---------Passé
depuis la guerre en premier plan de l'actualité. le problème
des Nord-Africains en France n'en est pas moins fort mal connu du grand
public qui n'en est trop souvent informé que par des faits isolés
et exceptionnels résultant d'une forte sélection spontanée.
---------Il
convient tout d'abord de préciser que le terme très général
de " Nord-Africains " englobe trois catégories de personnes
très distinctes. En fait, il y a en France des Tunisiens, des Marocains
(Pour ce qui est de l'émigration
marocaine cf. " Les Marocains en Lerance " par J. Pey - Paris-Sirey.)
et des Algériens.
---------Les
Tunisiens et les Marocains sont des protégés français
qui ne peuvent venir en métropole que munis d'un passeport et d'un
contrat de travail.
---------Toute
autre est la situation des Algériens ou plus exactement des Français-Musulmans
d'Algérie.
---------Si
avant la guerre de 1939-45 des mesures restrictives, souvent illusoires
d'ailleurs, ont pu être prises pour freiner l'émigration
algérienne, il n'en est plus de même aujourd'hui.
---------En
effet, l'article 2 du Titre ler de la loi du 20 septembre 1947 portant
statut organique de l'Algérie prévoit que "
L'égalité effective est proclamée entre tous les
citoyens français, Tous les réesortissants de nationalité
française, des départements d'Algérie jouissent,
sans distinction d'origine, de race, de langue, ni de religion, des droits
attachés à la qualité de citoyens français
et sont soumis aux mêmes obligations. Ils jouissent notamment de
toutes les libertés démocratiques, de tous les droits politiques,
économiques et sociaux, attachés à la qualité
de citoyens de l'Union Française, garantis par le préambule
et l'article 81 de la Constitution de I République Française.
"
---------Aussi,
est-il normal que le Français-Musulman d'Algérie puisse
se rendre librement à Paris ou à Lyon tout comme le ferait
un Alsacien ou un Breton.
---------Mais
pourquoi le Français-Musulman d'Algérie quitte-t-il sa campagne
ou sa montagne natale pour venir en France ? Pourquoi tente-t-il la grande
aventure au delà de la mer ? Pourquoi constitue-t-il l'immense
majorité du groupe " nord-africain se trouvant en Métropole
?
---------Pour
des raisons simples et souvent identiques à celles qui poussèrent
et poussent encore les gens des pays pauvres du Massif Central, de Bretagne
ou des Alpes soit vers les cités industrielles, soit vers des régions
plus fertiles.
LES CAUSES DE L'EMIGRATION
---------Les
causes de l'émigration algérienne sont en gros de trois
ordres : démographiques, économiques et psychologiques.
Le problème démographique est indéniablement celui
qui domine et surtout pèse sur la vie algérienne.
---------Evaluée
en 1856 environ à 2.300 000 habitants, la population de l'Algérie
est déjà supérieure à 4 millions en 1901,
De 1921 à 1936, la population musulmane passe de 4 millions 890.000
habitants à 6 millions 160.000. Le recensement de 1948 démontre
7 millions 800 000 Français-Musulmans et des sondages effectués
ces dernières années permettent d'affirmer que l'accroissement
annuel de cette population dépasse le chiffre de 210.000 unités.
---------La
poussée démographique traduit un taux des naissances extrêmement
élevé (40 %) qui indique que la limitation des naissances
est restée jusqu'ici négligeable dans cette population.
Ce taux de natalite résulte de la conjugaison d'une forte fécondité
et d'une nuptialité très élevée et très
précoce.
---------L'accroissement
démographique pose automatiquement des problèmes économiques.
---------Tout
individu, pour qu'il puisse vivre, doit, pouvoir satisfaire Ies besoins
élémentaires et naturels suivants : se nourrir, se vêtir,
se loger. Or, dans notre société moderne, ces trois impératifs
ne peu-vent être satisfaits que dans la mesure où l'individu
gagne sa vie, c'est-à-dire dans la mesure où il peut travailler,
donc dans la mesure où il peut trouver un emploi.
---------C'est
là que le drame commence.
---------En
étudiant les rapports qui existent entre les richesses et la population
de l'Algérie, on s'aperçoit que celle-ci n'arrive plus à
employer ni à nourrir tes populations habitant sur son sol.
---------Alors
qu'au Maroc apparaît une marge réelle entre les richesses
existantes et les richesses possibles, ainsi qu'entre les niveaux de vie
existants e,, les niveaux de vie possibles, cette marge est dans bien
des régions d'Algérie (Kabylie, Aurès, Trara, etc.)
pratiquement inexistante. Si au Maroc le problème économique
l'emporte encore sur le probleme démographique, en Algérie
le problème démographique pose le problème économique
mais aussi le paralyse. Dès 1935, l'Algérie ne suffit plus
à assurer la subsistance d'une grande partie de sa population.
Les Pouvoirs publics doivent lutter contre la famine en prélevant
100.000 quintaux de blé sur le stock de sécurité
pour le ravitaillement des populations nécessiteuses, En 1936,
430.000 quintaux sont ainsi distribués et ces dernières
années 17 % des récoltes céréalières
commercialisées étaient retenues pour faire face a d'éventuelles
calamités.
---------Chaque
année, par suite du simple accroissement de la population plus
de 200.000 quintaux supplémentaires de céréales sont
nécessaires. La population vivant essentiellement de céréales,
on calcule qu'en 1871 chaque habitant disposait de 2,5 q et aujourd'hui,
avec une bonne récolte, il n'en a plus guère que 2 q à
sa disposition.
---------L'émigration
vers la France devient donc une nécessité vitale pour permettre
à une masse sous-alimentée, et en voie de prolétarisation,
de vivre.
---------A
la lueur de ces faits, on comprend fort bien que les quelques 5.000 Algériens
qui se trouvaient en France en 1912 soient devenus plus de 300.000 de
nos jours (Cf.
graphique n" 1 et " Les Musulmans algériens en France
et dans les pays islamiquess " (pages 57 à 83). par Jean-Jacques
Rager. Presses Universitaires de France.). Les Marocains
sont environ 20.000 et les Tunisiens 5.000.
---------Quelques
chiffres de ces dernières années montrent nettement l'allure
que prend l'émigration algérienne.
---------En
1951, on compte 142.651 départs et 88.084 retours, soit une émigration
effective de 54.567 personnes ; en 1952, les départs se chiffrent
à 149.000, les retours à 134.000, soit une émigration
effective de 12.000 personnes ; en 1954, 151.000 départs contre
129.000 retours, sort une émigration effective de 22.000 personnes
( Graphique n°2. l'immigration aurait
rapporté en 1954 aux Compagnies de Navigation et aux Compagnies
Aériennes1 milliard 300 millions.).
---------Enfin,
une importante cause d'ordre psychologique pousse le Français-Musulman
à franchir la mer : il se trouve en France, malgré bien
des frictions, dans une situation morale différente de celle qui
lui est faite en Algérie.
---------Il
ressort donc clairement que chaque année des milliers de Français-Musulmans
viennent grossir le nombre de ceux qui se trouvent déjà
en France.
---------La
situation économique de l'Algérie ne s'etant guère
modifiée par rapport aux besoins croissants de la population, il
est certain que l'émigration continuera, au cours des années
prochaines, à jouer le rôle de soupape de sécurité.
---------Aux
causes économiques algériennes pulsatrices s'ajoutent des
raisons économiques métropolitaines attractrices : les rémunérations
supérieures obtenues dans l'industrie, des régimes d'allocations
familiales et de sécurité sociale plus avantageux que ceux
existant en Algérie.
---------A
côté de ces diverses raisons constantes et normales, il convient
de mentionner sans y attacher une trop grande importance, des causes artificielles
et p issagères telle la propagande diffuse de recruteurs sans vergogne
qui, à une certaine époque, n'ont pas hésité
à parcourir les douars pour le compte de compagnies de transports
et de faire de Belleville et de Clichy des sortes d'Eldorados (Il
convient, par contre, de féliciter " Air France" pour
son effort d'humanisation de l'émigration.Voir photo).
LES PRINCIPALES REGIONS
D'EMIGRATION
---------Les
centres essentiels de l'émigration sont les Kabylies. D'importants
départs sont également en-registrés dans un certain
nombre d'îlots berbères des Babors (El-Milia) ou d'Oranie
(Mazouna, Médrona, Marnia). L'émigration tend toutefois
à s'étendre aux douars sédentaires de la région
de Sétif et de Maadid. Le dépouillement du dernier recensement
(1954) de la population en Algérie permettra de mieux connaître
la répartition des émigrants dans chaque département
Toutefois, [enquête effectuée en 1949 permettait déjà
de constater (Les musulmans algériens
en France et dans les pays islamiques p. 107 124, par Jean-Jacques Rager.
Presses Universitaires de France.) que certaines communes des arrondissements
de Tizi-Ouzou ou de Bougie envoyaient en France de 4 % a 12 % de leur
population totale soit de 20 % à 50 % parfois de leur population
masculine adulte. Ainsi, la commune mixte de Fort-National sur le territoire
de laquelle vivaient 83.000 individus, soit une densité de 295
habitants au kilomètre carré contre 230 en 1936, comptait
en France 8.000 hornmes, soit 10 % de sa population totale. Elle n'en
comptait que 5.500 en 1933.
CARACTERES GENERAUX
DE L'EMIGRATION
---------La
durée de l'émigration est assez inégale. Elle varie
selon les régions et selon le degré d'enrI-chissement de
l'émigrant. Beaucoup de retours s'effectuent pour le Ramadan et
l'Aid-el-Kébir.'
---------L'Algérien
émigre généralement seul. Toutefois, on constate
depuis 1948 une tendance (qui va en s'accentuant) des émigrants
à partir en France avec leur épouse et leurs enfants. Contrairement
à une légende solidement accréditée, le Musulman
n'est plus polygame, bien que sa religion l'y autorise : aussi, les amateurs
d'exotisme seront-ils déçus s'ils espèrent voir arriver
en France des " harems " (Sur
40.000 dossiers d'allocataires de la Caisse interprofessionnelle du département
d'Alger, on ne comptait que sept polygames.). Le nombre de familles
musulmanes installées en France dépasse actuellement le
chiffre de 5.000. L'implantation de ces courageuses familles doit, dans
l'intérêt général, être favorisée.
---------Les
départs maxima sont enregistrés en septembre, c'est-à-dire
au lendemain des récoltes, et le maxima des retours en octobre,
donc à l'approche de l'hiver.
80 % des émigrants ont de 20 à 40 ans. Ils arrivent en France
dans la pleine force de l'âge et représentent, de ce fait,
une puissance de travail intégrale. Peu d'émigrants ont
plus de 55 ans. On peut estimer qu'un sur sept parmi les hommes adultes
algériens se trouve en France.
---------Les
qualités physiques et morales varient quelque peu selon les groupes
ethniques. Le Kabyle des régions scolarisées est indéniablement
le plus apte à s'adapter au travail industriel et au genre de vie
occidentale. Aussi, l'émigration kabyle, la plus ancienne d'ailleurs,
est-elle celle qui connaît le moins d'échecs. D'une manière
générale, de solides traditions migratoires sont établies
en pays berbère alors que les gens des hauts plateaux tâtonnent
davantage et s'insèrent plus difficilement dans la vie économique
française.
REPERCUSSIONS DE L'EMIGRATION
---------Le
départ massif de l'élément masculin musulman ne s'effectue
pas sans provoquer directement ou par contre-coup des modifications dans
la situation économique, sociale, sanitaire et politique de l'Algérie.
---------Sous
l'angle économique, l'émigration se traduit, d'une part,
par un départ de main-d'oeuvre et, d'autre part, par des envois
d'argent de la Métropole vers l'Algérie. Ce départ
de main-d'oeuvre diminue le nombre de bouches à nourrir sur une
terre pauvre et surpeuplée.
---------Les
envois de fonds métropolitains constituent une très importante
source de richesses pour le pays et permettent à de nombreuses
familles d'équilibrer leur maigre budget.
---------On
a estimé pour 1954 à 35 milliards de francs le montant des
salaires expédiés en Algérie par les travailleurs
émigrés en Métropole, soit plus du quart du total
des salaires payés en Algérie par le commerce et l'industrie
et un chiffre à peu près égal au montant global des
salaires versés par l'agriculture. Environ deux millions d'Algériens
vivent de l'émigration qui, dans certaines régions (Soummam,etc.),
procure plus de 80 % du total des revenus (produits du sol + solariat
local + mandats de Métropole). La moyenne annuelle expédiée
par un ouvrier algérien travaillant en Métropole e situe
autour de 140.000 francs. L'émigration a des conséquences
importantes sur le plan social et en particulier sur celui de la famille.
---------On
situe à peu près à une dizaine de milliers le nombre
des Musulmans algériens mariés à des Européennes.
Quelques centaines de ces ménages seulement sont venus s'installer
en Algérie. Par ailleurs, plus de 15.000 femmes musulmanes se trouvent
abandonnées et l'on peut penser que près d'une trentaine
de milliers d'émigrants songent à se fixer définitivement
en France.
---------L'émigration
accélère également l'évolution des moeurs
: le costume s'occidentalise, les vieilles superstitions telle celle de
1' "Enfant endormi " disparaissent. Souvent aussi, l'autorité
du vieux père de fa-mille est battue en brêche, l'idée
de l'indispensable scolarisation progresse, le médecin remplace
le marabout, le mariage forcé recule.
---------Certes,
souvent l'émigrant de retour au pays retrouve ses anciennes formes
de pensée et est repris par la conscience collective du douar,
mais il n'en est pas moins vrai que dans les régions où
l'émigration est une habitude solidement établie, les modifications
du genre de vie ne feront que s'accentuer et ce, peut-être plus
rapidement qu'on ne le pense généralement.
---------Si
l'argent envoyé de France contribue essentiellement à nourrir
(Une enquête alimentaire menée
sur l'ensemble du territoire algérien ne manquerait pas de fournir
des don-nées extrêmement utiles tant sur le plan éeonomique
que sur le plan sanitaire.) les familles restées au pays,
certains émigrants, après avoir payé leurs dettes,
achètent souvent un lopin de terre et augmentent leur cheptel.
---------L'habitat
se modifie également, mais assez lentement.
Certains commerçants de Fort-National en particulier ont construit
des habitations confortables () où ils pourraient, si les femmes
étaient éduquées, vivre d'une façon moins
primitive. L'apparition de placards, buffets, matelas dans les demeures
est signalée un peu partout, ainsi que l'inévitable réchaud
à pétrole.
---------Il
est souvent difficile de faire dans ces transformations la part de l'influence
de l'émigration et celle de l'enseignement. Il convient toutefois
de noter que beaucoup de Kabyles souhaitent la construction d'écoles
professionnelles, de chemins de pénétration dans les douars
et l'adduction d'eau " tout comme en France ", disent-ils.
Par ailleurs, on s'accorde généralement pour reconnaître
que si l'émigrant rentre au pays plus " revendicateur "
qu'avant son départ, il n'en est pas moins devenu plus sociable.
Très sensible aux égards dont il a pu être l'objet
en France, il supporte mal d'être traité différemment
à son retour en .Algérie. Il demeurera toujours "
celui qui a été en France " et jouira d'un certain
prestige auprès de ses coréligionnaires.
---------Si
socialement l'émigration constitue une soupape de sécurité
pour les classes aupérisées d'Algérie, elle ne paraît
toutefois pas encore avoir provoqué des réflexes tendant
à une limitation du nombre de naissances.
ASPECTS METROPOLITAINS
DE L'EMIGRATION
---------Le
nombre des Français-Musulmans actuellement en Métropole
est évalué à environ 300.000 (Étude
de M. Main Girard " Les Algériens musulmans en France "
dans " Réalités Algériennes " n° 1,
pages 40-4I, COMITEC, 1, rue Languedoc, Alger.). Rapportée
aux populations française totale et musulmane algérienne
totale au ler janvier 1954, elle représente respectivement 0,7
% et 3,5 %.
---------De
tout temps, la région parisienne a exercé sur les travailleurs
algériens une grande attraction, sans doute en raison de l'importance
des besoins de main-d'oeuvre qui s'y manifestent et aussi de la facilité
avec laquelle les Algériens parviennent à se fondre dans
une énorme population agglomérée. On les évalue
présentement à plus d'une centaine de mille.
---------Après
la région parisienne, les départements des Bouches-du-Rhône,
du Nord, de la Moselle et du Rhône, de la Loire et du Gard, du Pas-de-Calais,
de la Meurthe-et-Moselle et de l'Isère en comptent le plus grand
nombre. Toutes ces régions sont fortement industrialisées.
---------Si
l'on compare la situation actuelle avec celle de 1938 où la localisation
urbaine était déjà très marquée, on
remarque que celle-ci demeure mais que la densité' croit et que
la pénétration rurale atteint les campagnes les plus reculées.
Seuls des départements comme la Vendée, la Vienne, les Côtes
du Nord, le Vaucluse ne connaîtraient guère d'arrivées
de Nord-Africains.
---------Ainsi
que nous l'avons déjà écrit, les qualités
physiques et morales varient quelque peu selon les groupes ethniques.
Les Kabyles des régions scolarisées sont indéniablement
les plus aptes à s'adapter au travail industriel. Leur genre de
vie sédentaire tes prépare également à cette
adaptation. Il est en effet compréhensible qu'un villageois arboriculteur
ait plus de prédispositions pour un travail demandant de la précision
qu'un pasteur nomade ou semi-nomade.
---------Aussi,
n est-il donc pas étonnant qu'ayant plus de cordes à leur
arc que les Musulmans des autres régions, les Grands Kabyles ét
les Petits Kabyles aient réussi à se faire une place dans
diverses branches de l'économie française. Vétérans
de l'émigration, ils ont, certes, plus de traditions migratoires
que les gens des régions voisines des Hauts Plateaux, mas c'est
indéniablement leur atavisme villageois au-quel s'ajoute un acquis
dû à leur passage à l'école ou à leur
contact relativement fréquent avec la société occidentale,
qui leur permet de différencier non seulement des non-Kabyles,
mais même entre eux : Les petits Kabyles, gardiens et laveurs de
voitures dans plus d'un, garage parisien ne travaillent-ils pas pour les
propriétaires de taxis originaires de certains villages anciennement
scolarisés des environs de Fort-National ?
---------Venus
les premiers en France, Grands Kabyles et Petits Kabyles ont pu progressivement
s'im-.)lanter dans divers secteurs industriels au fur et à mesure
des besoins en main-d'oeuvre. La solidarite villageoise jouant, ils se
sont soit regroupés dans telle et telle usine ou dans tel et tel
quartier où ils ont d'ailleurs " leurs cafés ",
véritables têtes de lignes de " petits réseaux
téléphoniques berbères ".
De fort intéressantes monographies pourraient être écrites
sur la vie de chacun de ces noyaux qui ont certainement chacun leur grande
et leurs petites histoires mais tel n'est pas notre propos.
---------Une
prochaine publication de l'Institut national d'études démographiques
et du Groupement d'études sociales nord-africaines fera connaître
quelle était approximativement, ces dernières années
en Métropole, la répartition des Algériens par région
d'origine. S'il est, certes, intéressant de savoir qu'un groupe
de Kabyles originaires des villages du douar Aït-Ameur ou Ali (C.P.E.
de Bougie) travaillant à Lyon, se retrouve dans un café
proche de la place du Pont et tenu par X... X.., lui-même originaire
de Bougie et véritable restaurateur, facteur, banquier et conseiller
de cette petite colonie, il n'en est pas moins vrai que l'important de
l'affaire est de retenir que si ces Bougiotes ont pu s'insérer
dans la vie économique française, donc se fixer relativement,
c'est parce qu'ils étaient déjà un peu dégrossis
(Ces petits Kabyles ont tellement bien
compris qu'ils avaient pu à peu près réussir parce
que un peu " dégrossis ", que certains d'entre eux ont
emrnené leurs fils avec eux pour leur assurer une scolarisation
normale. Autre exemple : dans une usine du bassin de la Sambre, se trouvent
employées 3 générations de la même famille
L'adaptation est réalisée.).
---------Toute
autre est la situation des pasteurs semi-nomades des régions voisines
des Hauts-Plateaux.
---------Ayant
connu un genre de vie ne les prédisposant pas au rythme de vie
industriel, appartenant à des régions jusqu'ici peu touchées
par la scolarisation, venus les derniers à l'émigration,
ils sont automatiquement relégués vers les travaux tes plus
durs et les plus simples, vers les travaux de pelle et de pioche.
---------De
ce fait, ils sont amenés à parcourir la France au hasard
des chantiers de travaux publics et lorsque la mauvaise saison interrompt
ces travaux, ce sont eux qui refluent vers les grandes villes où
ils submergent les centres d'accueils et les bureaux d'embauche, inquiètent
le Français moyen qui ne se doute pas que ces vagabonds rêveurs
pensent, prabablement à un être cher qui risque la misère
là-bas au pays, là-bas dans ce pays si proche et si différent
où les femmes chantent encore :
" Nous avons levé nos tentes. nous avons rassemblé
nos troupeaux,
" Nos chameaux sont bardés, nos chevaux
sont libres d'entraves,
"Nous allons de l'autre côté de
la terre chercher dss astres nouveaux,
" Chercher un pays lointain, oublié
depuis l'origine des mondes ".
REPARTITION PROFESSIONNELLE
---------Quelle
est la répartition professionnelle des travailleurs algériens
? Selon le " Bulletin d'Information et de Documentation Professionnelle
" du Ministère du Travail, la répartition par qualification
professionnelle des travailleurs nord-africains occupés en Métropole
se présentait au ler septembre 1954 de la façon suivante
: 114.757 manoeuvres, 33.129 ouvriers spécialisés, 7.519
ouvriers qualifiés, 95 dans la maîtrise et 147 employés.
---------Ces
salariés se répartissaient à la même date par
branches d'activité comme suit : agriculture 2.445 ; énergie
: 1.013 ; mines de houilles et de lignites : 7.689 ; autres mines et carrières
: 3.541 ; production des métaux : 20.272 ; industries mécaniques
et électriques : 30.781 ; verre, céramique, matériaux
de construction : 4.453 ; chantiers d'aménagement hydro-électriques,
barrages : 1.370 ; entre-prises, établissements, chantiers non
compris dans la rubrique précédente : 50.568 ; industrie
chimique : 10.185 ; industrie textile : 5.006 ; transports 3.306 ; autres
activités : 15.108. Total : 155.647.
---------Si
l'on compare la répartition par qualification professionnelle des
travailleurs nord-africains employés dans les principales industries
de la Métropole au 30 septembre 1952 avec celle au 30 septembre
1953, on constate que dans toutes les branches d'activité, exception
faite du bâtiment et des travaux publics, le nombre des manoeuvres
et des ouvriers spécialisés diminue, tandis que le nombre
des Nord-Africains de la catégorie " ouvriers qualifiés
" et de la catégorie " maîtrise " augmente.
S'il est heureux de constater un accroissement du nombre des Algériens
qualifiés, il convient néanmoins de souligner que l'évolution
précitée est due au fait que dans l'ensemble de l'industrie
le " manoeuvre balai " tend de plus en plus à disparaître,
chassé par les progrès de la technique. Une conclusion s'impose
donc : les travailleurs algériens ne conserveront à l'avenir
une place dans l'industrie que dans la mesure où ils bénéficieront
d'une qualification professionnelle de plus en plus poussée. Or,
toute formation professionnelle suppose 'à priori la connaissance
de la langue française. Aussi peut-on se demander si les régions
d'Algérie où l'émigration est devenue une nécessité
ne devraient pas bénéficier d'une certaine priorité
lors de l'application du plan de scolarisation ?
|
|
-LES
NORD-AFRICAINS AU TRAVAIL
---------La
main-d'oeuvre algérienne étant assez rarement qualifiée
est souvent reléguée aux postes les plus humbles.
---------En
période de crise, elle est la première frappée par
le chômage. On évalue actuellement à environ 100.000
le nombre des " sans emploi " algériens se trouvant en
France (Soulignons qu'un " sans emploi
" n'est pas obligatoirement un chômeur au sens de la législation
du travail. L'Algérien qui n'a pas effectivement perdu son emploi
niais qui, simplement, ne trouve pas d'emploi, ne bénéficie
pas de l'allocation de chômage.). Aussi conviendrait-il que
les Pouvoirs publics se décident à limiter sérieusement
l'émigration officielle ou clandestine de travailleurs étrangers
non qualifiés ou soi-disant qualifiés susceptibles de concurrencer
la main-d'oeuvre algérienne. Le graphique n°3 montre nettement
les incidences de l'émigration étrangère sur le recrutement
de la main-d'oeuvre algérienne. Le Ministère du Travail
a d'ailleurs fort bien compris l'importance de ce problème, mals
il est néanmoins souhaitable de voir le Gouvernement préciser
lors des discussions internationales que toute politique européenne
d'émigration devra tenir compte de l'excédent démographique
des trois départements français d'Algérie (Cf.
Intervention de M. Amar Illoull sur les questions de population et d'émigration
(Journal officiel de l'Algérie - Débat de l'Assemblée
algérienne du 26-3-51, pages 348 à 350, et Bulletin Hebdomadaire
de la Confédération Générale du Patronat Algérien)
" L'Europe est-elle surpeuplée ? " no 188 à 194,
ainsi que " Etudes Européennes de Population ". Publication
du Centre Euro péen d'Etudes et de Population. Kdition de l'Institut
National d'Altudes Démographiques, Paris 1954).
---------Les
métiers exercés par les Algériens sont en général
pénibles, malsains et salissants. Ils correspondent très
souvent à une branche de métier fort simple exigeant peu
ou pas de formation.
--------Les
métiers pénibles sont ceux qui exposent aus inconvénients
des températures élevées (conduites des fours, chaudières,
chauffeurs dans les raffineries de sucre et dans l'industrie des corps
gras). Les postes malsains sont ceux occupés dans les fabriques
d'accumulateurs, de produits chimiques, d'alliages divers et de caoutchouc.
Les postes salissants sont ceux que nécessitent la préparation
de la soude, le broyage dans les fabriques de produits chimiques, la manutention
du charbon et du minerai dans les aciéries. Seule une formation
professionnelle sérieuse peut amener les Nord-Africains à
occuper des postes moins pénibles.
---------Cette
formation professionnelle est-elle possible ? Cette question ne supporte
plus, à l'heure actuelle, aucun doute car l'expérience de
la dernière guerre ayant prouvé qu'une forte proportion
d'Algériens même incultes pouvait accéder assez rapidement
à une certaine technicité, bon nombre d'industriels français
en particulier dans les industries des métaux et dans le bâtiment,
ont, sous l'impulsion d'hommes avertis et généreux, donné
leur chance aux Français-Musulmans et tenté les expériences
de base indispensables. Sélection psychotechnique appropriée,
politique du logement, alimentation rationnelle, éducation des
cadres en vue de l'accueil du Nord-Africain dans l'usine, cours du soir,
hygiène industrielle, sécurité, organisation des
Loisirs, bref, toutes les mesures appropriées ont été
étudiées et prises pour mettre au maximum le travailleur
algérien dans les mêmes conditions de vie matérielle
et morale que le travailleur européen (Différents
cahiers publiés Dar les Etudes Sociales Nord-Africaines (ESNA),
6, rue Parye, Paris (17°) traitent de ces questions qui ont également
fait l'objet de la part du patronat français de publications hors
commerce destinés aux employeurs de main-d'oeuvre nord-africaine.).
---------La
légende de l'imperfectible musulman, le slogan du " travail
arabe " ont été balayés et relégués
au sottisier sociologique tandis qu'à l'occasion de l'inauguration
de logements modernes construits pour les travailleurs nord-africains,
le directeur du personnel d'un important groupement industriel du Nord
n'hésitait pas à déclarer :
---------"
La main-d'oeuvre nord-africaine représente plus du quart de notre
effectif et pour un service important, l'aciérie Martin plus de
la moitié.
---------Il
est bon que l'on sache, et c'est tout l'honneur des travailleurs nord-africains,
que plus des deux cinquièmes d'entre eux ont pu accéder
à des postes d'ouvriers spécialisés et de professionnels
et par-mi ces derniers 17 sont professionnels PI, 8 professionnels P2
et 1 professionnel P3.
---------Si
l'on veut bien penser que l'énorme majorité de ces ouvriers
est nouvellement venue à l'industrie, on doit admirer cette promotion
exceptionnellement rapide à des postes supérieurs dans la
hiérarchie, et ceci devrait pleinement édifier ceux qui,
mal documentés, pouvaient douter de la qualité des ressources
que nous apporte cette main-d'oeuvre ".
----------Certes,
l'effort maximum n'est pas pleinement réalisé. Si dans certaines
usines sidérurgiques les Nord-Africains spécialisés
montent déjà à l'assautde l'échelle de la
hiérarchie dans bien d'autres secteurs le mouvement ne fait que
s'amorcer et ce n'e st que par une action continue, par des contacts multiples
et une persuasion de tous les moments que l'on parviendra à faire
disparaître les préjugés, à modifier les habitudes
pour finalement " implanter " l'ingénieur social qui
lancera la promotion ouvrière nord-africaine envers et contre tout.
---------Ajoutons
que diverses mesures d'ordre général peuvent contribuer
à accélérer l'intégration des Français-Musulmans
dans l'économie et la vie françaises. Il convient tout d'abdrd
de noter que de même qu'il est normal d'adapter la formation professionnelle
aux besoins de l'économie, il serait hautement souhaitable de voir
réalisée en Algérie une liaison entre l'enseignement
et l'économie.
---------Par
ailleurs, de l'avis même de nombreux industriels métropolitains,
le jeune Algérien qui a été " dispensé
" d'accomplir son service militaire se trouve sérieusement
handicapé au départ lorsqu'on veut lui donner, en usine,
une formation professionnelle. Aussi, conviendrait-il de réviser
certaines positions et de procéder dans ce domaine aux réformes
nécessaires.
---------Les
ouvriers algériens employés en France dans l'agriculture
sont peu nombreux. Leur nombre est toutefois passé de 600 en 1949
à 1.800 en 1953, le plus important contingent - environ 600 - étant
implanté dans les Pyrénées-Orientales (Il
convient de signaler que dans cette région les cultures pratiquées
se rapprochent de celles du littoral algérien et que les conditions
d'accueil ont été favorables. Plusieurs travailleurs sont
inscallés avec leur famille.).
---------D'importants
groupes sont également utilisés dans les rizières
de Camargue et pour l'arrachage des betteraves.
Divers projets d'implantation de familles paysannes musulmanes dans tes
campagnes françaises ont été étudiés.
Si beaucoup de prudence s'impose en la matière, il n'en est pas
moins vrai qu'une gamme d'expériences allant de l'équipe
de village à la gérance de fermes inexploitées, mériterait
d'être tentée.
---------Le
placement individuel à la campagne doit, pour l'instant, être
écarté car le Nord-Africain n'ai-me pas la solitude. Il
a trop longtemps été habitué à la vie patriarcale
pour passer brusquement à ta vie de l'ouvrier agricole. Il serait
rapidement gagné par l'ennui et, au bout de quelques jours, réintègrerait
la ville où il retrouve ses amis ou ses parents, ses cafés
et des gens avec lesquels il peut parler du pays. En matière de
salaires, la main-d'oeuvre algérienne perçoit présentement
les mêmes émoluments que les autres main-d'oeuvre, dans to
us les métiers et partout en France. De tout temps le manoeuvre
algérien travaillant en France a plus gagné que l'ouvrier
agricole ou le manoeuvre occupés en Algérie. Cette différence
de salaires est une des causes de l'émigration.
---------Depuis
1944, les travailleurs algériens employés en Métropole
bénéficient des allocations familiales. Ces dernières
sont versées à leurs familles restéesen Algérie
mais à un taux inférieur à celui pratiqué
en France. Cette différence de taux explique partiellement le développement
de l'émigration familiale. Le montant des allocations familiales
versées en 19 53 aux familles des salariés algériens
occupés dans la Métropole s'est élevé à
5 milliards 232 millions répartis entre 73.600 allocataires comptant
169.000 enfants, soit une moyenne de 71.000 fr. par allocataire et de
30.900 fr. par enfant ( Les allocations
familiales sont comprises dans les 35 milliards transférés
de Métropole.).
---------Le
problème des lois sociales se pose également différemment
pour les travailleurs algériens qui se sont mariés en France
ou qu, y ont emmené leur famille et pour ceux qui ont laissé
les leurs en Algérie. Les premiers sont traités, ainsi que
leurs familles, sur le même pied que les travailleurs métropolitains,
les seconds ne sont traités comme les travailleurs de Métropole
qu'en ce qui les concerne personnellement. leurs familles bénéficiant
toutefois. depuis 1953, du même régime que les ayants-droit
des assurés sociaux algeriens du secteur noa agricole. Les prestations
allouées à ces familles sont d'ailleurs à la charge
du regime métropolitain de sécurité sociale.
On estime que si tous les travailleurs algériens cotisant en France
avaient emmené leurs familles, ils auraient perçu, depuis
1947, tant en allocations familiales proprement dites, qu'en autres prestations,
plusieurs milliards. Le principe de la territorialité ne pouvant
en aucun cas être transgressé, il est logique que le Fonds
d'Action Sanitaire et Sociale de Métropole réalise un sérieux
effort en vue de faciliter la construction de logements destinés
aux travailleurs algériens de Métropole et à leurs
familles.
LES PROBLEMES EXTERIEURS
AU TRAVAIL
---------En
raison de leur faiblesse économique qui, pour les sans-travail,
atteint la véritable misère, les travailleurs algériens
sont, plus que quiconque, victimes de l'actuelle crise du logement, particulière-ment
grave dans la région parisienne,
---------Certes,
les centres d'hébergement organisés grâce aux initiatives
officielles ou privées en dépannent un nombre toujours croi;,ant,
mais la grande majorité continue à s'entasser dans des garnis
où la location d'une paillasse sordide atteint plusieurs centaines
de francs par jour. Leurs conditions de logement sont un défi aux
lois les plus élémentaires de l'hygiène. Ces conditions
mediocres de logement découlent également du fait que, trop
souvent, pour pouvoir envoyer plus d'argent à leurs familles, les
travailleurs limitent au plus juste tes dépenses strictement indispensables
à leurs besoins matériels, de logement, de vêtements
et de nourriture.
---------Aussi,
sont-ils, dans les grandes villes naturellement portés vers les
taudis. Ajoutons à cette rai-son d'économie que, dépaysés,
le, Nord-Africains cherchent à se grouper pour éviter l'isolement.
---------Actuellement,
un nombre de plus en plus important d'industriels se préoccupent
de loger leur main-d'oeuvre algérienne.
---------Diverses
expériences allant du dortoir collectif à la chambre individuelle
en passant par le pavillon loué aux familles musulmanes, ont été
réalisées.
---------D'une
façon générale, les ee.ployeurs qui togen leur main-d'oeuvre
algérienne ét qui lui facilitent ravitaillement et cuisine,
obtiennent des résultats,
---------Si
la politique du logement en faveur des Nord-Africains doit être
souple et acaptée à leur besoin de vivre en groupes il convient
toutefois de ne pas perdre de vue le désir que manitestent bon
nombre d'entre eux de s'évader du cadre tribal.
---------Aussi,
une politique du logement qui créerait des " cloisons étanches
" doit-elle être proscrite. En aucune façon, il
ne saurait être créé, a la porte de nos grandes villes,
des cités arabo-berbères qui constitueraient en fait une
ségregation comparable a celle pratiquée en Afrique du Sud
et aux Etats-Unis.
---------La
ségrégation choquerait énormément les Musulmans
qui, ne l'oublions pas, considèrent l'hospitalité, karam-el-Arab,
comme une chose sacrée et ont horreur des conceptions " concentrationnaires
".
---------A
côté du problème du logement, mentionnons celui de
l'alimentation et des vêtements.
---------Dédaignant
généralement les cantines, le travailleur algérien
prépare sa nourriture lui-même, espérant réaliser
ainsi de plus substantielles économies. Il se nourrit mal et ignore
totalement l'importance qu'il y a à composer ses menus selon certaines
normes. Un médecin d'une importante usine sidért rgique
chargé de détecter les causes du bas rendement de quelques
travailleurs algériens mis dans les mêmes conditions de vie
que l'ensemble des ouvriers de cette même entreprise, constata,
après une enquête minutieuse, que les Algériens précités
préparant eux-mêmes leurs repas manquaient simple-ment de
certaines vitamines. Les travailleurs en question modifièrent,
sur les conseils du médecin, la composition de leurs menus et,
rapidement, leur courbe de productivité " rejoignit celle
de leurs camarades, tandis que, tuée par les vitamines, disparaissait
dans cet établissement la légende de la " paresse nord-africaine
"...
---------Négligeant
trop souvent de se procurer des vêtements chauds, les travailleurs
algériens sont une proie facile pour la tuberculose. Dans ce domaine
également, l'information et l'éducation des émigrants
demeurent à faire, tout comme d'ailleurs en Algérie la liaison
entre l'enseignement et la santé publique.
---------Plusieurs
milliers de familles musulmanes sont actuellement installées en
France (1). L'émigration familiale a débuté
en 1948.
---------Une
enquête approfondie per mettra d'ici quelque temps de connaître
la situation exacte de l'émigration familiale et l'évolution
ce ces familles. Vingt-quatre d'entre elles groupant 43 enfants sont fixées
dans le bassin de Briey. Les :tommes travaillent ; la mine et touchent
des salaires élevés auxquels s'ajoutent les allocations
familiales et des avantages en nature. Ces familles sont logées
dans des mai-sons ouvrières convenables pourvues de jardinets et
disposant de 2, 3, 4 pièces, selon le nombre d'enfants.
---------Les
enfants sont propres, bien tenus.. Tous ceux d'âge scolaire fréquentent
l'école. Ils sont depuis l'âge le plus tendre, vêtus
selon la mode française : l'adaptation des enfants s'avère
extrêmement rapide. Ils fusionnent et s'entendent très bien
avec leurs petits camarades métropolitains Sur aucune des filles
nées en France, on ne relève la marque de tatouage. Les
intérieurs sont très propres. toutefois le mobilier demeure
des plus sommaire. ---------Tous
les intérieurs sont identiques. Ceci marque le manque d'influence
de la femme dans ce domaine, surtout quand on compare ces intérieurs
a ceux des ménages mixtes.
---------Les
conditions matérielles sont égales, mais dans ces ménages,
on trouve des ameublements très coquets et une recherche de confort
et de décor.
---------Par
contre, le vestiaire des lemmes musulmanes est très bien fourni.
Ni leur costume ni leur aspect extérieur n'ont subi de modifications.
Parfois richement habillées avec de Ires beaux châles et
fardées à la mode oranaise, elles sont pour la plupart jeunes
et vivent dans l'ombre de leurs maris. Elles se rendent aux consultations
médicales et certaines apprennent à tricoter. Bans ces familles,
la religion est observée. Le carême a été accompli.
Il est peut-être trop tôt pour pouvoir préjuger de
l'avenir de ces familles. Un fait est cependant marquant : elles attachent
toutes un très grand prix à ce que leurs enfants reçoivent
une Instruction française.
---------Si,
par ailleurs, à Aix-en-Provence, 35 femmes suivaient les cours
de l'Ecole ménagère, il n'en est pas moins vrai qu'aucune
politique suivie n'existe encore en faveur de l'émigration familiale
algérienne.
---------Divers
services sociaux publics et privés se penchent en France sur les
travailleurs nord-africains et leurs familles. Leurs moyens sont toutefois
insuf fisants et le manque de coordination des affaires sociales nord-africaines
ne leur donne pas toute l'efficacité souhaitable.
---------Le
problème posé par la présence en Métropole
de Français-Musulmans est avant tout un problème économique
et social lié à l'absence d'une politique de population.
Il dépasse donc largement le cadre des commissariats de police.
---------Transplantés
en France, tes travailleurs algériens continuent à vivre
le plus possible de leur vie particulière. La vie en Métropole
n'est très souvent pour eux qu'une vie factice car leur vie intérieure
les transporte constamment vers leurs montagnes où sont restés
tous les êtres et toutes les traditions qui leur sont chers.
---------Leur
comportement différent, leur méconnaissance de la langue
française les ecartent trop souvent du milieu ouvrier français.
---------Notons
d'ailleurs que les Pott oirs publics s'efforcent d'arracher cette foule
à l ignorance. Une centaine de cours du soir, créés
par le Ministère de l'Education Nationale, fonctionnent pour les
travail-leurs nord-africains sur l'ensemble du territoire métropolitain.
Diverse: méthodes d'enseignement du français adaptées
aux Nord-Africains ont été mises au point. Par ailleurs,
un sérieux effort est présentement réalisé
dans le domaine de la formation professionnelle tant en Métropole
qu'en Algérie .
LE COMPORTEMENT DU NORD-AFRICAIN
DANS LA CITE FRANÇAISE
---------Sans
vouloir analyser dans le détail ce problème particulièrement
étudié dans le cahier n" 20 de l'Institut National
d'Etudes Démographiques, nous mentionnerons seulement quelques
traits essentiels :
---------Tout
d'abord, nous insisterons encore sur le fait que si les contacts avec
les milieux européens sont rares et difficiles, c'est essentiellement
parce que les Nord-Africains sont hélas, trois souvent illettrés
---------Ce
seul fait les classe aux yeux des Métropolitain: comme des êtres
à part, comme des " inconnus dont on ne sait pas et ne peut
pas savoir grand'cn ose. Or, dans toute société, "
l'inconnu 2 est instinc-Uvement jugé comme quelqu'un qui risque
de perturber lès habitudes et la tranquillité du groupe.
Ce jugement peut s'avérer faux rosis à priori, on ne sait
pas...
---------Il
est donc certain que la barrière de la langue. une fois abattue,
les compte-ses qui existent de ce seul fait tant du côté
nord t 'icain que du côté européen, disparaîtront
rapidement.
---------C'est
d'ailleurs l'existence Ce ces complexes q ui contribue à provoquer
la mauvaise renommée des Nord-Africains sur le plan de la moralité
publique et à entretenir une psychose de tension.
---------Un
" inconnu s a-t-il commis un quelconque' forfait, qu'automatiquement
an songe au Nord-Africain. Et, pour peu qu'une certaine presse (pas toujours
désintéressée) renchérisse, il est probable
que les jeunes filles de bonnes familles n'oseront plus sortir seules
le soir !
---------Pourtant,
diverses statistiques, dont celles de Ir Préfecture de Police,
sont formelles o proportionnellement et en pourcentage, 1e, Nord-Africains
ne se conduisent pas plus mal qoie les Européens et il n'est pas
douteux qu'il leur reste encore beaucoup à faire avant d'égaler
" Pierrot le fou ".ou " le gang des tractions-avant ".
---------La
misère physique et l'abandon moral sont des facteurs qui poussent
vers le mal toutes les colonies
lcnies de " déracinés ". Or, le campagnard algérien,
perdu dans nos cités techniques est moralement totalement abandonné
(Mentionnons l'existence de la Mosquée
de Paris et de quelques oratoires en province.).
---------Des
" ponts " peuvent et doivent être jetés. nor, seulement
par les Pouvoirs publics, mais encore et surtout par les ouvriers et les
industriels français car de la façon dont auront été
accueillis en Métropole les travailleurs algériens dependra
sûrement un peu l'avenir de cette Union Française que la
technique ne saurait bâtir sans l'aide du coeur.
---------Les
problèmes posés par l'émigration des Musulmans algériens
sont nombreux et complexes tant pour l'Algérie que pour la Métropole.
Diverses solutions peuvent être envisagées peur les résoudre.
Elles dépendent toutefois avant tout de la politique que le Gouvernement
entendra adopter non seule-ment en matière d'émigration
et de population, mais encore d'une façon générale
en matière économique.
---------A l'heure
présente, l'émigration algérienne résulte
du déséquilibre entre la oopulation et les ressources et
permet à deux millions de Français-Musulmans de vivre. Seule
une augmentation et une sélection rigoureuse des investissements
métropolitains pourront contribuer à une certaine expansion
de l'agriculture et de l'industrie algérienne qui entraînera
le dévelopement de l'emploi et l'augmentation du niveau de vie
des populations.
---------Mais,
quelle que soit, en cours des années à venir, l'ampleur
donnée par la Métropole à ces investissements, l'émigration
demeurera, pendant un certain laps de temps -incore. une r.ée,essité
vitale Aussi convient-il de la valoriser et de la rationaliser tout en
ne tolérant pas d'émigration étrangère ni
en France ni dans l'Union Française tant qu'il y aura des Français-Musulmans
d'Algerie sans travail
---------Et, pour
achever cette rapide étude d'un des plus graves problèmes
humains que la France ait a résoudre, nous pensons qu'il n cal
peut-être pas in utile de rappeler les conclusions d'un remarquable
article sur l'émigration algérienne publié par M.
Al fred Sauvy, Directeur de l'Institut national d'études démographiques,
sous le titre " La population franco-algérienne " Les
raisons d'une émigration - Des droits de réciprocité
"
---------"
Un territoire colonial ". ce ne sont pas des mines ou des plantations
dom la main-d'oeuvre est l'accessoire, ce sont des hommes qui méritent
de vivre et en ont le droit,
---------L'association
France-Algérie pourra être dissoute. Il faudrait en ce cas
rapatrier peu a peu la plupart des 1.100.000 Français établis
là-bas. Personne, à notre connaissance, n'a propose une
telle solution. Dès lors, la situation est claire : le droit des
Français de vivre en terre africaine crée la réciprocité.
---------Dira-t-on
qu'un problème de minorité risque de se poser et que nous
introduisons une population radicalement inassimilable, inadaptable ?
Qui peut l'affirmer avec une telle vigueur ?
---------Celui
qui eut prétendu au XVIè siècle que catholiques et
protestants vivraient un jour en commun tout en conservant leur foi, sans
aucun trouble, n'aurait pas été pris au sérieux.
Les hommes excellent à changer de temps à autre de préoccupations.
---------"
Cinquante-deux millions de Franco-Algériens, liés par les
caprices de l'histoire dans un même des-tin, sont pour 'e moment
sépares beaucoup moins oui des caractères héréditaires
que par une différence d'éducation, dans le sens le plus
large du terme. Céder à la facilite, c'est aller, tôt
ou tard, à une séparation qui ne pourra être que violente.
Nous devons donc réagit contre nos préjugés et parfois
contre notre confort.
---------" Mais, surtout, cessons de
considérer comme indésirables ces trois cent mille hommes
qui, assurant la dualité et la réciprocité du lien,
contribuent à le raffermir et nous aident à transformer
une demi-servitude en une association qui, unique en son genre, devrait
pouvoir, si nous en sommes dignes, être citée, dans une ou
deux générations, en exemple au monde entier."
Jean-Jacques RAGER,
Docteur de l'Université d'Alger
(ès-lettres)
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