-------S'il
est, en Algérie, une question digne de retenir l'attention c'est
bien, au premier chef, celle du statut juridique des musulmans. Son
intérêt est, à la fois, humain, politique et juridique.
Qu'il présente un intérêt sur le plan humain, il
est à peine utile de le rappeler. Ne définit-il pas l'un
des cadres où doit nécessairement s'inscrire la vie de
huit millions de musulmans ? Mais il présente aussi un intérêt
politique évident. Il dépend, en effet, dans une large
mesure des solutions adoptées dans ce domaine par le législateur
que l'évolution actuellement en cours se poursuive dans les meilleures
conditions ou, au contraire, se heurte à des difficultés
imprévues. Enfin, il ne paraît pas téméraire
d'affirmer que le statut des musulmans d'Algérie présente
un intérêt au point de vue juridique. Cette affirmation,
encore gratuite, peut être les explications données dans
la présente étude seront-elles de nature à l'étayer
et à la confirmer.
-------A
vrai dire, le statut juridique des musulmans d'Algérie n'a cessé
d'évoluer depuis 1830. Et il ne manquera pas d'évoluer
encore dans l'avenir. Le droit est, comme la vie à laquelle il
doit s'adapter, une " création continue ". Cependant
l'évolution que ce statut a subie jusqu'ici n'évoque,
en aucune façon, le flot calme et régulier d'un fleuve
de plaine. Elle fait bien davantage penser à ces torrents de
montagne dont les eaux, tantôt se précipitent dans des
gorges resserrées, tantôt s'apaisent dans de petits bassins
intérieurs jusqu'à en paraître stagnantes.
-------Dans
l'histoire du statut juridique des musulmans d'Algérie, qui commence
pratiquement avec le senatus- consulte du 14 Juillet 1865, ce sont les
deux grandes guerres de 1914-1918 et 1939-1945 qui ont suscité
les réformes les plus profondes... Et c'est à la fois
très naturel et très légitime.
C'est très naturel, car les guerres sont des périodes
de crise intense qui conduisent les pays belligérants à
repenser un certain nombre de grands problèmes que, durant les
périodes de paix, ils ont tendance, soit à croire résolus,
soit tout simplement à oublier
-------C'est
très légitime également, si l'on pense au rôle
important que les musulmans d'Algérie ont joué dans les
opérations militaires aussi bien en 1914-1918 qu'en 1939-1945.
A peine sortie de chacune de ces deux épreuves, la France s'est
donc sentie moralement tenue de procéder à une adaptation
du statut juridique (les musulmans aux progrès, continus et réguliers,
réalisés par ces derniers dans leur évolution sociale
et économique.
-------Mais des deux crises, 1914-1918 et 1939-1945,
la plus violente, celle dont les effets ont été les plus
profonds et les plus graves, est évidemment la seconde. Aussi
a-t-elle marqué, dans l'évolution du statut juridique
des musulmans d'Algérie, sinon un bouleversement complet, du
moins des modifications si importantes et si complexes que l'histoire
de cette évolution parait comporter presque inévitablement
deux chapitres dont le premier s'achèverait avant l'intervention
de la fameuse ordonnance du 7 mars 1944 et dont on peut dire que le
second n'est pas encore clos.
UN
-------Naturellement,
le statut du citoyen français est en perpétuelle évolution.
Son contenu - c'est-à-dire. non seulement les droits électoraux,
niais d'une façon générale tous les droits publics
et privés - varie avec l'activité législative de
chaque jour. Ce que lori peut dire, toutefois, c'est que, jusqu'à
la dernière guerre, il n'y' a jamais eu qu'un seul statut du
citoyen. Ce statut était, en quelque sorte, " un et indivisible
", au moins pour tous les citoyens demeurant sur un territoire
déterminé de la République.
-------A
- Le statut du musulman, simple sujet français, était
dans l'ensemble, un statut mineur, défavorisé par rapport
à celui du citoyen.
-------1°)
On ne doit pas oublier, cependant, qu'il comportait
- il comporte encore d'ailleurs - un avantage substantiel pour les intéressés
: le maintien de ce que l'on appelle, d'une façon un peu sommaire,
leur statut personnel. Le principe de ce maintien, posé lors
de la capitulation d'Alger en 1830, a été confirmé
par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865. Des décrets
ultérieurs ont précisé, à plusieurs reprises,
les matières pour lesquelles les musulmans demeuraient soumis
à leurs droits et coutumes. Ces matières concernent
--------
en premier lieu l'état des personnes : filiation, mariage, dissolution
(lu mariage, tutelle des mineurs et (les interdits ;
---------
en second lieu, les successions : désignation des héritiers
et calcul des parts, leur revenant, ainsi que les habous ;
--------
Enfin les immeubles non francisés.
-------Le
maintien. en ces matières, du droit musulman et des coutumes
kabyles ne veut pas dire, bien entendu, que la France se soit interdit
toute intervention lorsque des considérations importantes l'y
incitaient. En fait elle est intervenue à plusieurs reprises.
On peut citer à titre d'exemple: pour la Kabylie, le décret
du 10 Août 1902 sur la tutelle et l'interdiction, la loi du 2
Mai 1930 sur le mariage, le décret du 19 mai 1931 sur la condition
de la femme kabyle et pour les pays soumis au droit musulman, les décrets
(lu 20 août 1936 sur la majorité et la tutelle.
-------Il
n'en demeure pas moins que, pour des raisons à la fois morales
et politiques, il ne pouvait et il ne saurait être question de
supprimer le " statut personnel " des intéressés.
Seuls des amendements de détail sont possibles.
-------Le
maintien du statut personnel a eu pour conséquence l'organisation
(l'une justice civile musulmane qui, dans une certaine mesure, s'inspire
de celle à laquelle les musulmans étaient soumis avant
1830. Il ne peut évidemment être question de traiter, ici,
de cette organisation. Mais on peut penser que l'existence d'une justice
civile musulmane constitue, aux yeux des musulmans, un avantage auquel
ils sont attachés.
-------2°
Il faut bien reconnaître, toutefois, que
si le statut juridique des musulmans d'Algérie présentait
et présente encore pour ces derniers, les avantages qui viennent
d'être indiqués, il plaçait, par ailleurs, les intéressés
dans une situation défavorisée par rapport. aux citoyens.
Naturellement, le fossé qui séparait le statut des musulmans
de celui des citoyens, très profond au début, n'a cessé
de se réduire jusqu'à la dernière guerre. Cette
évolution, on peut juger de son ampleur par les trois exemples
suivants qui concernent l'exercice des droits politiques, l'accession
aux fonctions publiques et enfin le " régime de l'indigénat
".
--------------a)
Dans l'Algérie française, les musulmans furent d'abord
privés de tout droit politique. Cependant, à la veille
de la dernière guerre, ils en exerçaient de très
étendus dans un collège qui leur était propre.
-------Etaient
inscrits sur les listes électorales de ce collège, depuis
1919, les musulmans de sexe masculin ayant 25 ans accomplis, ne se trouvant
dans aucun des cas d'incapacité prévus par la législation
française, ayant une résidence de deux années consécutives
dans la commune et remplissant, en outre, une des sept conditions fixées
par la loi : avoir servi dans les armées de terre et de mer,
être propriétaire, employé de, l'Etat, membre d'une
chambre de commerce, titulaire de certains diplômes, décorations
ou distinctions, avoir obtenu certaines récompenses. Malgré
les restrictions imposées par la loi, on peut (lire que le corps
électoral musulman était assez étendu.
-------Les
musulmans avaient des assemblées qui leur étaient propres
: les djemaâs de douar. Leurs représentants à ces
assemblées, d'abord nommés par le préfet, furent
désignés à l'élection à partir de
1919.
-------D'autre
part, les musulmans étaient représentés dans toutes
les assemblées locales. Dans les communes (le plein exercice,
la place faite aux intéressés au sein du conseil municipal,
très réduite avant 1919, avait été largement
augmentée à partir de cette date. Les musulmans eurent
droit, désormais, à quatre conseillers quand le chiffre
de la population musulmane variait entre 100 et 1.000 et à un
conseiller supplémentaire pour chaque excédent de 1.000musulmans
sans que leur nombre puisse toutefois dépasser le tiers de l'effectif
du Conseil, ni excéder celui de 12.
-------Dans
les communes mixtes, les commissions municipales comprenaient, à
côté des adjoints et des membres français élus,
les présidents des djemaâs, également élus
depuis 1919. et des caïds à la nomination du Gouverneur
général.
-------Pour
les conseils généraux, le décret du 25 septembre
1875, qui étendait à l'Algérie la loi métropolitaine
de 1871, ne prévoyait que la désignation, par le Gouverneur
Général, de quelques assesseurs musulmans choisis parmi
les notables du département. -Mais en 1908, ces assesseurs nommés
furent remplacés par six conseillers élus. Enfin, en 1919,
le nombre de ces conseillers fut porté au quart de l'effectif
total des membres des conseils généraux.
-------Aux
délégations financières, les musulmans avaient
aussi leur place. A côté de la délégation
des colons et de celle des non-colons, dont chacune avait 24 membres,
il existait une délégation indigène qui, réduite
au début à 15 membres dont 7 Kabyles, fut élargie
en 1937 et compta désormais 24 membres comme les deux autres.
-------Somme
toute, les musulmans avaient des élus dans toutes les assemblées
locales. Par contre, et il convient de le souligner, ils n'en avaient
aucun au Parlement.
--------------b) Cette évolution, si nette
en ce qui concerne l'exercice des droits politiques, on la retrouve
pour l'accession aux fonctions publiques.
-------Les
musulmans ne pouvaient, à l'origine, accéder à
aucune de ces fonctions. Mais en 1866 un décret donna une liste
limitative - élargie à deux reprises par la suite - des
emplois publics qu'ils pouvaient occuper. Enfin, la loi du 4 février
1919, renversant le principe jusque-là admis, énuméra
les fonctions d'autorité - relativement peu nombreuses - interdites
aux musulmans. A tous les autres emplois, ils pouvaient accéder
au mène titre que les Européens.
--------------c)
La même évolution se retrouve dans le " régime
de l'indigénat " qui consistait en divers délits
et contraventions propres aux musulmans.
-------Ce
régime s'appliqua d'abord à tous les musulmans. Mais à
partir de 1920, ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales
y furent soustraits et ne purent plus être condamnés, sauf
quelques exceptions en matière forestière, que pour les
mêmes faits et par les mêmes tribunaux que les citoyens
français.
-------Par
la suite, le Gouverneur Général étendit la mesure
de faveur prise en 1920 à de nouvelles catégories (le
musulmans. Aussi, à la veille (le la dernière guerre,
les contraventions spéciales à l'indigénat, d'ailleurs
de plus en plus rigoureusement réglementées, ne s'appliquaient-elles
plus qu'à un nombre réduit de musulmans.
-------3'
Par ces trois exemples on peut aisément
se rendre compte de l'évolution constante du statut des musulmans
d'Algérie avant la dernière guerre. Ce statut n'en demeurait
pas moins un statut mineur auquel les musulmans, s'il, acceptaient de
renoncer à leur statut personnel, pouvaient désirer se
soustraire pour bénéficier de celui, plus avantageux,
du citoyen français.
-------Il
était donc nécessaire qu'entre ces deux statuts, celui
du musulman, simple sujet français et celui du citoyen français,
le législateur jetât des ponts. Il l'a fait à deux
reprises, par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et par la
loi du 4 février 1919 dont chacun organise une procédure
spéciale d'accession à la citoyenneté française.
improprement appelée procédure de " naturalisation
".
--------------a)
Pour l'accession à la citoyenneté française, le
sénatus-consulte de 1865 (qui s'appliquait à toute l'Algérie,
territoires du Sud compris) n'exigeait aucune condition particulière
des postulants, sinon celle d'avoir 21 ans. Le libéralisme du
législateur s'explique par le fait qu'il ne s'agissait pas, à
proprement parler, d'un droit reconnu aux intéressés.
La déclaration d'accession à la citoyenneté française
était un acte purement discrétionnaire : c'était
aussi un acte des plus solennels puisqu'il était statué
par décret sur la demande des musulmans, conformément
à la procédure suivie pour la naturalisation des étrangers.
-------Les
enfants mineurs du nouveau citoyen devenaient eux-mêmes citoyens
à titre définitif. En ce qui concerne la femme, on était
d'accord pour admettre que son statut n'était pas modifié
par la " naturalisation " (le son mari.
-------Il
faut bien le dire, la procédure instituée par le sénatus-consulte
de 1865 a abouti à un échec, car les musulmans, sauf de
très rares exceptions, se refusaient à abandonner volontairement
leur statut personnel (le peur de passer pour des apostats auprès
de leurs coreligionnaires.
--------------b)
Cet échec ne découragea cependant pas le législateur
qui, après la guerre de 1914-1918, fit un nouvel effort. La loi
du 4 février 1919 (applicable aux seuls territoires du Nord)
vint superposer à la procédure instituée en 1865
et qui demeurait toujours en vigueur, une deuxième procédure
d'accession à la citoyenneté française.
-------Avec
cette nouvelle procédure, il ne s'agissait plus, pour les musulmans,
d'une simple possibilité. mais d'un véritable droit, s'il,
réunissaient les conditions fixée, par la loi. Ces conditions
étaient, à vrai dire, peu rigoureuse,. Il fallait être
âgé de 21 ans au moins, être monogame ou célibataire.
n'avoir pas encouru certaines condamnations ou certaines peines disciplinaires
graves, enfin, prouver en quelque sorte son " assimilation "
en remplissant l'une des sept conditions spéciales suivantes
:
--------
avoir servi dans les armée de terre ou de mer,
--------
savoir lire et écrire en français,
--------
être propriétaire foncier ou fermier ou être inscrit
au rôle, soit des patentes, soit des impôts de remplacement
pour une profession sédentaire.
--------
être titulaire d'une fonction publique ou d'une pension de retraite
pour services publics, - avoir été investi d'un mandat
public électif,
--------
être titulaire d'une décoration française ou d'une
distinction honorifique accordée par le Gouvernement français,
--------
être né d'un musulman devenu citoyen français alors
que le demandeur avait déjà atteint 21 ans.
-------Il
était statué sur les demandes d'accession à la
citoyenneté, non par le Gouvernement comme dans la procédure
de 1865, mais par le Tribunal de première instance, puis, à
partir de 1943, par le juge (le paix.
-------Cette
procédure n'eut, bien entendu, pas beaucoup plus de succès
que la précédente et pour la même raison : les musulmans
ne voulaient pas abandonner leur statut personnel. De 1865 à
1934, ces deux procédures n'ont fait accéder à
la citoyenneté française que 2.500 musulmans.
--------------c)
Les musulmans firent, au contraire, un très large usage du "
droit d'option " qui leur était reconnu par le législateur.
-------Le
droit d'option consistait - et consiste toujours - dans la possibilité,
pour les musulmans non citoyens de se placer sous l'empire du droit
français, temporairement, partiellement, à l'occasion
d'un acte ou d'un fait juridique déterminé.
qu'elles voulaient soumettre à la loi française, soit
dd les parties la formulaient, soit dans l'acte même Cette option
d e législation était expresse quanans une convention
ultérieure.(note du site: ce
paragraphe est tel que dans le document. Une ou des lignes ont dû
sauter à l'imprimerie)
-------Elle
pouvait aussi être tacite. Elle résultait alors - sauf
déclaration contraire - de la réception de la convention
originaire par un officier public français. C'est ainsi qu'il
y avait - et il y a toujours - option tacite quand les époux
faisaient célébrer leur mariage, non dans les formes musulmanes,
niais devant l'officier de l'état civil. Leur mariage se trouvait
dans ce cas soumis aux règles du code civil.
DEUX
-------Voilà
quel était, très rapidement résumé, le statut
juridique des musulmans d'Algérie avant l'intervention de l'ordonnance
du 7 mars 1944. Il représentait le résultat des efforts,
certes méritoires, niais encore insuffisants, déployés
par le législateur français pendant plus d'un siècle.
A vrai dire, après la poussée réformatrice de 1919,
ce statut ne subit plus que des modifications peu importantes. Sans
doute, des projets de réforme avaient-ils été élaborés,
tel le projet Blum-Violette. Mais la résistance de la population
européenne d'Algérie les avaient fait échouer.
-------Par
contre, au cours de la deuxième guerre mondiale et des années
qui l'ont suivie, on assiste à une évolution précipitée
et beaucoup plus complexe qu'auparavant du statut juridique des musulmans
d'Algérie.
-------En
réalité, à partir de 1944, on est en présence
d'un double phénomène. D'une part, l'évolution
du statut juridique des musulmans s'accentue considérablement.
D'autre part, le législateur: abandonnant l'idée que le
statut du citoyen doit être " un et indivisible ",
opère une véritable association des droits publics et
privés du citoyen. Ainsi en arrive-t-il à admettre que
certaines catégories de musulmans, tout en conservant le bénéfice
de leur statut personnel, peuvent exercer les droits politiques du citoyen
français Il y a intérêt à examiner successivement
ces deux phénomènes.
-------A.
- En ce qui concerne les nouvelles et substantielles
modifications dont le statut juridique des musulmans d'Algérie,
ont fait l'objet, il faut distinguer entre les droits politiques et
l'ensemble des autres droits.
--------------1
) En matière de droits politiques, l'ordonnance
du 7 mars 1944 opère deux réformes d'une extrême
importance.
-------a)
D'une part. elle élargit considérablement le collège
électoral musulman, tel qu'il avait été défini
en 1919. Elle déclare, en effet que tous les musulmans âgés
de 21 ans et du sexe masculin doivent être inscrits sur les listes
du deuxième collège. Sous la seule réserve que
les femmes musulmanes sont exclues du droit de vote, on peut dire que,
désormais, le collège électoral musulman est aussi
étendu que le collège électoral des citoyens.
-------b)
D'autre part, l'ordonnance du 7 mars 1944 augmente dans une large mesure
la représentation reconnue aux musulmans dans les assemblées
locales. Cette représentation est portée aux deux cinquièmes
de l'effectif total de ces assemblées, qu'il s'agisse des conseils
municipaux, des conseils généraux ou des délégations
financières.
'-------Tel
a été, du moins, le principe posé par l'ordonnance
du 7 mars 1944. Son application n'a pas soulevé de difficultés
pour les conseil municipaux et les conseils généraux.
Par contre, la réforme était pratiquement inapplicable
aux délégations financières dont on se rappelle
qu'elles étaient au nombre de trois : celle des colons, celle
des non-colons et celle des indigènes.
|
|
-------Aussi
une ordonnance du 15 septembre 1945 a-t-elle supprimé les délégations
financières qu'elle a remplacées par une " assemblée
financière " composée de délégués
des commissions des finances des conseils généraux des
trois départements d'Algérie. Ces délégués
comptaient trois cinquièmes de représentants du premier
collège et deux cinquièmes de représentants du
deuxième collège.
-------A
vrai dire, cette réforme n'a eu qu'un caractère tout à
fait temporaire. L'Assemblée financière a été
supprimée par la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique
de l'Algérie. Elle a été remplacée par une
assemblée aux attributions beaucoup plus étendues, l'Assemblée
algérienne, dont la composition est, comme on le sait, paritaire.
L'Assemblée algérienne comporte 120 membres : soixante
représentants du premier collège et soixante représentants
du second.
-------C'est
la première fois qu'en Algérie une assemblée élue
- et c'est la plus importante - est composée pour moitié
de représentants de chacun des deux collèges.
-------c)
Mais, il y a plus. Dorénavant, les électeurs du deuxième
collège ne sont pas représentés exclusivement dans
les assemblées locales. Ils ont une représentation propre
dans les assemblées constitutionnelles.
-------Les
trois plus importantes d'entre elle, sont l'Assemblée nationale,
le Conseil de la République et
l'Assemblée de l'Union Française.
-------A l'Assemblée
nationale, l'Algérie dispose de 3o sièges dont I5 pour
le premier collège et 15 pour le second.
-------Au
Conseil (le la République, 14 sièges sont réservés
aux élus des trois départements algériens. Ces
sièges sont répartis par moitié entre le premier
et le deuxième collège. -----------Enfin,
à l'Assemblée de l'Union Française, l'Algérie
a droit à une double représentation. D'une part. 12 représentants
sont désignés par les Conseils généraux
à raison de 4 par départements, 2 pour chacun (les deux
collèges. D'autre part, la zone territoriale (le l'Algérie
a droit à six représentants. Ces derniers sont désignés
par l'ensemble des délégués à l'Assemblée
algérienne à raison (le trois au titre (lu premier collège
et (le trois au titre du deuxième collège.
-------Les
deux collèges sont donc représentés à parité
dans les grande; assemblées constitutionnelle,.
--------------2')
Si, abandonnant l'étude des droits politiques, on procède
à celle des autres droits reconnus aux musulmans
d'Algérie depuis 1944. on constate une évolution encore
beaucoup plus accusée.
-------L'ordonnance
(lu 7 mars 1944 pose, en effet, le principe que " les français
musulmans d'Algérie jouissent de tous les droits et sont soumis
à tous les devoirs des Français non musulmans "
-------Cette
formule ne doit pas induire en erreur. Les musulmans d'Algérie
ne perdent aucun (les avantages particuliers dont ils jouissaient antérieurement
: maintien (lu statut personnel et successoral, justice civile musulmane.
droit d'option. L'ordonnance du 7 mars 1944 veut dire seulement, comme
elle le déclare elle-même, que : " toutes dispositions
ou mesures d'exception applicables aux français musulmans sont
abrogées ". Et précisant la portée de cette
abrogation sur un point particulier, l'ordonnance stipule que "
tous les emploi, civils et militaires sont accessibles aux musulmans.
-------On
sait qu'il est plus facile de poser de grands principes que d'en assurer
une application rigoureuse. Sans doute, l'Administration s'est-elle
mise vaillamment à la tâche pour aligner intégralement
les droits (les musulmans sur ceux des Européens. Cependant cet
alignement se heurte, dans la pratique, à bien des difficultés
qu'il faut surmonter les unes après les autres. Aussi, quand
il a voté le Statut de l'Algérie, le législateur
a-t-il cru nécessaire de rappeler le principe affirmé
par l'ordonnance du 7 mars 1944 et d'en déduire un certain nombre
de conséquences nécessaires. Il l'a fait dans l'article
2 aux termes duquel
-------"
l''égalite effective est proclamée entre tous les citoyens
français. "
-------"
Tous les ressortissants de nationalité française des départements
d'Algérie jouissent, sans distinction d'origine, de race, de
langue et de religion des droits attachés à la qualité
de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligation;.
Ils jouissent, notamment, (le toutes les libertés démocratiques,
(le tous les droits politiques, économiques et sociaux attachés
à la qualité de citoyen de l'Union française, garantis
par le préambule et l'article 81 de la Constitution (le la République
Française. Toutes les fonctions publiques leurs sont également
accessibles. Dans les armées (le terre, de mer ou (le l'air,
dans la magistrature et dans toutes les administrations, services publics
ou concédés, services subventionnés, secteurs nationalisés,
les conditions de recrutement, de promotion, d'avancement, de rémunération,
d'allocation, (le mise à la retraite, (le pensions, s'appliquent
à tous, sans distinction (le statut personnel. "
-------"
Des décrets détermineront. dans un délai de six
mois à compter (le la promulgation de la présente loi,
les conditions d'application (le l'alinéa précédent,
notamment en assurant l'égalité absolue des traitement,
allocation; ou pensions et la constitution des cadres communs uniques
dans les diverses branches des administrations ou services. "
-------"
Aucune mesure, règle ou loi d'exception ne demeure applicable
sur les territoires des départements algériens. "
-------Cet
article a plus que valeur d'un simple rappel de l'ordonnance du 7 mars
1944. Cette dernière n'était pas applicable aux territoires
proprement sahariens. Le statut (le l'Algérie s'étend,
au contraire, à tout le territoire (le l'Algérie.
On peut rattacher au "principe d'égalité" les
deux règles posées par l'article 56 (lu Statut.
-------Suivant
la première " l'indépendance
du culte musulman à l'égard de l'État est assuré,
au même titre que celle (les autres cultes, dans le cadre (le
la loi (lu 9 décembre 1905 et du décret du 27 septembre
1907 " qui a étendu cette loi à l'Algérie.
-------Suivant
la seconde, " les grandes fêtes musulmanes : Aïd
es Seghir. Aïd et Kebir, Mouloud et Achoura sont déclarées
fêtes légales en Algérie ", au même titre
que les grandes fêtes chrétiennes.
-------B.
-- Le deuxième phénomène auquel on assiste depuis
1944 est absolument nouveau - il consiste en une
véritable dissociation des droits publics et privés du
citoyen.
-------1)
Le premier texte qui se soit engagé clans cette voie est l'ordonnance
du 7 mars 1944. Dans celles de ses dispositions qui nous intéressent
maintenant, cette ordonnance repose sur une idée très
simple. Les procédures d'accession individuelle et volontaire
à la citoyenneté française, organisées par
le sénatus-consulte de 1865 et la loi de 1919, ont échoué
parce qu'elles imposaient aux musulmans l'abandon (l'un statut personnel
auquel ils sont, pour des raisons essentiellement religieuses, très
fortement attachés. I1 faut donc prendre le contre-pied des solutions
adoptées clans le passé en faisant accéder (l'office
à la citoyenneté française des catégories
entières de musulmans qui conserveront, cependant, le bénéfice
(le leur statut personnel et successoral particulier.
-------Les
musulmans auxquels l'ordonnance du 7 mars 1944 accorde cette citoyenneté
originale sont ceux du sexe masculin, âgés (le 21 ans,
et appartenant à l'une des 16 catégories qu'elle énumère
et parmi lesquels on peut citer : les anciens officiers : les titulaires
de certains diplômes d'un niveau au moins égal au brevet
élémentaire ; les fonctionnaires ou anciens fonctionnaires
; les membres actuels ou anciens des chambres de commerce ou d'agriculture
; les bachaghas, aghas, caïds ; les titulaires de certains mandats
politiques et de certaines décorations ou distinctions honorifiques.
-------En
somme, l'ordonnance du 7 mars 1944 appelle à l'exercice des droits
politiques du citoyen les éléments les plus évolués
de la population musulmane. Pour éviter, sans doute, un accroissement,
jugé alors excessif, du nombre des " citoyens de statut
personnel ", elle précise que la citoyenneté
est accordée à titre strictement " personnel ".
Cette citoyenneté est donc sans incidence sur le statut juridique
des membres de la famille des nouveaux citoyens.
-------Quant
à ces derniers, ils sont inscrits sur les mêmes listes
électorales que les citoyens non musulmans et participent aux
mêmes scrutins, qu'elles que soient les assemblées à
l'élection desquelles on procède.
-------2")
Dans la voie nouvelle qu'elle venait (le tracer, l'ordonnance du 7 mars
1944 a été suivie par (le nombreux autres textes.
-------On
peut citer, d'abord, l'ordonnance du 14 mars 1945, suivant laquelle
" les Français et Françaises
musulmans d'Algérie résidant en France continentale d'une
façon continue depuis le 3 septembre1938 exercent sur le territoire
continental, le droit de vote pour les élections municipales
et cantonales, dans les mêmes conditions que les citoyens français
". On se demande pourquoi cette ordonnance limitait l'exercice
du droit de vote aux seules élections municipales et cantonalesà
l'exclusion des élections à l'Assemblée souveraine.
Mais cette restriction a disparu avec le statut de l'Algérie
car, en vertu de son article 3, " les
musulmans qui résident en France métropolitaine y jouissent
de tous les droits attachés à la qualité de citoyen
français ". En application de cette disposition,
tous les musulmans qui résident dans la métropole exercent
à l'heure actuelle leurs droits électoraux exactement
dans les mêmes conditions que les citoyens non musulmans.
-------Cependant
ces musulmans peuvent fort bien, s'ils reviennent en Algérie,
ne pas remplir les conditions exigées pour être inscrits
sur les listes du premier collège. Ils votent alors dans le second
collège.
-------On
petit citer encore la loi du 5 octobre 1946 sur l'élection des
membres de l'Assemblée nationale. Pour l'élection (le
cette assemblée, mais de cette cette assemblée seulement,
elle précise que doivent voter dans le 1er collège, outre
les 16 catégories de bénéficiaires de l'ordonnance
du 7 mars 1944, " les titulaires de la
croix de guerre 1939 pour faits d'armes personnels, les titulaires du
certificat d'études primaires, les anciens élèves
avant fréquenté un établissement secondaire de
la 6ème à la 4ème inclusivement et les membres
élus, actuels ou anciens, des conseils d'administration des sociétés
indigènes de prévoyance, artisanales et agricoles ".
-------Ainsi,
la composition (les deux collèges électoraux n'est pas
la même suivant qu'il s'agit des élections à l'Assemblée
nationale ou (les élections aux autres assemblées.
-------On
peut citer, enfin, le Statut de l'Algérie. Il a estimé
nécessaire, en effet, de modifier pour l'élection à
l'Assemblée algérienne, mais pour cette élection
seulement, la composition (les deux collèges électoraux,
telle qu'elle était définie par l'ordonnance du 7 mars
1944. Il a élargi le premier collège en y inscrivant,
en plus des 16 catégories de musulmans visés par cette
ordonnance, certaines des catégories mentionnées par la
loi du 5 octobre 1946 sur l'élection à l'Assemblée
nationale. Mais pas toutes. Il a doue adopté une position intermédiaire
entre celle, jugée trop restrictive, de l'ordonnance (lu 7 mars
1944 et celle, jugée trop libérale, de la loi du .5 octobre
1946. C'est ainsi qu'il s'est refusé à inscrire sur les
listes du premier collège, pour l'élection à l'Assemblée
algérienne, les titulaires du certificat d'études primaires
et les anciens élèves ayant fréquenté un
établissement secondaire de la 6è à la 4è
inclusivement. Il a prévu, cependant, que tous les électeurs
inscrits dans le premier collège lors (le l'entrée en
vigueur (lu Statut continueraient à voter dans ce collège.
-------Il
résulte de ces indications très sommaires qu'en droit
tout au moins la composition des collèges électoraux varie
suivant les élections. En règle générale
cette composition est définie par l'ordonnance du 7 mars 1944,
niais pour l'élection à l'Assemblée nationale,
il faut se référer à la loi du 3 octobre 1946 et
pour l'élection à l'Assemblée algérienne
au Statut de l'Algérie.
-------C--
La conjonction des deux phénomènes analysés ci-dessus
a, on le devine aisément, compliqué
singulièrement l'évolution du statut juridique des musulmans
d'Algérie depuis 1944.
-------La
confusion se trouve encore accrue par deux réformes qu'il paraît
impossible de rattacher à l'un ou à l'autre de ces phénomènes.
-------a)
La première a été opérée par la loi
du 7 mai 1946 qui déclare conférer la citoyenneté
française à tous les ressortissants des territoires d'outre-mer,
Algérie comprise. En ce qui concerne l'Algérie, elle réalise
un engagement contenu dans l'ordonnance du 7 mars 1944 et suivant lequel
tous les musulmans étaient " appelés
à recevoir la citoyenneté française ".
La portée morale de la loi du 7 mai 1946 est évidemment
des plus grandes. Mais il ne s'agit que d'une portée morale car
ce texte précise que des lois particulières établiront
les conditions dans lesquelles les nouveaux citoyens exerceront leur
droit de citoyenneté. Le statut juridique des musulmans (l'Algérie
n'a donc pas été - directement du moins - modifié
par la loi du 7 mai 1946.
-------b)
La seconde réforme est moins réalisée qu'annoncée
par l'article 4 du Statut de l'Algérie aux termes duquel : "
Les femmes musulmanes jouissent du droit de
vote. Une décision de l'Assemblée algérienne, prise
dans les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 du présent
statut fixera les modalités de l'exercice du droit de vote.
" -------Aucune
décision de l'Assemblée algérienne n'a encore été
prise à ce sujet.
III
-------Voilà,
dans ces très grandes lignes, quelle a été l'évolution
complexe imprimée au Statut juridique des musulmans d'Algérie
depuis 1944. On peut dire que cette évolution frise la révolution.
Les progrès réalisés sont considérables
et orientés dans toutes les directions. Mais précisément
parce que ces progrès sont considérables et qu'ils ont
été réalisés avec une très grande
hâte, ils ne sont pas sans susciter (les difficultés et
sans poser des problèmes nouveaux.
-------1
) Une des difficultés les plus graves résulte de la
loi du 7 mai 1946 qui a conféré la citoyenneté
française à tous les musulmans d'Algérie. En droit
strict, on devrait admettre que cette loi rend caduques les procédures
d'accession à la citoyenneté française organisées
par le sénatus-consulte de 186 et la loi de 1919. Quand
on est citoyen français, on n'a pas à accéder à
la citoyenneté française.
-------Il
n'en demeure pas moins que la majorité des musulmans d'Algérie
conservent leur statut personnel] et sont inscrits sur les listes du
2è collège. Il est donc indispensable d'organiser une
nouvelle procédure qui leur permette. s'ils le désirent,
de renoncer à leur statut personnel et de se faire inscrire sur
les listes (lu premier collège. Un projet (le loi a été
préparé dans ce sens, mais sa mise au point nécessairement
longue n'a pas encore permis son adoption par le Parlement.
-------Et
comme, pratiquement, on ne saurait refuser aux musulmans la possibilité
(le renoncer à leur statut personnel et d'obtenir leur inscription
sur les listes du premier collège, on continue provisoirement
à faire application du sénatus-consulte de 1865 et de
la loi de 1919. Mais il faut bien reconnaître que, sur le plan
juridique. il y a là plus qu'une anomalie.
-------2)
Une deuxième difficulté a pour cause le changement
(le composition des' collèges électoraux suivant les élections.
En fait, il n'existe, semble-t-il, qu'une seule liste électorale
pour chacun des deux collèges. Figureraient sur celle du premier
collège tous les musulmans qui y ont été inscrits
à l'occasion d'une élection quelconque avant l'intervention
du Statut et, par ailleurs, ceux qui, depuis l'intervention du Statut,
remplissent les conditions légales pour voter clans le premier
collège quand il s'agit de l'élection à l'Assemblée
algérienne. Si telle était la solution adoptée
par l'Administration, on ne pourrait - malgréson caractère
libéral -- qu'en souligner l'irrégularité au point
(le vue juridique. Il serait donc utile que le législateur intervint
pour donner aux deux collèges électoraux une composition
uniforme, indépendante (les élections auxquelles il est
procédé.
-------3)
On ne peut manquer d'observer, d'autre part, que si les représentants
des deux colléges siègent à parité à
l'Assemblée algérienne, dans les autres assemblées
locales. au contraire, 3/5è des sièges sont réservés
aux élus du 1er collège, 2/5 seulement aux élus
du 2è. Quels que soient les arguments. parfaitement justifiés,
que l'on peut invoquer pour expliquer cette différence de régime,
il est certain que les musulmans du deuxième collège seront
tout naturellement tentés de demander l'extension à toutes
les assemblées locales de la solution admise pour l'Assemblée
algérienne.
-------4)
Les trois difficultés qui viennent d'être signalées
sont, sans doute, les plus importantes. mais ce ne sont pas les seules.
Ainsi, l'égalité effective que l'article 2 du Statut proclame
entre tous les citoyens, pose de nombreux problèmes de détail
dont on ne peut affirmer qu'ils sont tous complètement résolus.
-------De
même, les modalités d'exercice du droit de vote reconnu
aux femmes musulmanes par le Statut de l'Algérie n'ont pas encore
été précisées par l'Assemblée algérienne.
Ces modalités reproduiront-elles celles dont est assorti le droit
de vote des musulmans du sexe masculin ? Seront-elles, au contraire,
différentes ? Les deux points de vue ont été soutenus
et l'on ne peut préjuger la décision qui, en définitive,
interviendra.
-------Ce
rappel de quelques-unes des difficultés, de quelques-uns des
problèmes qui se posent à l'heure actuelle ne tend nullement
à minimiser l'importance et la valeur de réformes opérées
depuis 1944. Ces réformes sont substantielles et heureuses. Cc
serait une erreur, cependant, de croire qu'il suffit de les appliquer
en toute bonne foi. en effet bien que l'ére des réformes
profondes soi révolue ,celle du repos n' a pas encore sonné
, si tant qu'elle sonne jamais .Un travail moins glorieux et plus ingrat
est encore nécessaire. Il reste à clarifier, à
harmoniser, à adapter, à tirer des conséquences.
-------C'est
là le travail d'aujourd'hui et ce sera peut-être encore
celui de demain.
Jacques BEYSSADE,
Administrateur civil du Ministère de l'.Intérieur
au Gouvernement général de l'Algérie.
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