HISTORIQUE
-----------Datant
du début du XXè siècle, l'émigration des Musulmans
algériens vers la France est, hisoriquement, le premier mouvement
de population amenant des Maghrébins d'Algérie à
s'installer pacifiquement, en groupements le plus souvent compacts et
pour une durée plus ou moins longue, en un territoire non inclus
dans le " dar-el-Islam ".
-----------Jusqu'à
la fin du XIX"' siècle, hormis, d'une part, des colporteurs
fréquentant les grandes villes et les stations thermales oit ils
écoulaient leur habituelle pacotille (tapis, bijoux, peaux de chèvres)
et, d'autre part, des convoyeurs de troupeaux circulant entre Alger, Marseille
et la Camargue, il semble que les travailleurs algériens n'aient,
pour ainsi dire, jamais eu l'occasion de séjourner en France.
-----------Dès
l'année 1899, cependant, M. Ait Mehdi, membre de la délégation
kabyle aux Délégations Financières d'Algérie,
signalait les services que pourraient rendre, à l'industrie métropolitaine,
" ces montagnards travailleurs et intelligents
" que sont les Berbères de Grande Kabylie.
-----------L'émigration
algérienne devait attendre le début du XX"''' siècle
pour se manifester nettement. Jusqu'à cette époque, la pression
démographique résultant de la paix française, ne
se fait pas sentir avec trop d'acuité. On peut dire que les Kabyles
commerçants des centres urbains et les Kabyles ouvriees agricoles
clés plaines, permettaient à leurs familles restées
au village natal, .de connaître une ai-sauce reliitive.
L'EMIGRATION AU DEBUT
DU XX"" SIECLE
LA GUERRE 1914-1918
-----------À
cette cpoque, quelques ouvriers de Mekla, de Port-Gueydon et de la Petite
Kabylie franchirent la :Méditerranée et allèrent
s'employer dans le Midi de la France. Revenus chez eux, ils contèrent
ce qu'ils avaient vu et, gagnés par l'exemple, attirés surtout
par les salaires élevés dont témoignaient es pécules
que les premiers émigrés avaient amassés, d'autres
travailleurs tentèrent l'aventure à leur tour
-----------L'exemple
était donné, un problème nouveau allait se poser
: l'organisation de l'émigration que ni es autorités algériennes,
ni les autorités métropolitaines n'ont encore résolu
de façon satisfaisante.
-----------En
1912, une enquête officielle estimait de 4 à 5.000 le nombre
des Algériens employés en France. La situation était
la suivante : dans la région marseillaise, 2.000 Kabyles pouvaient
être dénombrés, occupés à des besognes
pénibles dans les raffineries, savonneries et docks; 1.500 Algériens
travaillaient dans les mines et les usines métallurgiques du Pas-de-Calais;
à Paris, la Raffinerie Say, la Compagnie des Omnibus, les chantiers
du Métropolitain en employaient quelques centaines. A Marseille,
c'est l'usineMorcl et l'rom qui eut l'initiative de faire appel à
la main-d'oeuvre algérienne.
Plusieurs événements d'inégale importance accentuèrent
une tendance qui commençait à peine à se manifester.
-----------Un
arrêté du Gouverneur général de l'Algérie,
en date du 18 juin 1913, confirmé par la loi du 5 juillet 1914.
supprima le " permis de voyage " créé par le décret
,du 16 mai 1879, pour les inditênes d'Algérie se rendant
en France. -----------Ainsi
disparut le principal obstacle administratif au développe-ment
de l'émigration algérienne.
-----------La
guerre, enfin, devait sensiblement modifier les données du problème.
-----------Les
besoins de la Défense Nationale, la nécessité de
remplacer, dans les usines, la main-d'oeuvre française mobilisée,
donnèrent à l'émigration nord-africaine une impulsion
nouvelle.
-----------Un
décret du 14 septembre 1916 créa, au Ministère de
la Guerre, un " Service des travailleurs
coloniaux chargé d'organiser le recrutement de la main-d'oeuvre
indigène en Indochine. Chine et Afrique du Nord ".
-----------L'Etat,
qui jusqu'alors était resté étranger ou hostile à
toute intervention dans les mouvements migratoires, devint à la
fois, recruteur, importateur, placeur et contrôleur de main-d'uvre
coloniale.
-----------Plus
de 78.000 travailleurs algériens furent ainsi recrutés par
" réquisition " et envoyés en France entre
1915 et 1918.
-----------Ces
travailleurs, munis d'un contrat de travail, s'engageaient pour une période
d'une année. Le plus grand nombre était employé dans
les établissements publics ou privés fabriquant du matériel
ou des munitions dans les ateliers de l'Intendance, dans les transports,
les mines, les usines à gaz, les services de voirie des villes,
et, surtout, dans les travaux de terrassement à l'arrière
et au front. Les salaires perçus par les travailleurs algériens
étaient identiques à ceux des Européens de la même
profession et de la même catégorie.
L'EMIGRATION ALGERIENNE
AU LENDEMAIN DE LA GUERRE (1919-1924)
-----------"
La France a gardé pour elle sa gloire,
ses morts, ses ruines. " (CLEMENCEAU.)
-----------La guerre
avait dépeuplé et appauvri la France. Ses effets sur la
population et, la société accentuèrent la marche
du pays dans la voie où il s'était déjà engagé
avant la guerre : diminution de la population des campagnes, concentration
dans les agglomérations urbaines, proportion croissante d'étrangers...
-----------En
1919, il ne restait dans la Métropole que quelques milliers de
Nord-Africains, mais les besoins de l'industrie française, les
travaux de reconstruction des régions dévastées,
les salaires élevés attirèrent à nouveau les
Algériens. La seule année de 1924 en vit entrer 71.028
C'est donc entre 1920 et 1929 que se situa le premier grand flux. Au total,
en 1924. 100.000 Algériens et 10.000 Marocains sont installés
en France.
-----------Ces
départs croissants vers la Métropole inquiétèrent
entrepreneurs et colons d'Algérie et du Maroc. Leurs plaintes amenèrent
le Gouvernement général et le Protectorat à prendre,
à la même époque, des mesures restrictives. Diverses
circulaires du Gouverneur général établirent un régime
d'émigration contrôlée caractérisé par
l'exigence d'un contrat de travail, d'un certificat médical d'aptitude
au travail et d'absence de maladies contagieuses, d'une carte d'identité
avec photographie. Sur production de ces pièces, les travailleurs
reçurent un certificat d'embarquement.
-----------Les
intéressés formèrent un recours en Conseil d'Etat,
fondé sur la Loi du 15 juillet 1914 réglementant le régime
de l'indigénat. L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 15
juin 1926, conclut à l'excès de pouvoir et annula les décisions
prises par le Gouverneur général, estimant " qu'en
raison de l'importance des atteintes qu'elles portaient à la liberté
individuelle des indigènes algériens, les dispositions attaquées
ne pouvaient être édictées valablement que par le
Chef de l'Etat dans l'exercice du pouvoir législatif qui lui appartient
pour l'Algérie ".
-----------Durant
cette période il est manifeste que l'attraction métropolitaine
joue encore un rôle plus grand que la pression démographique
algérienne (le nombre des Musulmans sujets français est
cependant passé de 4.072.100 en 1901 à 4.830.800 en 1921).
La règlementation restrictive de l'émigration provoquée
par des interventions algériennes en est un indice certain.
L'EMIGRATION DE 1924
A 1936
-----------Les campagnes
de la presse algérienne, relatives à la mort, à fond
de cale du " Sidi-Ferruch ", d'émigrants clandestins
amenèrent une révision de la législation.
-----------Les
dispositions des circulaires annulées furent reprises par le décret
du 9 août 1926, puis par le décret du 4 avril 1928 "
réglementant la venue en France des travailleurs indigènes
algériens ". Ce décret subordonna les départs
à la production d'une carte d'identité, d'un extrait du
casier judiciaire vierge de condamnations graves, d'un certificat médical
avec contre-visite au départ. d'un reçu du versement d'un
cautionnement d'un billet de passage. d'un pécule de 150 francs.
-----------Le
cautionnement représentait le prix du voyage de retour. Ces diverses
prescriptions ne mirent pas, en fait, un obstacle à l'émigration
qui se poursuivit comme par le passé.
-----------Les
mesures restrictives de 1924 eurent toutefois pour résultat de
faire décroître temporairement les départs. Ceux-ci
tombèrent de 71.028 en 1929, à 29.753 en 1935. L'émigration
"officielle freinée "demeura néanmoins importante
(39.000 départs contre 25.000 retours en 1928) jusqu'à l'intervention
d'un agent régulateur impitoyable : la crise économique.
-----------Dès
1930, la crise économique ralentit l'émigration : le nombre
des retours vers l'Algérie dépasse celui des départs
vers la France. De 1930 à 1935, le mouvement d'émigration
va sérieusement diminuer. En effet, le chômage frappe, en
premier lieu, les masses nord-africaines qui comprennent une majorité
d'ouvriers non qualifiés. Les chiffres officiels de la main-d'oeuvre
nord-africaine en France tombent de 65.000 en 1932, à 56.000 en
1933, à 50.000 en 1934 et à 32.000 en 1936. Le nombre des
départs se maintient de 1932 à 1931 autour d'une moyenne
de 14.500, celui des retours étant sensiblement égal.
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L'EMIGRATION DE 1936
A 1940
-----------Le
17 juillet 1936, à la demande des élus musulmans, le décret
du 4 août 1926 est abrogé. Un décret du 17 juillet
1936 marque le retour à la libre circulation. Il ne maintient que
l'obligation relative à la carte d'identité. Cette mesure
provoque l'arrivée en France de plusieurs milliers de travailleurs
que l'économie française, en pleine crise, ne peut absorber.
-----------Pour
cette raison, ainsi que pour un motif d'ordre sanitaire (constatation
de cas de variole et de typhus en France), deux arrêtés du
Gouverneur général, des 9 décembre 1936 et 20 janvier
1937, rétablissent, l'un le cautionnement, l'autre le contrôle
sanitaire. Ces mesures n'empêchent qu'en 1936 et 1937 les arrivées
sont nettement supérieures aux retours (27.200 et 46.562 contre
11.222 et 25.622). En 1938, dernière année dont nous connaissions
les chiffres des retours, ceux-ci dépassent légèrement
les arrivées (36.063 contre 34.019) : les industries de l'Est (houillères
et métallurgie) semblent donner leur préférence aux
ouvriers tchécoslovaques et polonais. En 1939, le nombre des arrivées
n'atteindra que le chiffre de 23.820 pour décroître, en 1940,
jusqu'à 17.563. Le ralentissement de l'émigration et l'augmentation
des retours doivent être attribués à la crainte de
la guerre.
-----------Cette
période est caractérisée par le fait que les causes
de la réglementation sont, cette fois, d'origine métropolitaine
: chômage et problème sanitaire. L'Algérie ne risque
plus de manquer de main-d'oeuvre. L'accroissement démographique
de la population musulmane s'accentue. Le recensement de 1936 dénombre
6.160.700 musulmans contre 4.890.800 en 1921.
-----------Le
fait que les travailleurs algériens se rendent en France malgré
le chômage qui y sévit prouve bien que la pression démographique
algérienne joue dés-il-mais un rôle plus grand que
la simple attraction métropolitaine, cause déterminante
,de l'émigration à son origine. Les rapports préfectoraux
mentionnent que le phénomène migratoire gagne les tribus
arabes voisines de la Kabylie.
L'EMIGRATION DE 1940
A 1945
-----------I,a guerre
va changer les caractères de l'émigration. Elle entraine
la suspension du régime de l'émigration libre. Durant cette
période les départs ont lieu sous contrôle militaire.
Les travailleurs ne partent qu'en convois organisés.
-----------En
janvier 1940, le Ministère du Travail demanda l'envoi dans la Métropole
de contingents de plu-sieurs milliers de travailleurs groupés en
formations paramilitaires.
-----------Les
événements de juin 1940 arrêtèrent temporairement
l'immigration. L'exode, puis l'arrêt des industries désagrégèrent
la colonie nord-africaine de la région parisienne. Au cours du
second semestre de 1940, plus de 13.000 Nord-Africains (dont les éléments
du Nord et de l'Est. repliés sur la capitale) furent rapatriés.
-----------Mais
les Allemands ne tardèrent pas à faire appel à la
main-d'oeuvre nord-africaine. Ils comptaient pouvoir l'employer dans les
services de l'organisation Todt chargée de la construction du "
mur de l'Atlantique " et libérer, par contre-coup, un certain
nombre d'ouvriers français susceptibles d'être utilisés
en Allemagne (S.T.O.). Malgré la complicité (ou la lâcheté)
de quelques rares hauts fonctionnaires acquis à la politique de
collaboration, les départs massifs purent être empêchés.
Il n'y , eut guère plus de 16.000 départs " organisés
" de fin 1940 au débarquement allié du 8 novembre 1942.
-----------Du
mois de novembre 1942 à la fin de 1945, l'émigration fut
suspendue. Durant cette période l'Algérie s'est trouvée
avoir sur son territoire plus des 2/3 des émigrants habituels à
employer et à nourrir. Elle y parvint très difficilement
et l'on peut dire que la Kabylie ne put vivre que grâce au marché
noir de l'huile.
L'EMIGRATION DE 1945
A NOS JOURS
-----------Au
lendemain de la Libération, une des préoccupations du Gouvernement
fut de fournir à 'éco?
nomie française la main-d'oeuvre qui lui était indispensable
tant pour les tâches immédiates que pour sa reconstruction
dans le cadre du plan de modernisation et d'équipement.
-----------Aussi
le Ministère du Travail s'attacha-t-il à introduire dans
la Métropole des travailleurs nord-africains et italiens.
-----------Si
la France avait besoin de main-d'oeuvre, inversement l'Algérie
surpeuplée (la population musulmane était évaluée
à 7 millions 1/2 d'habitants) avait besoin de débouchés.
L'émigration vers la France devenait bien une nécessité
démographique. Allait-elle être organisée ou,
au contraire, les tratailleurs musulmans pourraient-ils se rendre librement
en France ?
-----------Les
tentatives de réglementation de l'émigration et de normalisation
du séjour et de l'emploi des travailleurs algériens en France
se heurtèrent au rétablissement, en 1946, de la liberté
totale des dé-placements qui fut confirmée par l'article
2 de la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l'Algérie
d'après lequel :
-----------"L'égalité
effective est proclamée entre tous les citoyens français...
Aucune mesure, règle, ou loi (l'exception, ne demeure applicable
sur le territoire des départements algériens.
"
-----------Le
rétablissement de la liberté des passages par avion puis
par bateau, au début de l'été de 1946, déclencha
une émigration massive qui s'étendit à toutes les
régions pauvres de l'Algérie (Kabylie, Aures, Dahra, Trara)
(carte).
-----------Les
bureaux des compagnies de navigation furent assiégés par
une foule de gens décidés à partir à n'importe
quel prix. Il en fut de même des compagnies aériennes (plus
de 20.000 départs par avion en 1947).
-----------L'
Administration tenta de remédier aux dangers d'une immigration
massive et anarchique. Tout en laissant entière la liberté
des passages. elle essaya de parfaire son organisation des départs
contrôlés.
-----------La
remise d'un contrat de travail à tous les travailleurs, au moment
de leur départ pour la France, paraissait être un moyen de
les amener à choisir la voie de l'émigration contrôlée.
-----------Mais
ni les employeurs métropolitains, ni les travailleurs algériens,
comme le montre le tableau ci-dessous ne semblent disposés à
recourir aux services techniques chargés des départs contrôlés.
Emigrants voyageant
librement
|
Contrats de travail expédiés
par la Métropole
|
Emigrants ayant eu recours
aux services de la main-d'oeuvre
|
1946
|
33.055
|
|
1.874
|
1947
|
65.461
|
1.010
|
773
|
1948
|
80.669
|
108
|
45(aucune demande de juin à
décembre)
|
1949
|
83.333
|
300
|
124
|
-----------Les lois
économiques sont présentement les seules régulatrices
,du mouvement migratoire : En 1948, on comptait déjà 55.000
retours pour plus de 80.000 départs, et en 1949, le total des retours
a dépassé 75.000, celui des départs se chiffrant
à environ 83.000. L'émigration effective pour cette dernière
année a donc été de 8.000 individus.
-----------Le
développement du chômage en France et plusieurs bonnes récoltes
successives en Algérie sont certes pour beaucoup à l'origine
de l'augmentation des rentrées. I1 est nécessaire que les
mesures in-dispensables soient prises pour préserver les Français-Musulmans
d'une concurrence étrangère sur le marché du travail
métropolitain. Si une intervention étatique est souhaitable
en matière d'émigration, il nous semble que c'est bien à
la limitation de l'émigration étrangère non qualifiée
qu'elle doit s'appliquer.
-----------Quant
à la valorisation et à la normalisation de l'émigration
des travailleurs nord-africains, elle s'effectuera d'elle-même dans
la mesure où le Gouvernement favorisera les initiatives sociales
et techniques privées susceptibles de créer un " climat
" tout autre que celui des formules étatiques.
Jean-Jacques RAGER
Docteur ès-lettres de l'Université d'Alger
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