Alger, Algérie : documents algériens
Série politique : hors série
Message de M.Roger Léonard à l'occasion du nouvel an.
3 pages - hors série - 5 janvier 1954
mise sur site le 13-01-1954
(note du site: ...et le 1er novembre de cette année, ce fut le début de la fin!!!)

10 Ko / 13 s
 
retour
 

----------Pour celui qui tient de ses fonctions les responsabilités les plus directes, formuler pour l'Algérie les vœux qu'appelle la nouvelle année n'est pas un simple rite. C'est que les années sur cette terre sont d'une densité qu'ignorent les vieux pays homogènes, assis sur le socle d'une millénaire continuité. Les années d'Algérie sont des années d'adolescence et l'histoire un jour, en dira tout le poids. Jeunesse de l'Algérie : car si au cours des âges sur les rivages maghrébins sont déjà venus s'épanouir les civilisations les plus hautes et ces grandes pensées mystiques qui ont donné et donnent encore à l'humanité les plus sûrs de ses enchantements, il a fallu la présence française avec ses apports d'hommes et ses disciplines de pensées et d'actions pour rassembler ce vieux pays morcelé en ses diversités, lui donner IE goût des synthèses nécessaires et dans son unité nouvelle lui révéler sa personnalité. Et maintenant il nous appartient tous ensemble de construire la cité de nos enfants. A cet égard, il faut avoir clairement conscience qu'elle sera oeuvre de tous ou qu'elle ne sera pas : dans ce pays où tant a été fait mais où tant demeure à faire, l'avenir ne peut être assuré que dans le travail, la concorde et la paix. Cependant qu'autour d elle trop d'exemples lui sont donnés des pires déchirements, l'Algérie n'a cessé de témoigner de sa volonté de poursuivre œuvre constructive
qu'elle s'est assignée et, pour y parvenir, d'exalter sa propre communauté pour en faire un élément vivant et conscient de la grande communauté française.

----------Mais de cette action collective chacun doit se sentir comptable ; nous sommes tous responsables de tous. Il ne suffit pas d'affirmer la nécessité d'une action fraternelle, et, ce à quoi je serai toujours résolu, de la défendre contre les incompréhensions et les discordes, cette fraternité il faut la vivre. Ceux-là seuls ont le droit de l'invoquer qui l'ont d'abord réalisée dans leur cœur. Ajouterai-je que, si le devoir est pour tous il est d'abord pour ceux qui ont choisi d'être des guides : ceux qui peuvent le plus sont aussi ceux qui doivent le plus.

----------Nous devons également penser que cette grande communauté franco-musulmane qu'est et doit être l'Algérie, il ne faut pas en chercher la substance dans de quelconques reniements. Alors surtout que la grande crise du monde moderne tient à ce que l'Esprit semble avoir cessé d'ordonner la matière, les principes spirituels qui sont à la base de nos diverses sociétés revêtent une valeur universelle et irremplaçable. Tout groupe humain qui s'en détache perd le meilleur de lui-même et c'est l'humanité toute entière, qui avec lui s'en trouve mutilée. La France, en Algérie moins qu'ailleurs, n'a rien à craindre de la ferveur de l'Islam : elle sait que l'humanisme chrétien, dont elle continue à porter le message, s'abreuve aux mêmes sources. Elle sait que le Musulman, qui assimilera le mieux sa pensée, sera celui qui aura su y reconnaître les grands principes spirituels qui ont fait de lui ce qu'il est. Sans doute même en de telles confrontations, qu'il soit chrétien, musulman, israélite ou même penseur libre, chacun retrouvera ses valeurs les plus authentiques, altérées par les aventures diverses qu'imposa le destin à ceux de sa race ou de sa tradition.

 

-----------Pour notre part nous pensons que c'est ainsi que pourra se développer cette communauté vivante, une en ses diversités, qu'ici nous voulons promouvoir.

----------Certes nous ne pouvons prétendre en un jour la réaliser dans la plénitude de ses conséquences, car il est des disparités matérielles qui ne peuvent se résoudre sans le concours du temps et la nature a des lois que l'on ne peut forcer. Mais c'est le sentiment de sa nécessité, qui doit orienter nos efforts, l'effort de chacun et l'effort de tous, car chacun se doit d'apporter sa pierre à l'édifice, qui abritera nos destinées particulières comme notre sort collectif.

----------Et puisque voici le temps où une année nouvelle franchit le seuil des hommes, marquant par la communauté de leur attente la communauté de leur condition, vous me permettrez, du plus profond de mon cœur, de souhaiter quelle ne s'achève pas sans qu'en des traits nouveaux sur le sol de l'Algérie comme dans le secret de nous-mêmes se soient encore développées ces grandes constructions fraternelles, dont nous avons fait choix pour abriter notre avenir.

----------Nous pensons aussi à la France, notre patrie, dont nous sommes ici plus qu'ailleurs peut-être solidaires, car il n'est point de terre française qui plus que l'Algérie ait besoin de s'appuyer sur sa force et sa prospérité. Les difficultés qui la pressent, reflets des désordres du monde, nous les connaissons et nous en mesurons la gravité, mais nous savons aussi ses ressources profondes, souvent ignorées des autres autant que d'elle-même et nous pensons qu'il ne saurait être de danger véritable pour elle que dans les égarements de l'esprit public. Mais nous avons confiance en sa vieille sagesse et dans la force de ses traditions nationales pour que soit assurée la prééminence de l'intérêt public et pour que les désaccords sur les moyens ne l'emportent jamais sur l'unité des buts où s'accordent tous les Français.