Alger, Algérie : documents algériens
Série politique
Réorganisation de la Radiodiffusion en Algérie*
mise sur site le 4-12-2010
* Document n° 6 de la série : Politique - Paru le 15 mai 1946 - Rubrique RADIODIFFUSION

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Réorganisation de la Radiodiffusion
en Algérie

Depuis 1er janvier 1946, la radiodiffusion algérienne est intégrée au réseau métropolitain. Ainsi est close une longue période d'incertitude et d'expériences inachevées. Les problèmes de la radio en Algérie, en partie résolus, se présentent désormais sous un angle différent. L'action de M. Yves Châtaigneau, Gouverneur Général, tend à leur donner les solutions rapides et efficaces qui doteront l'Algérie d'un réseau puissant, et donneront à la radiodiffusion algérienne la place qu'elle doit occuper dans les milieux musulmans et dans le monde.

HISTORIQUE.

On ne comprend parfaitement la situation que si l'on a bien présentes à l'esprit les diverses impulsions données à la radio algérienne depuis 1939.

Le 29 juillet 1939, un décret constituait la radiodiffusion officielle française en une administration autonome dégagée de la tutelle des P.T.T. et la question s'est alors posée de savoir si, à cette occasion, le statut de la radio algérienne devait être réexaminé. Trois solutions se présentait :
         a) Maintien du statu quo, c'est-à-dire maintien de la radio au sein des P.T.T. ;
         b) Création d'une administration autonome dans le cadre local ;
         c) Rattachement pur et simple à la Métropole.

Il ne faisait aucun doute, dans l'esprit des promoteurs du décret du 29 juillet 1939, que la réforme de la radiodiffusion métropolitaine était l'amorce d'une opération plus vaste à l'échelle de la communauté française.

L'ouverture des hostilités ne permit pas de résoudre le problème algérien, mais un acte dit loi du 13 octobre 1940 plaça les réseaux nord-africains sous l'autorité directe de l'administration française, et c'est en vertu de ce texte que fut créée en Algérie, le 16 avril 1942, une direction régionale de la radio, relevant de la Métropole. Les circonstances, une fois encore, ne permirent pas d'entrer dans la voie des réalisations pratiques et, lors du débarquement allié en Afrique du Nord, la radiodiffusion algérienne était toujours exploitée sous le contrôle de l'administration des P.T.T.

La radio d'Algérie se trouva brusquement en présence de responsabilités d'ordre national et international, responsabilités trop lourdes pour être assumées avec bonheur dans le cadre de l'organisation locale. On sépara alors les activités radiophoniques suivant leur destination : Le Gouverneur Général étant responsable des émissions réalisées à l'intention des populations musulmanes d'Algérie, le Gouvernement provisoire de la République française, des émissions européennes et de la gestion de l'instrument technique. La création de l'Office de Radio-France permit de réaliser ainsi la translation partielle du réseau algérien du plan régional au plan national.

Cette formule est apparue, aux yeux mêmes de ses promoteurs, comme un expédient imposé par les obligations de la guerre et personne ne se faisait d'illusions sur la fragilité de son assise juridique : la France libérée, le Gouvernement réinstallé à Paris, l'Office, perdait beaucoup de son intérêt et l'on risquait de retrouver le trilèmme classique.

Telle était la situation après la victoire en Europe. Il fallait se décider à faire un choix, d'autant plus vite que six années de guerre et une succession de décisions plus ou moins rationnelles avaient provoqué un état de fait très compliqué. La dévolution des installations radiophoniques n'était pas prononcée, le personnel n'avait pas de statut bien défini, les dépenses étaient gérées partie par l'Office Radio-France, partie par l'Algérie, le Gouverneur Général ne disposait d'aucune autorité sur les émissions parlées en langue française, etc...

L'ordonnance du 2 novembre 1945 consacre la fusion des réseaux métropolitain et algérien tout en apportant des dérogations de nature à faciliter le fonctionnement d'un service public français transméditerranéen.

STRUCTURE ORGANIQUE DE LA RADIODIFFUSION EN ALGÉRIE.

La radiodiffusion française prend en charge le réseau algérien de radiodiffusion et en assure le fonctionnement avec les s attributions que dans la Métropole. Il s'ensuit que :
         1° L'Office Radio-France est dissous ;
         2°L'Algérie devient une région radiophonique française ;
         3°Les installations de radiodiffusion sont dévolues à la Radiodiffusion française, qui remboursera aux P.T.T. le montant des meubles et immeubles, compte tenu de l'amortissement ;

Toutes les charges financières de l'exploitation et de l'extension du réseau sont supportées par le budget annexe de la Radiodiffusion française qui reçoit, en contrepartie, une subvention égale au montant du produit de la taxe algérienne sur les appareils récepteurs ;

Le personnel est intégré, après classement, dans le cadre métropolitain.

Cependant, le Gouverneur Général conserve ou se voit rétablir les prérogatives suivantes :
         - Les programmes parlés en langue française sont soumis à son agrément,
         - Il peut utiliser à tous moments les installations de radio pour adresser aux populations qu'il administre toutes communications qu'il juge nécessaires,
         - Il conserve l'assiette et le recouvrement des taxes sur les appareils récepteurs,
         - Il donne son agrément à la nomination du directeur régional,
         - Il est consulté sur l'affectation locale, l'avancement et les mesures disciplinaires des personnels administratif, technique et des émissions européennes. Il peut les remettre d'office à la disposition du Ministre de l'Information pour leur affectation dans la Métropole.
         - Il décide de l'orientation des programmes et des horaires des émissions musulmanes et détermine le mode de recrutement du personnel préposé à ces émissions,
         - Il propose les représentants de l'Algérie dans les conférences et organismes internationaux de radiodiffusion et de télévision.
En application de ces dispositions, les services de la radiodiffuson en Algérie viennent d'être redistribués et les conditions de fonctionnement des émissions musulmanes ont été mises au point dans un projet d'arrêté.

LE RÉSEAU.
         Onde moyennes.

Le réseau algérien de radiodiffusion est caractérisé géographiquement par l'avantage accordé aux régions côtières puisque, à part Constantine, les émetteurs se répartissent dans des villes situées en bordure de la mer : Alger, Oran, Bône. Da point de vue technique, deux particularités lui donnent un aspect original : d'une part, les stations sont doublées de façon à pouvoir diffuser simultanément deux programmes en langue française et en langue arabe ; d'autre part, la zone d'audience est limitée car les émetteurs sont d'une très faible puissance (1 à 2 kW), à l'exception du poste des Eucalyptus (10 kW) qui rayonne suivant un Vecteur nord-sud.

De larges régions ne peuvent, dans ces conditions, être desservies, celles-là justement où la radio serait indispensable pour lutter contre l'isolement rural. Il importe donc de créer un réseau aux mailles plus serrées en choisissant judicieusement les centres d'émission.
La Radiodiffusion française a envisagé depuis longtemps une autre solution qui consiste à doter Alger d'une station ondes moyennes à grande puissance (100-120kw), mais l'état actuel de l'industrie
radioélectrique métropolitaine ne permet pas d'escompter une livraison avant 1947-1948. Au reste, le relief de l'Algérie s'oppose au rayonnement parfait est-ouest d'un émetteur situé à Alger, et il faudra toujours maintenir des stations relais dans les deux départements frontaliers.

Un autre problème est à résoudre : doter d'émetteurs de puissance sensiblement équivalente les chaînes européenne et musulmane. Jusqu'à présent, les programmes français ont eu le privilège de disposer de la station la plus puissante, ce qui ne va pas sans difficultés. Mise au courant de la question, la Radiodiffusion française' a décidé l'envoi à Alger, vers septembre-octobre, d'un 'émetteur de 20 kw ondes moyennes, grâce auquel il sera possible de faire droit aux doléances des Musulmans pour un réaménagement du réseau. "

En attendant, les programmes musulmans sont diffusés, depuis le 1er janvier 1946, par l'émetteur des Eucalyptus (10 kw) aux heures suivantes :
8 h. 15 - 8 h. 45 - 12 h. 15 - 12 h. 45 - 18 h. 15 - 19 h. 30.

         Ondes courtes.

Une seule station ondes courtes retransmet en Algérie les programmes de radiodiffusion ; il s'agit d'un émetteur de 10 kw appartenant aux P.T.T. et loué à la Radio. Ce poste sert de relais pour les émissions françaises originaires d'Alger et pour les émissions coloniales ou étrangères originaires de Paris.

La Radiodiffusion française a envoyé trois postes à ondes courtes qui seront installés aux Eucalyptus : un émetteur de 10 kw et deux de 25 kw.
Le premier sera mis en service dans un mois ou deux avec les antennes dirigées vers Paris et Brazzaville ; les deux autres desserviront les possessions françaises d'outre-mer à partir, vraisemblablement, du début de 1947. Ces stations serviront de relais aux programmes émis d'Alger et de Paris.

Dans un avenir plus lointain, il est prévu la création d'un centre ondes courtes très puissant sur les Hauts-Plateaux, dans la région de Bouïra, avec cinq ou six émetteurs de 25 à 50 kw chacun, en sorte que le monde entier pourrait être " arrosé " dans de bonnes conditions.

MAISON DE LA RADIO.

Le studio de l'ancien " Radio-Alger ",(voir ) rue Berthezène, s'est révélé ridiculement insuffisant dès que la radio algérienne s'est vue obligée de diffuser simultanément deux programmes. C'est pourquoi Radio- France s'est installé rue Hoche, où trois studios sont en service.

Malgré cet effort, les possibilités de travail demeurent réduites. Elles ne correspondent pas, en tout cas, à la conception d'une Radio du temps de paix dont l'ambition déborde le cadre strictement régional. Au surplus, l'extension croissante des services, extension justifiée par le retard qu'il faut combler pour arriver au niveau des radios étrangères, rend chaque jour plus difficile le maintien d'un personnel nombreux dans le cadre exigu de la rue Hoche. Les annexes de la rue Charras et de la rue Berthezène ne suffisent pas à résoudre le problème angoissant des locaux, mais aggravent les difficultés de l'organisation par la dispersion des services.

L'aménagement d'une Maison de la Radio à Alger, s'impose de toute urgence. Il serait possible de regrouper dans un même immeuble la totalité des services, de construire des studios modernes et une salle publique pour les émissions de gala. Alger réaliserait enfin ce que toutes les petites métropoles provinciales de l'Europe centrale et des pays scandinaves avaient obtenu depuis 1930-1935.

La crise immobilière dont souffre Alger ne facilite pas les recherches, et il est impossible de supporter, sans danger pour l'avenir de la Radio en Algérie, le délai de 5 à 6 ans nécessaire à la construction d'un immeuble à destination radiophonique.

INFORMATIONS ET REPORTAGES.

Le principal reproche fait à la Radio dans tous les pays du monde est l'envahissement des ondes par les émissions d'informations présentées dans la forme journalistique, c'est-à-dire accompagnées d'éditoriaux et de chroniques. La Radio, en Algérie, n'a pas échappé à la critique et, dès à présent, un effort est tenté pour limiter le nombre des éditions complètes du journal parlé et pour développer la
formule des nouvelles brèves. Ce nouveau plan des programmes permettra une amélioration certaine dans ce domaine.

Par contre, il est envisagé de donner un caractère international aux émissions algériennes, avec deux rubriques nouvelles. La première tendra à faire de Radio-Algérie le poste des Musulmans de culture française, grâce à la diffusion dans notre langue de nouvelles et œuvres littéraires ou poétiques d'origine musulmane. La deuxième sera une sorte de tribune internationale où les plus grands écrivains et journalistes étrangers exposeront, en français, les problèmes de leurs pays respectifs.

L'essentiel de la réforme portera néanmoins sur les reportages. La Radiodiffusion française se propose, en effet, de faire mieux connaître l'Algérie, son folklore, son histoire, ses industries, ses problèmes économiques et sociaux, etc... Le pays va être parcouru systématiquement par des reporters, et le fruit de leurs travaux sera diffusé sur les antennes du réseau métropolitain. Le programme porte sur 18 mois, et il sera mené à bien si Radio-Algérie obtient tous les concours indispensables.

Dans le même ordre d'idées, Radio-Algérie envoie toutes les semaines, à Paris, une émission enregistrée où l'un de ses collaborateurs développe, à l'intention du public français, le problème du jour de l'Algérie.

PROGRAMMES ARTISTIQUES.

On s'est plaint maintes fois de la qualité artistique insuffisante des émissions algériennes. La raison doit en être recherchée, surtout, dans la pénurie des moyens locaux, dans l'insuffisance des crédits et dans un complexe d'infériorité à l'égard de Paris.

En vue d'y remédier dans toute la mesure du possible, un nouveau plan des programmes vient d'être élaboré. Il s'inspire de trois soucis fondamentaux : remplacer autant que faire se peut les émissions enregistrées par des émissions vivantes, organiser le déroulement des programmes de la soirée , autour d'une émission clé, donner une fois par mois une manifestation de grande qualité avec le concours de l'orchestre, des chorales et des comédiens.

Un gros effort sera également tenté pour obtenir une grande variété dans les 'formules, et une place est prévue pour tous les genres, de façon à pouvoir satisfaire au moins une fois par semaine tous les auditeurs. Pour pallier à la pauvreté des moyens artistiques locaux dans le domaine si difficile du music-hall et de la chanson, la Radiodiffusion française enverra toutes les semaines des émissions spécialement conçues et préparées à Paris à l'intention de Radio-Algérie.

Rien ne sera négligé, au reste, pour faire profiter les auditeurs de toutes les occasions permettant de faire entendre, sur les antennes de Radio-Algérie, les plus grandes vedettes du monde music- hall, théâtral ou artistique. C'est dans cet esprit que des accords sont en cours avec les grandes organisations professionnelles d'Algérie et de France (syndicats, fédérations, union nationale des intellectuels, etc...)

Radio-Algérie se propose enfin de décentraliser son activité en déplaçant à Oran, Tlemcen, Constantine et Bône, au moins une fois par an, ses musiciens et sa troupe de théâtre, pour donner une manifestation publique et retransmettre toutes les semaines les spectacles de ces villes.

LA POLITIQUE DE LA RÉCEPTION.

Il ne servirait à rien de dépenser des millions pour la construction d'un réseau et pour la réalisation de programmes de haute qualité si les émissions n'étaient pas écoutées. Et, pour qu'elles soient entendues, il faut développer dans le public l'usage de la Radio.

Les statistiques signalent l'existence de 114.000 postes, dont 10.000 à peine parmi la population musulmane. Ces chiffres sont certainement en deçà de la vérité, mais le pourcentage de la fraude n'est pas tellement élevé que la densité radiophonique en soit sérieusement affectée. Cette densité est d'environ 100 appareils pour 1.000 Européens et de 1,5 pour 1.000 Musulmans. On aura une idée de l'immense prospection à faire si l'on note qu'en France il existe actuellement 133 appareils déclarés pour 1.000 habitants et que l'on compte arriver rapidement à 175 pour 1.000.

C'est surtout parmi la population musulmane que l'effort doit porter. Le nomadisme de certaines tribus, l'habitude de l'écoute collective, la pauvreté de nombreux indigènes, l'insuffisance de l'équipe
ment de distribution d'énergie électrique, les coutumes qui s'opposent à l'écoute de la radio par les femmes arabes aux heures des repas, etc..., ne peuvent faire obstacle à une politique fructueuse de la vente ou du prêt des appareils récepteurs.

RÉPERCUSSIONS BUDGÉTAIRES.

Il va de soi que le budget de la radio algérienne ne saurait couvrir les dépenses qui résulteront de l'application des projets ci-dessus. Les 40 millions de l'exercice 1945 vont passer à 90 millions environ, non compris les dépenses de premier établissement.

Le seul budget des émissions musulmanes passera de 6 à 15 millions, en sorte qu'il faut envisager l'affectation de la moitié du produit de la taxe algérienne sur les appareils récepteurs, aux émissions musulmanes.

PUBLICITÉ.

La Radiodiffusion française envisage de faire paraître à Alger une édition de sa revue hebdomadaire " Radio-46 " dans laquelle sont publiés les programmes de la semaine.

L'intérêt d'une publication de l'espèce dont il n'existe aucun exemple en Algérie est évident, et l'audience qu'elle rencontrerait dans toute l'Afrique du Nord, certaine.

Par ailleurs, un Bulletin corporatif mensuel dénommé " Ondes et Résonance", est publié depuis le mois de mars et largement diffusé dans les milieux radiophoniques de France et du monde entier. Radio-Algérie sera présent partout où il est question de radio et son Bulletin servira de support indirect à la propagande en faveur des activités algériennes.

En s'intégrant au réseau métropolitain, la Radiodiffusion algérienne va enfin trouver le moyen de s'épanouir, d'apporter sa contribution à l'apaisement des esprits, de faire mieux connaître en Algérie et dans le monde musulman la culture française, de maintenir et développer la notoriété internationale que les circonstances lui ont fait acquérir.

ANNEXE

LES GRANDES ENQUÊTES DE RADIO ALGÉRIE

Dès à présent, Radio Algérie a commencé une série de grandes enquêtes en vue de faire connaître à la Métropole les problèmes de l'économie algérienne. Après le reportage sur le vin, suivront les enquêtes sur :
- Le monopole du pavillon ;
- La Kabylie, 41e département algérien ;
- Les conséquences de la sécheresse ;
- Le danger acridien ;
- L'équipement portuaire ;
- L'équipement hydraulique etc...