Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle

" Les contes du Croissant de Lune "
du Général Pierre Weiss
Prix Littéraire de l'Algérie pour 1945

mise sur site le 10-6-2011
* Document n° 4 de la série : Culturelle - Paru le 15 avril 1946 - Rubrique PRIX LITTERAIRE

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" Les contes du Croissant de Lune "
du Général Pierre Weiss
Prix Littéraire de l'Algérie pour 1945

" Il n'est pas de religion qui n'ait placé les ailes au sommet de son rêve et de son aspiration. L'aile est divine. Elle isole, elle relie, elle trace le chemin toujours désiré de l'amplitude ou du rapprochement. C'est par la hantise des cieux que la poésie s'est sans cesse affirmée. "

Préface de la Comtesse de Noailles, de " L'Espace "
du Général (alors Commandant) Pierre Weïss

On ne pouvait décerner au Général Weiss, d'une manière plus prestigieuse, la qualité de poète.

La carrière d'aviateur du Général Pierre Weiss n'est pas à rappeler ici : elle est inscrite dans les annales de gloire de notre aéronautique à laquelle le Général a consacré sa vie entière. Sept citations et la cravate de commandeur ont consacré ses titres militaires.

L'OEUVRE LITTERAIRE

Le Grand Prix Littéraire de l'Algérie qui vient de lui être décerné est venu consacrer un autre aspect de son activité : une oeuvre tout entière dédiée au culte de l'Espagne, des paysages, du ciel changeant, en particulier du ciel africain que l'aviateur a sillonné pendant des centaines d'heures de vol.
Tous les livres du Général Pierre Weiss chantent cette course instinctive et libre à travers l'espace qui a passionné des générations de pilotes et continue d'être une attraction irrésistible pour les jeunes et les audacieux.

Après la grande guerre, le Général, alors capitaine, publie " Les charmeurs de nuages " ; puis " L'Espace ", livre pour lequel la Comtesse de Noailles écrit une étonnante préface. Viennent ensuite : " Le Poitrail bleu du Sagittaire ", " Cidna ou l'Express d'Istanboul ", " La Bataille de l'Atlantique ", hymne aux héros qui les premiers se sont lancés sur l'océan, reliant Paris et New-York par des trajectoires devenues, aujourd'hui, coutumières.
Entre temps, l'aviateur a été affecté aux formations d'Afrique et publie successivement : " L'Hallucinante Afrique Française ", " Escales et Paysages ", " Le Secret du Sud ", enfin les " Contes du Croissant de Lune " que le Gouverneur Général a retenu, avec " L'Aigle de Brousse " de M. A.-L. Breugnot, pour le Grand Prix Littéraire de l'Algérie.

Mais c'est aux quatre volumes du Général Weiss, consacrés au ciel africain, au Sahara, à la terre pleine de souvenirs qu'il a survolée, autant qu'aux légendes berbères et islamiques récemment publiées, que va le témoignage d'estime officiel.

LES CONTES DU CROISSANT DE LUNE.

Le livre couronné : " Les Contes du Croissant de Lune ", chante les différents aspects du folklore de l'Afrique. Succession de visions précises, d'images nettes comme des tableaux, il révèle des qualités de peintre sensible aux couleurs et à la pureté des formes.

Comment dépeindre plus sereinement le cadre où se niche la mosquée Abd-Er-Rahman :

" Il n'y a pas à Alger de coin plus oriental et de jardin plus fervent que cet ensemble un peu confus de koubbas, de terrasses, de feuillages et de tombeaux placés sous la protection de l'un des saints les plus vénérés de l'Islam, Sidi-Abd-Er-Rahman EthTha Albi. Le mystère, le silence, l'ombre, toutes les inclinaisons de l'âme vers la prière et l'espoir sont enfermés là, au milieu des murs blancs, loin du monde. Reposoir de consolation et construction de rêve qui nous mettent hors du temps, dans un âge où l'affreux décret de la mort violente régit les hommes. "

Le souci de tout découvrir, comprendre et expliquer donne cependant à cet ouvrage essentiellement poétique, une base sérieuse de recherche historique et scientifique, qu'enveloppe une auréole de légendes.

C'est ainsi que certaines étapes de la conquête arabe sont précisées :

" Le premier conquérant arabe en Afrique du Nord fut Ibn Sad, frère de lait du Calife Othman. Il franchit le limes byzantin en 647. Le prophète était mort depuis quinze années. L'avenir d'un peuple et d'une civilisation allait se décider dans peu d'heures. L'Orient musulman montait à l'assaut de l'Occident berbère et commençait sa prodigieuse expansion qui s'étendra de l'Himalaya à Poitiers.

" Ibn Sad rencontra d'abord peu de résistance. Le patrice Grégoire battit en retraite devant la cavalerie arabe et, renforcé de contingents berbères, se retrancha dans la place forte de Suffetula, que nous appelons aujourd'hui Sbeïtla. L'héroïsme d'une division mécanique américaine l'a une fois de plus immortalisée -pendant la campagne de 1943, car il y a des lieux qui défient le temps et l'oubli : un flot éternel les ramène sur la scène de l'histoire. "

- Que le style de la mosquée Abd-Er-Rahman est étudié :

" Ce sanctuaire est une petite mosquée funéraire reconstruite en 1696 par le dey El Hadj Ahmed El-Eup, sur la koubba qui contenait le sarcophage du célèbre marabout. C'est l'époque où fleurissent les grandes coupoles : l'influence de l'Asie Mineure se fait sentir. En 1660, l'art de Constantinople avait inspiré la mosquée de la Pêcherie et sa coupole ovoïde, soutenue par quatre berceaux.

" Le seigneur de l'orientalisme et des études de l'art musulman, M. Georges Marçais, estime que la mosquée de Sidi Abd-Er-Rahman comme celle de Lalla Rouya, à Tlemcen, se rattache plutôt à la tradition maghrebine avec ses coupolettes de plan octogonal et ses koubbas moyenâgeuses, devenues salles de prière par l'adjonction d'un mih'râb qui est, on le sait, le saint portique, orienté dans la direction de la Mecque. "

- Que le problème géologique de l'eau est abordé :

" On donne, au Sahara, le nom de " guelta " à des plaques d'eau permanentes, à de petits lacs au milieu des rochers. On les rencontre dans les massifs montagneux du Hoggar et du Tassili. Les gueltas sont alimentées par des sources profondes.

" D'où vient cette eau ? Par des courtes pluies qui traversent à des mois, parfois à des années d'intervalle, le ciel sec du désert. Survivance du vieux réseau fluvial de l'époque quaternaire ?

" Ils faisaient jaillir dans la vallée (El Goléa) les premiers puits artésiens qui restituent au désert, par un trajet souterrain de 600 kms, les neiges du Djebel Amour. "

Mais quelles que soient l'origine des légendes rapportées, les études historiques et scientifiques consultées, le Général Pierre Weïss les fait siennes en les intégrant totalement dans le reste de son oeuvre.

" Les Contes du Croissant de Lune ", comme " Les Charmeurs de Nuages " et " La Bataille de l'Atlantique ", sont dominés par la passion de l'air, le culte de l'espace et la constance dans l'exaltation, " l'exaltation qu'on appelle aussi la grâce " (Préface de la Comtesse de Noailles).

Chaque pays est abordé avec une imagination tendue vers les mystères du passé et la conviction que l'histoire est un des éléments de l'Esprit humain :
" Survoler l'Egypte... Entrer en communication avec le mystère d'un pays d'éternité, pénétrer les mensonges de l'intelligence moderne, du temps niveleur pendant que s'allume le jour bleu, fluide... Par le hublot affluent les images, les sensations. Le Nil, largement débordé, versant la vie, la jeunesse, au ruban de ses rives : avenue fourmillante qui coupe en deux le désert de roches et de sables. C'est tout le long de cette nature resserrée que dure et brille l'éclatant fantôme... Sans trop savoir pourquoi, je
m'enchantais d'être une sorte d'esprit ailé voltigeant, réveillant au son du moteur, de vieux confrères : Memnon, Ramsès, Osiris...

" Regret à enfermer en soi-même ; nulle obscurité sur ce point : les fondateurs de ces socles en racines possédaient une force statique plus puissante que la nôtre et des secrets d'inspiration divine aujourd'hui perdus. "

Attiré vers toutes les splendeurs coutumières de l'Espace dispensées au voyageur aérien : arcs-en- ciel, nimbes irisés, rayon vert, le Général Pierre Weïss découvre, avec émotion, le Sahara et ses mirages :

" Le pays des visions lumineuses et des fééries atmosphériques : c'est le désert. Il est, sous ses formes changeantes, l'image de cet énigme métaphysique qui attire sans cesse la pensée.

" Au Sahara, l'illusion dure pendant des heures. Ce dernier hiver, au début de février, notre voiture a roulé toute la journée sur le Tanezrouft de la balise 250 à Bidon, entre deux étendues marines. La morne carapace de ciment, la poudre dans laquelle les pneus ne peuvent plus mordre avaient disparu : de chaque côté de la piste s'étendait une aquarelle bleutée où traînaient des feuillages. "

Les quatre ouvrages africains du Général Weïss témoignent d'une sympathie évidente pour le visage serein et profond de l'Islam.
Ses personnages des " Contes du Croissant de Lune " choisis parmi les grandes figures des légendes arabes, sont imprégnés des préceptes coraniques et attirés invinciblement vers l'irréel et le divin.

Le magicien Ben Barour, consultant les esprits souterrains dans ces grottes prophétiques où l'humanité s'est longtemps recueillie et qu'il appelait " les demeures de la sagesse ", Si Kacem, imam de la mosquée des Sept-Dormants, quittant un soir N'Gaous, " plein de sa propre pensée, comme une ombre silencieuse pour une destination inconnue ", Sidi Bou Hania " qui avait une âme généreûse et suave comme un rayon de miel mais, par moment, parlait un langage de chef ", ne sont-ils pas le type idéal de l'homme tel qu'il se dégage de la doctrine islamique ?

La philosophie et les moeurs des habitants du Sud sont évoquées en termes qui révèlent une connaissance approfondie de la région. La vie âpre du désert éveille tous les instincts de défense de l'homme contre une nature hostile. L'eau, " l'eau fraîche et douce " est au désert le bien le plus précieux car, là-bas, " la soif est plus amère que la mort " et, pour trouver un puits, Ali, " le Targui à l'affût ", mobilise toutes ses connaissances " des rythmes célestes ", car il vit " contre la nature et son entendement a été ensemencé dès le premierâge des vérités essentielles. "

Lutte pour l'eau, lutte contre l'immensité des sables et joie de Ben Barour contemplant son oeuvre, " la piste qui s'achevait sableuse et douce ". Vision étonnante, " la chamelle gazala rapide comme une barque volant sur l'eau " ne traduit-elle pas en ces termes l'attachement de l'indigène pour l'animal qui lui est familier ?

Le Général Weïss tonnait et aime l'Afrique et l'Algérie ne peut que lui être reconnaissante d'avoir réalisé " Les Contes du Croissant de Lune " dont la puissance d'évocation est comparable à celle de " L'Espace " à propos duquel la comtesse de Noailles écrivait :

" Si le Commandant Weiss n'avait pas son don extrême de poésie, qui le porte à recueillir avec la véracité la plus émue toutes les images, toutes les sensations que lui fournit sa carrière glorieuse (ainsi l'oiseau rafle-t-il sur son passage les climats, les arômes, les contrées), il lui suffirait de faire le récit d'une de ses aventures célestes pour que de saisissantes visions viennent éveiller celles qui reposaient dans notre souvenir. "

(Préface de " L'Espace ").