" Les contes
du Croissant de Lune "
du Général Pierre Weiss
Prix Littéraire de l'Algérie pour 1945
" Il n'est pas de religion qui n'ait
placé les ailes au sommet de son rêve et de son aspiration.
L'aile est divine. Elle isole, elle relie, elle trace le chemin toujours
désiré de l'amplitude ou du rapprochement. C'est par la
hantise des cieux que la poésie s'est sans cesse affirmée.
"
Préface de la Comtesse de Noailles,
de " L'Espace "
du Général (alors Commandant) Pierre Weïss
On ne pouvait décerner au Général
Weiss, d'une manière plus prestigieuse, la qualité de poète.
La carrière d'aviateur du Général Pierre Weiss n'est
pas à rappeler ici : elle est inscrite dans les annales de gloire
de notre aéronautique à laquelle le Général
a consacré sa vie entière. Sept citations et la cravate
de commandeur ont consacré ses titres militaires.
L'OEUVRE LITTERAIRE
Le Grand Prix Littéraire de l'Algérie qui vient de lui être
décerné est venu consacrer un autre aspect de son activité
: une oeuvre tout entière dédiée au culte de l'Espagne,
des paysages, du ciel changeant, en particulier du ciel africain que l'aviateur
a sillonné pendant des centaines d'heures de vol.
Tous les livres du Général Pierre Weiss chantent cette course
instinctive et libre à travers l'espace qui a passionné
des générations de pilotes et continue d'être une
attraction irrésistible pour les jeunes et les audacieux.
Après la grande guerre, le Général, alors capitaine,
publie " Les charmeurs de nuages " ; puis " L'Espace ",
livre pour lequel la Comtesse de Noailles écrit une étonnante
préface. Viennent ensuite : " Le Poitrail bleu du Sagittaire
", " Cidna ou l'Express d'Istanboul ", " La Bataille
de l'Atlantique ", hymne aux héros qui les premiers se sont
lancés sur l'océan, reliant Paris et New-York par des trajectoires
devenues, aujourd'hui, coutumières.
Entre temps, l'aviateur a été affecté aux formations
d'Afrique et publie successivement : " L'Hallucinante Afrique Française
", " Escales et Paysages ", " Le Secret du Sud ",
enfin les " Contes du Croissant de Lune " que le Gouverneur
Général a retenu, avec " L'Aigle de Brousse "
de M. A.-L. Breugnot, pour le Grand Prix Littéraire de l'Algérie.
Mais c'est aux quatre volumes du Général Weiss, consacrés
au ciel africain, au Sahara, à la terre pleine de souvenirs qu'il
a survolée, autant qu'aux légendes berbères et islamiques
récemment publiées, que va le témoignage d'estime
officiel.
LES CONTES DU CROISSANT DE LUNE.
Le livre couronné : " Les Contes
du Croissant de Lune ", chante les différents aspects du folklore
de l'Afrique. Succession de visions précises, d'images nettes comme
des tableaux, il révèle des qualités de peintre sensible
aux couleurs et à la pureté des formes.
Comment dépeindre plus sereinement le cadre où se niche
la mosquée Abd-Er-Rahman :
" Il n'y a pas à Alger de coin plus oriental et de jardin
plus fervent que cet ensemble un peu confus de koubbas, de terrasses,
de feuillages et de tombeaux placés sous la protection de l'un
des saints les plus vénérés de l'Islam, Sidi-Abd-Er-Rahman
EthTha Albi. Le mystère, le silence, l'ombre, toutes les inclinaisons
de l'âme vers la prière et l'espoir sont enfermés
là, au milieu des murs blancs, loin du monde. Reposoir de consolation
et construction de rêve qui nous mettent hors du temps, dans un
âge où l'affreux décret de la mort violente régit
les hommes. "
Le souci de tout découvrir, comprendre et expliquer donne cependant
à cet ouvrage essentiellement poétique, une base sérieuse
de recherche historique et scientifique, qu'enveloppe une auréole
de légendes.
C'est ainsi que certaines étapes de la conquête arabe sont
précisées :
" Le premier conquérant arabe en Afrique du Nord fut Ibn Sad,
frère de lait du Calife Othman. Il franchit le limes byzantin en
647. Le prophète était mort depuis quinze années.
L'avenir d'un peuple et d'une civilisation allait se décider dans
peu d'heures. L'Orient musulman montait à l'assaut de l'Occident
berbère et commençait sa prodigieuse expansion qui s'étendra
de l'Himalaya à Poitiers.
" Ibn Sad rencontra d'abord peu de résistance. Le patrice
Grégoire battit en retraite devant la cavalerie arabe et, renforcé
de contingents berbères, se retrancha dans la place forte de Suffetula,
que nous appelons aujourd'hui Sbeïtla. L'héroïsme d'une
division mécanique américaine l'a une fois de plus immortalisée
-pendant la campagne de 1943, car il y a des lieux qui défient
le temps et l'oubli : un flot éternel les ramène sur la
scène de l'histoire. "
- Que le style de la mosquée Abd-Er-Rahman est étudié
:
" Ce sanctuaire est une petite mosquée funéraire reconstruite
en 1696 par le dey El Hadj Ahmed El-Eup, sur la koubba qui contenait le
sarcophage du célèbre marabout. C'est l'époque où
fleurissent les grandes coupoles : l'influence de l'Asie Mineure se fait
sentir. En 1660, l'art de Constantinople avait inspiré la mosquée
de la Pêcherie et sa coupole ovoïde, soutenue par quatre berceaux.
" Le seigneur de l'orientalisme et des études de l'art musulman,
M. Georges Marçais, estime que la mosquée de Sidi Abd-Er-Rahman
comme celle de Lalla Rouya, à Tlemcen, se rattache plutôt
à la tradition maghrebine avec ses coupolettes de plan octogonal
et ses koubbas moyenâgeuses, devenues salles de prière par
l'adjonction d'un mih'râb qui est, on le sait, le saint portique,
orienté dans la direction de la Mecque. "
- Que le problème géologique de l'eau est abordé
:
" On donne, au Sahara, le nom de " guelta " à des
plaques d'eau permanentes, à de petits lacs au milieu des rochers.
On les rencontre dans les massifs montagneux du Hoggar et du Tassili.
Les gueltas sont alimentées par des sources profondes.
" D'où vient cette eau ? Par des courtes pluies qui traversent
à des mois, parfois à des années d'intervalle, le
ciel sec du désert. Survivance du vieux réseau fluvial de
l'époque quaternaire ?
" Ils faisaient jaillir dans la vallée (El Goléa) les
premiers puits artésiens qui restituent au désert, par un
trajet souterrain de 600 kms, les neiges du Djebel Amour. "
Mais quelles que soient l'origine des légendes rapportées,
les études historiques et scientifiques consultées, le Général
Pierre Weïss les fait siennes en les intégrant totalement
dans le reste de son oeuvre.
" Les Contes du Croissant de Lune ", comme " Les Charmeurs
de Nuages " et " La Bataille de l'Atlantique ", sont dominés
par la passion de l'air, le culte de l'espace et la constance dans l'exaltation,
" l'exaltation qu'on appelle aussi la grâce " (Préface
de la Comtesse de Noailles).
Chaque pays est abordé avec une imagination tendue vers les mystères
du passé et la conviction que l'histoire est un des éléments
de l'Esprit humain :
" Survoler l'Egypte... Entrer en communication avec le mystère
d'un pays d'éternité, pénétrer les mensonges
de l'intelligence moderne, du temps niveleur pendant que s'allume le jour
bleu, fluide... Par le hublot affluent les images, les sensations. Le
Nil, largement débordé, versant la vie, la jeunesse, au
ruban de ses rives : avenue fourmillante qui coupe en deux le désert
de roches et de sables. C'est tout le long de cette nature resserrée
que dure et brille l'éclatant fantôme... Sans trop savoir
pourquoi, je m'enchantais d'être une sorte
d'esprit ailé voltigeant, réveillant au son du moteur, de
vieux confrères : Memnon, Ramsès, Osiris...
" Regret à enfermer en soi-même ; nulle obscurité
sur ce point : les fondateurs de ces socles en racines possédaient
une force statique plus puissante que la nôtre et des secrets d'inspiration
divine aujourd'hui perdus. "
Attiré vers toutes les splendeurs coutumières de l'Espace
dispensées au voyageur aérien : arcs-en- ciel, nimbes irisés,
rayon vert, le Général Pierre Weïss découvre,
avec émotion, le Sahara et ses mirages :
" Le pays des visions lumineuses et des fééries atmosphériques
: c'est le désert. Il est, sous ses formes changeantes, l'image
de cet énigme métaphysique qui attire sans cesse la pensée.
" Au Sahara, l'illusion dure pendant des heures. Ce dernier hiver,
au début de février, notre voiture a roulé toute
la journée sur le Tanezrouft de la balise 250 à Bidon, entre
deux étendues marines. La morne carapace de ciment, la poudre dans
laquelle les pneus ne peuvent plus mordre avaient disparu : de chaque
côté de la piste s'étendait une aquarelle bleutée
où traînaient des feuillages. "
Les quatre ouvrages africains du Général Weïss témoignent
d'une sympathie évidente pour le visage serein et profond de l'Islam.
Ses personnages des " Contes du Croissant de Lune " choisis
parmi les grandes figures des légendes arabes, sont imprégnés
des préceptes coraniques et attirés invinciblement vers
l'irréel et le divin.
Le magicien Ben Barour, consultant les esprits souterrains dans ces grottes
prophétiques où l'humanité s'est longtemps recueillie
et qu'il appelait " les demeures de la sagesse ", Si Kacem,
imam de la mosquée des Sept-Dormants, quittant un soir N'Gaous,
" plein de sa propre pensée, comme une ombre silencieuse pour
une destination inconnue ", Sidi Bou Hania " qui avait une âme
généreûse et suave comme un rayon de miel mais, par
moment, parlait un langage de chef ", ne sont-ils pas le type idéal
de l'homme tel qu'il se dégage de la doctrine islamique ?
La philosophie et les moeurs des habitants du Sud sont évoquées
en termes qui révèlent une connaissance approfondie de la
région. La vie âpre du désert éveille tous
les instincts de défense de l'homme contre une nature hostile.
L'eau, " l'eau fraîche et douce " est au désert
le bien le plus précieux car, là-bas, " la soif est
plus amère que la mort " et, pour trouver un puits, Ali, "
le Targui à l'affût ", mobilise toutes ses connaissances
" des rythmes célestes ", car il vit " contre la
nature et son entendement a été ensemencé dès
le premierâge des vérités essentielles. "
Lutte pour l'eau, lutte contre l'immensité des sables et joie de
Ben Barour contemplant son oeuvre, " la piste qui s'achevait sableuse
et douce ". Vision étonnante, " la chamelle gazala rapide
comme une barque volant sur l'eau " ne traduit-elle pas en ces termes
l'attachement de l'indigène pour l'animal qui lui est familier
?
Le Général Weïss tonnait et aime l'Afrique et l'Algérie
ne peut que lui être reconnaissante d'avoir réalisé
" Les Contes du Croissant de Lune " dont la puissance d'évocation
est comparable à celle de " L'Espace " à propos
duquel la comtesse de Noailles écrivait :
" Si le Commandant Weiss n'avait pas son don extrême de
poésie, qui le porte à recueillir avec la véracité
la plus émue toutes les images, toutes les sensations que lui fournit
sa carrière glorieuse (ainsi l'oiseau rafle-t-il sur son passage
les climats, les arômes, les contrées), il lui suffirait
de faire le récit d'une de ses aventures célestes pour que
de saisissantes visions viennent éveiller celles qui reposaient
dans notre souvenir. "
(Préface de " L'Espace ").
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