L'effort social
réalisé par l'Algérie au début de 1946
Le plan des réformes sociales établi
pour l'Algérie et dont une partie importante a déjà
été réalisée ( Documents
Algériens, Série sociale n° 3, Réformes Sociales.)
vise à l'amélioration générale des conditions
de vie de tous les travailleurs algériens en sauvegardant leurs
droits sociaux et en leur assurant une retraite convenable. Mais il aurait
été insuffisant s'il n'avait été complété
par des mesures d'assistance générale nécessitées
par la situation critique et exceptionnelle que connaît actuellement
l'économie musulmane algérienne en raison, d'une part, de
la disette générale consécutive à plusieurs
années de sécheresse, d'autre part, du rationnement sévère
de diverses denrées alimentaires et des céréales
en particulier.
L'Algérie, sous l'impulsion de M. Yves Chataigneau, Gouverneur
Général, prend une large part à cette lutte contre
la misère, sous la double forme de secours aux indigents invalides,
et de résorbtion du chômage par la création de chantiers
de travail et par la mise en exécution d'un programme de grands
travaux.
ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LA MISERE
Création de chantiers de travail
La création de chantiers de travail envisagée à plusieurs
reprises ces dernières années avait été repoussée
jusqu'en 1945. En effet, la pénurie de main-d'oeuvre se faisait
sentir dans plusieurs branches de l'économie algérienne
et il ne paraissait pas opportun de la rendre plus sensible encore par
l'occupation de nombreux ouvriers à des travaux qui n'étaient
pas de première urgence.
En 1945, de nombreux prisonniers de guerre et de soldats démobilisés
ayant regagné leur foyer et se trouvant sans travail, la situation
se présentait sous un angle différent.
Afin de remédier à un état de choses qui aurait pu
avoir en se prolongeant des conséquences désastreuses, des
instructions précises furent diffusées dans les trois départements
aux termes desquelles chaque commune était tenue d'établir
un projet de travaux à entreprendre, en tenant compte à
la fois de l'importance approximative de la main-d'oeuvre à employer
et de l'utilité certaine de ces travaux pour l'équipement
économique de l'Algérie.
Ces projets sont soumis à l'approbation du Gouverneur Général
de l'Algérie qui, après avis de la Direction des Travaux
publics, fixe le montant des subventions qui seront accordées pour
leur réalisation.
Le barème théorique de participation à ces dépenses
est de 50 % pour l'Algérie, de 25 % pour le département
et de 25 % pour la commune. Dans des cas exceptionnels, la participation
des communes peut être diminuée.
Les circulaires instituant cette procédure sont relativement récentes
(décembre 1945) et nombre de communes n'ont pu encore soumettre
leur projet à l'approbation gubernatoriale. En attendant qu'elles
soient en mesure de le faire, des crédits provisionnels ont été
accordés aux Préfets chargés de les répartir
dans leur département pour " qu'en aucun cas l'étude
des projets ne puisse retarder l'aide à apporter aux populations
malheureuses ".
Distributions des secours
En vue d'assister les miséreux invalides, le principe de la distribution
de secours en nature de préférence au système d'attribution
de secours en argent, a été adopté, et ceci pour
des raisons auxquelles des considérations d'ordre économique
et social ne sont pas étrangères.
C'est ainsi que chaque fois où cela s'avère possible, l'intégralité
des rations alimentaires (produits contingentés ou autres) auxquelles
ils peuvent prétendre et dont ils se seraient rendus acquéreurs
s'ils en avaient eu les moyens, est distribué gratuitement aux
indigents invalides.
De plus, dans toutes les agglomérations situées dans des
régions particulièrement éprouvées par la
sécheresse ou le chômage, les communes ont été
invitées à aider au développement des soupes populaires
existantes et à en créer de nouvelles en faisant largement
appel aux initiatives des collectivités officielles et privées.
D'une manière générale, une aide substantielle est
apportée aux soupes populaires, aux cantines scolaires et des distributions
gratuites de denrées alimentaires ont été organisées.
FINANCEMENT DES SECOURS
Seul le budget de l'Algérie intervient pour assurer le financement
de l'effort réalisé aussi bien en faveur des miséreux
valides que des miséreux invalides.
Il faut cependant signaler que le Pouvoir central, tuteur légal
de l'Algérie, s'est associé à ce dispendieux effort
en autorisant l'Algérie à prélever sur son fonds
de réserve, au fur et à mesure des besoins exprimés,
les sommes qui ont été jugées nécessaires,
à savoir un total de 150 millions.
Les collectivités officielles ou privées de toutes les régions
touchées par la misère ont pris en charge environ 50 % des
dépenses et ont assuré le bon fonctionnement des distributions
de soupes et des chantiers.
C'est en tenant compte de la situation des différentes communes,
de leur département, que les Préfets fixent approximativement
le montant des crédits qui leur paraissent nécessaires pour
l'organisation des secours aux miséreux invalides, ainsi que la
participation des communes à cet effort.
Cependant, le concours de l'Algérie peut être total dans
le cas où les réalisations effectuées par les localités
sont disproportionnées avec leur budget.
Le principe étant admis qu'en aucun cas les formalités ne
doivent retarder l'attribution des secours ni l'aide à apporter
aux malheureux, des crédits provisionnels ont été
accordés aux Préfets afin de leur permettre de parer aux
situations les plus précaires en apportant aux indigents une aide
efficace chaque fois qu'ils l'estiment indispensable et urgente.
La Commission des Finances de l'Assemblée Financière a accordé,
pour l'ensemble de l'exercice 46, en tenant compte des avances à
régulariser, un crédit de 125.000.000 de francs pour la
distribution de secours aux miséreux invalides.
Toutes les branches de l'activité économique de l'Algérie
ont absorbé une fraction de plus en plus importante de la main-d'uvre
sans emploi, et tous les chantiers relatifs aux travaux d'ouverture de
routes, de pistes, de petite hydraulique et d'édilité, qui
font appel aux travailleurs manuels non spécialisés, ont
accru, dans de très grandes proportions, le nombre des ouvriers
embauchés. Il est, à cet égard, extrêmement
difficile de chiffrer la masse de salaires supplémentaires qui
a pu entrer en jeu pour soulager les miséreux valides. Tout au
plus, pouvons-nous, pour fixer les idées, nous référer
aux dépenses de fonctionnement des chantiers employant une main-d'oeuvre
de miséreux à des travaux qui entrent dans le cadre du paysanat.
Cette dernière catégorie de travaux peut être payée
sur la section 18, chapitre 39, dont le montant global est de 110 millions.
SITUATION GENERALE DANS LES TROIS DEPARTEMENTS
Le retour des prisonniers de guerre et des soldats démobilisés,
le départ des armées alliées qui pendant deux ans
ont occupé un nombreux personnel, la sécheresse persistante
de ces dernières années qui a réduit un grand nombre
de petits fellahs et d'éleveurs nomades à la misère,
la raréfaction générale des produits alimentaires
dont souffrent tous les pays, ont créé en Algérie
une crise qui se fait sentir sur l'ensemble des populations françaises
musulmanes et non musulmanes ; mais elle atteint plus durement les populations
musulmanes valides et invalides des régions des Hauts-Plateaux
et pré-sahariennes formant ce que l'on est convenu d'appeler "
le pays du mouton ".
Cette crise rappelle la situation dramatique que l'Algérie a connue
au cours des hivers 1865 et 1921. Mais la situation était alors
différente, les pouvoirs publics n'ayant à s'occuper que
du ravitaillement général qui s'applique à l'ensemble
des populations algériennes.
Constante en ce qui concerne le chômage dans les grandes villes,
la situation générale se présente par ailleurs sous
un angle différent dans les trois départements.
Département d'Alger
La misère sévit d'une manière générale
dans les villes et dans les campagnes mal situées au point de vue
agricole. C'est ainsi que Blida, situé au centre d'une région
fertile où les ouvriers agricoles sont particulièrement
appréciés, a cependant reçu une subvention de 4.050.000
francs en vue de la création de chantiers destinés à
employer tous les chômeurs. Alger, Miliana, Aumale, Médéa,
Tizi-Ouzou, sont dans le même cas. De nombreuses communes répondant
à l'appel qui leur a été lancé, ont déjà
présenté leur projet de travaux à entreprendre à
la Direction des Réformes et un grand nombre de crédits
sur avances à régulariser leur ont été distribués
en fonction des renseignements partiels fournis.
De nombreux chantiers occupent déjà une partie importante
des chômeurs et on peut espérer une résorbtion totale
du chômage dans un avenir relativement proche. .
La situation des miséreux invalides est beaucoup plus critique.
Misère des villes et surtout famine des campagnes par suite de
la raréfaction des céréales, aliment de base des
populations musulmanes.
Si certaines régions privilégiées au point de vue
agricole : Mitidja, plaine d'Orléansville, ne présentent
pas une augmentation sensible du paupérisme, d'ailleurs efficacement
soulagé par le développement ou la création de soupes
populaires et de distributions de vivres, la situation dans les pays montagneux
(Hauts-Plateaux, Kabylie) est beaucoup plus critique. Bou-Saâda,
Aumale, Tizi-Ouzou signalent des milliers de miséreux et dès
maintenant les secours organisés par l'ensemble des administrations
et des associations qualifiées sont substantiellement soutenus
par l'aide efficace de la colonie. De très larges subventions ont
permis, suivant les régions, des distributions gratuites de céréales,
de denrées contingentés, de figues sèches, de dattes.
Pour la seule ville d'Alger, onze soupes populaires fonctionnent actuellement
(voir annexe II) et la municipalité envisage la création
d'une nouvelle soupe dans les locaux de l'ancienne gare de Bab-el-Oued
ainsi que la création, aux environs d'Alger, d'un centre d'accueil
destiné aux plus déshérités.
Département d'Oran
Grâce à des mesures générales et énergiques,
le chômage particulièrement sensible pendant les mois de
janvier et février 1946, est en voie de régression très
nette dans les campagnes et les petits centres du département.
Une réglementation sévère de l'emploi de la main-d'üuvre
marocaine et l'embauchage par les particuliers d'une grande partie des
ouvriers saisonniers pour les travaux de printemps, ont permis d'employer
la plupart des chômeurs agricoles.
En ce qui concerne la ville d'Oran, la situation requiert l'attention
et l'appui des Pouvoirs publics : par suite du départ des armées
alliées, de l'arrêt par fin d'exécution, de certains
grands travaux, du retour assez massif des démobilisés,
on enregistre plus de chômage qu'ailleurs et nettement davantage
que dans les périodes correspondantes des autres années.
La création d'un certain nombre de chantiers ouverts en ce moment,
et la mise sur pied par le Service des Ponts et Chaussées d'un
vaste programme de travaux en cours d'étude, doivent cependant
pouvoir absorber la presque totalité de la main-d'oeuvre actuellement
sans travail.
Le nombre des miséreux invalides va ici en croissant lorsqu'on
s'éloigne vers le Sud. La géographie du département
formé d'une vaste plaine côtière, non cloisonnée,
comme dans le département d'Alger et bordée au Sud de hauts
plateaux, explique facilement cette répartition.
L'effort entrepris par les municipalités, pour secourir tous les
miséreux qui, par suite d'infirmités, de maladies ou de
vieillesse ne peuvent être employés sur les chantiers, soutenu
par l'aide des Pouvoirs publics, donne déjà des résultats
satisfaisants.
Certaines villes comme Mascara, Tlemcen, Aïn-Témouchent
,ont organisé des asiles pour les indigents invalides. D'autres,
comme Saïda, ont procédé à des distributions
de dattes, de figues et souvent de céréales. D'une manière
générale, l'union étroite de tous les organismes
à caractère d'assistance, bénéficiant de l'aide
financière et morale des municipalités et du Gouvernement
Général, prouve aux populations du département que
le soulagement de la misère est une des préoccupations essentielles
de l'Administration.
Département de Constantine
Département essentiellement montagneux où les zones de cultures
riches se limitent au bord de la mer, aux régions de Bône
et de Philippeville, le chômage s'y fait particulièrement
sentir autour des centres miniers de l'Ouenza, de Tébessa et du
Kouif, par suite du ralentissement relatif des exploitations depuis la
guerre et la misère sévit dans les hauts plateaux où
la sécheresse a décimé les troupeaux Le séisme
du 12 février, en dévastant la région du Hodna n'a
fait qu'accentuer une situation déjà critique et si les
secours ont été rapidement et généreusement
organisés, il n'en reste pas moins beaucoup à faire ; une
subvention de 12 millions particulièrement destinée aux
sinistrés a d'ailleurs été déjà accordée.
L'ouverture de nombreux chantiers de travail actuellement en fonctionnement,
l'établissement de projets de travaux locaux à l'étude
dans chaque commune doivent apporter, en ce qui concerne le chômage,
une amélioration certaine.
Les secours aux miséreux organisés d'une manière
générale par l'administration et exécutés
avec une solidarité digne d'éloges par les les bureaux de
bienfaisance musulman, l'Entr'Aide Française les cantines scolaires,
les communes en général, permettent une solution certaine
sinon très rapide à une situation critique à beaucoup
de points de vue.
Ainsi, ce n'est pas seulement un appel à l'administration qui a
été lancé par M. Yves CHATAIGNEAU, en vue d'organiser
l'assistance aux populations algériennes déshéritées,
car tous les organismes d'assistance y compris les Sociétés
Indigènes de Prévoyance, les Dar-el-Askri, l'Entr'Aide française,
les sociétés privées, ont été appelés
à participer à cette oeuvre de solidarité.
Parallèlement à cette lutte contre la sous-alimentation
et le chômage, le renforcement des mesures d'ordre médical
et prophylactique a été prévu sur l'ensemble du territoire.
On peut donc en conclure que la lutte contre la misère est menée
d'une façon efficace en Algérie et si le bilan matériel
de la campagne se traduit par des chiffres élevés (annexe
I), ce sont surtout l'effort général de solidarité
entre français et musulmans et non musulmans et la bienveillante
sollicitude de l'administration qu'il convient d'apprécier.
ANNEXE I
Bilan Général au 1" Mars 1946
CREDITS DEJA ATTRIBUES
A. - VALIDES (chantiers)
|
B.- INVALIDES
|
Sur les crédits de la section
XVIII chap. 39 |
Sur avances à régulariser
: |
Alger. |
30.513.000 fr |
Alger |
14.000.000 fr. |
Oran |
20.483.500 fr. |
Oran |
8.000.000 fr. |
Constantine |
41.756.750 fr. |
Constantine |
26.000.000 fr. |
Total |
92.353.250 |
Total |
48.000.000 fr. |
SEANCE DE LA COMMISSION DES FINANCES DE L'ASSEMBLEE FINANCIERE DU 23 MARS
1946
Dépenses de l'exercice 1946
|
Dépenses nouvelles à
prévoir
|
Avances à régulariser : |
|
Aide à la population musulmane |
|
En sus du crédit de
100 millions accordé, la direction des Réformes musulmanes
demande une nouvelle avance à régulariser de |
125.000.000 |
Secours alimentaires et organisation
des
chantiers de travail |
100.000.000 |
ANNEXE II
BILAN DU DEPARTEMENT D'ALGER AU Ier MARS 1946
Assistance aux valides
Les 30.513.000 fr. alloués au département d'Alger ont permis
d'ouvrir 242 chantiers et d'occuper 18.000 ouvriers par jour.
L'arrondissement de Blida a en outre reçu par les soins du préfet,
une allocation de 4.350.000 fr. qui permettra d'employer tous les chômeurs
tandis que 1.176.000 frs ont été alloués à
l'arrondissement d'Alger et 870.000 frs à celui d'Aumale.
Assistance aux invalides
14.000.000 de frs ont été alloués au département
d'Alger.
59 soupes populaires servant 16.000 repas par jour ont été
créées et 65.00 invalides reçoivent gratuitement
leurs denrées contingentées et en outre des denrées
de diverses natures.
Dans la seule ville d'Alger, 11 soupes fonctionnent.
64.542 repas ont été distribués en janvier, et 29.300
miséreux ont été secourus. Du 1" au 25 février
53.816 repas ont été serviset 29.000 miséreux secourus.
Dans de nombreuses communes l'assistance est en voie d'organisation.
BILAN DU DEPARTEMENT D'ORAN AU 1er MARS 1946
Assistance aux valides
Crédits alloués : 20.483.500 frs, absorbés en presque
totalité par les 10.000 chômeurs employés dans les
46 chantiers créés.
Assistance aux invalides
Crédits alloués : 8 millions qui permettent le fonctionnement
de 17 soupes populaires et des distributions de denrées gratuites
à 40.000 invalides.
BILAN DU DEPARTEMENT
DE CONSTANTINE AU 1er MARS 1946
Assistance aux valides
Crédits alloués : 41.756.750 frs dont 2.000.000 spécialement
destinés à la ville de Sétif.
Grâce à cette somme augmentée de la participation
des communes, 487 chantiers employant 35.000 chômeurs ont été
créés.
Assistance aux invalides
Crédits alloués : 26.000.000 de fr.
Cette somme est suffisante en temps normal pour secourir les 62.300 miséreux
signalés dans le département.
12.000.000 de frs ont été réclamés et attribués
pour venir en aide aux sinistrés du séisme du 12 février
1946.
64 soupes populaires servent 30.500 repas par jour.
85.000 invalides bénéficient des distributions gratuites.
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