Le reboisement
en Algérie et la restauration des sols
L'Algérie est un pays montagneux dont
les chaînes, parallèles à la mer, recueillent la majorité
des pluies et sont habitées par la population la plus dense. Dans
ces reliefs, où la protection du sol est une nécessité,
la culture s'est installée progressivement et irrésistiblement.
LA FORET ALGÉRIENNE :
D'après des savants, la forêt devait couvrir, en Algérie,
plus de 7.000.000 d'hectares à l'époque préhistorique.
Depuis deux mille ans, la Berbérie n'a cessé d'être
le théâtre de luttes, d'invasions et de refoulements : Carthage,
Rome, les Vandales, les Bizantins, l'Islam, l'invasion hilalienne, les
luttes intestines, enfin le pouvoir turc et l'implantation française.
Chacun de ces drames a été marqué par une diminution
de la forêt.
Rome a dû défricher pour étendre son agriculture.
Les Berbères refoulés dans les hautes montagnes ont multiplié
leurs cultures arboricoles.
Les populations musulmanes ont élargi ces déboisements.
La colonisation française a également défriché
des surfaces notables, notamment 116.000 hectares de forêts de l'État,
distraites du régime spécial depuis 1893.
D'après des statistiques récentes, le manteau forestier
ne s'étendrait plus, en Algérie du Nord, que sur 2.910.500
hectares ( Le taux de boisement est
de 6,7 % dans la région des Hauts-Plateaux et de l'Atlas Saharien,
passant à 19,6 % dans le Tell. Soit une moyenne de 11,08 %.).
L'incurie des
populations.
Au contact souvent immédiat de cette forêt vit une population
agricole et pastorale, qui s'accroît sans cesse.
Passée de 2 millions d'habitants en 1875 à 7 millions en
1940, elle ne se fait pas mute, selon ses coutumes ancestrales, d'arracher
à la forêt les terrains dont elle a besoin pour en tirer
les produits agricoles indispensables à sa subsistance.
Les délits forestiers très nombreux - près de 70.000
par an - sont le fait des pauvres, des faibles, des paresseux et des ignorants.
La vie difficile
du fellah.
Le fellah, il est vrai, ne tire pas de son sol tout ce qu'il pourrait
en recueillir en modernisant ses procédés de culture. Trabut
disait en 1894: " Le problème économique du moment
se réduit à chercher les moyens de faire vivre les Musulmans
du revenu du sol, et cela pour conserver un capital en bois, terre végétale
et eaux de source, qu'ils ont déjà fortement entamé.
"
Cinquante ans après cette constatation, les statistiques agricoles
indiquent que la production des céréales et l'élevage
continuent à diminuer. Seuls, les arbres fruitiers sont en légère
progression, principalement en Kabylie.
La dégradation de la forêt continue, difficile à chiffrer,
alors que, d'après M. Pierre Berthault : " Les céréales
devraient voir leur production se grossir chaque année de 200.000
quintaux nouveaux, les plantations d'oliviers et de figuiers s'adjoindre
100.000 arbres supplémentaires par an, et le troupeau gagner dans
la même proportion en poids ou en précocité. "
La menace qui
pèse sur le pays.
C'est une loi bien connue des géographes que les forêts sont
détruites par les peuplades frustes,. agricoles et pastorales.
L'extension des grands déserts du globe est partiellement uvre
de cette progressive destruction.
Le péril dans les montagnes ?.... C'est une redite que de le décrire
: diminution des forêts, des ressources en bois, gaspillage de l'eau
de pluie, modification du climat, érosion des terres, diminution
consécutive des récoltes dans les terres défrichées
des pentes, et, en fin de compte, aggravation du paupérisme rural.
A cette plaie des montagnes vient s'ajouter celle, non moins grave, des
plaines, où les inondations, les conséquences du charriage,
menacent directement la prospérité agricole des régions
basses. (Cf. : Annexe I).
APERÇU HISTORIQUE :
Un mal qui n'est
pas nouveau.
Cette situation n'est pas nouvelle. Déjà en 1884, le Gouverneur
Général TIRMAN écrivait : " La question du
reboisement qui préoccupe à un si haut degré l'opinion
publique en Algérie s'est posée depuis longtemps dans la
Métropole. Le but poursuivi en France a été constamment
de prévenir les inondations qui dévastent périodiquement
les pays de plaines et d'éteindre dans la montagne des torrents
qui désolent les cantons riverains. En Algérie, l'objectif
n'est pas le même, il s'agit ici d'emmagasiner les eaux de pluie,
de régulariser le débit des sources et des cours d'eau,
d'opposer une barrière aux vents du Sud, enfin de tempérer
les ardeurs d'un climat brûlant... "
BURDEAU déclarait, de son côté : " Le climat,
le régime des eaux, l'avenir de l'agriculture sont liés
au maintien, à la reconstitution des forêts algériennes
".
Les premiers efforts
de l'administration.
S'inquiétant de ces dévastations, l'Administration forestière
présenta, en 1885, un programme de reboisement qui, ne pouvant
porter sur la totalité des terrains en érosion (plusieurs
millions d'hectares), prévoyait la correction des bassins et des
versants mis en danger par les eaux de ruissellement.
Pour l'exécution de ces travaux, s'étendant à 110.000
hectares, elle créa en 1907 un service spécial de reboisement,
dont l'intervention se fit sentir dès 1911.
L'ensemble des terrains acquis aujourd'hui à la forêt couvre
un peu plus de 10.000 hectares, dont 7.000 appartenaient déjà
à l'État et aux Communes, et dont 3.000 ont dû être
expropriés.
Ces expropriations, nécessitées par la protection des forêts,
se heurtèrent bientôt à de telle difficultés
qu'en 1934, le Gouverneur Général CARDE se vit obligé
de les suspendre en les subordonnant à l'obligation de fournir
des terrains de recasement aux expropriés.
Le Service de reboisement ayant été supprimé, l'Administration
forestière a conservé la mission d'en poursuivre les travaux
chaque fois que les circonstances le permettent. (Annexe II).
La protection
des boisements existants.
En vue de conserver les boisements existants, l'Administration a, d'autre
part, appliqué une législation (loi du 2 février
1903) calquée sur le code forestier français.
Cette législation, assez rigoureuse au début, puis adoucie
par certaines mesures spéciales, devait, en réglementant
les défrichements, les coupes, le pâturage, les droits d'usage,
etc... permettre de s'opposer à la dégradation forestière
non seulement du domaine de l'État et des Communes, mais encore
des propriétés privées. La protection ne s'étendait
pas aux périmètres dits de colonisation: destinés
à être défrichés et cultivés. Elle était,
par contre, renforcée dans les périmètres de reboisement.
Trente de ces périmètres généraux, déclarés
d'utilité publique, s'étendent sur 420.000 hectares.
I.es résultats
avant 1945.
Il est permis de conclure, après un siècle d'efforts, que
le but recherché n'a été que partiellement atteint.
Bien que les difficultés techniques du reboisement aient été
vaincues à la lumière de l'expérience, l'étendue
reboisée demeure insuffisante.
Elle est notablement inférieure, non seulement aux besoins déjà
constatés dès 1885, mais encore à l'ensemble des
dégradations récentes, difficiles à chiffrer avec
précision, mais qui doivent atteindre plusieurs centaines de milliers
d'hectares.
COMMENT DÉFENDRE LES SOLS ET LA FORET
?
Le reboisement comporte divers aspects, selon qu'on l'examine du point
de vue économique, technique, politique, administratif ou financier.
D'abord, instruire
les populations.
Enrayer l'érosion des terres de culture et la perte de substance
qui épuise le sol algérien ; récupérer de
nouvelles cultures aux dépens des terrains jugés improductifs
et augmenter ainsi le capital foncier, tel est le double but de la défense
des sols.
La première tâche est d'ordre éducatif et concerne
les populations indigènes. Il faut leur montrer le péril
de la dévastation des forêts et de l'érosion des sols
; leur faire comprendre qu'il est de leur intérêt d'épargner
la forêt ; enfin, il y a lieu d'orienter les petits propriétaires
musulmans vers des cultures plus rémunératrices parce que
mieux adaptées aux conditions de leurs terrains.
En montagne, on favorisera donc l'arboriculture qui s'adapte particulièrement
à la nature du sol, peu propre à la culture des céréales.
La vaine pâture, l'entretien de troupeaux étiques, auront
à céder le pas à un élevage rationnel conforme
aux conditions physiques de la montagne.
Ensuite,
les mesures techniques.
Le reboisement, méthode par excellence de fixation et de restauration
du sol, aura sa place dans toutes les terres incultivables. La forêt
doit servir d'armature, d'encadrement aux cultures riches.
La protection des cultures sur les pentes n'est pas une nouveauté.
Témoin les travaux des Romains dans ce pays, ceux des fellahs eux-mêmes,
ceux des paysans du Midi de la France, sans parler des réalisations
impressionnantes des États-Unis, qu'il faudrait ici dépasser
en hardiesse sous l'empire de la nécessité.
La protection des terres à faible pente est justiciable de simples
procédés agricoles peu coûteux. Quand la pente s'accentue,
la correction des terres perméables reste possible au moyen de
banquettes d'infiltration. L'aide de la végétation arbustive
n'est pas indispensable.
La correction des terres imperméables requiert plus d'attention.
Aux plantations ligneuses indispensables qui arment le sol contre les
glissements, il faut joindre un réseau d'évacuation des
eaux superflues, bien protégé, et qui s'oppose à
l'érosion superficielle.
A cette technique fort simple dans la conception et facile d'exécution,
qui est à la portée de tous les agriculteurs, s'ajoute la
technique déjà connue des plantations, des seuils et barrages
dans les ravins, des drainages, etc..., travaux dont le rythme d'exécution
peut être vivement accéléré par l'emploi de
la machine. Les chars de cette bataille sauveront des milliers d'hectares
de terre.
Rôle de
l'administration.
Les populations auxquelles on doit s'adresser étant de types différents,
tant par leur mode de vie, leurs goûts et leurs moyens d'existence,
la solution tentée jusqu'ici en pays de montagne n'a connu que
des échecs ; elle a été purement négative,
consistant dans une prohibition à peu près générale
qui heurtait les intérêts immédiats des fellahs.
Initier ces populations à une culture plus productive, en généralisant
l'enseignement agricole dans les écoles primaires, éveiller
leur intérêt, combattre leur indolence et leur penchant à
vivre aux frais de la collectivité ; faire exécuter d'office
les grands travaux de sauvetage ; créer un organisme de recherches
et une section de propagande : telles sont quelques-unes des conditions
dont dépend la solution du problème.
Ajoutons que la législation devra donner toutes facilités
et tous encouragements aux associations syndicales ayant pour objet de
protéger les pentes contre l'érosion...
Financement.
Comme pour le reboisement, le prix des travaux de protection et de plantation
est très souvent supérieur à la valeur de la terre
nue.
L'Algérie va-t-elle prendre à sa charge la réfection
des terres menacées de ruine ?
Oui, chaque fois qu'il existe un danger actuel, menaçant à
la fois les pentes des montagnes et quelque ouvrage public important dans
la plaine. Les travaux de restauration coûteront généralement
moins que les simples protections de génie civil, non génératrices
de bien-être et d'une durée éphémère.
Dans ce cas, les propriétaires pourront d'ailleurs très
vite collaborer à uvre entreprise et contribuer à
abaisser son prix total.
Il sera partout ailleurs plus normal de confier ou même d'imposer
aux propriétaires les mesures simples de protection de leurs cultures,
l'État se réservant les dépenses d'organisation,
de reboisement, de travaux divers. Des syndicats pourront d'ailleurs prendre
à leur charge une partie de ces. travaux.
En somme, il s'agit là d'un rôle analogue à celui
qu'assume, dans les plaines, le " Service de la Colonisation et de
l'Hydraulique ", qui conçoit des solutions d'ensemble, établit
des installations d'intérêt général, ne s'adressant
aux particuliers que pour les conseiller en ce qui concerne l'utilisation
individuelle de l'eau.
Outre les dépenses de fonctionnement et de propagande, il faut
donc prévoir des crédits pour le reboisement, qui va connaître
un nouvel essor ; pour l'acquisition d'un très important matériel
mécanique ; enfin, pour les travaux proprement dits dont l'ordre
de grandeur dépendra de la demande des pouvoirs publics.
Bien équipé, ce Service pourra remplir le rôle d'architecte
et d'entrepreneur, à la demande des particuliers et des syndicats.
Les intéressés trouveront, dans le crédit agricole
à moyen terme, les ressources nécessaires pour le financement
des travaux que l'Etat ne prendra pas à sa charge. On notera, d'autre
part, que la rapidité d'exécution, d'intérêt
primordial et facilité par la motorisation, fera baisser le total
des dépenses.
RÉORGANISATION RÉCENTE ET PERSPECTIVES
D'AVENIR.
Le service Algérien
de la Restauration des Sols.
Se tournant résolument vers l'avenir, l'Administration algérienne
a créé en pleine guerre un Service de la Défense
et de la Restauration des Sols.
En dépit des difficultés inhérentes à "état
de guerre, ce Service a déjà pu, grâce au concours
des fonctionnaires des Eaux et Forêts et des Ponts et Chaussées,
exécuter des travaux de protection et de plantation qui répondent
bien à l'esprit de la réforme, et dégager déjà
des méthodes d'avenir.
Le Service de la Restauration des Sols est armé d'une législation
spéciale et d'arrêtés qui lui permettent de faire
déclarer d'utilité publique des périmètres
généraux de restauration, dans lesquels sont imposées
de simples mesures d'ordre, et de périmètres partiels, dans
lesquels les travaux de restauration sont rendus obligatoires et entrepris
d'office. (Annexe III).
Rappelant les prophéties du Docteur TRABUT, le Conservateur des
Forêts d'Alger disait en 1934 :. " II faut sortir résolument
des velléités ".
Ce souhait va se réaliser.
Les premiers résultats ont été
à ce point encourageants que le Gouverneur Général
Yves CHATAIGNEAU a décidé, le 7 juillet 1945, de réorganiser
le Service des Restaurations et de lui confier le paysanat montagnard
à base d'arboriculture protégée.
Projets
actuels.
Le moment est venu, en effet, d'étendre l'application de ces méthodes
nouvelles à tout le pays... Les résultats de la propagande
ne se sont pas fait attendre et de nombreux propriétaires particuliers,
non seulement européens mais aussi musulmans, ont montré
l'intérêt qu'ils attachent à la protection de leurs
terres ; les plus perspicaces d'entre eux ont déjà accompli
chez eux cette révolution que les voisins regardent encore d'un
il curieux.
Des millions d'hectares à sauver, des millions de plants à
préparer d'urgence en vue de cette revalorisation... des millions
de francs, des centaines de millions même, si l'on compte la valeur
du travail des intéressés... des millions d'être humains
à sauver des famines futures ou, tout au moins, de la sous-alimentation
chronique, voilà ce qui est en jeu.
Il ne s'agit pas de vues de l'esprit. L'Administration entend consacrer
au reboisement 100 millions de crédits pour l'exercice 1946. Elle
en investira une grosse part dans les pépinières, le paysanat
et l'acquisition de matériel mécanique à grand rendement.
Trois à six mille hectares devront déjà être
traités en régie en 1946, soit le tiers, ou les deux tiers
des reboisements acquis pendant la période 1850-1940.
Ces chiffres permettent de mesurer l'ampleur de l'oeuvre entreprise par
M. le Gouverneur Général CHATAIGNEAU en étroite entente
avec M. Adrien TIXIER, Ministre de l'Intérieur, une oeuvre qui
n'avait jamais pu jusqu'ici être entreprise sérieusement
et dont dépend pourtant la prospérité des quelque
600.000 petits propriétaires musulmans ou européens de la
terre algérienne.
ANNEXE I
EXEMPLE DE DÉGRADATION DES SOLS
ALGÉRIENS
ENVASEMENT DU BARRAGE D'OUED FODDA
Dans le bassin versant de 80.000 hectares,
dont une bonne proportion est encore boisée (25 à 30 %),
les dépôts mesurés dans la cuvette du barrage ont
atteint :
600.000 m3 par an ,de 1932 à 1937 |
3.750.000 m3 par an, de 1941 à 1944 |
1.250.000 m3 par an, de 1937 à 1941 |
soit au total : 23.000.000 de m3 ou 1.900.000
m3 par an, correspondant à un décapage approximatif moyen
de 4 mm. des terres nues, atteignant 7 mm. 5 dans la période récente
!...
Le Service de la Colonisation et de l'Hydraulique organise un réseau
de stations de mesures pour chiffrer avec précision les dommages
causés par le ruissellement.
ANNEXE II
CREDITS CONSACRES AU REBOISEMENT
Les dépenses et les prix de revient par époque
comprennent la valeur d'acquisition des terrains.
PERIODES
|
1850 à 1910
|
1910 à 1925
|
1925 à 1935
|
1935 à 1944
|
TOTAUX
|
Sommes dépensées
|
1.797.000
|
1.233.000
|
8.000.000
|
4.450.000
|
15.480.000
|
Surfaces reboisées
|
5.400 ha
|
2.000 ha
|
2.200 ha
|
700 ha
|
10.300 ha
|
Pour l'année 1945-1946, les crédits
accordés atteignent le total de 100 millions de francs.
ANNEXE III
11 existe déjà :
21 périmètres
généraux des restaurations couvrant 7.600.000
hectares, 4 périmètres partiels de travaux, et 6 en projet,
50 séries
de travaux dans, ou hors périmètres, qui ont
forméune très large expérimentation surplus de 600
ha
|