Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale : institut Pasteur
Douze années de sérothérapie antiscorpionique
par Étienne Sergent (in memoriam)

3 pages - n°31 - 25 mai 1950

 

mise sur site le 26-06-2005
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---------De nombreux cas de mort dus à la piqûre de scorpions étaient signalés naguère chaque année en Algérie, surtout dans le Sud-est, et dans le Sud Tunisien. C'est ainsi que le D Edmond CHAIX a enregistré, dans la seule oasis de Touggourt, pendant l'année 1939, 400 envenimements dont 15 suivis de mort, et il donne comme titre au premier chapitre de sa thèse : " Le péril scorpionique clans l'Annexe
de Touggourt " (1).
---------C'est pourquoi l'institut Pasteur d'Algérie a commencé, en 1932, l'étude du venin des scorpions nord-africains (2), dans l'intention de préparer un sérum ,antiscorpionique. Les scorpions de l'Afrique du Nord appartiennent à une quinzaine d'espèces. Les plus intéressants pour le médecin, soit à cause de la gravité des accidents qu'ils provoquent, soit à cause de leur fréquence, sont :

---------Prionurus australis L. (grand, brun, à grosse queue) très répandu dans la partie orientale des steppes et du Sahara.
---------Prionurus liouvillei Plry (noirâtre à pinces fines) des steppes et du Sahara.
---------Prionurus amoreuxi Audoin (grand, jaunâtre). Sahara.
---------Prionurus hoggarensis Plry (ressemble à Pr. australis, mais vert très sombre, presque noir). Sahara central.
---------Buthtus occitanus Amrx. (petit, j aune clair, à pinces fines) fréquent partout. Tell et Sahara.
---------Hottentota gentili Plry (grand, grêle, noir et très velu). Partie occidentale du Sahara.
---------Scorpio maurus L. (petit, jaune brun, à grosses pinces) fréquent partout (3).

---------De tous ces scorpions, le plus venimeux de beaucoup est Prionurus australis.C'est à lui surtout que sont dues les morts d'hommes.
---------Nous signalons, en raison de la singularité du fait, que Buthus occitanus cause dans les régions littorales de l'Algérie des envenimements mortels, ne se distingue pas, d'après les entomologues, du Buthus occitanus du Languedoc et de nombreux pays du Midi de l'Europe. dont la piqûre n'entraîne jamais la mort.
---------Pour l'étude au laboratoire du venin de scorpion, le mode simple et que de préparation que nous employons depuis 16 ans nous a toujours donné des résultats constants et sûrs. Le telson desséché à 37° et conservé à l'ombre en tube scellé est finement broyé. Pour l'injection, la poudre est mise à macérer pendant quelques heures dans de l'eau stérile salée à 0 p. 1.000 dans des flacons contenant des perles de. verre que 1'on agite à plusieurs reprises.
---------L'animal de choix pour l'étude du venin de scorpion est la souris blanche. L'injection de la suspension de poudre de telson est faite à la souris sous la peau.
---------La dose minima mortelle de venin pour la souris de 20 grammes a été recherchée pour six espèces de scorpions de l'Afrique du Nord.
---------Elle est de :

---------1/20 de telson pour Prionurus australis L.
---------1/15 de telson pour Prionurus amoreuxi Audoin
---------1/12 de telson pour Prionurus hoggarensis Plry
---------1/2 de telson pour Buthtus occitanus Amrx.
---------3/4 à 1 telson de telson pour Hottentota gentili
---------7 de telson pour Scorpio maurus L

 

---------Pour la préparation du sérum antiscorpionique nous employons des chevaux malléinés et vaccinés contre le tétanos (4). Le venin à injecter est dilué dans de l'eau salée, selon la méthode que nous avons décrite (5). Nous n'utilisons que le venin Prionurus australis L. qui est le plus toxique.
---------Le titrage de l'activité du sérum antiscorpionique s'effectue sur la souris (de 20 grammes environ). UJn sérum est considéré comme bon quand il sauve de 80 à 100 % des souris traitées, dont les témoins, qui ont reçu la même dose de venin meurent tous en moins de deux heures.
---------Le sérum préparé avec du venin de P. australis est également actif contre l€ venin des autres scorpions de l'Afrique du Nord. Les expériences de laboratoire ont montré que le sérum préparé avec le venin de Prionurus australis L protège également 9 souris sur 10 injectées avec le venin d'un autre Prionurus, Prionurus liouvillei Plryi. Fait plus frappant, ce sérum, préparé avec du venin d'un Prionurus, sauve également 9 souris sur 10 ayant reçu une dose mortelle d'un scorpion appartenant à un autre genre : Buthus occitunus. Chez l'homme également, le sérum anti Prionurus australis guérit l'envenimement dû à la piqûre de B. occitanus. Nous avons vu nous-mêmes en 1944 - un garçonnet de 6 ans qui, piqué par un B. occitanus, était entré dans le coma au bout de quelques minutes, renaître rapidement à la vie après une injection sous-cutanée de 20 centicubes de sérum anti-Prionurus australis
---------Le sérum antiscorpionique a été mis à la disposition des médecins en 1936 . Depuis 12 ans que les piqûres de scorpions sont traitées en Afrique du Nord par le sérum préparé par l'Institut Pasteur d'Algérie, nous avons reçu 4.057 observations de sérothérapie antiscorpionique relevées par des médecins. Nous ne tenons pas compte dans la statistique des cas bénins. Nous ne retenons pas non plus les cas signalés par le médecin traitant comme "sérieux mais non alarmants ", où les symptômes dominants sont une vive souffrance, des vomissements, l'algidité, bien que chaque fois l'injection de sérum ait produit une amélioration rapide, très appréciée des malades. Si l'on ne considère, parmi ces 4.057 observations, que celles qui concernent les cas, au nombre de 1.003, où le médecin traitant écrivait que la vie était en danger (parfois le pronostic était même désespéré) on enregistre 923 guérisons. La proportion des guéris est donc de 92 %.
---------Parmi ces 923 malades dont l'état était alarmant, et qui ont été sauvés par le sérum antiscorpionique, 24 (c'est-à-dire 2,5%) étaient des Européens, et 899 (c'est-à-dire 97,5 %) étaient des indigènes musulmans (6).

(1) Les envenimements par piqûres de scorpions dans l'Annexe de Touggourt. Intérêt de la Sérothérapie - Thèse Fac. Méd. Alger - 1940.
(2) Cette étude n'a été possible que grâce à la bonne collaboration de nos confrères d'Algérie, de Tunisie et du Maroc, que nous remercions ici bien vivement.
(3) M. Max VACHON, du Laboratoire de Zdb logie du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris, poursuit en ce moment l'étude systématique approfondie des scorpions du Nord de l'Afrique, effectuée avec les collections de l'Institut Pasteur d'Algérie. Cette étude est en cours de publication dans les Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie, t ornes 26 et suivants.
(4) Je suis bien reconnaissant à mes collègues du Service vétérinaire, MM. DONATIEN, PLANTUREUX et GAYOT, de leur amicale collaboration.
(5) Etienne SERGENT. - L'action du sérum antiscorpionique est renforcée quand on injecte en même temps de l'eau salée. Arch. fnst. Pasteur d' Algérie, 21, mars 1943, 24-27.(69) Pour la bibliographie des travaux effectués à l'Institut Pasteur d'Algérie sur les scorpions, voir les Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie, à partir du tome 11, 1933.


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