" L'Aigle de Brousse
"
de M. A.-L. BREUGNOT
Grand Prix Littéraire de l'Algérie pour 1945
Le Grand Prix littéraire de l'Algaie
pour 1945 a été attribué sur proposition du Jury
et par décision de M. Yves CHATAIGNEAU, Gcuverneur Général,
à M. A. L. BREUGNOT pour son ouvrage " L'Aigle de brousse
" et au Général Pierre WEISS pour ses " Contes
du Croissant de lune "
LE GRAND PRIX LITTERAIRE DE L'ALGERIE
Institué sur la proposition le Grand Prix Littéraire, dont
rement décerné tous les ans, à suffisant. des Délégations
Financières par arrêté du Gouverneur Général
en 1921, les modalités d'attribution ont été modifiées
par la suite, a été régulièun écrivain
né dans la Colonie ou y ayant séjournée durant un
temps
Ce prix d'un montant de 10.000 fr. est attribué par décision
du Gouverneur Générai, sur la proposition d'un Jury constitué
de personnalités littéraires et de fonctionnaires compétents
( Le montant du grand Prix Littéraire
de l'Algérie a été porté à 20.000 fr.
par arrêté du Gouverneur Général en date du
20 décembre 1946.).
La liberté la plus entière est laissée aux candidats
quant au caractère des oeuvres présentées, le prix
pouvant être décerné soit à une uvre
littéraire ou d'imagination (romans, nouvelles, poésies)
soit à un ouvrage scientifique (histoire, géographie, archéologie,
sociologie).
LA VIE D'ALEXANDRE BREUGNOT
Algérien à la deuxième génération représentant
type de la synthèse originale qu'est le peuplement latin de l'Algérie
actuelle, Alexandre BREUGNOT est né le 26 janvier 1902 à
Constartine, dont il fréquente normalement le lycée. Apre.3
avoir terminé ses études secondaires, attiré irrésistiblement
par le théâtre et le cinéma, il part à Paris.
Elève de Charles DULLIN, pendant deux saisons il participe au "
Théâtre de l'Atelier ", au montage de pièces
d'avant-garde, de Cocteau et d'Achard particulièrement aptes à
séduire un esprit jeune et enthousiaste. Après deux années
passées au Théâtre des Arts où il finit de
s'initier à la technique théâtrale, lassé par
le classicisme et les formules surannées de la scène, il
tourne résolument ses activités vers le cinéma. C'est
l'époque où le cinéma muet dégagé de
ses erreurs atteint enfin une mise au point certaine. S'attaquant résolument
à la base du métier, Alexandre BREUGNOT débute dans
la figuration, avec tout ce qu'elle comporte d'attentes, de désirs
impatients d'atmosphère superficielle et souvent d'aspects ridicules.
C'est une époque de sa vie dont il parle avec effarement mais aussi
avec une certaine émotion. C'est l'enthousiasme du jeune vis-à-vis
du nouveau, du progrès, du moderne Séduit cependant beaucoup
plus par la technique que par l'écran lui-même, Alexandre
BREUGNOT trouve des appuis dans le milieu cinématographique et
devient assez rapidement l'assistant d'Alberto Calcalcandi, ce maître
du cinéma muet. 11 participe à la mise en scène de
la " Jalousie du Barbouillé ". du " Capitaine Fracasse
" dont les acteurs sont déjà Charles Boyer, Marguerite
Moréno.
Le bouleversement complet de la technique cinématographique amené
par la sonorisation, ainsi que le désir de se renouveler le ramènent
en Algérie où il débute dans le journalisme en 1933.
"Viétier ingrat pour les débutants qui se voient confier
les rubriques diverses, les incidents sans importance.. Chargé
assez rapidement par l' " Echo d'Alger " de l'interview des
personnalités de passage, Maurois, Duhamel entre autres, avec qui
il conservera par la suite des relations d'amitié, sa carrière
de journaliste s'affirme dès ce moment.
La situation actuelle de M. BREUGNOT, qui est secrétaire général
de l'" Echo d'Alger " et rédacteur en chef d'" Algérie
Magazine " nous montre qu'il a pleinement réussi.
L'OEUVRE LITTERAIRE
C'est en 1939 qu'Alexandre BREUGNOT publie son premier roman " Keboul
" dont l'action n'est qu'un prétexte à la description
hardie et poétique à la fois de sa ville natale et à
l'évcation de la tragédie Arabo-Israélite de 1934.
La situation pittoresque de Constantine bâtie sur un piton abrupt,
comme une citadelle, les gorges profondes qui entourent la ville "
décor pour l'Enfer de Dante ou pour quelque prodigieuse musique
de Wagner, enchantement de granit bleu et ocre, couloir sinueux que le
ciel couvre d'un toit d'azur où tourbillonnent des vols de pigeons
blancs et de corbeaux avides ".
- L'effort de l'homme pour parer
aux difficultés créées par la nature :
o Un ingénieur, contemporain dm'ir fel et amoureux comme lui des
charpentes métalliques avait
construit, au début du siècle, un réseau d'escaliers
et de passerelles qui descendent au fond du gouffre et courent le long
des parois à pic, comme un chemin tissé par quelque araignée
géante " esquissés au début de l'ouvrage situent
très justement la ville, cette ville pleine de contrastes.
Ville européenne " grouillante et banale fabriquée
au petit bonheur suivant le goût et le besoin du moment ".
Ghetto " qui est un monde avec ses odeurs, ses coutumes, son rythme,
ses bruits, sa propre musique de langage originale et colorée et
ses femmes semblables à des princesses espagnoles peintes par Velasquez,
qui s'avancent dans le .frouirou de leurs robes de soie, larges comme
des cloches, rutilantes comme des chasubles et d'où sortent gainés
de tulle des bras nus, larges et fermes. "
Ville arabe, sereine et calme aux " rues bleues comme des turquoises
" et dont la place " entourée de maisons basses, roses
et bleues avec son petit café maure qu'une vigne en treille égaye
d'un feuillage vert émeraude " est faite pour enchanter le
touriste ou le poète.
C'est l'âme profonde de Constantine : " Calme des vieux quartiers
arabes, activité fébrile de la ville neuve, nocturne de
Chopin, rhapsodie de Liszt. "
Les " Images d'Alger ", illustrées pal Paul Vigil
et publiées en 1942, ne sauraient recevoir de critique plus judicieuse
que celle formulée par Max-Pol Fouchet dans son élégante
préface :
" D'un grand intérêt pour les étrangers, les
images d'Alger, ne seront pas moins utiles aux Algérois eux-mêmes,
à ceux qui habitent Alger et sont devenus de ce fait aveugles,
ou presqié, à ses jeux, à ses ombres, à ses
visages, à ses pierres, à ses coutumes et à ses exceptions.
Oui, ce livre par ses textes et ses dessins, va révéler
aux Algérois leur cité, il va dessiller des regards trop
avertis, donner des yeux neufs, provoquer je l'espère, un tourisme
citadin, susciter des vocations de promeneurs, proposer des itinéraires.
Il a toutes les quo;ités requises pour Cela : poésie discrète
et nuancée, sens du type humain et des moeurs, connaissance de
l'anecdote comme de l'histoire. Mais je serais incomplet dans ma présentation
si je ne signalais pas qu'il témoigne aussi d'un Alger disparu.
" Le visage des villes est plus changeant que celui des mortels ",
disait Baudelaire, et ce n'est certes pas le moindre intérêt
de cet ouvrage que de faire revivre ce qui a disparu. Grâces en
soient rendues à M. A. L. Breugnot et à Vigil ! Ils vous
proposent, Algérois, un beau Livre d'heures de votre ville. On
ne saurait trop les en remercier ".
" La Foire d'Embrouille " publié par la suite,
nous éloigne de l'Algérie et permet à A. L. Breugnot
d'affirmer ses qualités de peintre en nous charmant par les paysages
d'Auvergne, région qu'il tonnait bien.
En 1945, " L'aigle de Brousse " que le Gouverneur Général
a retenu pour le Grand Prix Littéo raire de l'Algérie, stigmatise
l'aspect de guerre de la vie coloniale, cette vie que le métropolitain
idéaliste voit trop souvent à travers des images d'exotisme
facile, et retrace l'épopée d'une jeune, d'un jeune qui
n'avait pas dit " oui ".
" L'AIGLE DE LA BROUSSE "
La guerre qui a bouleversé le monde, a largement débordé
sur la littérature actuelle et on peut dire que " l'Aigle
de Brousse " est l'oeuvre de guerre de M. BREUGNOT. Colonial, il
a retracé en la transposant dans un pays plus lointain, l'atmosphère
particulière créée par la guerre dans les colonies.
1939 - Mobilisation, espoir de se battre, enthousiasme bientôt éteint
par l'inertie de la vie des camps et les nouvelles lointaines :
" De si loin la guerre ne semblait plus être la guerre. Une
incoercible lassitude, un désintéressement égoïste
avaient succédé à l'exaltation des premières
heures. La vie avait repris son cours normal. La colonie parlait plus
d'affaires que de combats. Pourquoi eut-on parlé de combats ? La
radio était vide de nouvelles. Les communiqués désespérément
brefs ".
Mai 1940 - Fièvre
de nouvelles - Espoir.
" Excessifs dans la passion comme dans leur indifférence,
les coloniaux vécurent alors penchés sur les postes de radio
,oubliant d'un seul coup affaires et plaisirs. La confiance était
générale. La France ne pouvait être battue ".
Juin 1940 - L'Armistice écrasant,
l'appel de la Résistance.
" Ces hommes qui chaque jour tentaient l'Aventure, qui luttaient
avec une farouche volonté, contre les fléaux de la nature,
contre la maladie, contre les inventions perfides des Administrations
- celle de leur pays et celles des autres pays - contre les barrières
douanières, contre la passivité des noirs ces hommes qui
avaient conservé, quel que fut leur âge, des réactions
de jeunes, ne comprirent pas, ce geste de vieillard. "
" Et c'est à ce moment que la voix de la résistance
s'était étendue dans l'éther, d'un bout de l'autre
du monde, tout autour du monde comme une ceinture d'espérance.
Ainsi ils surent que la France n'était pas morte, pas agoniste
parce qu'un homme avait dit : " Je maintiendrai ".
C'est alors l'époque trouble où il faut savoir choisir ;
les coloniaux se préparent :
" La prudence avait le pas sur la confiance, la sécurité
sur l'amitié. On travaillait en silence. Un jour, on apprenait
qu'un ami était passé. On ne se fachait pas. On disait :
le veinard ! avec l'espoir de l'imiter ".
L'aventure d'un jeune Français, la traversée de l'Afrique,
de la Côte d'Ivoire jusqu'à l'Egypte - Bir-Hakeim, la marche
victorieuse de Lybie tout cela se détachant sur une toile de fond
: l'ombre de la résistance, et dominé par le personnage
de guerre du Générale de Gaulle, tel est le sujet de l'
" Aigle de Brousse ".
- En tableautins vivants,
en images précises, les paysages africains sont évoqués.
" La savane était reverdie par les pluies. Dans une échancrure
de verdure ils avaient aperçu un peu avant le crépuscule,
au bord du miroir d'eau du Chari, Fort-Foureau entouré de sa vieille
enceinte de terre séchée. En face, sur l'autre rive se dressait
Fort-Lamy avec ses maisons de brique rouge ".
- L'atmosphère cosmopolite
et fraternelle des cantines recréé :
" Dedans c'était une babel dans une tabagie bleue à
goût de " navy-cut ". Il y avait là de tout : des
Hindous bronzés, des Anglais plus roses, rafraîchis par la
pluie comme les fleurs d'été après un orage,. des
Grecs, aux minces visages coupés de moustaches noires, des Australiens
athlétiques, ces Canadiens délurés jargonnant un
patois des vieilles campagnes de France, des Sénégalais,
timides et gauches avec des dents de belles filles en pleine face d'ébène,
et des Français menant grand tapage, bousculant tout, vifs, furetant,
riant, mangeant des sandwichs voracement et faisant des pirouettes eu
des blagues clownesques et rabelaisiennes ".
Bâti de toutes pièces sur les notes sommaires de H.-M. Lasimone,
des F.F.L. du Western Désert,
" L'Aigle de Brousse " retrace une vie que A.-L. BREUGNOT n'a
pas vécue, peint des paysages qu'il n'a pas vus, décrit
des batailles auxquelles il n'a pas assisté et des engins dont
il ne s'est jamais servi. L'exactitude, la précision et la clarté
de l'ensemble témoigne d'une documentation poussée et d'une
imagination exercée et aidée par la connaissance de la technique
cinématographique où la reconstruction de chaque scène
doit être étudiée dans les moindres détails.
,
L'avis de ceux qui ont vécu, tout au moins en partie, l'épopée
de " l'Aigle de Brousse " est unanime : A. L. BREUGNOT a essayé
de récréer une atmosphère, il y a parfaitement réussi.
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