La situation financière
en Algérie
A l'heure où l'Assemblée Constituante
est appelée à discuter le budget métropolitain, il
n'est pas sans intérêt de jeter un rapide coup d'oeil sur
la situation financière de l'Algérie, telle qu'elle se présentait
au 1er octobre 1945.
Pour mesurer l'effort accompli dans ce domaine, il faut se souvenir qu'entre
les années 1940 et 1944, l'Algérie se trouvait aux prises
avec une inflation larvée, nourrie dans sa première phase
par l'afflux de capitaux métropolitains venant chercher refuge
et, dans la seconde, par la rentrée en guerre de l'Afrique du Nord
et les dépenses du Gouvernement provisoire de la République
française.
Or, comparée à ce qu'elle était à l'issue
de cette période mouvementée, la situation financière
actuelle a fait preuve d'une remarquable stabilité, en dépit
de la hausse générale des prix et de l'augmentation progressive
des traitements et salaires.
De septembre 1944 à novembre 1945, la circulation fiduciaire s'est
maintenue aux environs de 25 milliards. Elle atteint, si l'on tient compte
de l'ensemble des billets de la Banque d'Algérie en circulation
en Afrique du Nord, un total de 32.800 millions de francs.
Quant aux dépôts et comptes courants en banque, leur volume,
qui se chiffre par 18 milliards de francs, est demeuré constant.
En contre-partie, les dépôts dans les caisses d'épargne
accusent un accroissement d'environ 2 milliards de francs, témoignage
très net de la confiance et de la prévoyance de la population.
La reprise des courants économiques avec la Métropole et
l'Etranger, ainsi que le rapatriement en France des capitaux réfugiés
en Afrique du Nord, ont permis à l'Algérie de s'assurer
des disponibilités confortables, tout en sauvegardant sa circulation
monétaire. De même, y ont grandement contribué : le
succès significatif des emprunts publics et les émissions
des bons du Trésor, qui ont eu la faveur des épargnants.
Sans entrer dans des détails trop techniques, citons quelques chiffres
qui témoignent du raffermissement progessif des finances algériennes.
En novembre 1944, les souscriptions à l'emprunt algérien
à 3 1/2 % (série " B ", 1942-1944) atteignirent
en quelques jours près de 2 milliards de francs. Le mois d'aprtc
nonobstant ce premier effort, l'emprunt de la Libération recueillait
1.200 millions. Ces souscriptions ont eu pour effet la consolidation d'une
portion importante des bons du Trésor, abondamment souscrits par
l'Algérie après la reprise des hostilités et dont
le montant atteint 22 milliards.
Grâce à l'incessante augmentation des dépôts
qui lui étaient confiés par les collectivités et
les établissements publics, on a vu le Trésor algérien
accroître sensiblement ses disponibilités, les portant de
8.400 à 12.600 millions de francs. Elles ont permis, en cette période
troublée, d'accorder des avances substantielles (3.196 millions
en 1945, contre 2.479 millions en 1944) à certains organismes importants,
tels que les Chemins de fer algériens, les Houillères du
Sud Oranais, les Offices annexes du Ravitaillement général,
et divers établissements d'intérêt public. D'autre
part, en vue de favoriser le redressement économique sous forme
de lettres d'agrément, comportant garantie aux avances bancaires,
190 millions ont été consentis à diverses entreprises
industrielles. C'est un premier effort en faveur de l'industrialisation,
qui sera suivi d'autres plus importants.
Enfin, 35 millions de francs ont été provisoirement affectés
en manière d'avances aux dommages de guerre, en attendant que la
législation métropolitaine les concernant ait plein effet
en Algérie.
PHYSIONOMIE DU BUDGET
La cessation des hostilités et le retour progressif des conditions
de l'état de paix ont permis, en libérant l'Algérie
de charges très lourdes, d'aménager le budget de 1946 d'une
façon toute différente de celui de l'exercice actuel.
Mais cette réadaptation économique n'allait pas sans entraîner
toute une série de mesures onéreusse affectant les dépenses
publiques. Limitée plus ou moins par les entraves de la guerre,
la hausse des prix, avec les répercussions qu'elle comporte dans
les divers secteurs de l'économie et ses inévitables contre-coups
sur la vie sociale, a repris son ascension dès le retour au régime
des libertés, tirant profit de ce que la production, encore trop
restreinte, n'est pas à même de jeter sur le marché
l'énorme quantité de produits qui lui sont demandés.
Il en résulte, pour le budget de l'Algérie, des charges
nouvelles. Elles proviennent, d'une part, du rajustement des traitements
et des salaires au prix de la vie, et, d'autre part, de l'adaptation de
sa comptabilité propre aux prix nouveaux des travaux et des achats.
Nombreuses sont, en effet, les dépenses qu'impose la remise en
marche de l'économie algérienne. Il ne saurait, en effet,
être question de redressement sans que soient réparées
au préalable certaines destructions de guerre, repris au plus tôt
les grands travaux interrompus ou trop longtemps ralentis. Il y aura lieu,
en outre, de remplacer et de développer un outillage insuffisant
et qui s'est grandement usé, faute d'entretien.
Les ressources fiscales, il est vrai, se sont accrues avec l'élévation
même du coût de la vie et l'accroissement des revenus. Mais,
en dépit des apparences, la double progression des recettes et
des dépenses n'est guère parallèle, celles-ci demeurent
inférieures à celles-là. Il s'ensuit que l'équilibre
budgétaire ne pouvait être assuré que moyennant un
effort énergique tendant à limiter l'accroissement des dépenses
au strict nécessaire et, d'autre part, en adoptant une marge suffisamment
large pour l'évaluation des recettes dans le cadre des tarifs nouveaux.
BUDGET ORDINAIRE
Reflétant cette double préoccupation, le budget de 1946
atteint le total de 7.472 millions. Au regard de l'exercice précédent,
il marque donc une augmentation de plus de 703 millions.
Il y a lieu de noter en passant que 364 millions de dépenses nouvelles
(soit 200 millions pour régulariser les avances du Trésor
et 164 millions pour couvrir un déficit supplémentaire des
Chemins de fer) avaient, après approbation des délégués
financiers, été incorporés au budget de 1945.
Quant à l'augmentation du nouveau budget, elle ne représente
que le chiffre net qui s'y inscrit au titre du supplément à
couvrir dans les recettes budgétaires. En fait, l'accroissement
des charges normales et permanentes s'élève à 1.342
millions. Mais, comme les charges de la guerre ont disparu (soit donc
418 millions en moins que l'an passé), et que la réforme
du régime des retraites ainsi que celle des avances sur pensions
permettant de faire l'économie de 221 millions, il a été
possible de rabattre 639 millions sur l'augmentation comptable.
Il n'entre pas dans le cadre de cet exposé d'énumérer
ces diverses augmentations. Notons seulement que la plupart résultent
du relèvement des traitements, salaires et indemnités dont
a bénéficié le personnel des fonctionnaires, en 1945,
dans les mêmes conditions que dans la Métropole, et, d'autre
part, de la création inévitable d'emplois nouveaux pour
le renforcement des services de sécurité et la mise en oeuvre
du plan des réformes musulmanes.
De leur côté, les majorations de salaires dans les entreprises
privées et les hausses frappant le coût des transports et
des matériaux, n'ont pas manqué d'accroître la dépense
des Services et des Travaux publics. Toutefois, s'en tenant scrupuleusement
à l'application de coefficients fixes, l'Administration a limité
dans toute la mesure du possible ces majorations.
Dans ces conditions, on ne pouvait revenir purement et simplement à
la fiscalité d'avant-guerre, d'autant que l'équilibre du
budget exigeait des mesures adéquates. Les recettes ont donc été
évaluées d'après le taux moyen des recouvrements
d'impôts au cours des huit premiers mois de l'exercice écoulé.
La réforme des taxes sur le chiffre d'affaires, la reprise progressive
de l'activité économique, enfin le renforcement du contrôle
fiscal permettent d'assurer l'équilibre du budget, en portant le
total des recettes prévisibles à 7.505 millions de francs
environ.
BUDGET EXTRAORDINAIRE
Aux charges déjà considérables du budget ordinaire
s'ajoutent celles, plus lourdes encore, du budget extraordinaire, constituées
en majeure partie par des dépenses exceptionnelles, héritage
de la guerre ; telles que la réfection ou la réparation
des dommages subis au cours des hostilités, la remise en état
et le développement de l'outillage économique,
la reprise de certains grands travaux demeurés en souffrance, et
la réalisation des réformes musulmanes, d'initiative gouvernementale.
En 1945, les dotations du budget extraordinaire s'étaient élevées
à 1.619 millions. Celles du nouveau budget atteignent 4.430 millions.
Leur volume a donc triplé. Cet accroissement des crédits,
remarquons-le, est encore loin de pouvoir suffire à l'exécution
du vaste programme du rééquipement complet de l'Algérie
et aux améliorations de caractère social actuellement à
l'étude.
Une fois de plus, les ressources correspondant aux crédits prévus
sont principalement prélevées sur l'emprunt. La majoration
des recettes incorporée en cours d'exercice au budget de 1945 ne
permet pas, en effet, d'escompter une augmentation sensible des disponibilités
de la Caisse de réserve, dont l'avoir actuel reste limité
à un milliard environ. Il n'a guère été possible
d'en soustraire plus de 500 millions au profit des dépenses exceptionnelles
restant à couvrir. L'appoint de cette somme, le prélèvement
sur le capital des sociétés, la taxe de réévaluation
des bilans, l'appel à l'emprunt et quelques autres recettes fourniront
les ressources nécessaires au financement du rééquipement
économique et à la réparation des dommages de guerre,
dont le montant global, pour 1946, a été fixé à
2.777 millions.
En ce qui concerne les grandes réformes appelées à
prendre corps au cours de l'année qui vient, la première
tranche annuelle des dépenses à engager absorbera quelque
900 millions de francs. Pour couvrir cet important crédit, 330
millions seront pris sur le fonds spécial d'équipement.
Le restant de la somme à parfaire sera demandé à
l'emprunt. Ce dernier, déjà destiné à fournir
3.347 millions de crédits de paiement en 1946, aura en outre à
résorber l'arriéré des dépenses occasionnées
par les grands travaux en cours, soit, en cette fin d'exercice, la somme
de 1.395 millions. Le montant de l'emprunt se trouvera ainsi porté,
en 1946, à environ 5 milliards de francs.
NOUVEL AMENAGEMENT FISCAL
Cet aménagement comporte un certain nombre de mesures, dont il
suffit de signaler ici les plus importantes.
La suppression des dispositions de caractère exceptionnel prises
au cours des hostilités, et l'octroi de certaines exonérations
ont été décidées en vue d'encourager la construction
d'immeubles neufs et l'établissement de nouvelles industries.
Les modes de perception de la taxe sur le chiffre d'affaires seront simplifiés
à l'instar des innovations dans la Métroploe. C'est ainsi
que sera supprimé le régime des petits propriétaires,
et assoupli celui des entreprises de travaux. En outre, le tarif unique
de 8 % sera remplacé, selon la nature des opérations, par
un tarif à triple échelon : 4 </c, 8 % et 15 C/r. Enfin,
le fisc renonce à un certain nombre de droits et de taxes d'un
rendement insuffisant, comme la reconnaissance sur les tabacs, le droit
intérieur sur les pneumatiques et les bandages caoutchoutés,
la taxe sur les lampes de T.S.F.
Signalons que l'Enregistrement s'attache à étendre à
l'Algérie les dispositions de technique fiscale adoptées
dans la Métropole. Parmi celles-ci figure notamment un abattement
de 500.000 francs sur l'impôt frappant les mutations par décès,
lorsque les enfants vivants ou représentés seront au nombre
de trois ou plus. De même, sera applicable à l'Algérie
réduction de la taxe successorale en faveur des héritiers,
donataires, légataires, lorsqu'ils ont au moins trois enfants vivants
ou représentés. Ces mesures ont pour objet; on le sait,
de favoriser les familles nombreuses.
Enfin, en ce qui concerne l'impôt de solidarité nationale
créé en août 1945, il ne sera appliqué en Algérie
que sous bénéfice de certains ajustements motivés
par des particularités ethniques et économiques - exception
faite pour les sociétés et personnes morales n'ayant en
Algérie que leur siège social..
Tel est, dans ses grandes lignes, le budget présenté, à
la session d'ouverture de l'Assemblée Financière de l'Algérie,
par M. le Ministre Plénipotentiaire, Yves Chataigneau, Gouverneur
Général de l'Algérie. Ce budget a reçu bon
accueil. L'effort demandé aux contribuables algériens témoigne
de la volonté de l'Algérie de s'associer au redressement
national et de prendre dignement place dans l'évolution économique
du monde.
ANNEXE
|
D.
- BONS DU TRESOR.
Les émissions de bons du Trésor et de bons Africains "
Pour la France " à 3 ans, ont contribué à financer
la guerre dans de très larges proportions. Depuis un an, la tendance
s'est renversée :
E.
- TAUX DE L'ARGENT.
L'année 1945 continue à être marquée
par un abaissement du loyer de l'argent, la Banque de l'Algérie
ayant accepté certaines réductions de taux demandées
par le Gouvernement Général, ou en ayant pris l'initiative.
Escompte du papier commercial abaissé de 3,5 à 3 %.
Papier de crédit et de campagne abaissé de 4,5 à
4 %.
Effets sur O.A.C.E. ou papier de crédit garanti par l'Algérie
: de 2,50 à 2,25 %. Warrants divers : de 3,5 à 3 %.
Ces réductions du taux d'escompte de la Banque ont entraîné
une réduction parallèle des taux pratiqués sur le
marché monétaire qui sont ainsi fixés à :
4 % pour les papiers de crédit, avances sur marchandises, avances
sans garantie ; 3,5 % pour les papiers sur titres, avances sur céréales
;
3 % pour le papier commercial, le papier garanti les avances sur obligations
de l'Algérie.
Les conditions du crédit sont donc émine.-nent favorables
et jamais les taux n'ont été si bas en Algérie. Notons,
dans le même sens, que la Banque a accepté d'aligner son
taux de réescompte sur celui de la Banque de France (2,125 %) pour
les opérations de crédit à moyen terme, dont les
conditions seront ainsi les mêmes que dans la Métropole.
Ainsi le financement du rééquipement économique pourra
se faire dans de bonnes conditions.
|