Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : artisanat
le problème del'artisanat en Algérie
3 pages - n°29- 27 février 1950

-

mise sur site le 26-06-2005

12 ko / 12 s
 
retour
 

-----------L'artisanat ? Le mot prête à sourire au siècle de l'Industrie... Quelle place en effet donner à ce survivant d'âges révolus Q Que vient-il donc faire encore dans un monde hanté de machinisme entraîné inexorablement semble-t-il dans ce tourbillon de progrès où la conscience humaine flotte et recherche son équilibre 2... Peut-on s'arrêter dans cet élan en avant et consacrer un temps toujours précieux à un problème qui ne paraît plus d'actualité ?...
-----------Il est de mon devoir, je crois, de plaider la cause de cet accusé, de montrer que le progrès ne peut l'exclure (le fait même qu'il survit suffirait sans doute à le prou ver bien mieux) ; j'essaierai de démontrer que, dans une économie aussi variée que celle de l'Algérie, en présence d'une population aux conditions de vie si différentes et multiples, l'artisanat a, doit, et peut avoir sa place.

-----------J'avais, l'année dernière déjà, insisté sur le côté culturel des arts populaires de ce pays, je m'excuse de me répéter une fois encore. Il suffit de voir tout l'intérêt soulevé en France et à l'étranger lors des foires nationales ou internationales pour juger combien nos tapis, nos tissages, nos dentelles, nos broderies, nos cuivres ciselés, nos bois sculptés, nos poteries, nos bijoux sont appréciés et assurent une juste renommée à l'Algérie. Le dernier concours du Meilleur Ouvrier de France, où nous avons pu prendre une place très honorable, a été, pour beaucoup de Français, une véritable révélation. Des lettres nous arrivent de l'étranger, lettres d'hommes d'affaires, mais lettres également d'artistes, de savants qui semblent dé-couvrir un art ignoré et s'informent des techniques locales. Elles nous prouvent que notre désir de rénovation, de maintien et de protection d'une tradition artistique façonnée par plusieurs siècles, peut-être plusieurs millénaires, images de l'histoire d'un pays et de toutes les vicissitudes de son passé, n'est pas une utopie.

-----------Mais c'est à un autre point de vue que je voudrais inc placer pour défendre l'artisanat et essayer de convaincre les sceptiques.
-----------J'entends dire quelquefois : « vos créations ne sont pas rentables.» Il ne faut pas oublier le souci d'indépendance, fort louable d'ailleurs, des artisans. ("Ceux qui vivent du produit de leur travail " n'attendent rien de nous, sinon quelques conseils et ne demandent qu'à travailler en paix ; bref, ils sont peu enclins à adhérer à des groupements dont ils ne sentent pas la nécessité.
-----------Deux autres catégories d'artisans ou d'artisanes nous occupent plus spécialement, ce sont ceux qui ne vivent pas du produit de leur travail mais qui pour-raient en vivre si on leur venait en aide, ce sont enfin ceux qui ne vivront jamais du produit de leur travail parce que leur technique est insuffisante et périmée. Ayant écarté les premiers, qui n'attendent pas de secours de l'administration, je m'arrêterai aux seconds. Que leur manque-t-il ? Quelques conseils ou documents et surtout des moyens d'action suffisants pour écouler leurs produits. Une aide souvent bénigne peut leur permettre de reprendre place dans le concert économique. C'est à ceux-là que nous nous adressons surtout et c'est ceux-là qui sont prêts à suivre nos directives. Ils nous apportent leur habileté et leur foi entière, nous ne pouvons leur refuser notre concours, nous essayons donc de les aider avec le maximum de nos moyens qui ne sont hélas pas toujours suffisants.

-------

----------La troisième catégorie d'artisans semble nous échapper ; de fait, le problème ne se pose pas dans les villes ou dans les régions suffisamment riches. Le progrès condamne des techniques, c'est le sort inexorable de la marche en avant, l'artisan ne peut plus lutter et nous ne le maintiendrions que par des moyens artificiels qui coûteraient au pays alors que d'autres activités plus lucratives peu-vent solliciter le travailleur. Nous ne croyons donc pas avoir à envisager de maintenir une forme de travail lorsqu'il est avéré qu'elle ne répond plus à des besoins réels. Mais il est des régions deshéritées, des régions qui vivaient jadis d'activités disparues ; je songe à certaines oasis du Sahara qui faisaient vivre surtout les grandes caravanes d'autrefois, la vie est devenue difficile, presque impossible dans ces centres.. Des secours sont envoyés chaque année, des secours qui pèsent lourdement dans le budget et qui sont offerts comme une aumône, et pourtant je connais certaines de ces oasis où des femmes tissent à la perfection des tentures décorées qui, certainement, séduiraient maints Européens. Un essai a été tenté, ces tissages reviennent cher, en raison des difficultés multiples de transport et du souci d'assurer un salaire normal à l'ouvrière. On ne pourrait les vendre normalement qu'en baissant leur prix, d'où un déficit certain que ne peuvent supporter ni les artisans ni les créations d'un genre coopératif que nous envisageons de créer.

-----------
Il reste donc à étudier la possibilité d'organiser l'artisanat dans ces régions sans trop attacher d'importance au déficit. probable, mais en ayant toutefois le souci d'écouler les produits fabriqués. Cette forme d'assistance par le travail se-rait plus morale certainement que les secours distribués, elle conterait aussi moins cher à l'Algérie.

-----------
Voilà les graves difficultés qui nous assaillent dans notre tâche. Que l'oïi apporte l'aide indispensable à ceux que de nouvelles conditions de vie ont éloigné momentanément des activités économiques, que l'on envisage d'aider exceptionnellement ceux qui ne peuvent plus vivre du produit de leur travail, c'est tenter à chaque création une sorte d'av enture.
-----------Cependant, les résultats déjà obtenus nous encouragent à persévérer dans notre effort. Un art renaît, des artisans reprennent confiance. Ceux qui suivent chaque année des manifestations dites concours du Meilleur Artisan, jugeront sans doute des progrès accomplis de cet effort persévérant qui nous vaut chaque an-née davantage de belles pièces, davantage d'objets de qualité. Ces résultats honorent nos artisans, ils montrent que le souci de l'ouvrage bien fait n'a pas disparu et que la conscience professionnelle n'est plus un vain mot oublié au fond des âges.

-----------
Ces qualités ne demandent qu'à s'épanouir à nouveau et s'il n'est pas per-mis d'envisager sainement une renaissance totale des arts populaires de ce pays, ce qui nécessiterait un retour impossible en arrière, il est possible croyons-nous de sauver les techniques les plus originales qui ont fait la gloire de l'Algérie.

L.GOLVIN