Alger, Algérie : documents algériens
Série économique

Le reboisement en Algérie et la restauration des sols

mise sur site le 11-3-2011
* Document n° 1 de la série : Économique - Paru le 15 octobre 1945 - Rubrique REBOISEMENT

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Le reboisement en Algérie et la restauration des sols

L'Algérie est un pays montagneux dont les chaînes, parallèles à la mer, recueillent la majorité des pluies et sont habitées par la population la plus dense. Dans ces reliefs, où la protection du sol est une nécessité, la culture s'est installée progressivement et irrésistiblement.

LA FORET ALGÉRIENNE :

D'après des savants, la forêt devait couvrir, en Algérie, plus de 7.000.000 d'hectares à l'époque préhistorique. Depuis deux mille ans, la Berbérie n'a cessé d'être le théâtre de luttes, d'invasions et de refoulements : Carthage, Rome, les Vandales, les Bizantins, l'Islam, l'invasion hilalienne, les luttes intestines, enfin le pouvoir turc et l'implantation française. Chacun de ces drames a été marqué par une diminution de la forêt.

Rome a dû défricher pour étendre son agriculture. Les Berbères refoulés dans les hautes montagnes ont multiplié leurs cultures arboricoles.
Les populations musulmanes ont élargi ces déboisements. La colonisation française a également défriché des surfaces notables, notamment 116.000 hectares de forêts de l'État, distraites du régime spécial depuis 1893.

D'après des statistiques récentes, le manteau forestier ne s'étendrait plus, en Algérie du Nord, que sur 2.910.500 hectares ( Le taux de boisement est de 6,7 % dans la région des Hauts-Plateaux et de l'Atlas Saharien, passant à 19,6 % dans le Tell. Soit une moyenne de 11,08 %.).

      L'incurie des populations.

Au contact souvent immédiat de cette forêt vit une population agricole et pastorale, qui s'accroît sans cesse.

Passée de 2 millions d'habitants en 1875 à 7 millions en 1940, elle ne se fait pas mute, selon ses coutumes ancestrales, d'arracher à la forêt les terrains dont elle a besoin pour en tirer les produits agricoles indispensables à sa subsistance.

Les délits forestiers très nombreux - près de 70.000 par an - sont le fait des pauvres, des faibles, des paresseux et des ignorants.

      La vie difficile du fellah.

Le fellah, il est vrai, ne tire pas de son sol tout ce qu'il pourrait en recueillir en modernisant ses procédés de culture. Trabut disait en 1894: " Le problème économique du moment se réduit à chercher les moyens de faire vivre les Musulmans du revenu du sol, et cela pour conserver un capital en bois, terre végétale et eaux de source, qu'ils ont déjà fortement entamé. "

Cinquante ans après cette constatation, les statistiques agricoles indiquent que la production des céréales et l'élevage continuent à diminuer. Seuls, les arbres fruitiers sont en légère progression, principalement en Kabylie.

La dégradation de la forêt continue, difficile à chiffrer, alors que, d'après M. Pierre Berthault : " Les céréales devraient voir leur production se grossir chaque année de 200.000 quintaux nouveaux, les plantations d'oliviers et de figuiers s'adjoindre 100.000 arbres supplémentaires par an, et le troupeau gagner dans la même proportion en poids ou en précocité. "

      La menace qui pèse sur le pays.

C'est une loi bien connue des géographes que les forêts sont détruites par les peuplades frustes,. agricoles et pastorales. L'extension des grands déserts du globe est partiellement œuvre de cette progressive destruction.

Le péril dans les montagnes ?.... C'est une redite que de le décrire : diminution des forêts, des ressources en bois, gaspillage de l'eau de pluie, modification du climat, érosion des terres, diminution consécutive des récoltes dans les terres défrichées des pentes, et, en fin de compte, aggravation du paupérisme rural.

A cette plaie des montagnes vient s'ajouter celle, non moins grave, des plaines, où les inondations, les conséquences du charriage, menacent directement la prospérité agricole des régions basses. (Cf. : Annexe I).

APERÇU HISTORIQUE :

      Un mal qui n'est pas nouveau.

Cette situation n'est pas nouvelle. Déjà en 1884, le Gouverneur Général TIRMAN écrivait : " La question du reboisement qui préoccupe à un si haut degré l'opinion publique en Algérie s'est posée depuis longtemps dans la Métropole. Le but poursuivi en France a été constamment de prévenir les inondations qui dévastent périodiquement les pays de plaines et d'éteindre dans la montagne des torrents qui désolent les cantons riverains. En Algérie, l'objectif n'est pas le même, il s'agit ici d'emmagasiner les eaux de pluie, de régulariser le débit des sources et des cours d'eau, d'opposer une barrière aux vents du Sud, enfin de tempérer les ardeurs d'un climat brûlant... "

BURDEAU déclarait, de son côté : " Le climat, le régime des eaux, l'avenir de l'agriculture sont liés au maintien, à la reconstitution des forêts algériennes ".

      Les premiers efforts de l'administration.

S'inquiétant de ces dévastations, l'Administration forestière présenta, en 1885, un programme de reboisement qui, ne pouvant porter sur la totalité des terrains en érosion (plusieurs millions d'hectares), prévoyait la correction des bassins et des versants mis en danger par les eaux de ruissellement.

Pour l'exécution de ces travaux, s'étendant à 110.000 hectares, elle créa en 1907 un service spécial de reboisement, dont l'intervention se fit sentir dès 1911.

L'ensemble des terrains acquis aujourd'hui à la forêt couvre un peu plus de 10.000 hectares, dont 7.000 appartenaient déjà à l'État et aux Communes, et dont 3.000 ont dû être expropriés.

Ces expropriations, nécessitées par la protection des forêts, se heurtèrent bientôt à de telle difficultés qu'en 1934, le Gouverneur Général CARDE se vit obligé de les suspendre en les subordonnant à l'obligation de fournir des terrains de recasement aux expropriés.

Le Service de reboisement ayant été supprimé, l'Administration forestière a conservé la mission d'en poursuivre les travaux chaque fois que les circonstances le permettent. (Annexe II).

      La protection des boisements existants.

En vue de conserver les boisements existants, l'Administration a, d'autre part, appliqué une législation (loi du 2 février 1903) calquée sur le code forestier français.

Cette législation, assez rigoureuse au début, puis adoucie par certaines mesures spéciales, devait, en réglementant les défrichements, les coupes, le pâturage, les droits d'usage, etc... permettre de s'opposer à la dégradation forestière non seulement du domaine de l'État et des Communes, mais encore des propriétés privées. La protection ne s'étendait pas aux périmètres dits de colonisation: destinés à être défrichés et cultivés. Elle était, par contre, renforcée dans les périmètres de reboisement. Trente de ces périmètres généraux, déclarés d'utilité publique, s'étendent sur 420.000 hectares.

      I.es résultats avant 1945.

Il est permis de conclure, après un siècle d'efforts, que le but recherché n'a été que partiellement atteint. Bien que les difficultés techniques du reboisement aient été vaincues à la lumière de l'expérience, l'étendue reboisée demeure insuffisante.

Elle est notablement inférieure, non seulement aux besoins déjà constatés dès 1885, mais encore à l'ensemble des dégradations récentes, difficiles à chiffrer avec précision, mais qui doivent atteindre plusieurs centaines de milliers d'hectares.

COMMENT DÉFENDRE LES SOLS ET LA FORET ?

Le reboisement comporte divers aspects, selon qu'on l'examine du point de vue économique, technique, politique, administratif ou financier.

      D'abord, instruire les populations.

Enrayer l'érosion des terres de culture et la perte de substance qui épuise le sol algérien ; récupérer de nouvelles cultures aux dépens des terrains jugés improductifs et augmenter ainsi le capital foncier, tel est le double but de la défense des sols.

La première tâche est d'ordre éducatif et concerne les populations indigènes. Il faut leur montrer le péril de la dévastation des forêts et de l'érosion des sols ; leur faire comprendre qu'il est de leur intérêt d'épargner la forêt ; enfin, il y a lieu d'orienter les petits propriétaires musulmans vers des cultures plus rémunératrices parce que mieux adaptées aux conditions de leurs terrains.

En montagne, on favorisera donc l'arboriculture qui s'adapte particulièrement à la nature du sol, peu propre à la culture des céréales. La vaine pâture, l'entretien de troupeaux étiques, auront à céder le pas à un élevage rationnel conforme aux conditions physiques de la montagne.

      Ensuite, les mesures techniques.

Le reboisement, méthode par excellence de fixation et de restauration du sol, aura sa place dans toutes les terres incultivables. La forêt doit servir d'armature, d'encadrement aux cultures riches.

La protection des cultures sur les pentes n'est pas une nouveauté. Témoin les travaux des Romains dans ce pays, ceux des fellahs eux-mêmes, ceux des paysans du Midi de la France, sans parler des réalisations impressionnantes des États-Unis, qu'il faudrait ici dépasser en hardiesse sous l'empire de la nécessité.

La protection des terres à faible pente est justiciable de simples procédés agricoles peu coûteux. Quand la pente s'accentue, la correction des terres perméables reste possible au moyen de banquettes d'infiltration. L'aide de la végétation arbustive n'est pas indispensable.

La correction des terres imperméables requiert plus d'attention. Aux plantations ligneuses indispensables qui arment le sol contre les glissements, il faut joindre un réseau d'évacuation des eaux superflues, bien protégé, et qui s'oppose à l'érosion superficielle.

A cette technique fort simple dans la conception et facile d'exécution, qui est à la portée de tous les agriculteurs, s'ajoute la technique déjà connue des plantations, des seuils et barrages dans les ravins, des drainages, etc..., travaux dont le rythme d'exécution peut être vivement accéléré par l'emploi de la machine. Les chars de cette bataille sauveront des milliers d'hectares de terre.

      Rôle de l'administration.

Les populations auxquelles on doit s'adresser étant de types différents, tant par leur mode de vie, leurs goûts et leurs moyens d'existence, la solution tentée jusqu'ici en pays de montagne n'a connu que des échecs ; elle a été purement négative, consistant dans une prohibition à peu près générale qui heurtait les intérêts immédiats des fellahs.

Initier ces populations à une culture plus productive, en généralisant l'enseignement agricole dans les écoles primaires, éveiller leur intérêt, combattre leur indolence et leur penchant à vivre aux frais de la collectivité ; faire exécuter d'office les grands travaux de sauvetage ; créer un organisme de recherches et une section de propagande : telles sont quelques-unes des conditions dont dépend la solution du problème.

Ajoutons que la législation devra donner toutes facilités et tous encouragements aux associations syndicales ayant pour objet de protéger les pentes contre l'érosion...

      Financement.

Comme pour le reboisement, le prix des travaux de protection et de plantation est très souvent supérieur à la valeur de la terre nue.

L'Algérie va-t-elle prendre à sa charge la réfection des terres menacées de ruine ?

Oui, chaque fois qu'il existe un danger actuel, menaçant à la fois les pentes des montagnes et quelque ouvrage public important dans la plaine. Les travaux de restauration coûteront généralement moins que les simples protections de génie civil, non génératrices de bien-être et d'une durée éphémère. Dans ce cas, les propriétaires pourront d'ailleurs très vite collaborer à œuvre entreprise et contribuer à abaisser son prix total.

Il sera partout ailleurs plus normal de confier ou même d'imposer aux propriétaires les mesures simples de protection de leurs cultures, l'État se réservant les dépenses d'organisation, de reboisement, de travaux divers. Des syndicats pourront d'ailleurs prendre à leur charge une partie de ces. travaux.

En somme, il s'agit là d'un rôle analogue à celui qu'assume, dans les plaines, le " Service de la Colonisation et de l'Hydraulique ", qui conçoit des solutions d'ensemble, établit des installations d'intérêt général, ne s'adressant aux particuliers que pour les conseiller en ce qui concerne l'utilisation individuelle de l'eau.

Outre les dépenses de fonctionnement et de propagande, il faut donc prévoir des crédits pour le reboisement, qui va connaître un nouvel essor ; pour l'acquisition d'un très important matériel mécanique ; enfin, pour les travaux proprement dits dont l'ordre de grandeur dépendra de la demande des pouvoirs publics.

Bien équipé, ce Service pourra remplir le rôle d'architecte et d'entrepreneur, à la demande des particuliers et des syndicats.

Les intéressés trouveront, dans le crédit agricole à moyen terme, les ressources nécessaires pour le financement des travaux que l'Etat ne prendra pas à sa charge. On notera, d'autre part, que la rapidité d'exécution, d'intérêt primordial et facilité par la motorisation, fera baisser le total des dépenses.

RÉORGANISATION RÉCENTE ET PERSPECTIVES D'AVENIR.

      Le service Algérien de la Restauration des Sols.

Se tournant résolument vers l'avenir, l'Administration algérienne a créé en pleine guerre un Service de la Défense et de la Restauration des Sols.

En dépit des difficultés inhérentes à "état de guerre, ce Service a déjà pu, grâce au concours des fonctionnaires des Eaux et Forêts et des Ponts et Chaussées, exécuter des travaux de protection et de plantation qui répondent bien à l'esprit de la réforme, et dégager déjà des méthodes d'avenir.

Le Service de la Restauration des Sols est armé d'une législation spéciale et d'arrêtés qui lui permettent de faire déclarer d'utilité publique des périmètres généraux de restauration, dans lesquels sont imposées de simples mesures d'ordre, et de périmètres partiels, dans lesquels les travaux de restauration sont rendus obligatoires et entrepris d'office. (Annexe III).

Rappelant les prophéties du Docteur TRABUT, le Conservateur des Forêts d'Alger disait en 1934 :. " II faut sortir résolument des velléités ".
Ce souhait va se réaliser.

Les premiers résultats ont été à ce point encourageants que le Gouverneur Général Yves CHATAIGNEAU a décidé, le 7 juillet 1945, de réorganiser le Service des Restaurations et de lui confier le paysanat montagnard à base d'arboriculture protégée.

      Projets actuels.

Le moment est venu, en effet, d'étendre l'application de ces méthodes nouvelles à tout le pays... Les résultats de la propagande ne se sont pas fait attendre et de nombreux propriétaires particuliers, non seulement européens mais aussi musulmans, ont montré l'intérêt qu'ils attachent à la protection de leurs terres ; les plus perspicaces d'entre eux ont déjà accompli chez eux cette révolution que les voisins regardent encore d'un œil curieux.

Des millions d'hectares à sauver, des millions de plants à préparer d'urgence en vue de cette revalorisation... des millions de francs, des centaines de millions même, si l'on compte la valeur du travail des intéressés... des millions d'être humains à sauver des famines futures ou, tout au moins, de la sous-alimentation chronique, voilà ce qui est en jeu.

Il ne s'agit pas de vues de l'esprit. L'Administration entend consacrer au reboisement 100 millions de crédits pour l'exercice 1946. Elle en investira une grosse part dans les pépinières, le paysanat et l'acquisition de matériel mécanique à grand rendement.
Trois à six mille hectares devront déjà être traités en régie en 1946, soit le tiers, ou les deux tiers des reboisements acquis pendant la période 1850-1940.

Ces chiffres permettent de mesurer l'ampleur de l'oeuvre entreprise par M. le Gouverneur Général CHATAIGNEAU en étroite entente avec M. Adrien TIXIER, Ministre de l'Intérieur, une oeuvre qui n'avait jamais pu jusqu'ici être entreprise sérieusement et dont dépend pourtant la prospérité des quelque 600.000 petits propriétaires musulmans ou européens de la terre algérienne.

ANNEXE I

EXEMPLE DE DÉGRADATION DES SOLS ALGÉRIENS
ENVASEMENT DU BARRAGE D'OUED FODDA

Dans le bassin versant de 80.000 hectares, dont une bonne proportion est encore boisée (25 à 30 %), les dépôts mesurés dans la cuvette du barrage ont atteint :

600.000 m3 par an ,de 1932 à 1937
3.750.000 m3 par an, de 1941 à 1944
1.250.000 m3 par an, de 1937 à 1941

soit au total : 23.000.000 de m3 ou 1.900.000 m3 par an, correspondant à un décapage approximatif moyen de 4 mm. des terres nues, atteignant 7 mm. 5 dans la période récente !...

Le Service de la Colonisation et de l'Hydraulique organise un réseau de stations de mesures pour chiffrer avec précision les dommages causés par le ruissellement.

ANNEXE II
CREDITS CONSACRES AU REBOISEMENT

Les dépenses et les prix de revient par époque comprennent la valeur d'acquisition des terrains.
PERIODES
1850 à 1910
1910 à 1925
1925 à 1935
1935 à 1944
TOTAUX
Sommes dépensées
1.797.000
1.233.000
8.000.000
4.450.000
15.480.000
Surfaces reboisées
5.400 ha
2.000 ha
2.200 ha
700 ha
10.300 ha

Pour l'année 1945-1946, les crédits accordés atteignent le total de 100 millions de francs.

ANNEXE III

11 existe déjà :
      21 périmètres généraux des restaurations couvrant 7.600.000 hectares, 4 périmètres partiels de travaux, et 6 en projet,
      50 séries de travaux dans, ou hors périmètres, qui ont forméune très large expérimentation surplus de 600 ha