Alger, Algérie : documents algériens
Série économique

La situation financière en Algérie
mise sur site le 29-1-2011
* Document n° 5 de la série : Économique - Paru le 1er janvier 1946 - Rubrique FINANCES

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La situation financière en Algérie

A l'heure où l'Assemblée Constituante est appelée à discuter le budget métropolitain, il n'est pas sans intérêt de jeter un rapide coup d'oeil sur la situation financière de l'Algérie, telle qu'elle se présentait au 1er octobre 1945.

Pour mesurer l'effort accompli dans ce domaine, il faut se souvenir qu'entre les années 1940 et 1944, l'Algérie se trouvait aux prises avec une inflation larvée, nourrie dans sa première phase par l'afflux de capitaux métropolitains venant chercher refuge et, dans la seconde, par la rentrée en guerre de l'Afrique du Nord et les dépenses du Gouvernement provisoire de la République française.

Or, comparée à ce qu'elle était à l'issue de cette période mouvementée, la situation financière actuelle a fait preuve d'une remarquable stabilité, en dépit de la hausse générale des prix et de l'augmentation progressive des traitements et salaires.

De septembre 1944 à novembre 1945, la circulation fiduciaire s'est maintenue aux environs de 25 milliards. Elle atteint, si l'on tient compte de l'ensemble des billets de la Banque d'Algérie en circulation en Afrique du Nord, un total de 32.800 millions de francs.

Quant aux dépôts et comptes courants en banque, leur volume, qui se chiffre par 18 milliards de francs, est demeuré constant. En contre-partie, les dépôts dans les caisses d'épargne accusent un accroissement d'environ 2 milliards de francs, témoignage très net de la confiance et de la prévoyance de la population.

La reprise des courants économiques avec la Métropole et l'Etranger, ainsi que le rapatriement en France des capitaux réfugiés en Afrique du Nord, ont permis à l'Algérie de s'assurer des disponibilités confortables, tout en sauvegardant sa circulation monétaire. De même, y ont grandement contribué : le succès significatif des emprunts publics et les émissions des bons du Trésor, qui ont eu la faveur des épargnants.
Sans entrer dans des détails trop techniques, citons quelques chiffres qui témoignent du raffermissement progessif des finances algériennes.
En novembre 1944, les souscriptions à l'emprunt algérien à 3 1/2 % (série " B ", 1942-1944) atteignirent en quelques jours près de 2 milliards de francs. Le mois d'aprtc nonobstant ce premier effort, l'emprunt de la Libération recueillait 1.200 millions. Ces souscriptions ont eu pour effet la consolidation d'une portion importante des bons du Trésor, abondamment souscrits par l'Algérie après la reprise des hostilités et dont le montant atteint 22 milliards.

Grâce à l'incessante augmentation des dépôts qui lui étaient confiés par les collectivités et les établissements publics, on a vu le Trésor algérien accroître sensiblement ses disponibilités, les portant de 8.400 à 12.600 millions de francs. Elles ont permis, en cette période troublée, d'accorder des avances substantielles (3.196 millions en 1945, contre 2.479 millions en 1944) à certains organismes importants, tels que les Chemins de fer algériens, les Houillères du Sud Oranais, les Offices annexes du Ravitaillement général, et divers établissements d'intérêt public. D'autre part, en vue de favoriser le redressement économique sous forme de lettres d'agrément, comportant garantie aux avances bancaires, 190 millions ont été consentis à diverses entreprises industrielles. C'est un premier effort en faveur de l'industrialisation, qui sera suivi d'autres plus importants.

Enfin, 35 millions de francs ont été provisoirement affectés en manière d'avances aux dommages de guerre, en attendant que la législation métropolitaine les concernant ait plein effet en Algérie.

PHYSIONOMIE DU BUDGET

La cessation des hostilités et le retour progressif des conditions de l'état de paix ont permis, en libérant l'Algérie de charges très lourdes, d'aménager le budget de 1946 d'une façon toute différente de celui de l'exercice actuel.

Mais cette réadaptation économique n'allait pas sans entraîner toute une série de mesures onéreusse affectant les dépenses publiques. Limitée plus ou moins par les entraves de la guerre, la hausse des prix, avec les répercussions qu'elle comporte dans les divers secteurs de l'économie et ses inévitables contre-coups sur la vie sociale, a repris son ascension dès le retour au régime des libertés, tirant profit de ce que la production, encore trop restreinte, n'est pas à même de jeter sur le marché l'énorme quantité de produits qui lui sont demandés.

Il en résulte, pour le budget de l'Algérie, des charges nouvelles. Elles proviennent, d'une part, du rajustement des traitements et des salaires au prix de la vie, et, d'autre part, de l'adaptation de sa comptabilité propre aux prix nouveaux des travaux et des achats.

Nombreuses sont, en effet, les dépenses qu'impose la remise en marche de l'économie algérienne. Il ne saurait, en effet, être question de redressement sans que soient réparées au préalable certaines destructions de guerre, repris au plus tôt les grands travaux interrompus ou trop longtemps ralentis. Il y aura lieu, en outre, de remplacer et de développer un outillage insuffisant et qui s'est grandement usé, faute d'entretien.
Les ressources fiscales, il est vrai, se sont accrues avec l'élévation même du coût de la vie et l'accroissement des revenus. Mais, en dépit des apparences, la double progression des recettes et des dépenses n'est guère parallèle, celles-ci demeurent inférieures à celles-là. Il s'ensuit que l'équilibre budgétaire ne pouvait être assuré que moyennant un effort énergique tendant à limiter l'accroissement des dépenses au strict nécessaire et, d'autre part, en adoptant une marge suffisamment large pour l'évaluation des recettes dans le cadre des tarifs nouveaux.

BUDGET ORDINAIRE

Reflétant cette double préoccupation, le budget de 1946 atteint le total de 7.472 millions. Au regard de l'exercice précédent, il marque donc une augmentation de plus de 703 millions.

Il y a lieu de noter en passant que 364 millions de dépenses nouvelles (soit 200 millions pour régulariser les avances du Trésor et 164 millions pour couvrir un déficit supplémentaire des Chemins de fer) avaient, après approbation des délégués financiers, été incorporés au budget de 1945.

Quant à l'augmentation du nouveau budget, elle ne représente que le chiffre net qui s'y inscrit au titre du supplément à couvrir dans les recettes budgétaires. En fait, l'accroissement des charges normales et permanentes s'élève à 1.342 millions. Mais, comme les charges de la guerre ont disparu (soit donc 418 millions en moins que l'an passé), et que la réforme du régime des retraites ainsi que celle des avances sur pensions permettant de faire l'économie de 221 millions, il a été possible de rabattre 639 millions sur l'augmentation comptable.

Il n'entre pas dans le cadre de cet exposé d'énumérer ces diverses augmentations. Notons seulement que la plupart résultent du relèvement des traitements, salaires et indemnités dont a bénéficié le personnel des fonctionnaires, en 1945, dans les mêmes conditions que dans la Métropole, et, d'autre part, de la création inévitable d'emplois nouveaux pour le renforcement des services de sécurité et la mise en oeuvre du plan des réformes musulmanes.

De leur côté, les majorations de salaires dans les entreprises privées et les hausses frappant le coût des transports et des matériaux, n'ont pas manqué d'accroître la dépense des Services et des Travaux publics. Toutefois, s'en tenant scrupuleusement à l'application de coefficients fixes, l'Administration a limité dans toute la mesure du possible ces majorations.

Dans ces conditions, on ne pouvait revenir purement et simplement à la fiscalité d'avant-guerre, d'autant que l'équilibre du budget exigeait des mesures adéquates. Les recettes ont donc été évaluées d'après le taux moyen des recouvrements d'impôts au cours des huit premiers mois de l'exercice écoulé. La réforme des taxes sur le chiffre d'affaires, la reprise progressive de l'activité économique, enfin le renforcement du contrôle fiscal permettent d'assurer l'équilibre du budget, en portant le total des recettes prévisibles à 7.505 millions de francs environ.

BUDGET EXTRAORDINAIRE

Aux charges déjà considérables du budget ordinaire s'ajoutent celles, plus lourdes encore, du budget extraordinaire, constituées en majeure partie par des dépenses exceptionnelles, héritage de la guerre ; telles que la réfection ou la réparation des dommages subis au cours des hostilités, la remise en état
et le développement de l'outillage économique, la reprise de certains grands travaux demeurés en souffrance, et la réalisation des réformes musulmanes, d'initiative gouvernementale.

En 1945, les dotations du budget extraordinaire s'étaient élevées à 1.619 millions. Celles du nouveau budget atteignent 4.430 millions. Leur volume a donc triplé. Cet accroissement des crédits, remarquons-le, est encore loin de pouvoir suffire à l'exécution du vaste programme du rééquipement complet de l'Algérie et aux améliorations de caractère social actuellement à l'étude.

Une fois de plus, les ressources correspondant aux crédits prévus sont principalement prélevées sur l'emprunt. La majoration des recettes incorporée en cours d'exercice au budget de 1945 ne permet pas, en effet, d'escompter une augmentation sensible des disponibilités de la Caisse de réserve, dont l'avoir actuel reste limité à un milliard environ. Il n'a guère été possible d'en soustraire plus de 500 millions au profit des dépenses exceptionnelles restant à couvrir. L'appoint de cette somme, le prélèvement sur le capital des sociétés, la taxe de réévaluation des bilans, l'appel à l'emprunt et quelques autres recettes fourniront les ressources nécessaires au financement du rééquipement économique et à la réparation des dommages de guerre, dont le montant global, pour 1946, a été fixé à 2.777 millions.

En ce qui concerne les grandes réformes appelées à prendre corps au cours de l'année qui vient, la première tranche annuelle des dépenses à engager absorbera quelque 900 millions de francs. Pour couvrir cet important crédit, 330 millions seront pris sur le fonds spécial d'équipement. Le restant de la somme à parfaire sera demandé à l'emprunt. Ce dernier, déjà destiné à fournir 3.347 millions de crédits de paiement en 1946, aura en outre à résorber l'arriéré des dépenses occasionnées par les grands travaux en cours, soit, en cette fin d'exercice, la somme de 1.395 millions. Le montant de l'emprunt se trouvera ainsi porté, en 1946, à environ 5 milliards de francs.

NOUVEL AMENAGEMENT FISCAL


Cet aménagement comporte un certain nombre de mesures, dont il suffit de signaler ici les plus importantes.

La suppression des dispositions de caractère exceptionnel prises au cours des hostilités, et l'octroi de certaines exonérations ont été décidées en vue d'encourager la construction d'immeubles neufs et l'établissement de nouvelles industries.

Les modes de perception de la taxe sur le chiffre d'affaires seront simplifiés à l'instar des innovations dans la Métroploe. C'est ainsi que sera supprimé le régime des petits propriétaires, et assoupli celui des entreprises de travaux. En outre, le tarif unique de 8 % sera remplacé, selon la nature des opérations, par un tarif à triple échelon : 4 </c, 8 % et 15 C/r. Enfin, le fisc renonce à un certain nombre de droits et de taxes d'un rendement insuffisant, comme la reconnaissance sur les tabacs, le droit intérieur sur les pneumatiques et les bandages caoutchoutés, la taxe sur les lampes de T.S.F.

Signalons que l'Enregistrement s'attache à étendre à l'Algérie les dispositions de technique fiscale adoptées dans la Métropole. Parmi celles-ci figure notamment un abattement de 500.000 francs sur l'impôt frappant les mutations par décès, lorsque les enfants vivants ou représentés seront au nombre de trois ou plus. De même, sera applicable à l'Algérie réduction de la taxe successorale en faveur des héritiers, donataires, légataires, lorsqu'ils ont au moins trois enfants vivants ou représentés. Ces mesures ont pour objet; on le sait, de favoriser les familles nombreuses.

Enfin, en ce qui concerne l'impôt de solidarité nationale créé en août 1945, il ne sera appliqué en Algérie que sous bénéfice de certains ajustements motivés par des particularités ethniques et économiques - exception faite pour les sociétés et personnes morales n'ayant en Algérie que leur siège social..

Tel est, dans ses grandes lignes, le budget présenté, à la session d'ouverture de l'Assemblée Financière de l'Algérie, par M. le Ministre Plénipotentiaire, Yves Chataigneau, Gouverneur Général de l'Algérie. Ce budget a reçu bon accueil. L'effort demandé aux contribuables algériens témoigne de la volonté de l'Algérie de s'associer au redressement national et de prendre dignement place dans l'évolution économique du monde.

ANNEXE
annexe situation financiere


        D. - BONS DU TRESOR.

Les émissions de bons du Trésor et de bons Africains " Pour la France " à 3 ans, ont contribué à financer la guerre dans de très larges proportions. Depuis un an, la tendance s'est renversée :

bons du tresor

        E. - TAUX DE L'ARGENT.

L'année 1945 continue à être marquée par un abaissement du loyer de l'argent, la Banque de l'Algérie ayant accepté certaines réductions de taux demandées par le Gouvernement Général, ou en ayant pris l'initiative.

Escompte du papier commercial abaissé de 3,5 à 3 %.
Papier de crédit et de campagne abaissé de 4,5 à 4 %.
Effets sur O.A.C.E. ou papier de crédit garanti par l'Algérie : de 2,50 à 2,25 %. Warrants divers : de 3,5 à 3 %.

Ces réductions du taux d'escompte de la Banque ont entraîné une réduction parallèle des taux pratiqués sur le marché monétaire qui sont ainsi fixés à :

4 % pour les papiers de crédit, avances sur marchandises, avances sans garantie ; 3,5 % pour les papiers sur titres, avances sur céréales ;
3 % pour le papier commercial, le papier garanti les avances sur obligations de l'Algérie.

Les conditions du crédit sont donc émine.-nent favorables et jamais les taux n'ont été si bas en Algérie. Notons, dans le même sens, que la Banque a accepté d'aligner son taux de réescompte sur celui de la Banque de France (2,125 %) pour les opérations de crédit à moyen terme, dont les conditions seront ainsi les mêmes que dans la Métropole. Ainsi le financement du rééquipement économique pourra se faire dans de bonnes conditions.