Conditions générales
de l'enseignement technique en Algérie
L'un des problèmes les plus importants
posé par la réalisation du plan d'équipement et de
valorisation agricole et industrielle de l'Algérie est la formation
de techniciens de tous rangs, en quantité et en qualification et
c'est en tenant compte des besoins particuliers du pays qu'ont été
établies les directions principales dans lesquelles doit porter
l'effort de l'enseignement technique et professionnel.
Dans un pays comme l'Afrique du Nord où l'industrialisation est
peu poussée, il y a intérêt à ne pas définir
trop étroitement et trop prématurément la qualification
de l'ouvrier qui, au cours de trente années de vie professionnelle,
devra s'adapter à des fabrications diverses et à des conditions
de production sans cesse variables.
La formation type des écoles techniques françaises, où
l'élève est appelé à travailler le bois et
le fer, pour se spécialiser après un an, dans l'une ou l'autre
branche, paraît être la meilleure préparation, la spécialisation
conduisant aux métiers de l'électricité, à
ceux de la plomberie, de la zinguerie, du découpage et de la soudure,
se poursuivant parallèlement à une étape assez avancée
de la scolarité, pour s'épanouir à la fin de celle-ci.
ORIENTATION DE L'ENSEIGNEMENT
TECHNIQUE ET PROFESSIONNEL
L'importance, en Algérie, des travaux publics de toute nature (barrages,
routes, aérodromes, ports, etc...), l'ampleur de l'effort à
réaliser dans le domaine de l'habitat, nécessitent, d'une
manière impérieuse, le développement d'un enseignement
spécial des travaux publics et du bâtiment, enseignement
qui, à l'heure actuelle, est à peu près inexistant.
L'industrie des mines requiert des ouvriers et des techniciens spécialisés
; mais ses besoins sont plus limités et la formation de ces ouvriers
doit être si adaptée aux conditions de telle ou telle exploitation
que les différentes entreprises en ont pris la charge.
On ne saurait oublier l'enseignement de la navigation et surtout de la
pêche dans un pays où les eaux poissonneuses recèlent
d'inestimables richesses.
L'enseignement agricole enfin, doit prendre un essor nouveau. En Algérie,
comme dans la métropole, cet enseignement est un peu déshérité.
Le nombre des écoles qui existent ici et là est insignifiant
relativement aux besoins. Cela tient peut-être au fait qu'ici et
là cet enseignement, rattaché aux services de l'Agriculture,
n'a pas eu à sa disposition les moyens matériels, financiers
et pédagogiques dont a bénéficié l'enseignement
à caractère industriel.
LOCALISATION GÉOGRAPHIQUE
DE L'EFFORT A ACCOMPLIR
Il est évident que les écoles
à créer doivent naturellement se placer dans les centres
industriels qu'elles ont à pourvoir. La qualité et le nombre
des élèves à former, partant la nature et l'importance
des écoles à créer, sont sous l'étroite dépendance
de ces localisations industrielles ou agricoles.
Dans la région de Bône, qui est un des ports d'entrée
en Afrique du Nord de la main-d'uvre européenne (Italiens,
Maltais), l'industrie dispose du minerai de fer et de l'eau ; c'est là
que doit évidemment s'établir un centre métallurgique
important. C'est là, en effet, qu'il est prévu, avec une
orientation vers la construction métallique (charpente, ponts,
hangars, wagons), la réparation des locomotives, des automotrices
et la fonderie. C'est là qu'un haut-fourneau traitera les minerais
de l'Ouenza. Sa production s'élèvera à 200 tonnes
par jour.
Le port de Bône importe des pyrites, les grilles pour produire de
l'acide sulfurique nécessaire au traitement des phosphates algériens
et à leur transformation sur place en superphosphates. Des fours
à chaux permettent d'y fabriquer des chaux agricoles. Enfin, on
y distille des goudrons de houille. La construction d'une usine de cyanamide
calcique fournira la région bônoise en engrais ammoniacaux.
L'exploitation des grandes forêts voisines a entraîné
le développement de nombreux ateliers de scierie, de menuiserie,
d'ébénisterie et de charpente, même de fabrication
de pipes de bruyère comme à Saint-Claude. L'industrie du
liège (bouchonnerie et granulés), celle du cuir (mégisserie),
l'industrie textile (filature de laine, effilochage des vieux chiffons)
la production du tabac, la manutention des minerais de fer et de phosphates
complètent cet ensemble industriel de première importance
pour l'Algérie.
Ajoutons que l'exploitation de nouvelles étendues cultivables nécessitera
1.500 tracteurs agricoles dans la même région. On voit quelles
obligations il va en résulter pour l'apprentissage.
Bône, destinée à devenir un centre important d'enseignement
professionnel doit, dans le secteur métallurgique, former des ajusteurs,
des tourneurs, des forgerons, des soudeurs, des ébénistes,
des charpentiers et des modeleurs. Cette formation, qui se fait à
l'heure actuelle, doit s'amplifier et s'étendre à celle
de mécaniciens d'automobile.
Dans le secteur des travaux publics et du bâtiment, tout est à
créer; l'enseignement professionnel doit former rapidement des
maçons, d -r tailleurs de pierre, des plombiers-zingueurs. Une
section d'apprentissage pour les métiers du cuir, une autre pour
la céramique - car beaucoup d'argiles régionales se prêtent
à cette industrie - répondront à tous les besoins
de l'économie locale.
Là encore, un gros effort de propagande est à faire pour
le recrutement des écoles et des centres d'apprentissage à
créer, surtout auprès des milieux musulmans. Tandis que
la ville de Bône a 95.000 habitants, dont 40.000 musulmans, la seule
école technique de la ville ne compte, sur un effectif total de
300 élèves, que 16 musulmans dans la section des métiers
et 7 au Collège technique. Ces chiffres sont dérisoires,
au regard des 6.400 élèves européens et musulmans
des écoles primaires.
Agglomération de 350.000 habitants, Oran, située dans une
région appelée à un magnifique essor économique
du fait de ses ressources actuelles et probables en charbon, de l'installation
et des projets d'industries diverses (savonneries, huileries, cimenteries,
verreries) doit devenir un centre de formation professionnelle et technique
important.
Ce centre métallurgique qui occupe plus de 4.500 ouvriers de l'automobile
et de la machine agricole totalise pour la seule métallurgie 300
apprentis en atelier.
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET FORMATION PROFESSIONNELLE
Dans les écoles primaires créées pour les français
musulmans en Algérie, l'enseignement général est
donné de pair avec l'enseignement pratique : agricole ou manuel.
Les écoles rurales ont été, partout, où la
nature du sol le permettait (soit dans 160 localités), dotées
d'un terrain de vulgarisation permettant de développer dans la
région, par la formation rationnelle des élèves,
les cultures potagères ou l'arboriculture fruitière. Dans
les écoles urbaines, l'enseignement préparatoire au travail
manuel (exercices de pliage, tressage, etc...) est donné conformément
aux programmes de 1923. En outre, dans une vingtaine d'écoles sur
633, des cours complémentaires d'enseignement professionnel ont
été créés, dans lesquels les élèves
font un véritable apprentissage de métier (menuiserie, ébénisterie,
forge, ajustage, etc...) sous la direction d'instituteurs qualifiés
et de maîtres-ouvriers.
Dans les écoles de filles musulmanes, enfin, les programmes d'études
ont toujours réservé une place aux travaux féminins
ainsi qu'aux premières notions d'économie domestique, d'hygiène
et de puériculture.
L'exécution du plan de scolarisation, actuellement entrepris, permettra,
d'autre part, d'améliorer les conditions matérielles dans
lesquelles sera donné et développé l'enseignement
manuel. Il a été décidé, en effet, que toute
école nouvellement construite comprendrait en dehors des salles
de classe, un ou plusieurs ateliers dans les écoles de garçons,
une ou plusieurs salles d'enseignement ménager dans les écoles
de filles. A ces salles d'enseignement ménager sera annexée
une cuisine où les élèves apprendront à utiliser
les ressources alimentaires du pays en préparant pratiquement les
repas de la cantine scolaire. En ce qui concerne les garçons, l'atelier
dont la création est envisagée ne contiendra ni machines,
ni outils compliqués. Il s'agit, en effet, en sus des exercices
usuels de pliage, tressage, découpage, de donner aux élèves
une certaine souplesse et habileté manuelles et de les habituer
au maniement des outils les plus courants : marteau, tenailles, pinces,
rabot, lime ou râpe.
L'enseignement d'initiation agricole est un excellent
moyen de développer l'esprit d'observation.
Peut-être ne sera-t-il pas inutile, pour vaincre certaines résistances,
de montrer la place que les auteurs de la réforme actuelle de l'enseignement
attribuent aux travaux manuels dans les places mêmes qui dispenseront
la culture classique.
Une chose sur laquelle tout le monde sera d'accord, c'est qu'on ne peut
songer à donner, à l'école primaire, une formation
nettement professionnelle, exigeant un effort musculaire que ne peut fournir
un jeune enfant. Mais l'habileté manuelle doit être développée
le plus tôt possible, surtout dans des pays où l'enfant de
condition modeste est souvent, nous l'avons vu, très maladroit,
parce que les circonstances de la vie courante ne lui offrent pas l'occasion
de développer cette habileté. Il ne faut pas oublier, au
surplus, qu'en Afrique du Nord comme partout, les besoins de la main-d'oeuvre
qualifiée dépassent de beaucoup ceux des carrières
dites libérales.
L'APPRENTISSAGE
Il convient de distinguer ici les apprentis qui demandent toute leur formation
à l'école et lui donnent la totalité de leur temps,
et ceux qui se forment à l'atelier et qui viennent compléter
le soir leur formation générale et professionnelle dans
des cours de perfectionnement.
En Algérie, il faut d'abord rattacher aux écoles d'apprentissage
les sections de métiers des collèges techniques d'Alger
et de Constantine, celle de l'École d'apprentissage de Bône
et aussi, dans une certaine mesure, les sections professionnelles des
collèges modernes de Batna et d'Orléansville.
Des écoles autonomes d'apprentissage fonctionnent à Alger
(Société de Préapprentissage), à Philippeville
et à Tébessa ; il faut leur rattacher le cours complémentaire
d'enseignement professionnel de Boufarik. On y enseigne les métiers
du bois et du fer. L'école d'Alger compte, au surplus, une section
d'électricité.
Des cours de formation professionnelle et de perfectionnement du soir
sont organisés dans quatre centres importants.
A Alger, ils sont entre les mains de la Société d'enseignement
professionnel dont le siège est au Collège technique. Les
spécialités enseignées sont les mêmes que dans
l'établissement qui abrite ces cours. On voit ici, sur un exemple,
que le même outillage peut être utilisé par un collège
technique, une école d'apprentissage et des cours de perfectionnement.
A Constantine, le Comité de patronage des apprentis organise de
même ses cours de perfectionnement au collège technique.
Les spécialités y sont évidemment les mêmes
qu'au collège technique.
A Oran, l'Association des cours industriels utilise son propre outillage
installé au Marché Karguentah. Elle a, dans ses sections
de bois, de fer, de moulage et de dessin, 200 élèves qui
sont des apprentis des divers ateliers de la ville.
Enfin, les cours industriels de Sidi-Bel-Abbès, dont le siège
est au cours complémentaire d'enseignement professionnel, ont 100
élèves dans trois sections consacrées au travail
du bois, du fer et au dessin.
Des cours complémentaires d'enseignement professionnel des écoles
de Français Musulmans sont installés à Oran, Tlemcen,
Bel-Abbès, Perrégaux, Mascara, Biskra, Tizi-Ouzou, Touggourt,
Saïda, Relizane, Souk-Ahras, Aïn-Beïda et Ghardaïa.
L'effectif varie de 30 à 120 élèves par cours. Le
plus important est celui de Tlemcen, qui sera bientôt transformé
en école autonome. On y enseigne les métiers du bois, du
tissage et du cuir.
Enfin, des centres d'apprentissage existent dans certains centres ruraux.
Les effectifs y sont faibles et ne dépassent pas 25 élèves
par cours. On y enseigne le travail du bois, la forge et la mécanique
rurales.
Il faut rattacher à ces centres le cours d'enseignement professionnel
de Ménerville (20 élèves), l'école d'apprentissage
d'El-Affroun (15 élèves), le centre de formation accélérée
d'Alger, qui fonctionne par stages périodiques avec des effectifs
variables ; le centre de formation des ouvriers du bâtiment en cours
d'organisation à Alger, et les 17 centres ruraux de la Direction
des Affaires musulmanes, devenue la Direction des Réformes.
La diversité de ces cours montre que l'Enseignement professionnel
algérien s'est développé au cours d'une longue période,
sous l'impulsion de l'État, de collectivités locales, de
groupements industriels et même de particuliers. Leur régime
administratif est très différent et c'est là un obstacle
à toute organisation d'ensemble de cet enseignement.
L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE PROPREMENT DIT
Ce qui existe
Aux élèves qui veulent faire des études techniques
aussi poussées que possible, l'enseignement du second degré
offre, dans la Métropole, les collèges techniques et, en
Afrique du Nord, un certain nombre d'établissements qui portent
ou ne portent pas ce nom mais s'y rattachent assez étroitement.
L'Institut Industriel d'Algérie, à Maison-Carrée,
n'est pas une école d'ingénieurs ; ce n'est pas non plus
un collège technique puisqu'il recrute des élèves
de 15 ans environ, qui ont un bagage général voisin du brevet
élémentaire. Cet établissement compte 4 années
d'études, dont la dernière est une année de spécialisation,
et les élèves ont alors le choix entre les sections de mécanique,
d'électricité et de travaux publics. Un internat et des
ateliers spacieux qui possèdent un outillage un peu ancien, comme
il arrive dans presque toutes nos écoles, permettent de recevoir
150 élèves environ. Le personnel enseignant appartient aux
cadres de l'enseignement technique du second degré. Cette école
a rendu de grands services à l'économie algérienne.
L'Ecole
Coloniale d'industrie de Dellys, fondée dans
un petit centre prévu comme un débouché de la Kabylie,
a formé, au début du siècle, des techniciens et des
agents de bureau d'étude pour les chemins de fer, les travaux publics
et les postes. Aujourd'hui, elle doit aller chercher son recrutement assez
loin. Son programme est, depuis 1942, celui des collèges techniques
industriels. Une section indigène annexée qui est une section
de métiers, forme des ouvriers de rang plus modeste. La situation
géographique de cette école et l'impossibilité dans
laquelle elle est de recruter sur place, font penser qu'elle pourrait
utilement s'orienter vers la pratique du moteur et de la machine agricole,
en appelant dans ses murs des fils de colons.
Le
collège technique d'Alger fonctionne comme un établissement
similaire de la Métropole. Soi: effectif a atteint un peu moins
de 250 élèves dans la section industrielle. Une section
de métiers, qui en compte 150, reçoit uniquement comme externes
ceux qui ne peuvent affronter le concours d'entrée et sont, de
ce fait, dans l'impossibilité de suivre les cours normaux. Les
spécialités sont les mêmes qu'au collège technique
: ajustage, machines-outils, fonderie, forge, et métiers du bois,
et aussi peinture décorative et du bâtiment. C'est une école
moderne qui a des ateliers spacieux, bien outillés. Elle est remarquablement
située, au centre d'un quartier industriel, mais il est difficile
de l'agrandir pour recevoir de nouveaux élèves.
Le collège technique de Constantine ne compte que les 130 élèves
répartis en trois années.
Les projets
Il semble, étant donné l'importance industrielle du centre
d'Alger, qu'il y ait place dans l'agglomération pour un second
collège technique.
Signalons toutefois la création récente, dans les environs
d'Alger, d'une
Ecole nationale professionnelle de l'air qui formera les apprentis
des ateliers industriels de l'Air (A.I.A.) sous le double contrôle
de l'Éducation Nationale, pour l'enseignement général,
et du Ministère de l'Air, pour la formation professionnelle. L'intérêt
qu'il y aurait à doter la région bônoise d'un collège
technique qui pourrait servir lui-même de support à une école
de métiers et à des cours professionnels est évident.
Cette création est depuis longtemps à l'étude, car
l'école d'apprentissage de Bône étouffe dans des locaux
exigus, avec ses 150 élèves de la section industrielle et
ses 75 élèves de la section des métiers. L'effectif
de cette dernière pourrait être triplé, s'il y avait
de la place. La création récente d'une section commerciale
rend plus urgente encore la construction d'un collège technique.
Une autre grave lacune réside dans l'absence d'un établissement
technique à Oran, si l'on tient compte du développement
actuel et prévu des industries de la région.
La section technique du Collège moderne ne répond pas à
la formation des ouvriers qualifiés demandés par l'industrie.
En raison de leur culture générale, les élèves
de cette section affrontent avec succès les examens des Ponts et
Chaussées et des Chemins de fer. Aucun ne va à des entreprises
industrielles, découragé à l'avance de devoir être
considéré à l'atelier, pendant quelque temps au moins
comme un apprenti. Un remède consisterait à créer
dans cette section une quatrième année spécialisée
; mais il est à craindre que des familles, s'imposant le lourd
sacrifice de quatre années d'études, ne montrent des exigences
plus grandes pour leurs enfants. C'est tout le problème des collèges
techniques qui est posé ici.
|