Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale :
institut Pasteur - nécessité et efficacité des barriéres sanitaires au Sahara
deux exemples : la peste bovine et le baioudh du dattier.
n°18 - 18 février 1948

Deux redoutables maladies infectieuses, que les sables et la pierraille ont empêché jusqu'à présent de franchir les étendues sahariennes, peuvent maintenant, si l'on n'y prend pas garde, envahir des régions indemnes. Ce sont une maladie des animaux, la peste bovine, et une maladie des végétaux, le baïoudh des dattiers.

mise sur site le 16-01-2005
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---------- La mer unit, le désert sépare. Les épidémies, les épizooties, les épiphyties qui ont ravagé l'Afrique du Nord lui sont venues par-mer de l'Orient, du Nord ou de l'Occident. Mais, au Sud, la vastité du Sahara a protégé l'Afrique blanche contre les. maladies de l'Afrique, noire. Un malade qui traversait, au pas ler t des caravanes, les sables torrides de l'Erg ou les cailloux de la Hammada, avait le temps de guérir ou de mourir avant la' dernière étape. Les progrès mécaniques ont changé tout cela. La propagation des maladies oà travers le Sahara n'est plus retardée, comme autrefois, par la rareté et la lenteur des communications. ----------Deux redoutables maladies infectieuses, que les sables et la pierraille ont empêché jusqu'à présent de franchir les étendues sahariennes, peuvent maintenant, si l'on n'y prend pas garde, envahir des régions indemnes. Ce sont une maladie des animaux, la peste bovine, et une maladie des végétaux, le baïoudh des dattiers.
----------Par une heûreuse fortune, ces deux maladies présentent ce caractère commun de pouvoir être arrêtées par de simples mesures 'sanitaires, à condition que celles-ci soient rigoureusement appliquées.

PESTE BOVINE

------La peste bovine est à la fois, comme l'indique son nom de peste, une maladie qui se propage avec une grande rapidité, et ,une maladie très meurtrière. NOCARD et LECLAINCHE oint écrit :" Les épizooties de peste bovine sont' rapidement envahissantes et détruisent la quasi-totalité du bétail dans les régions atteintes " ( Ed. NOCARD et E. LECLAINCHE, " Les Maladies Microbiennes des Animaux ", 3è édition, 1, 1903, p. 520 (Masson, Paris). . D'autre part, il est un fait remarquable : alors que les mesures de police sanitaire sont souvent impuissantes contre la propagation d'infections contagieuses, telles que la fièvre aphteuse, qui peut se faire à distance par des vecteurs autres que le bovin lui-même, ces mesures sont efficaces contre la diffusion de la peste bovine " qui procède toujours d'une contagion assez directe " (NOCARD et LECLAINCHE). Un bel exemple de cette efficacité a été donné, après la première guerre mondiale, par le succès des mesures de défense prises à la frontière nord-est de la France, sous la direction de ROUX, LECLAINCHE et VALLLEE. L'organisation d'une " douane sanitaire " a été suffisante.
--------La défense sanitaire se définit en peu de mots interdire l'introduction d'animaux vivants. -Non seulement les bovidés doivent être arrêtés, mais certaines autres espèces animales, car nombre d'entre elles peuvent donner des transporteurs de germes.
----------A la lumière de ces quelques notions générales, l'histoire de l'invasion de l'Afrique noire par le virus-contage pestique montre, à la fois, le péril qu'entrains la disparition progressive de la barrière naturelle que constituait le' désert sans routes et l'espoir qu'on' peut mettre dans un" barrage sanitaire rigoureusement surveillé.
----------La première apparition de la peste bovine en Afrique parait dater de 1884. L'Egygte fut, cette année- là, ravagée par une epizootie due à l'importation de bétail russe, envoyé des ports de la Mer Noire pour le ravitaillement des troupes britanniques au moment de la campagne du Nil. Il est établi que, d'Egypte, la peste boviné a cheminé vers l'Ouest, atteignant le Tchad, où on la signale de 1889 .à.1893. Vers. le Sud, la peste bovine est transportée, en 1890, d'Egypte en Abyssinie, par le bétail envoyé aux troupes italiennes, à Massaoua. En cinq années, par l'Afrique orientale allemande, elle s'étend au Transvaal, à l'Orange, au Cap. Depuis lors, plusieurs vagues épizootiques, venues du Soudan anglo-égyptien, déferlent vers l'Ouest et le Sud.
---------Cette rapide diffusion de la peste bovine sur le continent africain, son installation à demeure dans, la colonie du Tchad, en Mauritanie, expliquent cette phrase écrite par le vétérinaire-major MALFROY en 1923 : " Il se pourrait même qu'un jour une de ces epizooties arrivât jusqu'au Sud marocain et, de là, se prepageât en Algérie et en Tunisie ".
----------Nous ajouterons qu'il faut penser également, et plus qua jamais à l'heure actuelle, au risque de la contamination de l'Algérie-Tunisie, à travers la Tripolitaine et la Cyrénaïque, par l'Egypte, où, comme nous l'avons exposé, elle sévit à l'état enzootique.
----------Si la peste bovine, envahissait l'Afrique du Nord, non seulement elle causerait des pertes immenses au cheptel bovin;: mis elle interdirait' l'exportation en France de tout animal vivant venant du Maroc,de l'Algérie et de la Tunisie. Nousavons signalé çe danger à plusieurs reprises depuis 1918 ( En aout 1918, mai 1925, juillet 1926, 1930, juin 1940, octobre 1941 (lettres au Gouvernement Général de l'Algérie); Nous avons fait aussi une commucation à l'Académie des Sciences Coloniales 16, 1930-31, intitulée : " Du danger que présente pour l'Afrique du Nord la peste bovine qui règne en Afrique noire ".)
----------On pourrait, certes, combattre la maladie si elle s'installait en Afrique du Nord. On appliquerait la vaccination et la sérothérapie, qui donnent de très bons résultats dans les colonies déjà contaminées, comme l'Indochine et le Soudan. ----------Pour être prêt à toute éventualité, l'Institut Pasteur d'Algérie a établi un plan de mobilisation antipestique il serait "nécessaire de disposer d'un très grand domaine, isolé des agglomérations et des grandes routes, et cependant suffisamment proche d'Alger ; il faudrait y construire de nombreux laboratoires, écuries et baisses ; les frais de fonctionnement monteraient chaque année à plusieurs millions de francs. Et l'histoire montre que lorsque la peste bovine s'est introduite dans un pays, elle y devient enzootique et n'en peut plus être extirpée.
----------En bref, les conséquences néfastes de 'l'invasion, d , l'Afrique du Nord par la peste bovine de l'Afrique noire, seraient de trois ordres : disparition presque complète du troupeau bovin, impossibilité d'exporter désormais du bétail en Europe, dépenses élevées à répéter annuellement pour la reconstitution et la préservation du cheptel local.
----------Au contraire, une barrière sanitaire, à condition qu'elle soit fortement organisée et strictement surveillée, peut arrêter la contagion.
----------Il faut l'organiser le plus loin possible des régions à protéger, face au Soudan d'un côté,' à l'Egypte de l'autre.
----------En résumé
------------La pesté bovine cause, dans les pays qu'elle envahit, des pertes immenses.
------------L'Afrique du Nord, encore indemne, est menacée sur toutes ses frontières terrestres.
------------Le contage-virus peut être introduit par des porteurs sains : bovins, zébus, moutons, chèvres, chameaux,. etc...
----------Pour se préserver de la contamination, le moyen le plus simple que possède l'Afrique du Nord est d'interdire l'importation de tous" lês animaux vivants même sains en apparence, provenant, du reste de l'Afrique.
----------Les pays de l'Afrique du Nord française ont intérêt à conjuguer leurs efforts. La Tunisie doit se protéger du côté de la Tripolitaine et le Maroc du coté de' Rio -de Oro et de la Mauritanie. C'est l'Algérie qui a les plus longues frontières à surveiller : d'une part, au Sud, du côté. du Soudan, d'autre part, à l'Est, du côté de l'Egypte.
----------Le 11 janvier 1944, le Gouverneur général de l'Algérie a pris un arrêté qui, par son article 2, interdit l'importation et le transit en Algérie, par les frontières de terre et de mer des animaux vivants des espèces bovines, ovines, caprines autres. ruminants et porcs, en provenance de l'Afrique occidentale française, ainsi que des fourrages, pailles, litières et fumiers. Aux articles 3 et 4, il est prescrit que l'importation et le transit en Algérie des animaux vivants des espèces bovines, ovines et caprines, en provenance de la Tunisie ou du Maroc, ainsi que de leurs débris frais et peaux fraîches, ne peuvent avoir lieu que si les -vétérinaires des Services de l'Élevage accordent un certificat de bonne santé.

 

LE BAIOUDH DU DATTIER

----------Depuis les premières années du XX siècle, les habitants de l'ôasis, de Figuig ont vu avec effroi une maladie nouvelle décimer leurs dattiers. Le Commandant PARIEL, qui administrait les Hauts-Plateaux du Maroc oriental en 1920, nous demanda,a cette époque, d'étudier ce mal redoutable, que - les, Indigènes appellent baïoudh, parce que les palmes deviennent blanchâtres (abiodh veut dire blânc en arabe).
----------Après avoir fait une enquête auprès des Ksauriens de Figuig, nous procédâmes à des recherches expérimentales que nous résumons ici ( Ed. SERGENT et M. BEGUET, " Sur la nature myçosique d'une nouvelle maladie des dattiers menaçant les oasis marocaines ".-C. R. Acad. Sc. 172, 20 juin 1921, p. 1624.
----------Les Ksouriens, dont les dattiers constituent la principale richesse, les observent avec beaucoup d'attention Ils ont fourni à notre enquête de 1920-1921 une foule de renseignements précis. D'après eux. la maladie serait originaire du Draa (Sud-ouest du_ Maroc), d'où elle a gagné le Tafilalet,puis vers1898, Figuig ( Le baïoudh a atteint, en 1900, le Tidikelt (Voir P. SANTINI Arch. Inst. Pasteur d'Algérie, 15, juin 1937, pp. 271-276.) Tout palmier atteint est condamne et, dans le sol où il a poussé, aucun autre palmier ne peut être planté sans se contaminer et périr à son tour. Chaque dattier mort crée ainsi un champ maudit. L'affection a tous les caractères d'une maladie infectieuse- Les oasiens de Figuig prévoient le, moment où cette épiphytie pourrait anéantir leurs palmeraies et ont dit aux officiers du Commandement: " Si les Français ne trouvent pas.le moyen d'arrêter cette maladie, nous serons forcés d'émigrer " La marche de l'épiphytie est assez lente, mais elle est continue- La propaggt'ion ne s'opère pas en tache d'huile elle laisse des., clairières indemnes quand la maladie éclate dans un jardin, elle essaime au voisinage, comme une colonie ; puis elle peut sauter de la dans un autre jardin qui n'est pas attenant au premier. C'est pendant la saison chaude surtout qu'elle se développe..,
----------Le premier: symptôme apparent est le blanchiment des folioles. On voit en même temps apparaître sur le pétiole de la palme, du côté des folioles blanchies et desséchées, des veines brun-rouge foncé décelant la dégénérescence gommeuse des faisceaux libéro-ligneux.On peut suivre ces veines brun-rouge jusque dans le stipe. L'infection semble ascendante des racines jusqu'aux palmes. ,
----------Toutes les palmes ne sont pas atteintes à la fois.. Il n'y a pas d'ordre régulier dans la façon dont elles sont prises les unes après les autres sur un dattier_: Quand les jeunes palmes du ceeur sont frappées les premières, la mort survient en quelques semaines. Au contraire, lorsque le mal débute parr les palmes exté. rieures du bouquet, l'affection peut durer jusqu'à 3 ou 4' ans avant la terminaison fatale.. .
----------Le baïoudh ne ressemble à aucune des autres maladies du dattier que connaissent les Indigènes
le douda, le bou-qmech, etc... Les Indigènes disent qu'ils savent guérir toutes ces maladies ou en pallier les effets : seul le baïoudh est sans remède.
----------Le baïoudh est propre au dattier, ; aucun des arbres fruitiers qui poussent à l'ombre des palmeraies n'en est atteint.
----------Lés recherches expérimentales que nous avons effectuées en 1921 à Figuig. nous ont montré la présence constante, et à l'état de pureté, d'un champignon nouveau dans les lésions, ainsi que dans; les parties saines en apparence, des dattiers malades. Nous avons obtenu. régulièrement, en culture pure, ce champignon rose en- ensemençant dans les Milieux appropriés le Tissu de palmes atteintes de baïoudh. L'ensemencement de tissus de dattiers sains ou atteints de lésions autres que le baïoudh, ou de tissus morts par une, cause banale (section, etc...), n'a jamais donné de culture de ce champignon. C'est pourquoi nous avons conclu, en 1921, qu'il y avait lieu de le considérer comme l'agent du baïoudh (loc. cit., p. 1626). Notre champignon a été dénommé par KILLIAN et MAIRE, en 1930, Cylindrophora albedinis et placé, en 1934, dans le genre Fusarium, par C. MALENÇON.
----------Les mesures prophylactiques à opposer au baïoudh sont de deux sortes
----------Les unes, purement palliatives, sont inspirées par le fait que certaines variétés de dattiers (par exemple le tabdount, l'àsian et à un degré moindre, l'aziza) résistent davantage au baïoudh, que d'autres, comme l'aghars, le feggous et l'afrokh ntigent, comme nous l'a appris notre enquête de 1921. C'est pourquoi les Indigènes plantent de préférence, dans les oasis atteintes, les variétés de dattiers qui résistent le mieux au baïoudh. Des essais de contamination expérimentale de Phoenix canariensis, auxquels nous avons procédé en 1921, ont donné un résultat négatif. Le palmier des Canaries résiste donc au haïoudh. ----------Malheureusement ses dattes ne sont pas comestibles.
----------Mais 1a mesure la plus efficace est l'isolement des palmiers atteints. Les Indigènes savent si bien que le baïoudh est une maladie contagieuse qu'ils prohibent l'introduction, dans les palmeraies encore préservées, d'un dattier atteint de baioudh, fût-il mort et à l'état de bois de construction. Est défendue également l'introduction, dans les palmeraies saines, du fumier, des couffes, des instruments agricoles tels que la mzebra, serpe à long manche qui sert à émonder,,à élaguer les palmiers, et dont tout Ksourien est porteur. On écarte aussi les eaux d'irrigation provenant de jardins contaminés en amont.
----------Pour protéger les oasis du Sud algérois et du Sud constantinois contre la contamination qui menace de venir de l'Ouest, il y a lieu d'interdire l'importation, dans ces oasis, de rejetons ou de tous produits des dattiers des oasis contaminées. Telle était déjà la conclusion prophylactique de notre publication de 1921 (loc. cit.5 p. 1627).

RESUME

----------La pacification` du Sahara et les progrès mécaniques ont fait tomber les obstacles que les immensités désertiques opposaient aux communications et aux échanges commerciaux. Mais voici le revers de la médaille: le Sahara n'oppose plus de distances -infranchissables à la propagation des maladies infectieuses.
----------Le danger qu'entraîne la facilité croissante des transports transsahariens se manifeste en particulier pour deux maladies dont la diffusion en Afrique du Nord aurait des conséquences catastrophiques : la pêste bovine et le baioudh des dattiers.
----------La peste bovine, qui, est arrivée du Nord en Egypte en 1884, a submergé depuis lors toute l'Afrique noire et. risque d'envahir l'Afrique blanche par le Sud ou l'Est. Le baioudh des dattiers, originaire du Sud-ouest marocain, menace d'envahir d'Ouest en Est les, riches palmeraies du Sahara nord-oriental. Au regard de ce risque évident et effroyable, un fait réconfortant : ces deux maladies infectieuses ont toutes deux un mode de contagion, tel que des mesures de police peuvent suffire à empêcher les contaminations. Une " douane sanitaire " barrera efficacement, le chemin à la peste bovine et au baioudh, pourvu qu'elle :soit réellement et sévèrement appliquée.

Dr Edmond SERGENT,
Membre de l'Institut,
de l'Académie de Médecine et de l'Académie d'Agriculture.
Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie