Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle

Les Musées d'art musulman en Algérie
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mise sur site le 20-5-2011
* Document n° 11 de la série : Culturelle - Paru le 25 novembre 1946 - Rubrique ART MUSULMAN

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Les Musées d'art musulman en Algérie

L'un après l'autre, les Musées d'Algérie, ayant pansé leurs blessures de guerre (certains ne furent pas épargnés), commencent à rouvrir leurs portes. Les amateurs d'art, les étudiants, en ont rappris le chemin. On souhaite que des touristes nombreux l'apprennent à leur tour. Nos collections publiques retrouveront leur rôle de premier plan dans la vie intellectuelle et leur incomparable valeur éducative.

DEFENSE DES MUSEES.

Il semble superflu de démontrer l'utilité des musées, de rappeler que, quelque dépaysées, impersonnelles, désincarnée.. que puissent paraître des œuvres d'art rangées et étiquetées dans une vitrine ou alignées le long des murs, leur réunion, leur classement confèrent à ces vieilles choses extraites du sol ou sorties des boutiques d'antiquaires un intérêt historique dont on ne les croyait pas susceptibles. Sans doute le musée ne supplée ni à la visite du pays, ni à la lecture des bons ouvrages, mais comme il les complète et les éclaire ! Quel coup de sonde dans notre passé qu'eue heure perdue au Musée de Saint-Germain, à Cluny ou à Carnavalet ! Il est permis d'affirmer que, pour l'initiation au passé des pays musulmans surtout, les collections d'art offrent les moyens les plus indispensables et les plus séduisants. On ne croit pas manquer au respect en déclarant que les livres des historiens arabes sont d'une austérité peu attachante ; la succession des événements y apparaît monotone et broussailleuse. Ici plus qu'ailleurs, la vie des peuples est cachée par les gestes des rois, le développement de la civilisation s'évanouit derrière le tumulte des conquêtes et des batailles. Or, cette civilisation est à coup sûr le meilleur titre de noblesse de l'Islam. Si les bibliothèques conservent le legs de ses écrivains et de ses savants, le legs de ses artistes survit dans quelquesmonuments et dans les musées qui en ont recueilli les vestiges.

A vrai dire, cette collecte de documents n'est pas très ancienne. Auprès des arts assyriens, égyptiens, grecs et romains, l'art musulman fit longtemps figure de parent pauvre. De même que la littérature arabe n'était naguère, pour le commun des mortels, représentée que par le Coran et les Mille et une Nuits, l'art de l'Islam semblait n'avoir produit que l'Alhambra. Le dernier né des arts du vieux monde ne paraissait pas, pour l'Occident, un sujet d'étude sérieuse. Est-il besoin d'ajouter que les Musulmans eux-mêmes ne s'en souciaient guère ?

MUSEES D'ART MUSULMAN.


Il faut attendre la seconde moitié du XIXè siècle pour voir se constituer les premières collections musulmanes et les vingt dernières années pour les voir se développer et se multiplier avec une abondance imprévue. Toutes les capitales d'Europe en sont maintenant dotées ; Londres est justement fière de ses séries musulmanes du Victoria and Albert et du British Museum ; Berlin a meublé des salles du Kaiser Friedrich Museum de fragments monumentaux apportés pierre à pierre de Mésopotamie ; Madrid a les trésors hispano-mauresques de son Musée archéologique ; à Leningrad, à la Haye, à Stockholm, à Bruxelles, l'art de l'Islam est largement représenté. Quant à nos musées de Paris, leurs fonds musulmans déjà anciens ont bénéficié d'accroissements et de présentations dignes d'eux, grâce surtout à Gaston Migeon pour le Louvre, et à Raymond Koechlin pour le Musée des Arts décoratifs. Ajoutons que, de leur côté, les Etats-Unis ont apporté à leurs achats les moyens puissants dont ils disposent. Le Métropolitan Museum de New-York compte déjà parmi les plus riches.

Les grandes villes d'Islam ne pouvaient, d'autre part, négliger un art qui était là chez lui. Au Caire, le Khédive Tawfik chargea, en 1871, l'Autrichien Franz Pacha d'organiser le musée d'art arabe dans la vieille mosquée fâtimite d'El-Hakem. L'Allemand Herz Bey poursuivit l'oeuvre entreprise, et les collections furent, en 1902, transférées dans un palais neuf, dont la bibliothèque occupait l'étage supérieur. Depuis 1929, l'arabisant français Gaston Wiet en a pris la direction et a fait dresser, par techniques, les catalogues qui forment la matière d'une dizaine de volumes bien illustrés. Des archéologues français ont de même doté la Syrie de musées : celui de Beyrouth et celui de Damas, dont le premier conservateur fut l'Emir Djaffar-el-Hasani. Stamboul compte deux musées d'art musulman : l'un est adjoint au musée d'art antique ; l'autre conserve les donations pieuses de l'Evkaf. Téhéran a son musée d'art national et l'Irak a installé les pièces exhumées des centres abbâssites dans le vieux monument le plus curieux de Bagdad.

LES MUSEES DE LA TUNISIE ET DU MAROC.

L'intervention de la France dans l'Afrique du Nord devait amener la collecte et le classement méthodiques des documents du passé. On sait tout ce que nous apprennent sur la Tunisie, punique,. romaine et chrétienne, les marbres, les bronzes et les mosaïques du Bardo. La section musulmane, installée dans une partie de cette résidence beylicale, fut inaugurée en 1899 ; considérablement agrandie en 1913, elle n'a cessé depuis, grâce à M. Louis Poinssot, de s'accroître de séries nouvelles, qui vont être logiquement distribuées dans des salles plus vastes et mieux aménagées pour les recevoir.

Les musées marocains du Batha, à Fès, et des Oudaïa, à Rabat, furent des créations du Maréchal Lyautey. Pour cette manifestation de son activité si féconde, il trouva les collaborateurs les plus enthousiastes dans Alfred Bel et dans M. Prosper Ricard.

Naturellement, l'un et l'autre s'étaient, comme Lyautey lui-même, préparés à leur tâche marocaine par un apprentissage algérien. Alfred Bel avait même dû s'occuper déjà d'un musée d'art musulman, celui de Tlemcen.

LES MUSEES D'ALGERIE.

L'histoire du musée de Tlemcen a été retracée dans le volume des " Musées et collections archéologiques de l'Algérie et de la Tunisie ", que M. W. Marçais lui a consacré. Il y raconte comment le premier fonds fut constitué, à partir de 1857, par Charles Brosselard, préfet érudit et diligent. En dépit de ses efforts, bien des pièces intéressantes se perdirent. Ce tableau du passé se teinte pour nous de vains. regrets. Entreposés plutôt qu'exposés dans une salle de la mairie de Tlemcen, les précieux vestiges de la cité royale reçurent, en 1901, un cadre digne d'eux dans la petite mosquée de Sidi-Bel-Hassen, chef- d'oeuvre du XIII' siècle. Les stèles funéraires, les tables de habous et cette coudée de marbre qui garantissait l'honnêteté des ventes d'étoffes au marché de la Qaïçariya, trouvèrent place sur les murs de la salle de prière, au-dessous des entrelacs délicats et somptueux ciselés dans le plâtre. Une salle annexe fut aménagée pour recevoir des vitrines et les pièces encombrantes. La céramique, les bois sculptés et quelques fragments de bronze y sont réunis.

L'art musulman règne en maître au Musée de Tlemcen. Il occupe une place plus modeste au Musée Gustave Mercier de Constantine. Cependant, une galerie lui est consacrée et contient des stèles fun& raires et des fragments céramiques d'un grand intérêt. Epitaphes et faïences se retrouvent au Musée de Bougie. Elles attestent que la cité fit, au XII° siècle, figure de capitale, quand les Emirs Hammâdides y eurent transporté leur résidence.

Alger ne peut se prévaloir d'un rôle historique aussi vénérable ; mais elle est devenue une grande ville française, le siège de notre Université nord-africaine. La constitution du Musée était le prolongement naturel de l'exploration scientifique du pays. Le passé, tout le passé, devait y trouver place. Dès, 1838, le savant Berbrugger recueillait les premiers documents d'art antique, qui, à partir de 1862, meublèrent le rez-de-chaussée de l'actuelle Bibliothèque nationale. Dès 1846, Bugeaud prescrivait d'autre part la recherche des objets d'art musulman ; à partir de 1854, ils furent présentés dans une Exposition permanente, dont la ville d'Alger devint l'insouciant dépositaire. Ces deux fonds émigrèrent en 1896 vers les hauteurs de Mustapha, où fut installé le Musée national des Antiquités algériennes et d'Art musulman.

Le groupement, qui permettait de parcourir l'oeuvre de plus de vingt siècles, depuis les balbutiements_ de l'art libyque jusqu'aux derniers jours de l'occupation turque, devait, avec le temps, se révéler assez_ incommode. Les deux sections ne cessaient naturellement de s'accroître. La constitution d'un musée est une création continue. Malgré la multiplication des musées locaux, malgré l'adjonction de nouveaux bâtiments à ce musée central, celui-ci devenait d'anLiée en année trop exigu. Chaque campagne de- fouilles pouvait amener la découverte de statues ou de mosaïques que l'on souhaitait d'y abriter ; et comment, d'autre part, laisser échapper l'occasion d'enrichir la section musulmane d'un beau tapis ou d'un coffre sculpté ? Les directeurs successifs ne pouvaient certes y résister, et, parmi eux, le plus
soucieux de développer la collection musulmane fut sans contredit Stéphane Gsell, l'admirable historien de l'Afrique du Nord antique, qui, à tant de titres, mérita de donner son nom au Musée de Mustapha.

Comment lutter contre l'encombrement des deux sections soudées dans le principe l'une à l'autre ? Comment résoudre l'angoissant problème spacial ? C'est là l'histoire de demain. Nous n'avons pas ici à examiner les solutions projetées, et l'on doit se garder de vendre la peau de l'ours. Qu'il nous suffise d'indiquer l'état de la section musulmane, telle qu'elle se présentait à la veille de la guerre et telle que les travaux en cours achèveront de la rétablir.

L'ART MUSULMAN AU MUSEE STEPHANE GSELL. (voir sur ce site.)

Le Moyen-Age berbère, cette suite de siècles que l'on a peut-être un peu hâtivement qualifiés d' " obscurs ", occupe une première salle où sont présentés des documents archéologiques assez exactement datés et qui évoquent de larges tranches d'histoire. Ce sont d'abord des panneaux de plâtre sculpté provenant de Sedrata, la ville saharienne, où les Khârijites chassés de Tiaret au Xè siècle vinrent chercher refuge. Le décor musulman s'y révèle encore très proche parent du décor chrétien de l'Afrique du Nord et de l'Egypte copte. Avec les sculptures sur marbres ou sur plâtre de la Qala des Beni-Hammâd, de cette capitale bâtie au XIè siècle sur les hauteurs au Sud de Sétif, l'art de l'Islam berbère se révèle directement influencé par l'Orient, par l'Egypte et la Perse. Bien que les chaires des mosquées almoravides d'Alger et de Nédroma soient sensiblement contemporaines des beaux jours de la Qala, c'est une toute autre province de la civilisation musulmane où nous entrons avec l'art almoravide : celui-ci vient directement de l'Espagne, de Cordoue ou de Saragosse. Implanté en Maghreb, cet art " hispano-mauresque " s'affirmera dans ces marqueteries céramiques échappées à la destruction d'une somptueuse médersa tlemcenienne du XIVèsiècle, dans ces bois marocains du XVè-XVIè siècles, et dans cette grande jarre d'un si beau galbe que conservait une sépulture juive voisine d'Alger.

En sortant de la petite salle, d'où les historiens sauront tirer tant de précieux enseignements, nous abordons des temps plus rapprochés du nôtre. L'art mobilier naguère vivant dans les trois pays de l'Afrique du Nord occupe cinq grandes salles : le Maroc en garnit une ; l'Algérie se développe dans les quatre autres, le prolongements de la quatrième constituant une petite section tunisienne.

Des tapis de Rabat et des hanbels, tapis et tentures de Salé, garnissent les murs de la salle marocaine. Les vitrines renferment une collection complète de broderies des différentes villes, œuvres féminines d'un goût exquis et d'une étonnante variété. Des vêtements, des faïences, des armes et des bijoux proviennent, soit des centres urbains, soit des campagnes du pays. L'art rural est également représenté par des tissus à décor géométrique d'un caractère sévère et d'une sobre couleur fabriqués dans le haut et le moyen Atlas.

Il convient aussi, pour l'Algérie, de distinguer entre l'art rural, dit " art berbère ", et l'art citadin. Le premier, étonnamment archaïque et où le décor ne fait guère intervenir que la géométrie, remplit une salle, avec les tapis à haute laine du Djebel Amour, les tissus de la Grande et de la Petite Kabylie, les poteries modelées et peintes par les femmes, les bijoux d'argent de la Kabylie et de l'Aurès, les grands coffres et les bois sculptés. L'art citadin, quia subi, surtout durant l'occupation turque, de fortes influences orientales et européennes, est réparti dans les trois autres salles. L'une d'elle a reçu le nom de salle Luce Ben Aben, en souvenir d'une femme de goût qui fit beaucoup pour la conservation des vieilles echniques. La collection qu'elle avait rassemblée de broderies de soie sur étamine - grands rideaux à trois bandes, serviettes et bonnets pour le bain est entrée au Musée, dont elle constitue une des plus authentiques parures. Des tapis du Constantinois et du Guergour (Petite Kabylie), très influencés par les modèles d'Asie Mineure, vêtent les murs. Les vitrines contiennent, outres les broderies, des armes enrichis d'argent et de corail, des selles et harnachements brodés d'or, des bijoux et des pièces d'argenterie. Des cuivres repoussés et ciselés, pots pour le bain, plateaux, aiguières et plats couverts pour le couscous, garnissent le bas des vitrines et les étagères.

La section tunisienne contient des faïences de Tunis, d'inspiration orientale ou italienne, des cuivres et des étoffes fabriqués à Kairouan et à Tunis, des tapis également kairouanais jadis justement fameux et dont on ne peut trop souhaiter que la vieille ville retrouve le goût oublié.

Pour une telle oeuvre de restauration des belles techniques d'art ancien, qui n'exclut d'ailleurs pas l'évolution du style, un musée comme celui-ci peut exercer une influence sanitaire. Si les historiens de l'art y trouvent les éléments d'une documentation indispensable, les artisans nord-africains y peuvent étudier des modèles où s'affirment leurs meilleures traditions.

G. MARÇAIS,
Membre de l'Institut