Réorganisation
de la Radiodiffusion
en Algérie
Depuis 1er janvier 1946, la radiodiffusion
algérienne est intégrée au réseau métropolitain.
Ainsi est close une longue période d'incertitude et d'expériences
inachevées. Les problèmes de la radio en Algérie,
en partie résolus, se présentent désormais sous un
angle différent. L'action de M. Yves Châtaigneau, Gouverneur
Général, tend à leur donner les solutions rapides
et efficaces qui doteront l'Algérie d'un réseau puissant,
et donneront à la radiodiffusion algérienne la place qu'elle
doit occuper dans les milieux musulmans et dans le monde.
HISTORIQUE.
On ne comprend parfaitement la situation
que si l'on a bien présentes à l'esprit les diverses impulsions
données à la radio algérienne depuis 1939.
Le 29 juillet 1939, un décret constituait la radiodiffusion officielle
française en une administration autonome dégagée
de la tutelle des P.T.T. et la question s'est alors posée de savoir
si, à cette occasion, le statut de la radio algérienne devait
être réexaminé. Trois solutions se présentait
:
a) Maintien du statu
quo, c'est-à-dire maintien de la radio au sein des P.T.T. ;
b) Création
d'une administration autonome dans le cadre local ;
c) Rattachement
pur et simple à la Métropole.
Il ne faisait aucun doute, dans l'esprit des promoteurs du décret
du 29 juillet 1939, que la réforme de la radiodiffusion métropolitaine
était l'amorce d'une opération plus vaste à l'échelle
de la communauté française.
L'ouverture des hostilités ne permit pas de résoudre le
problème algérien, mais un acte dit loi du 13 octobre 1940
plaça les réseaux nord-africains sous l'autorité
directe de l'administration française, et c'est en vertu de ce
texte que fut créée en Algérie, le 16 avril 1942,
une direction régionale de la radio, relevant de la Métropole.
Les circonstances, une fois encore, ne permirent pas d'entrer dans la
voie des réalisations pratiques et, lors du débarquement
allié en Afrique du Nord, la radiodiffusion algérienne était
toujours exploitée sous le contrôle de l'administration des
P.T.T.
La radio d'Algérie se trouva brusquement en présence de
responsabilités d'ordre national et international, responsabilités
trop lourdes pour être assumées avec bonheur dans le cadre
de l'organisation locale. On sépara alors les activités
radiophoniques suivant leur destination : Le Gouverneur Général
étant responsable des émissions réalisées
à l'intention des populations musulmanes d'Algérie, le Gouvernement
provisoire de la République française, des émissions
européennes et de la gestion de l'instrument technique. La création
de l'Office de Radio-France permit de réaliser ainsi la translation
partielle du réseau algérien du plan régional au
plan national.
Cette formule est apparue, aux yeux mêmes de ses promoteurs, comme
un expédient imposé par les obligations de la guerre et
personne ne se faisait d'illusions sur la fragilité de son assise
juridique : la France libérée, le Gouvernement réinstallé
à Paris, l'Office, perdait beaucoup de son intérêt
et l'on risquait de retrouver le trilèmme classique.
Telle était la situation après la victoire en Europe. Il
fallait se décider à faire un choix, d'autant plus vite
que six années de guerre et une succession de décisions
plus ou moins rationnelles avaient provoqué un état de fait
très compliqué. La dévolution des installations radiophoniques
n'était pas prononcée, le personnel n'avait pas de statut
bien défini, les dépenses étaient gérées
partie par l'Office Radio-France, partie par l'Algérie, le Gouverneur
Général ne disposait d'aucune autorité sur les émissions
parlées en langue française, etc...
L'ordonnance du 2 novembre 1945 consacre la fusion des réseaux
métropolitain et algérien tout en apportant des dérogations
de nature à faciliter le fonctionnement d'un service public français
transméditerranéen.
STRUCTURE ORGANIQUE
DE LA RADIODIFFUSION EN ALGÉRIE.
La radiodiffusion française prend en charge le réseau algérien
de radiodiffusion et en assure le fonctionnement avec les s attributions
que dans la Métropole. Il s'ensuit que :
1° L'Office
Radio-France est dissous ;
2°L'Algérie
devient une région radiophonique française ;
3°Les installations
de radiodiffusion sont dévolues à la Radiodiffusion française,
qui remboursera aux P.T.T. le montant des meubles et immeubles, compte
tenu de l'amortissement ;
Toutes les charges financières de l'exploitation et de l'extension
du réseau sont supportées par le budget annexe de la Radiodiffusion
française qui reçoit, en contrepartie, une subvention égale
au montant du produit de la taxe algérienne sur les appareils récepteurs
;
Le personnel est intégré, après classement, dans
le cadre métropolitain.
Cependant, le Gouverneur Général conserve ou se voit rétablir
les prérogatives suivantes :
- Les programmes
parlés en langue française sont soumis à son agrément,
- Il peut utiliser
à tous moments les installations de radio pour adresser aux populations
qu'il administre toutes communications qu'il juge nécessaires,
- Il conserve l'assiette
et le recouvrement des taxes sur les appareils récepteurs,
- Il donne son agrément
à la nomination du directeur régional,
- Il est consulté
sur l'affectation locale, l'avancement et les mesures disciplinaires des
personnels administratif, technique et des émissions européennes.
Il peut les remettre d'office à la disposition du Ministre de l'Information
pour leur affectation dans la Métropole.
- Il décide
de l'orientation des programmes et des horaires des émissions musulmanes
et détermine le mode de recrutement du personnel préposé
à ces émissions,
- Il propose les
représentants de l'Algérie dans les conférences et
organismes internationaux de radiodiffusion et de télévision.
En application de ces dispositions, les services de la radiodiffuson en
Algérie viennent d'être redistribués et les conditions
de fonctionnement des émissions musulmanes ont été
mises au point dans un projet d'arrêté.
LE RÉSEAU.
Onde
moyennes.
Le réseau algérien de radiodiffusion est caractérisé
géographiquement par l'avantage accordé aux régions
côtières puisque, à part Constantine, les émetteurs
se répartissent dans des villes situées en bordure de la
mer : Alger, Oran, Bône. Da point de vue technique, deux particularités
lui donnent un aspect original : d'une part, les stations sont doublées
de façon à pouvoir diffuser simultanément deux programmes
en langue française et en langue arabe ; d'autre part, la zone
d'audience est limitée car les émetteurs sont d'une très
faible puissance (1 à 2 kW), à l'exception du poste des
Eucalyptus (10 kW) qui rayonne suivant un Vecteur nord-sud.
De larges régions ne peuvent, dans ces conditions, être desservies,
celles-là justement où la radio serait indispensable pour
lutter contre l'isolement rural. Il importe donc de créer un réseau
aux mailles plus serrées en choisissant judicieusement les centres
d'émission.
La Radiodiffusion française a envisagé depuis longtemps
une autre solution qui consiste à doter Alger d'une station ondes
moyennes à grande puissance (100-120kw), mais l'état actuel
de l'industrie radioélectrique métropolitaine
ne permet pas d'escompter une livraison avant 1947-1948. Au reste, le
relief de l'Algérie s'oppose au rayonnement parfait est-ouest d'un
émetteur situé à Alger, et il faudra toujours maintenir
des stations relais dans les deux départements frontaliers.
Un autre problème est à résoudre : doter d'émetteurs
de puissance sensiblement équivalente les chaînes européenne
et musulmane. Jusqu'à présent, les programmes français
ont eu le privilège de disposer de la station la plus puissante,
ce qui ne va pas sans difficultés. Mise au courant de la question,
la Radiodiffusion française' a décidé l'envoi à
Alger, vers septembre-octobre, d'un 'émetteur de 20 kw ondes moyennes,
grâce auquel il sera possible de faire droit aux doléances
des Musulmans pour un réaménagement du réseau. "
En attendant, les programmes musulmans sont diffusés, depuis le
1er janvier 1946, par l'émetteur des Eucalyptus (10 kw) aux heures
suivantes :
8 h. 15 - 8 h. 45 - 12 h. 15 - 12 h. 45 - 18 h. 15 - 19 h. 30.
Ondes
courtes.
Une seule station ondes courtes retransmet en Algérie les programmes
de radiodiffusion ; il s'agit d'un émetteur de 10 kw appartenant
aux P.T.T. et loué à la Radio. Ce poste sert de relais pour
les émissions françaises originaires d'Alger et pour les
émissions coloniales ou étrangères originaires de
Paris.
La Radiodiffusion française a envoyé trois postes à
ondes courtes qui seront installés aux Eucalyptus : un émetteur
de 10 kw et deux de 25 kw.
Le premier sera mis en service dans un mois ou deux avec les antennes
dirigées vers Paris et Brazzaville ; les deux autres desserviront
les possessions françaises d'outre-mer à partir, vraisemblablement,
du début de 1947. Ces stations serviront de relais aux programmes
émis d'Alger et de Paris.
Dans un avenir plus lointain, il est prévu la création d'un
centre ondes courtes très puissant sur les Hauts-Plateaux, dans
la région de Bouïra, avec cinq ou six émetteurs de
25 à 50 kw chacun, en sorte que le monde entier pourrait être
" arrosé " dans de bonnes conditions.
MAISON DE LA RADIO.
Le studio de l'ancien " Radio-Alger ",(voir
) rue Berthezène, s'est révélé ridiculement
insuffisant dès que la radio algérienne s'est vue obligée
de diffuser simultanément deux programmes. C'est pourquoi Radio-
France s'est installé rue Hoche, où trois studios
sont en service.
Malgré cet effort, les possibilités de travail demeurent
réduites. Elles ne correspondent pas, en tout cas, à la
conception d'une Radio du temps de paix dont l'ambition déborde
le cadre strictement régional. Au surplus, l'extension croissante
des services, extension justifiée par le retard qu'il faut combler
pour arriver au niveau des radios étrangères, rend chaque
jour plus difficile le maintien d'un personnel nombreux dans le cadre
exigu de la rue Hoche. Les annexes de la rue Charras et de la rue Berthezène
ne suffisent pas à résoudre le problème angoissant
des locaux, mais aggravent les difficultés de l'organisation par
la dispersion des services.
L'aménagement d'une Maison de la Radio à Alger, s'impose
de toute urgence. Il serait possible de regrouper dans un même immeuble
la totalité des services, de construire des studios modernes et
une salle publique pour les émissions de gala. Alger réaliserait
enfin ce que toutes les petites métropoles provinciales de l'Europe
centrale et des pays scandinaves avaient obtenu depuis 1930-1935.
La crise immobilière dont souffre Alger ne facilite pas les recherches,
et il est impossible de supporter, sans danger pour l'avenir de la Radio
en Algérie, le délai de 5 à 6 ans nécessaire
à la construction d'un immeuble à destination radiophonique.
INFORMATIONS ET REPORTAGES.
Le principal reproche fait à la Radio dans tous les pays du monde
est l'envahissement des ondes par les émissions d'informations
présentées dans la forme journalistique, c'est-à-dire
accompagnées d'éditoriaux et de chroniques. La Radio, en
Algérie, n'a pas échappé à la critique et,
dès à présent, un effort est tenté pour limiter
le nombre des éditions complètes du journal parlé
et pour développer la formule des nouvelles
brèves. Ce nouveau plan des programmes permettra une amélioration
certaine dans ce domaine.
Par contre, il est envisagé de donner un caractère international
aux émissions algériennes, avec deux rubriques nouvelles.
La première tendra à faire de Radio-Algérie le poste
des Musulmans de culture française, grâce à la diffusion
dans notre langue de nouvelles et uvres littéraires ou poétiques
d'origine musulmane. La deuxième sera une sorte de tribune internationale
où les plus grands écrivains et journalistes étrangers
exposeront, en français, les problèmes de leurs pays respectifs.
L'essentiel de la réforme portera néanmoins sur les reportages.
La Radiodiffusion française se propose, en effet, de faire mieux
connaître l'Algérie, son folklore, son histoire, ses industries,
ses problèmes économiques et sociaux, etc... Le pays va
être parcouru systématiquement par des reporters, et le fruit
de leurs travaux sera diffusé sur les antennes du réseau
métropolitain. Le programme porte sur 18 mois, et il sera mené
à bien si Radio-Algérie obtient tous les concours indispensables.
Dans le même ordre d'idées, Radio-Algérie envoie toutes
les semaines, à Paris, une émission enregistrée où
l'un de ses collaborateurs développe, à l'intention du public
français, le problème du jour de l'Algérie.
PROGRAMMES ARTISTIQUES.
On s'est plaint maintes fois de la qualité artistique insuffisante
des émissions algériennes. La raison doit en être
recherchée, surtout, dans la pénurie des moyens locaux,
dans l'insuffisance des crédits et dans un complexe d'infériorité
à l'égard de Paris.
En vue d'y remédier dans toute la mesure du possible, un nouveau
plan des programmes vient d'être élaboré. Il s'inspire
de trois soucis fondamentaux : remplacer autant que faire se peut les
émissions enregistrées par des émissions vivantes,
organiser le déroulement des programmes de la soirée , autour
d'une émission clé, donner une fois par mois une manifestation
de grande qualité avec le concours de l'orchestre, des chorales
et des comédiens.
Un gros effort sera également tenté pour obtenir une grande
variété dans les 'formules, et une place est prévue
pour tous les genres, de façon à pouvoir satisfaire au moins
une fois par semaine tous les auditeurs. Pour pallier à la pauvreté
des moyens artistiques locaux dans le domaine si difficile du music-hall
et de la chanson, la Radiodiffusion française enverra toutes les
semaines des émissions spécialement conçues et préparées
à Paris à l'intention de Radio-Algérie.
Rien ne sera négligé, au reste, pour faire profiter les
auditeurs de toutes les occasions permettant de faire entendre, sur les
antennes de Radio-Algérie, les plus grandes vedettes du monde music-
hall, théâtral ou artistique. C'est dans cet esprit que des
accords sont en cours avec les grandes organisations professionnelles
d'Algérie et de France (syndicats, fédérations, union
nationale des intellectuels, etc...)
Radio-Algérie se propose enfin de décentraliser son activité
en déplaçant à Oran, Tlemcen, Constantine et Bône,
au moins une fois par an, ses musiciens et sa troupe de théâtre,
pour donner une manifestation publique et retransmettre toutes les semaines
les spectacles de ces villes.
LA POLITIQUE DE LA RÉCEPTION.
Il ne servirait à rien de dépenser des millions pour la
construction d'un réseau et pour la réalisation de programmes
de haute qualité si les émissions n'étaient pas écoutées.
Et, pour qu'elles soient entendues, il faut développer dans le
public l'usage de la Radio.
Les statistiques signalent l'existence de 114.000 postes, dont 10.000
à peine parmi la population musulmane. Ces chiffres sont certainement
en deçà de la vérité, mais le pourcentage
de la fraude n'est pas tellement élevé que la densité
radiophonique en soit sérieusement affectée. Cette densité
est d'environ 100 appareils pour 1.000 Européens et de 1,5 pour
1.000 Musulmans. On aura une idée de l'immense prospection à
faire si l'on note qu'en France il existe actuellement 133 appareils déclarés
pour 1.000 habitants et que l'on compte arriver rapidement à 175
pour 1.000.
C'est surtout parmi la population musulmane que l'effort doit porter.
Le nomadisme de certaines tribus, l'habitude de l'écoute collective,
la pauvreté de nombreux indigènes, l'insuffisance de l'équipement
de distribution d'énergie électrique, les coutumes qui s'opposent
à l'écoute de la radio par les femmes arabes aux heures
des repas, etc..., ne peuvent faire obstacle à une politique fructueuse
de la vente ou du prêt des appareils récepteurs.
RÉPERCUSSIONS BUDGÉTAIRES.
Il va de soi que le budget de la radio algérienne ne saurait couvrir
les dépenses qui résulteront de l'application des projets
ci-dessus. Les 40 millions de l'exercice 1945 vont passer à 90
millions environ, non compris les dépenses de premier établissement.
Le seul budget des émissions musulmanes passera de 6 à 15
millions, en sorte qu'il faut envisager l'affectation de la moitié
du produit de la taxe algérienne sur les appareils récepteurs,
aux émissions musulmanes.
PUBLICITÉ.
La Radiodiffusion française envisage de faire paraître à
Alger une édition de sa revue hebdomadaire " Radio-46
" dans laquelle sont publiés les programmes de la semaine.
L'intérêt d'une publication de l'espèce dont il n'existe
aucun exemple en Algérie est évident, et l'audience qu'elle
rencontrerait dans toute l'Afrique du Nord, certaine.
Par ailleurs, un Bulletin corporatif mensuel dénommé "
Ondes et Résonance", est publié depuis le mois
de mars et largement diffusé dans les milieux radiophoniques de
France et du monde entier. Radio-Algérie sera présent partout
où il est question de radio et son Bulletin servira de support
indirect à la propagande en faveur des activités algériennes.
En s'intégrant au réseau métropolitain, la Radiodiffusion
algérienne va enfin trouver le moyen de s'épanouir, d'apporter
sa contribution à l'apaisement des esprits, de faire mieux connaître
en Algérie et dans le monde musulman la culture française,
de maintenir et développer la notoriété internationale
que les circonstances lui ont fait acquérir.
ANNEXE
LES GRANDES ENQUÊTES
DE RADIO ALGÉRIE
Dès à présent, Radio Algérie a commencé
une série de grandes enquêtes en vue de faire connaître
à la Métropole les problèmes de l'économie
algérienne. Après le reportage sur le vin, suivront les
enquêtes sur :
- Le monopole du pavillon ;
- La Kabylie, 41e département algérien ;
- Les conséquences de la sécheresse ;
- Le danger acridien ;
- L'équipement portuaire ;
- L'équipement hydraulique etc...
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