.

Ainsi, ce n'est pas seulement un appel à l'administration qui a été lancé par M. Yves CHATAIGNEAU, en vue d'organiser l'assistance aux populations algériennes déshéritées, car tous les organismes d'assistance y compris les Sociétés Indigènes de Prévoyance, les Dar-el-Askri, l'Entr'Aide française, les sociétés privées, ont été appelés à participer à cette oeuvre de solidarité.

Parallèlement à cette lutte contre la sous-alimentation et le chômage, le renforcement des mesures d'ordre médical et prophylactique a été prévu sur l'ensemble du territoire.

On peut donc en conclure que la lutte contre la misère est menée d'une façon efficace en Algérie et si le bilan matériel de la campagne se traduit par des chiffres élevés (annexe I), ce sont surtout l'effort général de solidarité entre français et musulmans et non musulmans et la bienveillante sollicitude de l'administration qu'il convient d'apprécier.

ANNEXE I
Bilan Général au 1" Mars 1946

CREDITS DEJA ATTRIBUES

A. - VALIDES (chantiers)
B.- INVALIDES
Sur les crédits de la section XVIII chap. 39 Sur avances à régulariser :
Alger. 30.513.000 fr Alger 14.000.000 fr.
Oran 20.483.500 fr. Oran 8.000.000 fr.
Constantine 41.756.750 fr. Constantine 26.000.000 fr.
Total 92.353.250 Total 48.000.000 fr.


SEANCE DE LA COMMISSION DES FINANCES DE L'ASSEMBLEE FINANCIERE DU 23 MARS 1946

Dépenses de l'exercice 1946
Dépenses nouvelles à prévoir
Avances à régulariser :  
Aide à la population musulmane   En sus du crédit de 100 millions accordé, la direction des Réformes musulmanes demande une nouvelle avance à régulariser de 125.000.000
Secours alimentaires et organisation des
chantiers de travail
100.000.000

ANNEXE II
BILAN DU DEPARTEMENT D'ALGER AU Ier MARS 1946

Assistance aux valides
Les 30.513.000 fr. alloués au département d'Alger ont permis d'ouvrir 242 chantiers et d'occuper 18.000 ouvriers par jour.

L'arrondissement de Blida a en outre reçu par les soins du préfet, une allocation de 4.350.000 fr. qui permettra d'employer tous les chômeurs tandis que 1.176.000 frs ont été alloués à l'arrondissement d'Alger et 870.000 frs à celui d'Aumale.

Assistance aux invalides
14.000.000 de frs ont été alloués au département d'Alger.

59 soupes populaires servant 16.000 repas par jour ont été créées et 65.00 invalides reçoivent gratuitement leurs denrées contingentées et en outre des denrées de diverses natures.

Dans la seule ville d'Alger, 11 soupes fonctionnent.

64.542 repas ont été distribués en janvier, et 29.300 miséreux ont été secourus. Du 1" au 25 février 53.816 repas ont été serviset 29.000 miséreux secourus. Dans de nombreuses communes l'assistance est en voie d'organisation.


BILAN DU DEPARTEMENT D'ORAN AU 1er MARS 1946

Assistance aux valides
Crédits alloués : 20.483.500 frs, absorbés en presque totalité par les 10.000 chômeurs employés dans les 46 chantiers créés.

Assistance aux invalides
Crédits alloués : 8 millions qui permettent le fonctionnement de 17 soupes populaires et des distributions de denrées gratuites à 40.000 invalides.

BILAN DU DEPARTEMENT DE CONSTANTINE AU 1er MARS 1946

Assistance aux valides
Crédits alloués : 41.756.750 frs dont 2.000.000 spécialement destinés à la ville de Sétif.
Grâce à cette somme augmentée de la participation des communes, 487 chantiers employant 35.000 chômeurs ont été créés.

Assistance aux invalides
Crédits alloués : 26.000.000 de fr.

Cette somme est suffisante en temps normal pour secourir les 62.300 miséreux signalés dans le département.

12.000.000 de frs ont été réclamés et attribués pour venir en aide aux sinistrés du séisme du 12 février 1946.
64 soupes populaires servent 30.500 repas par jour.
85.000 invalides bénéficient des distributions gratuites.