Discours prononcé à Radio-Algérie
le 3 septembre 1946
par M. le Ministre Plénipotentiaire
Gouverneur Général de l'Algérie
Yves CHATAIGNEAU
En clôture d'amples débats, les voix du Président
du Gouvernement provisoire de la République et du Ministre de l'Intérieur
ont solennellement affirmé, devant les élus du peuple, à
l'Assemblée Nationale Constituante, la pérennitéde
la mission et de la présence de la France, garante des libertés
démocratiques qu'elle a apportées, sur cette terre où
voisinent les tombes de nos compatriotes venus d'Europe depuis un siècle
et celles de nos compatriotes qui les y avaient précédés
au cours des siècles antérieurs. L'Assemblée Nationale
Constituante a, dans un élan presque unanime, assuré le
Gouvernement de sa confiance pour qu'il dépose un projet de loi
en vue de poursuivre l'aménagement de ce pays à l'intérieur
de la Patrie commune dont les frontières ont été,
dans les épreuves et dans les gloires, maintenues ou rétablies
par le sang confondu des enfants de l'Algérie et de la Métropole,
de toutes origines et de toutes confessions.
Les combattants d'Algérie qui reposent dans le sol de la France
d'Europe y sont un rappel permanent du droit de cité qu'ils y ont
assuré à leurs frères et à leurs fils, et
sur le sol d'Algérie les générations incorporées
de pionniers de la paix et de l'effort français ont, à leur
tour, scellé leur établissement. Tant il est vrai que la
Patrie se fonde en tout premier lieu sur les sacrifices qu'en commun ses
enfants ont consentis.
L'Assemblée Nationale Constituante a voulu, avec le Gouvernement,
souligner l'ardent amour de la Patrie qui nous unit et notre souci du
sort matériel et moral des populations dont l'évolution
démocratique est assurée par la présence de la France
démocratique, tandis qu'elle succomberait à une relève
de souveraineté au bénéfice de servitudes économiques
implacables, même si celles-ci étaient palliées sous
les apparences d'un régime que confisqueraient des oligarchies.
Des hommes opposés à l'application de la politique de sécurité
sociale que le Gouvernement de la République entend appliquer intégralement
à l'Algérie, recommandent, pour y échapper, un exode
qu'ils se gardent eux-mêmes de pratiquer et répandent des
mots d'ordre de panique qui inquiètent les gens de bonne foi.
D'autres se plaisent à dénigrer systématiquement
tout ce que la présence française a apporté de liberté,
de justice, de sécurité, et mise en uvre de ressources
naturelles par l'effort patient et efficace de ceux qui ont donné
sans compter leurs peines, leur sueur et leur sang, jusqu'aux limites
les plus reculées de ce pays dont les rivages eux-mêmes,
il y a plus d'un siècle, offraient des asiles incertains.
Ceux qui parient de chasser leurs concitoyens font sans doute un métier,
mais les colporteurs de leurs propos doivent savoir que la panique enrichit
ceux qui la sèment et ruine ceux qui s'y soumettent.
Au cours des semaines écoulées, d'aucuns ont ainsi voulu
créer un climat de peur profitable à leurs intérêts
propres. Le Gouvernement de la République est décidé
à déjouer leurs calculs et à s'opposer à.
leurs manoeuvres.
Trop de liens du passé et du présent unissent les populations
de ce pays pour qu'elles consentent à subir toute idée de
coupure, de renoncement ou de sécession.
Le chant de guerre de l'Armée du Rhin, composé à
Strasbourg le 25 avril 1792, devenu le chant de ralliement des Marseillais
puis l'hymne de la Nation, emporte l'adhésion des curs et
des cerveaux à la politique généreuse et humaine
de la France qui, au cours des siècles, a doté le monde
des plus grands courants des idées et des pensées les plus
fortes et les plus généreuses, et qui inscrit en préambule
à son statut, les droits de l'homme et du citoyen. Nous y sommes
attachés, comme nous le sommes aussi à l'apport à
notre fonds national de la civilisation arabe du Ponant à qui nous
devons la base de l'art musical d'Occident, une floraison de chefs-d'oeuvre
des arts plastiques, le prestige et le rayonnement intellectuel de l'Université
de Montpellier et, grâce au génie du grand savant tlemcénien
Ibn Khaldoun, les principes et les méthodes des sciences humaines
exactes.
Fidèle à la tradition, la France entend donner aux sources
intellectuelles de notre avoir commun plein écoulement et, grande
nation musulmane, épanouir les dons de tous ses fils à qui
elle accorde la même affection.
Nous voulons entretenir et développer cette solidarité des
esprits et des curs qui se manifeste dans la vie courante de la
nation des deux côtés de la Méditerranée. Je
veux rappeler qu'elle a joué spontanément, au cours de l'année
passée, quand le ravitaillement de l'Algérie était
compromis par de mauvaises récoltes, encore que la Métropole
elle-même ne disposât pas des grains nécessaires à
sa subsistance.
Il y a quelques jours, le Gouvernement français unanime a accordé
un milliard de subvention à l'Algérie pour absorber le déficit
subi depuis la mise en uvre des blés algériens de
la nouvelle récolte et pour atténuer également l'augmentation
du prix de vente des céréales.
Une subvention de trois milliards est également prévue par
le Gouvernement, pour contribuer au financement du progrès de l'Algérie,
qui comporte équipement, sécurité sociale et scolarisation.
Pour cette uvre, à laquelle la Métropole accorde la
solidarité de son effort matériel, le concours de toutes
les populations d'Algérie doit se réaliser dans l'unanimité.
Et si je voulais, à cet égard, encouragement et satisfaction,
je les trouverais dans l'enthousiasme avec lequel les habitants des villages
et des douars s'adonnent à la pratique des affaires publiques et
se perfectionnent dans l'exercice de la démocratie à l'intérieur
des Centres municipaux.
Les premiers travaux du plan d'action communal traduisent le soin attentif
que portent les administrés à dresser le bilan des ressources
de leur communauté et à en proposer l'exploitation rationnelle.
Et les projets de certains douars étonnent par l'audace ingénieuse
et par l'esprit constructif de leurs auteurs appelés à prendre
part, pour la première fois, à la gestion des affaires publiques.
Bientôt les secteurs d'amélioration rurale où le fellah
participe à la modernisation de l'outillage et à l'amélioration
des méthodes et des façons culturales, permettront aux populations
d'élever leur niveau de vie et de prendre conscience de l'étendue
de leurs droits et de leurs devoirs.
Je vous le dis : la masse de la population algérienne demeurée
à l'écart de la vie municipale, participe à un grand
mouvement de franchises municipales et de vie syndicale, où elle
regagne à un rythme accéléré le retard qu'elle
avait à pratiquer la démocratie. Ainsi se prépare
au rôle de citoyens, gérants du patrimoine collectif, une
génération d'hommes dont nous sommes tous en droit d'attendre
la grandeur de notre Patrie juste et humaine, sous les plis du drapeau
tricolore qui fut et reste celui du Pays de la Liberté. La France
a choisi : présence et démocratie.
Vive l'Algérie,
Vive la France,
Vive la République.
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