Alger, Algérie : documents algériens
Série politique :législation
Le régime législatif de l'Algérie

16 pages - n°24 - 30 décembre 1949

..Le pouvoir reconnu à l'Assemblée Algérienne d'édicter une " réglementation particulière " ne peut porter que sur des matières nouvelles dont le nombre est forcément peu élevé et sur celles régies par ds décrets pris par le Chef de l'Etat en vertu de la loi du 24 avril 1833. Même alors, l'Assemblée Algérienne s'inspirera souvent de la législation métropolitaine. On est d'autant plus en droit de le penser qu'elle est saisie conjointement de propositions de décision par ses membres et de projets de décision par le Gouverneur général. Or, une des préoccupations de ce dernier sera très certainement de faire bénéficier l'Algérie des réformes législatives réalisées dans la Métropole.....

mise sur site le 7-02-2005
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---------Le régime législatif de l'Algérie a été, pendant plus d'un siècle, jusqu'à l'entrée en vigueur de la Constitution du 20 septembre 1947 " portant Statut Organique de l'Algérie " caractérisé par son archaïsme et son obscurité. Par son archaïsme, puisque le régime des décrets auquel l'Algérie était soumise trouvait son fondement dans une loi du 4 avril 1833 et une ordonnance du 22 juillet 1834. Par son obscurité, la jurisprudence ayant dû faire. en partant de ces deux textes, un énorme travail d'interprétation pour aboutir à une construction compliquée et subtile dont les juristes eux-mêmes ne saisissaient pas toujours facilement les lignes directrices et la portée exacte.
---------Aussi, lorsqu'après six années d'une guerre qui avait jeté bas ses institution, la France décida de " remettre de l'ordre dans la maison ", elle fut tout naturellement conduite à substituer au régime législatif en vigueur en Algérie un régime à la fois plus démocratique et plus clair. A l'ordre ancien la Constitution du 27 octobre 1946 donna le premier coup de pioche en supprimant le " régime des décrets ", qui se conciliait mal avec un des principes fondamentaux des démocraties suivant lequel la loi ne doit être adoptée qu'après une discussion à laquelle participe. soit le peuple tout entier, soit des représentants du peuple. Puis la loi du 20 septembre 1947, définissant l'ordre nouveau, s'efforça de réaliser un équilibre entre les trois forces en présence : la Métropole, détentrice de la souveraineté nationale : la population européenne d'Algérie, élément indissociable du peuple français, mais évoluant dans un milieu différent ; la population musulmane, cristallisée autour d'une élite formée à notre culture et à nos techniques et légitimement désireuse de participer à la vie politique de l'Algérie.
---------Ce régime nouveau s'inspire trop, malgré ses caractères originaux, de l'expérience du passé pour qu'il soit possible d'en comprendre la signification sans avoir présentes à l'esprit les règles essentielles du régime antérieur. Au surplus. la comparaison des deux régimes permet seule d'apercevoir le sens de l'évolution que, dans ce domaine, la IVè République a imprimée à l'Algérie.

LE RÉGIME LÉGISLATIF ANTÉRIEUR A L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA CONSTITUTION.

---------Ce régime avait pour base juridique
---------- l'article 1°` de l'ordonnance du 22 juillet 1834 qui faisait de l'ancienne Régence d'Alger, jusque là simplement soumise à l'occupation a des troupes, une " possession " française
---------l'article 2 de la loi du 24 avril 1833 aux termes duquel " les établissements français dans les Indes Orientales et en Afrique et l'établissement de pêche de Saint-Pierre-et-Miquelon continuent d'être régis par les ordonnances du roi , c'est-à-dire par des actes d'un pouvoirs exécutif, ces ordonnances n'étant, comte plus tard les décrets, que des manifestations du pouvoir réglementaire du Chef de l'État.

---------A. --Le rattachement de l'Algérie là la France a eu pour effet d'y rendre applicable de plein droit les lois antérieures au 22 juillet 1834, conformément au principe (le droit international public suivant lequel l'annexion entraîne soumission du territoire annexé à la législation du pays annexant.
---------Cependant, cette législation, élaborée pour la Métropole, ne pouvait, dans bien (les cas, être appliquée à l'Algérie, ou ne pouvait l'être qu'après adaptation aux conditions locales. C'est pourquoi la jurisprudence posa le principe que seules les lois d'intérêt général compatibles avec les moeurs, les habitudes et les circonstances locales étaient applicables de plein droit à l'Algérie.
---------Ce principe " n'a qu'apparemment la valeur d'une distinction que les tribunaux s'arrogeraient le droit de faire entre les lois générales ou spéciales, d'intérêt général on non. conformes ou non aux besoins locaux. Il signifie, en réalité, que les lois métropolitaines sont entièrement ou partiellement inapplicables lorsque le Chef du pouvoir exécutif les a modifiées ou abrogées ou n'a pas organisé en Algérie tout ou partie des institutions dont l'existence est nécessaire à leur application. La jurisprudence n'a donc fait que préciser sur ce point l'étendue du pouvoir législatif conféré au Chef de l'Etat " ( Milliot - Cent ans de législation algérienne - Dans " œuvre législative de la France en Algérie " - Collection du centenaire - p. 112-113.) par l'article 25 de la loi du 24 avril 1834.
---------Chose remarquable, les lois antérieures au 22 juillet 1834, bien qu'applicables de plein droit a l'Algérie, pouvaient donc être modifiées par des décrets.

---------B. - L'annexion avant eu pour effet de soumettre l'Algérie au " régime des décrets " organisé par l'article 25 de la loi du 24 avril 1833, les lois postérieures à l'ordonnance du 22 juillet 1834 n'y furent plus, en principe, applicables de plein droit.
---------On a discuté sur la nature juridique du pouvoir du Chef (le l'Etat. Certains juristes, frappés par le fait que les décrets pris en vertu de la loi du 24 avril 1833 pouvaient modifier les lois antérieures au 22 juillet 1834 et applicables de plein droit à l'Algérie, y ont vu l'exercice d'un pouvoir législatif délégué par le Parlement. D'où l'expression parfois employée de " décrets de valeur législative". D'autres, au contraire, faisaient observer qu'aucune disposition constitutionnelle n'opérait de partage de compétence entre le Parlement et l'autorité exécutive. Ils considéraient donc que la loi de 1833 avait implicitement retiré aux lois dont il s'agit leur force législative. ce qui permettait leur modification ultérieure par des textes purement réglementaires. Le Conseil d'Etat, par le contrôle qu'il acceptait d'exercer sur les décrets algériens y paraissait donner son accord à cette seconde interprétation.
---------Quoi qu'il en soit de cette discussion de doctrine dont il ne peut être question d'exposer ici tous les aspects, le Chef de l'Etat disposait d'un pouvoir très étendu. Il avait qualité pour instituer une législation originale absolument distincte de cette de la Métropole. Il pouvait aussi étendre à l'Algérie, en les y adaptant s'il le jugeait opportun, les lois métropolitaines postérieures au 22 juillet 1834.
---------Les décrets qu'il prenait à cet effet étaient ordinairement qualifiés par la jurisprudence de " décrets de promulgation spéciale ", expression inexacte en droit, ces décrets n'étant pas des actes " de promulgation, mais de confection de loi " (Milliot - ouvrage cité p. 127.).

---------C. - Si, à partir du 22 juillet 1834, la source principale de la législation algérienne fut constituée par des décrets, il y en a eu d'autres : des lois, des sénatus-consultes. des arrêtés du Ministre de la guerre ou du Gouverneur Général, enfin les conventions internationales passées par la France.
---------1) Les lois.
---------a) Le pouvoir du Chef de l'Etat se trouvait limité par la Constitution de 1875 qui réservait certaines matières à la compétence exclusive du Parlement : tel était le cas pour les amnisties (art. 3 L. 23 février 1875), les modifications territoriales (art. 8 L. 16 juillet 1875) et tout ce qui touchait aux finances (interprétation tirée de l'article 8 L. 24 février 1875 sur l'organisation du Sénat).
---------b) D'autre part, il arrivait souvent au Parlement de retirer partiellement la délégation qu'il avait faite au Chef de l'Etat en réglementant lui-même une matière déterminée ( Cette matière ne pouvait plus être régie dorénavant que par la loi.). Il le faisait, soit en déclarant une loi métropolitaine applicable à l'Algérie, soit en votant une loi spéciale pour cette dernière.
---------c) Enfin, la jurisprudence admettait que les " lois modificatives " (le lois déjà applicables à l'Algérie s'y appliquaient elles-mêmes de plein droit. Elle les opposait aux lois dites " inovatoires " qui, elles, ne pouvaient s'appliquer à l'Algérie que si elles le prévoyaient expressément ou y avaient été étendues par un décret ou une seconde loi.
---------Cette distinction entre lois modificatives et lois inovatoires a toujours été extrêmement obscure. Il résulte " d'une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, affirmée par de nombreux arrêts., qu'on doit entendre par loi modificative. et à ce titre dispensée d'une promulgation spéciale, celle qui se borne à de simples modifications qui s'incorporent, par suite, au texte modifié pour en faire désormais partie intégrante. Lorsqu'au contraire la loi contient des innovations profondes, dépassant la mesure (le simples modifications de détail, ne pouvant grâceà leur étendue et à leur portée prendre place dans le texte modifié, lorsqu'elle crée un état de droit nouveau pour le substituer à l'ancien, il faut dire qu'il y a là une institution nouvelle ou un régime nouveau qui ne peut être exécutoire en Algérie qu'autant que la loi qui l'inaugure y aura fait l'objet d'une promulgation spéciale " ( Trib. Constantine 4 février 1908 (R.A. 1908-2-228).

---------Cependant, M. Milliot s'est aperçu, après un long travail d'analyse de la jurisprudence, que " la distinction de lois modificatives et innovatoiresn'est qu'en apparence établie en contemplation de l'importance matérielle et du caractère de nouveauté (Ce double critère s'analyse, suivant M. Milliot " en un élément de forme ou quantitatif : l'importance de la modification matérielle apportée par la loi nouvelle au texte de la loi ancienne (l'incorporation du texte de la loi nouvelle dans celui de la loi ancienne) ; et un élément de fond ou qualitatif : le caractère de nouveauté de la réforme opérée dans l'organisation préexistante " (Girault et Milliot, Principes de colonisation et de législation coloniale - L'Algérie, 5°'^ édition, p. 236).) que présentent les lois réformatrices ; elle est en réalité fonction de la différence ou de la similitude (Et non de l'identité.) de la situation juridique initiale en France et en Algérie " (Girault et Milliot - Ouvrage cité p. 236).
---------Ce critère de la similitude initiale des deux législations métropolitaine et algérienne explique que la jurisprudence ait généralement considéré comme applicable de plein droit à l'Algérie une loi qui modifiait (ou abrogeait) :
----------- une loi commune à la Métropole et à l'Algérie (loi antérieure au 22 juillet 1834 ou postérieure à cette date et contenant une disposition expresse d'applicabilité à l'Algérie) ;
------------ une loi métropolitaine étendue à l'Algérie par une loi spéciale ou un décret, lorsque cette loi spéciale ou ce décret apportait à la loi métropolitaine des modifications peu importantes qui ne s'opposaient pas, en fait, à l'introduction en Algérie de la loi nouvelle.

---------En sens inverse, il explique que la jurisprudence ait toujours déclaré " innovatoire ", donc inapplicable de plano à l'Algérie, une loi qui modifiait (ou abrogeait) une loi métropolitaine étendue à l'Algérie par une loi spéciale ou un décret qui apportait à la loi métropolitaine des modifications profondes et instituait ainsi en Algérie une législation différente de celle de la Métropole (Suivant la jurisprudence, les lois modificatives déclarées, applicables de plano à l'Algérie n'emportaient pas le retrait de la délégation faite au Chef de I'Etat. - Celui-ci pouvait les modifier ou leur substituer une législation entièrement différente.).
---------Toutefois, l'application de ce critère a soulevé des réserves de la part de la doctrine. Celle-ci ne voyait pas d'objections à ce qu'une loi modificative d'une loi déjà applicable à l'Algérie, soit en vertu d'une disposition expresse de son texte, soit en raison de sa date (antérieure au 22 juillet 1834) s'y appliquât elle-même de plein droit.
Elle était plus réticente lorsque la loi modifiée avait été étendue à l'Algérie par une loi spéciale ou par un décret, textes juridiquement autonomes par rapport à la loi métropolitaine. En fait, lorsque l'extension " résulte d'une disposition légale, il n'y a guère de difficultés à décider l'application de plein droit des lois à venir. Celles-ci sont œuvre du Parlement qui, en alignant antérieurement les deux législations dans une matière déterminée, a estimé sans doute que le régime devait demeurer identique désormais (les deux côtés de la Méditerranée. "
---------" Au contraire, lorsque la mesure d'extension a été prise par décret, le doute subsiste sur l'application de plein droit des modifications apportées ensuite par le Parlement. (Il est vrai que) le décret d'extension a comblé le retard de la législation algérienne. (On peut donc soutenir que) celle-ci est assimilée à celle de la Métropole pour l'avenir, conformément aux intentions probables du pouvoir exécutif. "
---------" (Mais) en doctrine, on objecte parfois que le Chef de l'État. en décidant ainsi qu'une matière déterminée pourra être régie par les lois à venir, se dessaisit de sa compétence, ce qui est contraire aux principes de notre droit public... On peut fort bien répondre (cependant) que la loi ultérieure s'appliquera avec la force du décret primitif et que le Chef de l'Etat pourra en écarter l'application s'il le désire. " (Decottignies, Note sous arrêt C.C., Ch. civ., sect. sociale, 4 mars 1948, dans " Revue de l'Union française ", 1949, p. 229.)
---------II est plus difficile de répondre à l'argument suivant lequel rien ne permet d'affirmer qu'en rendant la loi antérieure applicable à l'Algérie, le Chef de l'État a voulu aligner désormais les deux législations." La Cour de Cassation s'est montrée sensible, dans certains cas, à cette sorte de symétrie ; la loi nouvelle, décide-t-elle (alors), doit faire l'objet d'un décret (l'extension au même titre que la précédente. " (Decottignies, Note sous arrêt C.C., Ch. civ., sect. sociale, 4 mars 1948, dans " Revue de l'Union française ", 1949, p. 229.).

------- 2°) Les senatus-consultes.
-------L'article 27 (le la Constitution de 1832 confiait an Sénat le soin de régler par un sénatus-consulte la constitution (le l'Algérie. Le Sénat n'établit pas cette Constitution mais prit deux sénatus-consultes très importants, le premier du 22 juillet 1863 sur la constitution de la propriété foncière, le second du 14 juillet 1865 sur l'état des personnes et la naturalisation.
-------Ces deux sénatus-consulte sont " assimilés par la pratique législative et la jurisprudence aux règlements législatifs pris par le Chef (le l'État " ( Girault et Milliot, ouvrage cité, p. 230.).

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3') Les arrêtés du Gouverneur Général et du Ministre de la Guerre.
-------a) Il est arrivé exceptionnellement au Parlement de donner délégation au gouverneur général pour régler des matières nettement définies. C'est ce qu'il fit notamment par la loi du 2o septembre 1940 (abrogée par l'ordonnance du 2 novembre 1945 sur le rétablissement de la légalité républicaine) qui attribuait au gouverneur Général (les pouvoirs exceptionnels en matière économique.
-------b) Sous le bénéfice de l'observation précédente, le Gouverneur Général et le Ministre de la guerre tenaient leur pouvoir d'une " subdélégation " du Chef de l'État dont la validité, admise par le Conseil d'Etat (Arrêt C.E., 6 janvier 1928 ; Cf. " Revue algérienne ", 1928, 20209, et note.), a été vivement contestée par la doctrine.
-------La subdélégation du gouverneur général, conçue (le façon assez large par l'article 5 de l'ordonnance du 22 juillet 1834, a été réduite par l'ordonnance du mars 1845, puis a disparu en 1858, avec la création du Ministère de l'Algérie.
-------D'autre part, sous la Monarchie de juillet, des décrets ont subdélégué au Ministre de la guerre le pouvoir de régler par arrêtécertaines matières parfois fort importante.

-------4") Les traités internationaux.
-------Sauf clause contraire, ces traités n'étaient pas conclus seulement pour la Métropole, mais s'appliquaient à tous les pays ,soumis à la puissance française. donc notamment à l'Algérie. Le Chef de l'État ne pouvait naturellement ni les modifier ni en restreindre l'application.
-------1). - Nous venons de passer en revue les autorités compétentes pour régir les " matières législatives ".
-------Deux autorités se partageaient, par ailleurs. le pouvoir réglementaire : le Chef de 1'Etat et le Gouverneur Général.
-------a) L'Algérie étant terre française. le Chef del'Etat y exerçait, comme dans la Métropole, le droit qui lui était reconnu par l'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 : celui (le surveiller, les lois et d'en assurer l'exécution. -------Ses décrets réglementaires étaient communs à la Métropole et à l'Algérie quand ils le déclaraient expressément ou intervenaient en exécution d'une loi " commune ". Dans tous les autres cas, ils étaient particuliers à l'Algérie.
-------b) Avant 1946, aucun texte organique ne conférait expressément le pouvoir réglementaire au gouverneur Général. Le décret du 23 août 1898 déclarait seulement : " Le Gouvernement et la Haute Administration de l'Algérie sont centralisés à Alger sous son autorité ". Aussi le Gouverneur Général évitait-il de prendre des arrêtés pour l'exécution des lois et décrets à moins que ceux-ci ne l'y invitassent par une disposition formelle.
-------Cette situation présentait, en pratique, de tels inconvénients qu'un décret du 12 septembre 1946 vint conférer le pouvoir réglementaire au Gouverneur Général en stipulant. dans son article 1er: " Le Gouverneur Général de l'Algérie est chargé de l'exécution des lois et de l'application des décisions du Gouvernement".
-------" A cet effet, il est habilité à prendre par arrêté toutes mesures destinées à l'exécution des lois et décrets applicables à l'Algérie. Il rend compte aux Ministres intéressés des mesures qu'il a prises. " ( En fait, le Gouverneur Général n'a pas fait usage du pouvoir qui lui était conféré par ce texte)
-------Suivant l'article 2. le Gouverneur Général pouvait également, par arrêtés spéciaux soumis a l'approbation du Ministre de l'Intérieur, déléguer aux Préfets ou aux Commandants militaires des Territoires du Sud les pouvoirs qu'il tenait directement de textes autres " que les textes ayant force de loi ou de règlement d'administration publique ". -------Cette expression a été considérée comme visant exclusivement les lois, ordonnances, sénatus-consultes et règlements d'administration publique à l'exclusion des décrets pris par le Chef de l'Etat en vertu de la loi du 24 avril 1833. Le Gouverneur Général était donc autorisé à déléguer les pouvoirs qu'il tenait de ces décrets.
-------Il y a lieu de signaler enfin que, dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, le Gouverneur Général était secondé par un Conseil de Gouvernement (composé exclusivement de fonctionnaires) qu'il était parfois obligé de consulter ( Dans tous les autres cas, la consultation de ce Conseil était purement facultative.), mais dont il n'était jamais tenu de suivre les avis.

-------Ce régime a pris fin avec la Constitution de 1946 et la loi du 20 septembre 1947. Mais ces textes n'ont pas d'effet rétroactif et pour savoir si une loi qui leur est antérieure s'applique ou non à l'Algérie il est toujours nécessaire de se référer aux règles que nous venons de rappeler.

II. -- LA CONSTITUTION DU 27 OCTOBRE 1946.

---------La Constitution du 27 octobre 1946 donne, dans son article 6o, la composition (le l'Union Française " formée d'une part de la République Française qui comprend la France métropolitaine, des départements et territoires d'Outre-Mer, d'autre part, des Territoires ou Etats associés ".
---------La question de savoir dans quelle catégorie de l'article 6o il convenait de classer l'Algérie a été très controversée.
---------M. Viard a fait valoir que " la Constitution... s'est refusée, et à la commission de la Constitution cela a été constant, à toucher au caractère de l'Algérie : elle a entendu, par conséquent, lui conserver le caractère juridique qui était le sien jusque-là, c'est-à-dire celui de départements français qui avait été spécialement affirmé par les textes de 1870-1875 " ( Débats parlem., Ass. Nat., 2èséance du 22 août 1947, J.O., p. 4582).
---------Certains auteurs, se basant sur le fait que l'Algérie comprenait plusieurs départements et des " Territoires du Sud " groupés en une collectivité territoriale particulière, l'Algérie, ont soutenu que cette dernière devait être considérée comme un " territoire " ou un groupe de " Territoires d'Outre-Mer ".
---------Mais la thèse qui l'a finalement emporté est celle suivant laquelle l'Algérie constitue un groupe de " départements d'Outre-Mer ". Cette classification, qui tient compte de la similitude existant entre l'organisation des départements algériens et celle des départements métropolitains, a, en outre, l'avantage de ne pas opposer la terminologie juridique à celle de la langue courante ( Cf. déclaration de M. Rabier, Débats parlera., Ass. Nat., 2m° séance, 22 août 1947, J.O., p. 4580.). Elle a été admise par le Conseil d'Etat dont un avis n° 240528 du 27 mars 1947 affirme " qu'il résulte des dispositions des articles 66 et 67 de la Constitution, éclairées par l'article 4 de la loi n° 46-2385 du 27 octobre 1946 sur la composition et l'élection de l'Assemblée de l'Union Française, que les départements algériens sont des départements d'Outre-Mer " ( Le " Statut de l'Algérie " ne prend pas formellement position sur cette importante question de la " classification constitutionnelle " de l'Algérie. Il déclare seulement, dans son article 1l,, que " l'Algérie constitue un groupe de départements doté d'une personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière définie par 'les articles ci-après de la présente loi. " Dans ces conditions, il convient, semble-t-il, de se référer aux déclarations, faites devant l'Assemblée Nationale par les membres du Gouvernement puisqu'aussi bien l'article 11, du projet gouvernemental a été voté sans modification. Or, il résulte de ces déclarations que le Gouvernement a considéré l'Algérie comme un groupe de départements d'Outre-'Mer (Cf. Ass. Nat., 2'0e séance, du 22 août 1947, J.O., p. 4584).
---------L'Algérie se trouve ainsi soumise à l'article 73 de la Constitution aux termes duquel : " Le régime législatif des départements d'Outre-Mer est le même que celui des départements métropolitains sauf les exceptions déterminées par la loi " ( Il résulte de cet article que les lois intervenues entre l'entrée en vigueur de la Constitution et la promulgation de la loi du 20 septembre 1947 sont, sauf dispositions contraires, applicables de piano à l'Algérie). Or, un des principes fondamentaux applicables au régime législatif des départements métropolitains est celui posé par l'article 13 : " ---------L'Assemblée Nationale vote seule la loi ; elle ne peut déléguer ce droit ". On en a déduit, peut-être un peu hâtivement, la suppression du " régime des décrets " dans les départements d'Outre-Mer et notamment en Algérie. Si l'on observe, en effet, que la Constitution de 1946, pas plus que celle de 1875, n'opère de partage de compétence entre le Parlement et l'exécutif, on peut penser, avec M. Lampué, que " les nombreuses questions qui, légiférées dans la Métropole, n'étaient pas légiférées à l'égard de l'Algérie (c'est-à-dire n'y faisaient pas l'objet de règle, applicables avec force législative) continuaient, clans ce dernier pays, de relever de la compétence réglementaire " (" Le Statut de l'Algérie ", p. 41.).
---------Quoi qu'il en soit, le régime législatif de l'Algérie devait, suivant la Constitution, être le même que celui de la Métropole " sauf les exceptions déterminées par la loi ". Or, en votant la loi du 2o septembre 1947 " portant Statut organique de l'Algérie ", nous allons voir que le législateur a inversé, en quelque sorte, la règle constitutionnelle : il a fait de l'identité de régime législatif entre la Métropole et l'Algérie, l'exception, de la spécialité du régime législatif de l'Algérie, la règle générale.

III. - LE NOUVEAU RÉGIME LÉGISLATIF DE L'ALGÉRIE.

(Tout ce qui se rat:tache au nouveau régime financier a été systématiquement écarté de la présente étude).
---------Ce régime est défini par le titre II (" Du nouveau régime législatif de l'Algérie ") et certaines dispositions du titre VI (" Dispositions diverses et transitoires ") de la loi du 2o septembre 1947 portant Statut Organique de l'Algérie.
---------Le premier article du titre II, l'article 8, pose, dans son premier alinéa, un principe qui constitue une espèce de frontispice aux autres dispositions de ce titre : " Le régime des décrets, tel qu'il résulte en matière législative, de l'ordonnance du 22 juillet 1834 et des textes subséquents, est aboli ". Suivant que l'on adopte l'une ou l'autre des deux interprétations précédemment exposées concernant le sens et la portée (le l'article 13 (le la Constitution, on doit considérer que cette disposition se borne à rappeler ou opère par elle-même la suppression du "régime des décrets ", tel qu'il a été analysé dans la première partie de cet article. Nous inclinerions en faveur de la seconde interprétation qui permet, plus facilement, de comprendre comment le législateur a pu, sans violer l'article 13 de la Constitution, transférer à une assemblée purement administrative, l'Assemblée Algérienne, une grande partie des pouvoirs précédemment exercés par le Chef de l'Etat.
---------Cependant, le Parlement a certainement adopté la première, puisque, par l'article 51, il a cru devoir " sous réserve des matières énumérées aux articles 9 à 12 " (Ces matières seront analysées plus loin.) valider" sauf toutefois les décrets qui ont fait l'objet d'un pourvoi devant le Conseil d'Etat :
---------r° les décrets qui sont intervenus entre l'entrée en vigueur de la Constitution (Le 24 décembre 1946.) et la promulgation du présent Statut pour étendre des lois à l'Algérie
---------2° les décrets qui, dans la même période, ont complété. modifié ou abrogé les décrets qui étaient intervenus antérieurement à l'entrée en vigueur de la Constitution pour rendre applicables des lois à l'Algérie
---------3° les décrets intervenus dans la même période en vertu de l'ordonnance du 22 juillet 1834 ".
---------Bien entendu. la suppression du " régime des décrets " ne saurait porter atteinte au pouvoir réglementaire que le Gouvernement tient de la Constitution. L'article 8. alinéa 2 du Statut le précise : " Le Gouvernement de la République assure, en Algérie, l'exécution des lois de la République française qui y ,ont applicables. Il dispose, à cet effet, des pouvoirs à lui accordés par la Constitution, notamment par l'article 47 ". Nous indiquerons plus loin comment ces pouvoirs se concilient avec celui du Gouverneur Général de l'Algérie qui, aux termes de l'article 5, alinéa 3, (le la loi du 20 septembre 1947, " exerce le pouvoir réglementaire sauf les exceptions prévues par le présent Statut ".
---------Il convient d'examiner tout d'abord, les compétences respectives (lu Parlement et (le l'assem blée Algérienne.

---------COMPÉTENCE DU PARLEMENT.
---------A. -- Les articles 9 à 12 inclus du Statut de l'Algérie donnent la liste des matières réservées à la compétence exclusive du Parlement. Les lois métropolitaines (et les décrets pris pour leur exécution) s'appliquent de plein droit à l'Algérie lorsqu'il s'agit des matières énumérées aux articles 9,10 et 11.L'article 12 " énumère toute une série de matières pour lesquelles la loi votée dans la Métropole ne sera pas applicable de plein droit à l'Algérie " (Déclaration de M. Viard, auteur de l'amendement qui est devenu l'article 12, Déb. parlem., Ass.Nat., séance du 25 août 1947, J.O., p. 4628.), mais qui ne pourront. cependant, être régies" que par la loi ".
---------1) Du domaine des lois communes à la France et à l'Algérie.
---------Ce domaine est défini par les articles 9, 10 et 11du Statut.
---------a) Suivant la première phrase de l'article 9. " Les lois et décrets intéressant l'exercice et la garantie ale, libertés constitutionnelles s'appliquent de plein droit à l'Algérie ". Ce n'est pas, comme on pourrait le penser. un simple rappel de l'article 81 de la Constitution aux ternies duquel : " Tous les nationaux français et les ressortissants de l'Union française ont la qualité de citoyen de l'Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garanties par le préambule de la présente Constitution ". Cet article impose seulement au législateur de ne pas méconnaître les droits et libertés dont il s'agit ; mais ii lui laisse la possibilité d'en adapter les modalités d'exercice aux divers territoires composant l'Union française.
,
---------Au contraire, la première phrase de l'article 9 (lu Statut prévoit l'application automatique à l'Algérie des lois et décrets qui fixent les modalités d'exercice de ces droits et libertés. La liste de ces textes peut varier dans une large mesure suivant l'interprétation, large ou restrictive, que l'on donne à la première phrase (le l'article 9. Pour éviter un arbitraire excessif dans l'établissement de cette liste, c'est la seconde interprétation qu'il convient, semble-t-il, d'adopter. Aussi bien cette interprétation restrictive a-t-elle l'avantage d'éviter l'application de plein droit à l'Algérie de nombreux textes mal adaptés à la législation actuellement en vigueur dans ce pays.
---------Suivant les autres dispositions de l'article 9 : " Les lois et décrets concernant l'état et la capacité des personnes, les règles du mariage et ses effets sur les personnes et sur les biens, le droit des successions et les règles d'état civil, réserve faite des dispositions fiscales (et non financières. La réserve de l'article 9 ne s'étend donc pas aux dispositions qui auraient pour effet de mettre une dépense à la charge de l'Algérie.) sont et demeurent applicables de plein droit aux citoyens de statut français ( par opposition aux citoyens de statut local.) en Algérie ". " Ces lois étant applicablesà l'étranger, il va de soi " - mais il valait mieux le dire, car il y a eu des discussions et des décisions de jurisprudence contradictoires à ce sujet - " qu'elles sont applicables de plein droit .à l'Algérie. " (Déclaration de M. Viard, auteur de l'amendement qui est devenu l'article 12, Déb. parleur, Ass.
Na:., séance du 25 août 1947, J.O., p. 4628
)
---------b) Aux termes de l'article 10 : " Les lois et décrets intéressant le droit des services dits rattachés sont applicables (le plein droit à l'Algérie, sauf dispositions contraires et sous réserve des dispositions fiscales ". Ces services " rattachés " directement à la Métropole sont, suivant l'article 47 du Statut, ceux (le la justice (y compris la justice musulmane qui était autrefois un service algérien) et de l'Education Nationale (En ce qui concerne l'Education Nationale, l'article 47 comporte une réserve : " Toutefois, le Recteur de l'Académie d'Alger relève de l'autorité d u Gouverneur Général pour tout ce qui concerne l'exécution du plan de scolarisation .totale et l'administration des établissements, soumis au régime d'enseignement prévu par l'article 3 du décret du 27 novembre 1944 relatif à l'exécution du plan de scolarisation totale de la jeunesse musulmane en Algérie. ").
---------" Le droit des service "rattachés " est une expression nouvelle et, partant, un peu obscure. M. Viard en a cité un exemple : celui de la réglementation sur le baccalauréat.
La réserve " sauf dispositions contraires " autorise à penser que l'article 10 n'a pas porté atteinte .aux dispositions spéciales )particulièrement nombreuses en ce qui concerne la justice) qui régissaient les services dont il s'agit avant le 20 septembre 1947.

---------Nous indiquerons plus loin les difficultés qui résultent du rapprochement des dispositions de l'article 10 et de l'article 12.
---------c) Enfin, l'article IIprécise que " les traités passés avec les puissances étrangères s'appliquent de plein droit ( sauf dispositions contraires bien entendu.) à l'Algérie ainsi que les lois ou décrets qui en font application ". Cet article ne fait que consacrer une solution déjà très généralement admise dans le passé.
---------d) On le voit, le domaine des lois et décrets communs à la France et à l'Algérie est extrêmement réduit. Cependant, M. Lampué fait observer que les textes visés aux articles 9 à 11 du Statut ne sont pas absolument les seuls pour lesquels aucune disposition spéciale d'introduction n'est requise. " Avant la mise en vigueur de la Constitution et alors que régnait encore le principe de la spécialité législative, on admettait déjà que certains textes s'appliquaient nécessairement par eux-mêmes à l'ensemble du Territoire français parce qu'ils` n'avaient pas un objet strictement métropolitain. On doit considérer que, même s'il ne l'a pas dit expressément, le législateur en édictant ces textes, a voulu qu'ils s'appliquent partout ; tels sont ceux qui organisent les autorités centrales ou les juridictions centrales dont la compétence s'étend à tout le territoire et ceux qui sont destinés à régir certaines catégories de personnes ou d'agents publics. Nous l'avons dit, la volonté d'étendre le texte résulte alors de son objet lui-même. Il n'y a aucune raison de ne pas maintenir, sur ce point, les règles déjà admises en ce qui concerne l'Algérie. " (Lampué, ouvrage cité, p. 44.)
---------Ces conclusions ne sauraient êtres contestées. Mais, sous peine d'enlever toute signification aux règles du Statut qui définissent le régime législatif de l'Algérie, il convient de n'admettre l'application de plein droit à cette dernière, en dehors des matières visées aux articles 9 à 11. que des lois dont l'objet impose sans conteste possible une telle application.

---------2') Du domaine exclusivement réservé à la loi.

---------Ce domaine est défini par l'article 12 du Statut qui vise des matières particulièrement importantes.
---------Aux ternies de cet article : " L'organisation militaire et le recrutement, le régime électoral, le statut des assemblées locales, l'organisation administrative, l'organisation judiciaire, la procédure civile et criminelle, la détermination des crimes et délits et celles de leurs peines, le régime foncier et immobilier, l'amnistie, le contentieux administratif, le régime de la nationalité française ne peuvent être réglés que par la loi ".
---------a) Si, dans ce domaine, le Statut n'a pas prévu l'application de plein droit à l'Algérie des textes métropolitains, c'est que l'identité systématique de régime eut été pratiquement irréalisable. Il s'agit, en effet, de matières pour lesquelles la législation algérienne, adaptée aux conditions locales, diffère sur de nombreux points de la législation métropolitaine.
---------Que, dans le silence de leur texte, les lois `concernant les matières visées à l'article 12 ne s'appliquent pas à l'Algérie, cela résulte de la différence de rédaction des articles 9, 10 et 11 d'une part, de l'article 12 de l'autre. Doit-on en déduire que, dans le cadre limité de l'article 12, il n'y a plus place pour l'ancienne distinction jurisprudentielle entre " lois modificatives " et " lois innovatoires " ? (En dehors du cadre de l'article 12, il est évident que cette distinction ne peut plus exister.) C'est ce que fait M. Lampué quand il déclare : " En dehors des textes rentrant clans les différentes classes que nous venons d'examiner (art. 9, 1o et 11), la règle est désormais celle de l'inapplicabilité des lois métropolitaines. Cette règle s'applique aussi bien aux lois qui modifient des lois précédemment introduites qu'à celles qui prononcent sur des questions nouvelles ou qui posent (les principes nouveaux. ---------Ainsi disparaît l'ancienne distinction qu'avait effectuée la jurisprudence entre les lois " modificatives " et les lois " innovatoires pour lesquelles il fallaitune introduction spéciale. Les unes et les autres sont désormais soumises au même principe. Dès l'instant qu'elles ne rentrent pas dans les catégories définies aux articles 9, 10 et 11, elles n'acquièrent force législative en Algérie que l'Assemblée Nationale l'a spécialement déclaré " (Ouvrage cité, pp. 44-45)
---------b) L'expression" par la loi " ne doit pas être interprétée dans son sens littéral. Les lois qui interviennent dans les matières visées à l'article 12 peuvent renvoyer pour leur application à des textes réglementaires. Il suffit que le fondement juridique de la réglementation se trouve dans la loi (Cf. dans ce sens : Lamipué, ouvrage cit é, p. 45). Les mots " par la loi " signifient, en définitive, " suivant les mêmes formes juridiques que dans la Métropole ".
---------c) Les rubriques très générales de l'article 12 ne manquent pas de faire naître des difficultés lorsqu'il s'agit de définir avec précision les matières qui se rattachent à chacune d'elles. Un point parait certain. Cet article donnant une énumération limitative doit, conformément aux principes généraux du droit, être interprété restrictivement. Il semble bien, d'ailleurs, que cette interprétation ait été d'ores et déjà admise. C'est ainsi que le statut général des fonctionnaires n'a pas été étendu à l'Algérie par une loi (comme c'eut été nécessaire si ce statut avait été considéré comme entrant dans " l'organisation administrative " visée à l'article 12), mais par une décision (le l'Assemblée Algérienne, conformément à la procédure que nous analyserons plus loin.
---------d) On est étonné (le voir " l'organisation judiciaire ". qui constitue une partie importante du droit (lu service rattaché de la justice dont il est traité à l'article 10, figurer dans l'énumération de l'article 12. On pourrait même soutenir qu 'il y a une certaine contradiction entre ces deux articles, le premier posant en principe l'identité de législation entre la Métropole et l'Algérie, le second sous-entendant l'autonomie possible de la législation algérienne.
---------Pour échapper à cette contradiction, on peut soutenir que l'article 12 se borne à expliciter la réserve un peu obscure formulée à l'article 10" ...sauf dispositions contraires ". Lorsque ces dispositions concerneraient l'organisation judiciaire, elles devraient faire l'objet d'une loi ou, plus exactement, d'un texte de même nature que celui intervenu dans la Métropole si l'on adopte l'interprétation donnée ci- dessus (b).

 

---------B. -- " Les lois nouvelles non visées aux articles 9 à 12 ne s'appliquent pas à l'Algérie " (art. 14, alinéa 1er du Statut). Mais l'article 13 prévoit que : " Le Parlement peut étendre à l'Algérie les lois qui ne sont pas visées aux articles précédents sur la proposition (le l'Assemblée algérienne ou après avis de celle-ci, sauf le cas d'urgence. " (La procédure suivant laquelle l'Assemblée Algérienne formule ses propositions ou donne ses avis
est organisée par un règlement d'administration publique du 19 juillet 1948.)
.
---------a) Cet article ne présenterait que bien peu d'intérêt si l'Assemblée Algérienne était libre (le réglementer, comme elle l'entend, les matières autres que celles visées aux articles 9 à 12. Mais tel n'est pas le cas. Nous allons voir que son pouvoir d'édicter une réglementation particulière à l'Algérie est limité par le fait qu'elle " ne peut ni modifier, ni abroger des textes législatifs actuellement en vigueur et qui ne rentrent cependant pas dans l'énumération des articles 9 à 12 du Statut " (Viard, " Les caractères politiques et le rég;me législatif de l'Algérie ", p. 73.). Lorsque l'Assemblée Algérienne se trouve en présence de textes de cette nature, seule la procédure de l'article 13 lui permet donc de " faire entendre sa voix ".
---------b) Du " cas d'urgence " prévu par l'article 13, le Parlement est seul juge. Mais en dehors de ce cas d'urgence, peut-il se dispenser de consulter l'Assemblée Algérienne ? Certainement oui : " Il est bien entendu que cette disposition ne confère qu'une possibilité et qu'elle ne limite en rien la souveraineté (le la loi. " (Viard, Débats parlem., Ass. Nat., séance d u 25 août 1947, J.O., p. 4628.).
---------c) Quand le Parlement procède lui-mêmeà l'extension d'une loi. conformément à la procédure instituée à l'article 13, il soutrait pour l'avenir à la compétence de l'Assemblée Algérienne la matière réglementée par cette loi. Il en résulte que cette procédure ne doit être utilisée que dans des cas exceptionnels.

---------COMPETENCE DE L'ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE.

---------La grande innovation de la loi du 2o septembre 194 est la création d'une assemblée Algérienne qui participe à l'élaboration de la législation locale. Nous n'avons pas à analyser ici la composition et le fonctionnement de cette Assemblée, mais à en rappeler seulement les caractères essentiels qui définissent l'équilibre nouveau que le législateur a entendu réaliser entre les deux éléments de la population cohabitant en Algérie et portent témoignage (le l'importance reconnue désormais à la représentation algérienne dans les destinées du pays.

---------L'Assemblée Algérienne est beaucoup plus démocratique que les Délégations algériennes et l'Assemblée financière qui l'ont précédée. Elle est élue au suffrage universel et direct ; tout électeur ou électrice, âgéd'au moins 23 ans y est éligible et une large publicité est donnée à ses débats.
---------L'égalité a été systématiquement recherchée entre les représentants des deux collèges, qu'il s'agisse de la composition de l'Assemblée elle-même (6o représentants de chaque collège) ou de celle de son bureau (8 élus dont 4 de chaque collège ; la présidence de l'Assemblée est attribuée chaque année à un élu d'un collège différent), de la commission des finances et des six commissions générales (elles comprennent un nombre égal d'élus des deux collèges ; le vice-président est un élu d'un collège différent de celui du président ; la présidence revient chaque année à un élu d'un collège différent).
---------De nombreuses précautions ont été prises pour que cette Assemblée, dont les pouvoirs sont très étendus, ne puisse en aucun cas prendre le caractère d'un parlement souverain. C'est ainsi que l'immunité dont jouissent les parlementaires n'a pas été étendue aux membres de l'Assemblée algérienne. De même des dispositions spéciales frappent de nullité les délibérations de cette Assemblée qui seraient relatives à de, objets non compris dans ses attributions on auraient été prises en dehors de ses sessions et permettent, dans ces mêmes cas, (le procéder à sa dissolution.

---------Suivant l'article 14 du Statut : " Les lois nouvelles non visées, par les articles 9 à 12 ne s'appliquent pas à l'Algérie ".
---------" Dans les matières qui ne sont pas reprises à ces articles, l'Assemblée Algérienne peut, sur proposition de l'un (le ses membres ou du Gouverneur- Général, prendre des décisions avant pour objet d'étendre la loi métropolitaine à l'Algérie, soit purement et simplement. soit après adaptation aux conditions locales. ou d'édicter, dans le cadre des lois, une réglementation particulière à l'Algérie. "
---------" L'Assemblée Algérienne peut, dans les mêmes conditions, modifier les décisions visées à l'alinéa précédent. "
---------Cette assemblée a donc un double pouvoir : celui d'étendre des lois métropolitaines à l'Algérie et celui d'édicter une réglementation particulière à cette dernière. Mais en aucun cas, ses décisions ne peuvent régir les matières visées aux articles 9 à 12 du Statut. Or, l'article 12 mentionne " la détermination des crimes et délits et celle de leurs peines ". Il en résulte que l'Assemblée Algérienne ne peut assortir ses décisions d'aucune pénalité et que la violation de leurs dispositions a pour unique sanction l'article 471, 15 du Code Pénal qui frappe d'une amende " ceux qui auraient contrevenu aux règlements légalement faits par l'autorité administrative... ". Sanction très insuffisante qui, pour ,être renforcée, exigerait, dans chaque cas, le vote d'une loi spéciale.

---------A. -- Du pouvoir de l'Assemblée Algérienne d'étendre les lois métropolitaines à l'Algérie.
---------a) Nous venons d'indiquer que l'article 14, alinéa 2, permettait à l'Assemblée Algérienne " d'étendre la loi métropolitaine à l'Algérie, soit purement et simplement, soit après adaptation aux conditions locales... " Cette disposition concerne non seulement les lois postérieures à l'entrée en vigueur du Statut mais encore celles qui lui sont antérieures, comme M M. Viard et Capitant l'ont fait observer au cours des débats devant l'Assemblée Nationale (Séance du 26 août 1947, J.O., pp. 4670-4671.). Cependant. conformément à une suggestion formulée par le Conseil d'État et pour éviter toute ambiguïté, le Parlement a voté un article 52 qui dispose . " Sous réserve (les matières énumérées aux articles 9 à 12 de la présente loi, les décisions votées par l'Assemblée Algérienne dans les conditions prévues aux articles 14. 15 et 16, pourront :
---------1) introduire en Algérie les lois antérieures à l'entrée en vigueur (le la Constitution
---------2) introduire en Algérie les lois postérieures à cette entrée en vigueur et dont l'extension au territoire de l'Algérie aura été renvoyée à un décret d'application... " (non intervenu).
---------Ces dispositions n'ajoutent rien au pouvoir que l'Assemblée Algérienne tient de l'article 14.

---------
b) Cet article donne à l'Assemblée Algérienne le droit de procéder à " l'adaptation aux conditions locales " des lois qu'elle étend à l'Algérie. Mais on peut se demander où finit cette adaptation et où commence la modification pure et simple. Il est souvent difficile de le dire et on peut prévoir que les juridictions administratives seront parfois appelées, pour juger de la légalité d'une décision, à apprécier l'importance et la nature (les modifications apportées à la loi par l'Assemblée Algérienne.

---------c)Nous avons dit que le législateur avait eu le souci de ne pas faire de l'Assemblée algérienne un Parlement souverain. La question se pose de savoir si, en l'autorisant à étendre des lois à l'Algérie, il ne lui a pas conféré un véritable pouvoir législatif.. Lorsqu'il s'agit de matières non encore " légiférées " en Algérie, on peut soutenir que l'Assemblée Algérienne accomplit un acte purement réglementaire. Mais est-il possible de le soutenir encore quand la décision d'extension est relative à une matière déjà régie par la loi en Algérie ? En faveur de l'affirmative on peut invoquer deux arguments différents.
---------Tout d'abord, comme l'a souligné le Conseil 'd'Etat, consulté sur le projet de Statut, dans un avis n° 240-528 bis du 27 mars 1947, ce Statut réserve à la compétence exclusive du Parlement (art. 9 à 12) " les matières législatives ". En ce qui concerne les autres matières régies par des lois, en Algérie, on peut admettre que le Parlement leur a restitué le caractère réglementaire ce qui permet à l'Assemblée Algérienne de modifier les lois dont il s'agit par des décisions d'extension qui ont elles-mêmes un caractère purement réglementaire.
---------D'autre part, dans un avis n°240-525, également du 27 mars 19-17, le Conseil d'Etat a déclaré qu'est incompatible avec l'article 13 de la Constitution (Suivant cet article : " L'Assemblée Nationale vote seule la loi, elle ne peu: déléguer ce droit.") le fait, pour une loi, de " prévoir des décrets d'application pour l'élaboration desquels elle accorderait un certain délai en vue de permettre une adaptation de la loi métropolitaine à la situation spéciale de l'Algérie ; que cette adaptation peut entraîner des modifications au texte de la loi, que toutefois ces modifications ne doivent intervenir que pour tenir compte des conditions différentes de celles qui existent dans 1a France continentale et qu'elles ne sauraient porter atteinte à l'esprit et aux dispositions essentielles de la loi ".
---------Sous cette dernière réserve, le Conseil d'Etat parait dette avoir considéré que le texte applicable à l'Algérie était la loi elle-même, et que celle-ci était seulement adaptée aux conditions locales par un décret qui conservait son caractère réglementaire même si la loi étendue modifiait une loi déjà applicable à l'Algérie. Ce raisonnement ( Il rappelle l'ancienne jurisprudence qui qualifiait de décrets " de promulgation spéciale", les décrets par lesquels le Chef de l'Etat étendait des lois métropolitaines à l'Algérie.)
vaudrait, mutatis mutandis, pour les décisions d'extension de lois votées par l'Assemblée Algérienne.
---------d) de ce pouvoir d'étendre les lois métropolitaines à l'Algérie, en les y adaptant le cas échéant. on peut rapprocher celui conféré à l'Assemblée Algérienne par l'article 52, 4°, de " compléter ou modifier potin leur adaptation aux conditions locales les lois intervenues entre l'entrée en vigueur de la Constitution et la promulgation de la présente loi ".
---------Cette disposition vise un groupe de lois qui, en vertu de l'article 73 de la Constitution soumettant les départements d'Outre-mer au même régime législatif que les départements métropolitains sauf les exceptions déterminées par la loi, se sont appliquées de plein droità l'Algérie sans que le législateur s'en soit douté, sans, par conséquent, qu'il ait pu procéder à leur adaptation aux conditions locales. Elle a 'pour but de donner à l'Assemblée Algérienne le pouvoir qu'elle aurait tenu de l'article 14 d'adapter ces lois à l'Algérie si, intervenues à une autre époque, elles ne s'y étaient pas a appliquées de plein droit. Solution de bon sens qui soulève, cependant, en droit. une importante réserve. Il ne s'agit plus, en effet, d'étendre à l'Algérie, en les y adaptant, des lois métropolitaines, ce qui peut être considéré comme un acte purement réglementaire. L'Assemblée Algérienne est habilitée à compléter ou modifier des lois déjà applicables à l'Algérie, ce qui petit, sembler contraire à l'article 13 de la Constitution.

---------B. --- Du pouvoir de l'Assemblée Algérienne d'édicter une réglementation particulière à l'Algérie.

---------Ce pouvoir a pour fondement la disposition (le l'article 14 (lu Statut suivant laquelle l'Assemblée Algérienne peut en dehors des matières reprises aux article 9à 12 : " ...édicter, dans 1e cadre des lois. une réglementation particulière à l'Algérie ".
---------a) L'expression " réglementation particulière "prouve qu'avec cette disposition on pénètre dans ce qu'on pourrait appeler le domaine de l'originalité algérienne. L'Algérie a, en effet, une originalité - géographique, ethnique, économique et sociale - trop accusée pour que sa législation (au sens large) puisse être un simple reflet de celle de la Métropole. Dans de nombreuses matières, il lui faut des
règles propres.
---------C'est à ce besoin d'autonomie législative que répond la disposition dont il s'agit. L'article 14 ne s'oppose pas, cependant, à ce que l'Assemblée Algérienne édicte une réglementation particulière, en dehors des matières proprement algériennes (Un amendement déposé par M. Capitant prévoyait une telle limitation. Mais l'Assemblée Nationale ne l'a pas retenu.)
---------b) A la libre initiative de l'Assemblée Algérienne, une restriction est pourtant apportée par le Statut. La " réglementation particulière " doit être édictée " dans le cadre des lois ". Dans cette expression, le mot " lois " a son sens formel de lois applicables de plein droit à l'Algérie. Il ne comprend pas les décrets pris par le Chef de l'Etat en vertu de la délégation qu'il tenait de l'ordonnance du 22 juillet 1834. L'article 14 permet donc à l'Assemblée Algérienne de modifier ces décrets. Cependant le Parlement a cru nécessaire de la préciser en votant l'article 52, 3 : " Sous réserve des matières visées aux articles 9 à 12 de la présente loi, les décisions votées par l'Assemblée Algérienne, dans les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 pourront :
---------" ,,,3° compléter, modifier ou abroger, nonobstant la validation ci-dessus prévue, les décrets qui, antérieurement à la promulgation de la présente loi, ont étendu des lois à l'Algérie et les décrets intervenus dans la même période en vertu de l'ordonnance du 22 juillet 1834. "
---------Il résulte de l'article 14 que la réglementation particulière édictée par l'Assemblée Algérienne ne peut ni modifier, ni abroger une disposition de loi applicable à l'Algérie. C'est la subordination -(le cette Assemblée - détentrice d'un simple pouvoir réglementaire - à la volonté souveraine du Parlement.
---------Ainsi le pouvoir reconnu à l'Assemblée Algérienne d'édicter une réglementation propre à l'Algérie s'oppose-t-il, trait pour trait, à celui qu'elle a, par ailleurs, d'étendre à ce territoire la législation métropolitaine. Dans le premier cas, elle n'est pas tenue de s'inspirer de la législation métropolitaine, mais elle doit respecter les lois déjà applicables à l'Algérie. Dans le second, il lui faut se conformer à l'esprit et aux dispositions essentielles des lois métropolitaines qu'elle étend, mais ses décisions peuvent avoir - et ont souvent -- pour effet de modifier des lois en vigueur en Algérie.
---------c) Puisqu'une loi applicable à l'Algérie ne peut être modifiée par une décision édictant une réglementation particulière, niais seulement par une décision portant extension d'une loi métropolitaine, la question se pose de savoir comment cette dernière décision pourra être modifiée à l'avenir.
---------Si, partant du fait qu'il ne s'agit plus d'une loi proprement dite, mais d'une décision, on admet que l'Assemblée Algérienne dispose du droit de la modifier en édictant une réglementation particulière, il est certain que l'interdiction faite à cette Assemblée de modifier les lois applicables à l'Algérie perdra rapidement une grande partie de sa portée. Mais il semble qu'il y aurait une inconséquence à soutenir que l'Assemblée Algérienne, dont la " réglementation particulière " est tenue de respecter les lois applicables à l'Algérie, peut tourner cet obstacle juridique en abrogeant les lois dont ils s'agit par des décisions d'extension qu'elle pourrait ensuite modifier en toute liberté.
Bien que le Statut ne le dise pas expressément, on peut donc penser qu'une décision d'extension d'une loi métropolitaine doit être, en la circonstance, assimilée à la loi en ce sens qu'elle ne peut être modifiée que par une autre décision d'extension. Il est, d'ailleurs, possible de tirer argument dans une certaine mesure, du dernier alinéa de l'article 14 suivant lequel : " L'Assemblée Algérienne peut, dans les mêmes conditions, modifier les décisions visées à l'alinéa précédent ". " Dans les mêmes conditions " ferait obligation à l'Assemblée Algérienne de ne mo difier des décisions d'extension que par d'autres décisions d'extension.

---------C. - Procédure de contrôle des décisions de l'Assemblée Algérienne.

---------Ce contrôle s'exerce à la fois au cours de l'élaboration et après le vote des décisions de l'Assemblée Algérienne.
---------1)Contrôle au cours de l'élaboration des décisions. Ce contrôle est double.
---------a) Aux termes de l'article 39 du Statut " Les décisions de l'Assemblée sont votées à la majorité. Toutefois, à la demande soit du Gouverneur général, soit de la commission des Finances, soit du quart des membres de l'Assemblée, le vote- ne peut être acquis qu'après un délai de 24 heures et à la majorité des deux tiers des membres en exercice. à moins que la majorité ne soit constatée dans chacun des deux collèges ".
---------Le Gouverneur général qui " représente le gouvernement de la République française dans toute l'étendue de l'Algérie " (art. 5. alinéa On du Statut) dispose donc, conjointement avec d'autres, du droit (le déclencher un " mécanisme (le sécurité " qui comporte :
----------un délai (le réflexion (le 24 heures
----------Un vote à la majorité des deux tiers, à moins que la majorité ne soit constatée dans chacun des deux collèges.
---------Il résulte de cette dernière disposition que la majorité des deux tiers ne s'impose qu'en cas de désaccord entre les deux collèges. Elle évite que l'un d'eux ne puisse, en s'agglutinant quelques voix de l'autre, emporter un vote contraire aux intérêts de celui-ci.
---------b) D'autre part suivant l'article 15, alinéa 2 in fine du Statut, le Gouverneur général " peut. dans les huit jours de la réception " des décisions votées par l'Assemblée Algérienne) " demander à l'Assemblée de procéder à une seconde lecture du texte adopté ".
---------Cette deuxième lecture ne présente évidemment d'intérêt que dans les cas assez rares où l'. Assemblée aurait, dans son premier vote, cédé à un entraînement passager.

---------2) Contrôle postérieur au vote des décisions.
---------L'article 15 stipule que, " les décision; prises par l'Assemblée doivent, pour devenir exécutoires, être homologuées par décret. Elles sont à cet effet transmises par le Président de l'Assemblée au gouvernement par l'intermédiaire du Gouverneur général.
---------L'article 10 ajoute : " Si, dans le délai de six semaines, le gouvernement n'a pas accordé l'Homologation prévue à l'article 15 et s'il n'a pas notifié au Président de I'Assemblée Algérienne son refus motivé d'homologuer la décision. celle-ci devient exécutoire de plein droit et est immédiatement promulguée par le Gouverneur général.
---------" En cas de refus d'homologation, la décision de l' Assemblée algérienne est déférée au Parlement qui statue. "
---------a) " Le délai de six semaines dont l'écoulement. aux termes de l'article t6 de la loi du 20 septembre 1947, vaut homologation tacite, court à compter de l'expiration du délai " (de huit jours) " accordé au Gouverneur général par l'article 15 de ladite loi pour demander à l'Assemblée Algérienne nue deuxième lecture.
---------Toutefois, lorsque le Gouverneur général a demandé à l'Assemblée algérienne une deuxième lecture, ce délai court à compter de la réception par le Gouverneur général du texte voté en deuxième lecture. "(R.A.P. 19 juillet 1948, art. 4) .
---------b) Conformément à l'article 16 de la loi du 2o septembre 1947. le gouvernement peut refuser d'homologuer une décision votée par l'Assemblée Algérienne et transmise régulièrement au Gouverneur général.
---------Ce refus d' 'homologation est motivé.
---------" Si la décision comprend une disposition relative à un objet qui n'est pas légalement compris dans les attributions de l'Assemblée Algérienne, cette disposition est exclue de l'homologation. " (9 juillet 1945, art. `1).
---------Cet article (Comme d'ailleurs la jurisprudence administrative ancienne concernant la procédure d'homologation de décision; (les délégations financières) autorise le gouvernementà ne procéder qu'à une homologation partielle. Ce cas s'est déjà produit plusieurs fois.
---------Par contre, le gouvernement ne pourrait apporter aucune modification aux dispositions des décisions de l' Assemblée Algérienne qu'il homologue, car " l'homologation expresse ou tacite est un simple" nihil obstat " qui ne porte pas atteinte a l'indépendance juridique de la décision de l'Assemblée vis-à-vis de l'acte (l'homologation " ( Le régime législatif de l'Algérie ", Ch. E ttori, p. 88.).
---------e) En cas de refus d'homologation " (partiel on total) " la décision déférée au Parlement qui statue " (art. t6, alinéa 2, du Statut).
---------Le refus d'homologation peut être justifié, soit par des considérations d'opportunité, soit par le fait que la décision a un objet non compris dans les attributions de l'Assemblée Algérienne. Dans cette dernière hypothèse, le Parlement est appelé à exercer sur la décision un contrôle de légalité qui incomberait plus logiquement, semble-t-il, à la juridiction administrative.
---------Le Statut n'a pas prévu sous quelle forme le Parlement statuerait et quels seraient les effets juridiques de sa décision. Suivant un avis du Conseil d'Etat n° 243 - 842 bis du 13 mai 1948, par l'alinéa 2 de son article 16, " la loi a entendu réserver au Parlement, dans le cas prévu, l'exercice du pouvoir de contrôle administratif qui appartient en premier ressort au gouvernement statuant par décret " et
la substitution du Parlement au gouvernement n'a pas pour effet de modifier la nature de l'acte qui demeure un acte d'homologation d'une délibération d'une assemblée administrative ".
---------Cet avis ajoute " que les décisions du Parlement. quel qu'en soit l'objet, ne sont pas susceptibles de recours contentieux et que ce principe doit nécessairement s'appliquer aux décisions d'homologation ou de refus d'homologation des décisions de l'Assemblée Algérienne, mais que rien ne s'oppose à ce qu'éventuellement un recours soit fermé contre la décision attaquée ".

REPARTITION DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LE GOUVERNEUR GAINERA DE L'ALGÉRIE.

---------Le gouvernement tient sou pouvoir réglementaire de l'article 8, alinéa 2, du Statut : Le gouvernement de la République française assure l'exécution, en Algérie, des lois de la République française qui y sont applicables. Il dispose. à cet effet, des pouvoirs à lui accordés par la Constitution, notamment par l'article 4.
---------Quant au Gouverneur général, " il exerce ", suivant l'article ;, alinéa 3 du Statut, " le pouvoir réglementaire. sauf les exceptions déterminées par le présent Statut ".
---------La combinaison de ces deux dispositions a soulevé des difficultés d'ordre juridique dont le gouvernement a estimé nécessaire de saisir le Conseil d'Etat. Dans un avis du 9 novembre 1948, celui-ci a déclaré : " que, lorsqu'il s'agit de l'application des textes postérieurs à l'entrée en vigueur (le la loi du 2o septembre 1947, le gouvernement de la République française est compétent pour assurer l'exécution des lois votées par le Parlement et le Gouverneur général de l'Algérie est compétent pour assurer l'exécution des décisions de l'Assemblée Algérienne homologuées par décret ; qu'il ressort des articles 9 et suivants de la loi du 2o septembre 1947 que les compétences respectives du Parlement et de l'Assemblée Algérienne en matière législative, et par voie de conséquence, du gouvernement de la République et du Gouverneur général en matière réglementaire, se déterminent d'après la nature des matières traitées ; que s'agissant de l'application des textes antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 20 septembre 1947, la détermination des compétences doit se faire sur la même base ; qu'en effet, l'article 52 de la loi, relatif aux dispositions transitoires, n'autorise l'Assemblée Algérienne à modifier les textes législatifs antérieurs que si ces textes concernent des matières dont la compétence n'est pas désormais réservée au Parlement ; qu'ainsi, pour déterminer si un règlement destiné à assurer l'application d'un texte antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 20 septembre 1947 doit être pris par le gouvernement de la République ou par le Gouverneur général, il convient de rechercher si ce texte est ou non relatif à une des matières dont la connaissance, au point de vue législatif, est réservée au Parlement ".
---------Suivant cet avis, par conséquent, le gouvernement est compétent pour assurer l'application de tous les textes intervenus (avant ou après le Statut) sur les matières visées aux articles 9 à 12 du Statut et des lois votées postérieurement au Statut (en vertu de sort art. 13) sur des matières autres que celles visées aux articles 9 à 12 (Conformément à la jurisprudence antérieure, les. décrets pris en application de textes communs à la Métropole et à l'Algérie sont eux-mêmes communs.).
---------De son côté, le Gouverneur général est chargé de l'exécution de tous les autres textes et notamment des décisions de l'Assemblée Algérienne. Ce pouvoir lui permet de modifier, le cas échéant (il l'a fait fréquemment) (les décrets pris par le gouvernement avant l'intervention du Statut de l'Algérie.
---------L'ancien Conseil de Gouvernement qui assistait le Gouverneur général dans l'exercice de son pouvoir réglementaire est considéré comme supprimé par l'article 7 du Statut ( Les textes qui prévoyaient la consultation de l'ancien Conseil de gouvernement ne peuven` donc plus, sur ce point, recevoir application. Et comme cette impossibilité est un effet de la loi, le Gouverneur Général peut, sans. provoquer l'avis d'aucun Conseil consultatif, signer les arrêtés qu'il était précédemment tenu de soumettre au Conseil de gouvernement.) aux termes duquel : " Il est institué auprès du Gouverneur général un Conseil de gouvernement chargé de veiller à l'exécution des décisions (le l'Assemblée Algérienne ".
---------Ce conseil est composé de six conseillers du gouvernement deux désignés par le Gouverneur général deux élus annuellement par l'Assemblée Algérienne le Président de l'Assemblée Algérienne ;
---------- un vice-président appartenant à un collège différent du Président.
---------" Les pouvoirs des membres du Conseil sont renouvelables. "
---------Ce Conseil a une mission nettement définie : veiller à l'exécution des décision (le l'Assemblée Algérienne.
---------Cette mission, il l'exerce dans les conditions fixées par l'article 2 du décret portant R.A.P. du 19 juillet 1948 :
---------" Les arrêtés (lu Gouverneur général relatifs à l'application des décisions de l'Assemblée Algérienne sont pris après avis du Conseil de gouvernement.
---------" Pour les décisions de l'Assemblée ne comportant pas d'arrêtés d'exécution, le Conseil de gouvernement peut présenter des suggestions au Gouverneur général.
---------" Il peut demander au Gouverneur général de faire procéder à toute investigation ou enquête sur tous objets entrant dans la compétence de l'Assemblée Algérienne.
---------" Sur sa demande, il reçoit du Gouverneur général communication des pièces ou documents administratif, nécessaires à l'accomplissement de sa mission. "

DE LA SUSPENSION PROVISOIRE DU RÉGIE LÉGISLATIF INSTITUE PAR LE STATUT DE L'ALGÉRIE.


---------Suivant l'article 8 du Statut, le régime législatif prévu au titre il ne devait entrer en vigueur que le jour de la réunion de l'Assemblée Algérienne (le 18 avril 1948). " Jusqu'à cette date, l'Assemblée financière exercera les attributions conférées à l'Assemblée Algérienne par les articles 14 et 52 de la présente loi, cette Assemblée ne pouvant toutefois être saisie que par le Gouverneur général. "
---------Dans ces conditions, la question se pose de savoir à quel régime législatif l'Algérie a été soumise entre le 2o septembre 1947 et le 18 avril 1948, Deux thèses paraissent pouvoir être soutenues :
---------a) Suivant la première. le titre II du Statut étant suspendu, le régime législatif de l'Algérie demeurait provisoirementfixé par l'article 73 de la Constitution posant le principe de la communauté de législation entre la Métropole et les départements d'outre-mer.
---------Les lois intervenues durant cette période se sont donc appliquées de plein droit à l'Algérie à l'exception toutefois (exception massive) de celles non visées aux articles 9 à 12 du Statut. puisque l'article 58 prévoyait expressément la possibilité pour l'Assemblée financière de procéder à leur extension ,tir proposition du Gouverneur général.
---------En définitive, se seraient appliquées à l'Algérie, dans le silence de leur texte, les lois relatives aux matières énumérées par les articles 9 à 12 inclus,
---------b) Suivant l'autre thèse, le nouveau régime législatif de l'Algérie n'a pas été suspendu en entier par l'article 58, mais seulement limité aux articles 14 et 52.
---------En permettant au Parlement de voter ces deux articles, l'article 73 de la Constitution a épuisé ses effets. Il n'y a donc plus à invoquer le principe de la communauté législative posé par l'article 73.
---------En conclusion, aucune des lois dont il s'agit ne se serait appliquée de plein droit à l'Algérie et seules pouvaient être étendues par décision de l'Assemblée financière celles non visées par les articles 9 à 12
---------Les lois, traitant des matières énumérées aux articles 9 à 11 du Statut auraient été introduites plus tard en Algérie, le 18 avril 1948, au moment de l'entrée en vigueur du titre II. Mais contrairement à la thèse précédente, les lois relatives aux matières visées à l'article 12 n'y seraient pas applicables, ce qui présenterait des avantages certains, puisque, dans ces matières, la législation algérienne diffère fréquemment de celle de la Métropole.
---------Quoi qu'il en soit les décisions de jurisprudence sont rares en cette matière. On peut citer toutefois un arrêt de la Cour d'Appel d'Alger du 4 avril 1949 qui parait opter pour la première thèse (cf. Revue d e l'Union Française année 1949 p. 337 ).

CONCLUSION.

---------L'exposé qui précède permet d'apercevoir les imperfections et les obscurités du nouveau régime législatif de l'Algérie.Ni les uns ni les autres ne paraissent devoir compromettre œuvre réalisée par le législateur. Au surplus, ellesétaient inévitables si l'on songe que le Statut de l'Algérie a substitué à une construction presque purement jurisprudentielle, un ensemble de règles qui, tout en s'inspirant du passé, n'en présente pas moins des caractères originaux accusés.
---------En fait. le Statut de l'Algérie ne prendra tout son sens qu'avec le temps. Sa mise en application par l'Assemblée Algérienne, l' Administration, le Gouvernement et le Parlement sous le contrôle des juridictions administrative, et judiciaire, est indispensable pour parfaire œuvre du législateur. Si les imperfections que nous avons signalées s'accusent à l'expérience, il sera facile d'y remédier par de
de simples retouches de détail.
---------Seule compte vraiment la reforme de structure opérée par le Statut de l'Algérie. En quoi consistent-elle essentiellement ?
---------Aux termes de l'article 13 de la Constitution : " L'Assemblée Nationale vote seule la loi ; elle ne peut déléguer ce "droit "'. On aurait pu craindre que cette disposition ne conduisit à une concentration du pouvoir législatif entre les mains du Parlement. ll n'en a rien été. Les pouvoirs retirés au Chef du Gouvernement et au Gouverneur général ont été, en effet, par un véritable subterfuge juridique, transférésà l'AssembléeAlgérienne. C'est elle qui, désormais, est chargée. sous certaines réserves, d'étendre la législation métropolitaine à l'Algérie ou d'édicter, dans le cadre des lois, une réglementation particulière à cette dernière. On se trouve donc, en réalité, devant une véritable décentralisation du Pouvoir législatif.
---------Cette décentralisation, aussi opportune qu'elle puisse paraître. ne risque-t-elle pas de briser très rapidement le parallélisme qui existe actuellement entre la législation algérienne et celle de la Métropole ? C'est, à notre avis, un péril qu'il n'y a guère a redouter.
---------Dans la mesure où le Parlement continuera à légiférer pour l'Algérie, on est en droit de penser qu'il poursuivra, sa politique traditionnelle d'assimilation juridique. Les articles 9, 10 et 11 du Statut lui en font pratiquement une obligation. ---------Quant à l'article 12, il énumère des matières pour lesquelles rien ne s'oppose - bien au contraire au maintien, sinon d'une législation commune, du moins de deux législation voisines. Il ne faut pas oublier, non plus, que le Parlement tient de l'article 13 la possibilité d'étendre à l'Algérie les lois qui ne sont pas visées aux articles précédents.
---------De son côté, l'Assemblée Algérienne n'est pas toujours habilitée à édicter nue réglementation originale. Le Statut ne lui confère pas le droit de modifier les lois applicables de plano à l'Algérie. Une telle modification ne saurait être que la conséquence de l'extension à l' Algérie de lois métropolitaines. A la condition de se limiter à une simple "adaptation aux conditions locales ", elle aura donc pour résultat de maintenir - et non de briser - le parallélisme existant entre les deux législations.
---------Le pouvoir reconnu à l'Assemblée Algérienne d'édicter une " réglementation particulière " ne peut porter que sur des matières nouvelles dont le nombre est forcément peu élevé et sur celles régies par des décrets pris par le Chef de l'Etat en vertu de la loi du 24 avril 1833. Même alors, l'Assemblée Algérienne s'inspirera souvent de la législation métropolitaine. On est d'autant plus en droit de le penser qu'elle est saisie conjointement de propositions de décision par ses membres et de projets de décision par le Gouverneur général. Or, une des préoccupations de ce dernier sera très certainement de faire bénéficier l'Algérie des réformes législatives réalisées dans la Métropole.
--------En définitive, la législation algérienne devrait continuer dans l'avenir à refléter très largement celle de la Métropole. Son originalité serait limitée aux matières proprement algériennes.

Jacques BEYSSADE,
Administrateur civil du Ministère de l'Intérieur
au Gouvernement Général de l'Algérie.