Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale : santé publique
QUATRE ANNÉES DE LUTTE ANTIPALUDIQUE A OUARGLA

8 pages - n°40 - 25 janvier 1953

-------------Dans certaines oasis du Sahara Algérien, abondamment irriguées, le paludisme a revêtu longtemps un caractère hyperendémique net, malgré les mesures prises pour le combattre : parmi celles-ci Ouargla a longtemps joui du triste privilège d'occuper une place prépondérante.
-------------Au début de l'année 1949, l'Administration décica de tenter l'assainissement durable de cette oasis par une mise en oeuvre aussi complète que possible des divers moyens de lutte connus. Les opérations furent effectuées sous la direction du Service de Santé des Territoires du Sud au Gouvernement Général de l'Algérie et le contrôle technique en fut confié aux services de Parasitologie de la Faculté de Médecine à Alger.

mise sur site le 4-07-2005
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-------------Dans certaines oasis du Sahara Algérien, abondamment irriguées, le paludisme a revêtu longtemps un caractère hyperendémique net, malgré les mesures prises pour le combattre : parmi celles-ci Ouargla a longtemps joui du triste privilège d'occuper une place prépondérante.
-------------Au début de l'année 1949, l'Administration décida de tenter l'assainissement durable de cette oasis par une mise en oeuvre aussi complète que possible des divers moyens de lutte connus. Les opérations furent effectuées sous la direction du Service de Santé des Territoires du Sud au Gouvernement Général de l'Algérie et le contrôle technique en fut confié aux services de Parasitologie de la Faculté de Médecine à Alger.
-------------Il est intéressant,au bout de quatre années de lutte ininterrompue, de faire le point de la situation et d'exposer les résultats obtenus.

L'OASIS D'OUARGLA

-------------Ouargla, à 800 km au Sud-Est d'Alger, est la plus vaste oasis du Sahara Algérien et sa palmeraie, avec ses 700.000 palmiers, couvre plus de 14 km2. Dans cette palmeraie, outre le ksar d'Ouargla, se trouvent quatre autre ksour dont l'ensemble constitue l'oasis d'Ouargla. Ce sont Chott el Adjaja, à 5 km à l'Est ; Rouissat et Beni-Thour, à 5 et à 2 km au Sud-Est. Enfin, très à l'écart de la palmeraie, se trouvent les deux ksour de Sidi-Khouiled, à 10 km à l'Est et de N'goussa, à 19 km au Nord.

-------------La superficie globale de la commune est évaluée à 180.000 km2. La population est d'environ 28.000 habitants parmi lesquels on compte 6 à 700 Européens, militaires et leurs familles en majorité, résidant pour la plupart dans l'agglomération construite au cours de ces trente dernières années et qui s'étale sur près de 2 km au Sud-Ouest du ksar.
La population musulmane est répartie en deux groupes ethniques d'importance sensiblement égale, Celle des ksour est constituée en majeure partie des métis, les " Ouarglis ", issus du croisement de Berbères ou d'Arabes et de nègres du Soudan. La population nomade est arabe : elle vit sous la tente, campant aux alentours d'Ouargla durant la période automno-hivernale pour repartir au printemps soit au Sahara (Chaamba), soit vers le Nord (Sait, Otba, Mekhadma).

-------------L'oasis est alimentée par deux nappes aquifères : la nappe phréatique, située à une profondeur variant de 0 m, 60 à 3 mètres qui fournit de l'eau salée ; la nappe artésienne, d'une profondeur de 50 à 70 mètres, qui donne de l'eau douce. Dans ces nappes ont été creusés plusieurs centaines de puits dont l'installation et l'entretien sont fréquemment défectueux (puits indigènes) : l'eau des puits de la nappe artésienne est rarement jaillissante mais habituellement ascendante (pompage).

-------------L'irrigation de la palmeraie est assurée par " écoulement alterné " dans des canaux ou " seguias ". L'eau usée est collectée dans un vaste réseau de canaux de drainage, les " khandeg ", d'une longueur approximative totale de près de 100 km. Ces canaux évacuent l'eau vers une vaste zone décline de 4 km2, emplie d'eau salée en hiver mais à sec en été, le " chott " : en forme de croissant, ce dernier s'en-fonce en direction du Sud-Est, entre les diverses palmeraies de l'oasis.

LE PALUDISME A OUARGLA jusqu'en 1949
Professeur MANDOUL et P. JACQUEMIN. - Etude épidémiologique du paludisme dans l'oasis d'Ouargla " Cahiers médicaux de l'Union Française ", N0 36, Janvier 1950.

-------------Il est aisé de comprendre qu'avec un système hydrographique de cette nature et de cette importance, les gîtes à moustiques aient pu, de tout temps, être innombrables. Et le souvenir est demeuré vivace, tout particulièrement chez les touristes ou les visiteurs étrangers, de ces nuées de moustiques qui attaquaient en plein jour et même en plein vent le promeneur dans la palmeraie et rendaient cette dernière pratiquement inaccessible durant la majeure partie de l'année. C'était le pays de " l'Anophèles multicolore", l'espèce prédominante des eaux salées.

-------------L'endémie palustre a toujours pesé lourdement sur la population. Dès 1882, lors de l'installation de la première infirmerie-ambulance, les médecins signalaient que la palmeraie n'était qu'un vaste marécage et que les habitants étaient décimés par la fièvre. Plus tard, c'était encore de véritables hécatombes que provoquait le paludisme parmi la population autochtone et l'on peut encore lire dans les archives que, durant l'automne d'une certaine année, " il n'y avait plus assez de femmes pour préparer le couscous ". En 1942, un médecin écrivait " qu'aucun enfant indigène n'échappait au paludisme " et la population infantile représentait un réservoir de virus important.

-------------Voici, à titre indicatif, à 22 ans d'intervalle, le pourcentage des enfants atteints d'hypertrophie paludéenne de la rate (Indice splénique) :
-------------1922 : 32 %
-------------1944 : 27 %

-------------Les 3 variétés de germes étaient rencontrées dans le sang des malades : Plasmodium falciparum, Pl. Vivax, Pl. Malarioa.
-------------- Pour la période de 1940 à 1948, les statistiques du dispensaire communal font ressortir que plus de cinquante mille consultations pour paludisme ont été données dans cet établissement, représentant environ 10 % du chiffre global de celles-ci et venant immédiatement après les maladies des yeux et le trachome.
-------------La population européenne et la troupe ont longtemps, elles aussi, payé un lourd tribut au fléau malgré les mesures de prévention mises en oeuvre et notamment la médication préventive obligatoire dans la garnison du 1`r avril au 30 novembre. C'est ainsi qu'on peut relever dans les statistiques de l'hôpital militaire, pour la période précitée de 1940 à 1948, 6,93 cas de paludisme contrôlés par le laboratoire parmi lesquels 148 formes de primo-invasion dont 2 ayant entraîné le décès en 1940 par accès pernicieux.

-------------Pour la seule année 1948 le paludisme se traduit par :
-------------- 6.800 consultations à l'infirmerie-dispensaire ;
--------------40 cas de paludisme primaire dans la garnison, pour un effectif moyen de 450 troupiers ;

-------------Un réservoir de virus élevé : le quart des enfants de 1 à 15 ans est porteur de rate hypertrophiée (Indice splénique 25 %) ;

-------------Un absentéisme scolaire accusé en permanence du fait de l'affection.

-------------Le fléau représente, cette année-là, en frais de médicaments, journées chômées, soins hospitaliers, etc... (sans parler des pertes de vies humaines) un gaspillage social qui peut se chiffrer à une quinzaine de millions de francs.

-------------En bref on peut dire que toutes les conditions favorables à l'extension de la malaria se trouvaient réunies à Ouargla : population indigène nombreuse, souvent sous-alimentée, parfaitement inconsciente du danger et multiplicité des collections d'eau proches des habitations où les moustiques se reproduisaient par myriades durant presque toute l'année.

LA LUTTE ANTIPALUDIQUE DE 1949 à 1953

-------------Dès l'hiver 1949 la lutte fut entreprise sur des bases nouvelles, combinant à la fois l'emploi des méthodes classiques et éprouvées avec l'utilisation des produits les plus modernes, insecticides nouveaux à base de D.D.T. ou d'H.C.H. et médicaments antimalariques de synthèse. Cette lutte a été poursuivie sans interruption durant quatre années : elle a été dirigée à la fois contre le moustique vecteur de la maladie (lutte antianophélienne) et contre le germe causal (lutte antiplasmodiale).

A. - LUTTE CONTRE LE MOUSTIQUE VECTEUR.

-------------Elle a été menée simultanément à l'origine contre le moustique adulte (lutte imagocide) et contre sa larve aquatique (lutte antilarvaire).
-------------1)Lutte contre les moustiques adultes. - Démoustication des habitations.
-------------Une désinsectisation massive de tous les locaux couverts dans l'agglomération d'Ouargla et dans les 4 ksour de l'oasis marqua la première phase de la lutte. Elle fut réalisée par pulvérisations sur les murs et plafonds d'une émulsion aqueuse d'un mélange en proportions définies de D.D.T. et d'H.C.H.
-------------Les opérations durèrent un mois, du 25 février au 25 mars 1949. Elles furent menées à bien grâce au concours de l'autorité militaire qui fournit une main-d'oeuvre gratuite de 50 troupiers répartis en cinq équipes. Plus de 3 millions de mètres carrés de surfaces furent traités et 38.500 litres de produit employés.

 

-------------Ces opérations, malgré leurs résultats spectaculaires (destruction immédiate de tous les insectes) et l'action persistante de produit pendant plus de deux mois, ne furent pas renouvelées en raison de leur coût élevé. Et dans le courant de l'année et des années suivantes, ce mode de protection fut limité aux casernements, aux écoles et aux bâtiments administratifs.

-------------2)Lutte antilarvaire.
-------------Commencée dès la fin des opérations précédentes, la lutte contre les moustiques durant leur phase aquatique a été poursuivie avec méthode et ténacité. Elle a comporté tout un ensemble de grandes et de petites mesures antilarvaires.
-------------Les premières ont tendu, comme à l'ordinaire, à la suppression définitive des eaux stagnantes. Tous les points d'eau sans utilité ont été comblés par les équipes antipaludiques communales opérant sous la direction d'un officier chargé spécialement de cette lutte. Le système de drainage, partout où il s'avérait insuffisant a été rénové et plus de 20 km de canaux nouveaux ont été creusés. Un drain profond, de près de 2 km de long, a été ouvert dans la portion nord-occidentale de la palmeraie qui avait tendance, -de novembre à mai, à se transformer en marécage : ce canal assure dorénavant l'écoule-ment des eaux vers le chott et, en asséchant cette zone, a entraîné la disparition d'innombrables gîtes.
-------------Le drainage de la palmeraie de Ngoussa a été réalisé dans des conditions analogues en 1951 et 1952. Tous les canaux d'irrigation ou de drainage ont fait l'objet régulièrement d'entretien ou de réfection pour parer aux obstructions duesà la nature du terrain ou à l'abondance de la végétation. La police sanitaire des jardins a été sensiblement renforcée par diverses réglementations municipales (Au sein de la commission municipale d'hygiène, une " sous-commission du paludisme " fut créée, dès l'hiver 1949, pour s'occuper de tous problèmes concernant le paludisme et sa prophylaxie.) : obligation pour les propriétaires de plantations de nettoyer leurs canaux, interdiction de creuser des excavations dans le sol, etc...
-------------Par ailleurs, l'empoissonnement systématique des gîtes par les gambouses a été réalisé de manière massive et ces poissons ont été répandus dans tout le système d'irrigation.
-------------Enfin, quelques plans d'eau stagnante, impossibles à drainer ou à empoissonner (salure trop forte), ont été traités par épandage périodique d'un produit larvicide (sol. de D.D.T. à 4 % dans les hydrocarbures) pulvérisé à l'aide d'appareils à dos.

B. - LUTTE CONTRE LE GERME CAUSAL.
-------------Pour parachever la lutte, les mesures précédentes furent accompagnées d'un " action préventivocurative de masse " à l'aide des médicaments antimalariques de synthèse.
-------------Instaurée à titre d'essai sur une petite collectivité, durant l'automne 1948, à l'aide du chloriguane, à raison d'une prise hebdomadaire unique du médicament, et ayant donné toute satisfaction ( P. JACQUEMIN. - Essais de chimio-prophylaxie du paludisme à l'aide de la paludrine "Cahiers médicaux de l'Union Française ", N. 28, Mars 1949.), la méthode fut appliquée à la totalité de la population du centre d'Ouargla du 15 juin au 30 novembre 1949.

-------------A dater du 1er décembre 1949, devant les conditions devenues très favorables, la médication cessa d'être appliquée aux adultes, mais continua à l'être sans interruption jusqu'au 30 novembre 1950 à tous les enfants de 1 à 15 ans.

-------------En 1951 et 1952, le Chloriguane fut remplacé par la Nivaquine plus maniable : ce produit fut administré une fois par semaine à la totalité de la population infantile, soit plus de 2.000 enfants, du ler avril au 30 novembre 1951 et deux fois par mois du 1er mai au 30 novembre 1952.

-------------Cette médication fut acceptée sans la moindre réticence par les populations, au demeurant très favorablement impressionnées par l'amélioration de la situation.

RESU LTATS (voir graphique)

-------------Les résultats tant en ce qui concerne le vecteur que la morbidité générale sont à la hauteur des puissants moyens mis en oeuvre. La situation se présente actuellement comme suit.

-------------Les gîtes ont pratiquement disparu et il faut maintenant parcourir longuement les jardins de l'oasis pour avoir l'occasion de découvrir quelques larves. L'anophélisme est nul et la moustiquaire n'est plus utilisée par les dormeurs que pour se protéger contre les mouches à la sieste ou au lever du soleil.

-------------L'indice splénique, périodiquement établi chez les 2.000 enfants sédentaires de moins de 15 ans, fait ressortir l'abaissement considérable du réservoir de virus. Cet indice est tombé de 20 % en février 1949, avant les opérations, à
-------------18 % en octobre 1949
-------------3,2 % en mars 1950
-------------2,4 % en novembre 1950
-------------1,2 % en novembre 1951
-------------0.5 % en novembre 1952.
-------------L'absentéisme scolaire pour paludisme a cessé et les maîtres ne voient plus en classe les accidents malariques aigus auxquels ils étaient habitués par le passé (Le Pl. falciparum, agent de la "tierce maligne" disparut dès fin 1949 des examens du sang des malades.).

-------------Corrélativement les statistiques au dispensaire communal enregistrent une chute sensationnelle du nombre des consultations pour paludisme, qui tombent de 5 à 6.000 par an, à :
-------------358 en 1949 soit 4 % du total des consultations
-------------236 en 7.950 soit 3 % du total des consultations
-------------104 en 1951 moins de 2 % du total des consultations
-------------quelques rares cas isolés en 1952.

-------------Dans le milieu militaire, il n'a été signalé que 2 cas de paludisme primaire en 1949. Aucun cas n'a -plus été observé depuis-lors.

COUT DE LA LUTTE

-------------Le coût annuel de la lutte a été, par habitant protégé, inférieur à une centaine de francs, pour les années 1949, 1950 et 1951. Pour l'année 1952, il a été de 60 francs et la dépense globale s'est élevée à 1.672.815 francs représentant le paiement de la main-d'oeuvre, l'achat de produits insecticides et du matériel, l'approvisionnement en Nivaquine.
-------------Ces chiffres sont modiques eu égard au coût antérieur du fléau. Ils sont très faibles aussi comparativement à ceux donnés à et qui sont habituellement 3 à 5 fois plus élevés.
-------------Sur le plan économique : l'assainissement d'Ouargla s'est avéré particulièrement rentable et les frais engagés ont constitué indiscutablement une excellente affaire.

C O N C L U S I O N

-------------Le but proposé à l'origine est atteint : autrefois la plus impaludée des oasis algériennes, Ouargla est maintenant assainie. Certes, il appartient à ceux qui ont la responsabilité sanitaire du pays d'éviter que les mesures de prévention, toujours indispensables, ne tombent dans l'oubli et qu'aucune faille ne se produise dans le système défensif actuellement bien au point : à ce prix et à ce prix seulement l'assainissement de la palmeraie sera maintenu.( R. MANDOUL et P. JACQUEMIN. - Assainissement de l'oasis d'Ouargla. Bulletin de la Société de Pathologie Exotique, N° 7-8, Juillet-Août 1951). Il n'en demeure pas moins que le rapport de cette campagne quadriennale est un bulletin de victoire. Libérés de la sujétion du paludisme, l'Administration et le service médical pourront se consacrer davantage dans l'avenir à d'autre tâches médico-sociales. Convaincue, une fois de plus, de l'efficacité de nos méthodes, la population autochtone, trop longtemps réticente, se confie dorénavant volontiers au médecin. Et le touriste, qui visite maintenant en toute quiétude les jardins de l'oasis, peut rendre hommage à ceux qui ont vaincu tant de difficultés pour faire véritablement d'Ouargla la " sultane des oasis " des légendes.

Le Médecin-Colonel PASSAGER
Directeur du Service de Santé des Territoires du Sud ALGER, le 1er Janvier 1953.