-----------La
Presse Algérienne sous le Second Empire ne fut à aucun
moment exactement sous le même régime que celle de la Métropole.
Les dispositions de 1852 n'entrèrent en vigueur, avec quelques
modifications, qu'en 1855, mais restèrent valables jusqu'en I870.
L'Algérie ne bénéficie pas de l'évolution
libérale : la loi (le 1868 y resta lettre morte.
---------- Rappelons, dans ses grandes
lignes, le système initiale de Février 1852 tel
qu'il fut conçu pour les journaux de France.
---------- Autorisation préalable
nécessaire pour toute création de journal, pour tout
changement opéré dans le personnel dirigeant : propriétaires
ou administrateurs, gérant, rédacteur en chef.
---------- Cautionnement, 6 c. de
timbre par numéro.
---------- Définition
sévère des délits qui sont confiés à
la juridiction des tribunaux correctionnels et parmi lesquels
figure, par exemple, la " publication de fausses nouvelles, même
de bonne foi... ".
---------- Systeme
répressif ingénieusement gradué : "avertissement,
suspension au 3è avertissement. Le journal peut être supprimé
par décision ministérielle.
---------- La surveillance de la Presse
fut confiée, au début, au ministre de la Police, aidé
d'un directeur (le la division de la Presse. Persigny transféra
ces attributions au ministère de l'Intérieur, quand` il
l'occupa. Dans les départements, les préfets avaient tous
pouvoirs en' matière d'avertissement.
----------
Quelle fut la situation légale en
Algérie ?
---------- 1)
4 années de régime spécial instauré par
le décret de Mars 1852.
---------- Conditions plus douces au point'
de vue cautionnement, droits de timbre et postes que dans la \létropole.
---------- Mais, fait grave, un
visa est nécessaire pour chaque numéro à paraître
; en d'autres termes, la Censure existe. Elle est aux mains (lu Gouverneur
Général ou (le ses délégués.
---------- 2) A partir d'Avril 1855
application de la loi de Février 1852, trois exceptions sont
prévues.
---------- La première
confère au Gouverneur les pouvoirs que détient dans la
Métropole le Ministre de l'intérieur : toute la surveillance
(le l'usage de la Presse. Il accorde les autorisations préalables,
avertit et suspend en cas d'abus.
---------- La deuxième maintient
à un taux inférieur à celui de la France le chiffre
du cautionnement exigible.
---------- La troisième
a trait à diverses restrictions nécessaires par la situation
particulière de la colonie : par exemple interdiction de publier
des nouvelles des opérations militaires. Seule, demeure autorisée
sur ce sujet la reproduction des articlés insérés
dans les journaux officiels.
---------- Ainsi est assuré le pouvoir
discrétionnaire de l'autorité, qui a de puissants moyens
d'action pour empêcher une feuille (le naître ou de vivre.
La crainte de l'avertissement fait, du journaliste prudent son propre
censeur, le " communiqué " non signé, obligatoirement
placé en tête du journal, est le moyen impérieux
par lequel l'administration exerce son droit de réponse. L'octroi
du monopole des annonces judiciaires constitue en quelque sorte pour
les organes favorisés une subvention déguisée,
le retrait : une sanction.
---------- Toutes ces dispositions furent
appliquées par les autorités successives au milieu des
vicissitu en dues à l'instabilité administrative de la
colonie sous le 2è Empire.
---------- Dans
quel esprit les responsables usèrent-ils des armes que leur donnait
la loi ?
---------- Randon eut
la main assez rude. Evoquant plus tard la période de son gouvernement,
Cl.. Duvernois dira dans L'Algérie Nouvelle
:
---------- «Chatouilleux
à l'excès, le pouvoir militaire ne permettait pas qu'on
le discutât... et dès qu'on élevait un peu la voix,
il réprimait cet écart par le traditionnel " silence
des rangs "...
---------- Le champ se trouva singulièrement
restreint lorsque le Gouverneur eut interdit toute discussion des faits
ou des actes dans lesquels l'Administration intervenait... "directement
ou indirectement"...
---------- On peut donner comme exemple
de sévérité la suppression du journal de Cl. Duvernois
La Colonisation. Le prétexte invoqué
fut un article de Novembre 1855 au sujet du procès des frères
de l'orphelinat de Misserghin : le ton en fut jugé injurieux
pour l'Administration.
---------- Le Ministère
de l'Algérie et des Colonies, à partir de juin 1858,
instaure un régime d'autorité civile.
---------- Jérôme-Napoléon
refuse aux Préfets le droit d'avertir ou de suspendre que le
Gouverneur Général leur laissait autrefois sous sa haute
surveillance. En fait, pendant toute l'année de son ministère,
nous pouvons dire que la Presse fut libre : le prince n'adressa pas
un seul avertissement. La violence des polémiques sans contrainte
mena même à certains scandales. Ecoutons Jules Berthet,
professeur de 2è au Lycée Impérial d'Alger (note
du site: le lycée Bugeaud)et journaliste à ses
heures
---------- «... La
presse algérienne depuis quelques mois, semble une arène
en champ clos, où les invectives, les accusations exagérées,
les calomnies les plus perfides, remplacent la discussion loyale et
sérieuse.»
---------- Chasseloup-.Laubat, qui remplace
Jérôme-Napoléon démissionnaire en Mars 1859,
va essayer de calmer les passions. Le nouveau ministre rendit aux Préfets
leurs pouvoirs. Les journaux qui faisaient l'opposition la plus violente
furent l'objet de nombreuses tracasseries, en plus des avertissements.
Le gérant de L'Algérie Nouvelle,
Arthur de Fonvielle, fut poursuivi en correctionnelle et condamné
à de fortes amendes pour le seul fait d'avoir reproduit, sans
la signature de leur auteur, des articles de L'Akhbar.
Le Préfet Levert frappa le journal d'une autre manière
en lui enlevant le monopole des annonces judiciaires. La prudence fit
taire L'Algérie Nouvelle. L'un de
ses rédacteurs, Wilfrid de Fortvielle, qui avait pris une part
active dans la fièvre (le ses vingt ans aux journées parisiennes
de Février 1848 et à la vie de la 2è République,
se plaint amèrement que la presse ne jouisse pas d'une liberté
plus grande... " qu'aux beaux jours du
pouvoir militaire "... Clément Duvernois soutient
sa polémique par une série de petites brochures pleines
de verve. L'auteur et son éditeur Dubos passèrent en correctionnelle
pour outrage et diffamation. Leur procès fut un événement
algérois. Le journaliste eut deux mois de prison et 1.000 francs
d'amende, l'éditeur bénéficia du demi-tarif et
s'en tira avec un mois et 5oo francs.
---------- Pélissier exerça
paternellement son autorité à l'égard (le la Presse
dans les deux premières années de son gouvernement.
---------- « A
de rares exceptions près, je n'ai qu'à me féliciter
rie la latitude que je laisse à la libre discussion "...
(Rapport à l'Empereur d'Avril 1862).
---------- 1863 amène des orages,
après la connaissance (les brochures anticolonisatrices d'Urbain
et de la lettre-programme de l'Empereur. Les feuilles algériennes
se font l'écho d'une violente opposition. Un seul organe fait
exception, L'Africain de Constantine, qui,
de ce fait, se voit qualifié " d'ennemi
des colons ", de " réactionnaire
" et " barbaresque "...
---------Le Gouverneur Général,
pourtant défenseur de la colonisation européenne, se voit
contraint de sévir, pour rétablir l'ordre, contre des
journalistes avec lequels il est en accord de principe
---------Avertissement donné à
" L'Akhbar " pour un article
du 15 Mars 1863. Commentant le refus de l'Empereur de recevoir les délégués
des colons, et faisant allusion aux voyages des chefs indigènes
en France, le rédacteur disait
" Nous ne demandions pas pour nos délégués
les honneurs de Compiègne "...
---------Motif de l'avertissement : "
apprécie en termes irrespectueux une détermination attribuée
à l'Empereur "...
---------Le
Courrier de l'Algérie fut suspendu pour deux mois : Avril
et Mai 1863.
---------L'Echo d'Oran,
pour un article hostile à la lettre de l'Empereur, reçut
un communiqué cinglant.
---------C'est contre cette grêle
d'avertissements et communiqués que Behagel (ancien rédacteur
de L'Observateur de Blidah) protesta par
sa brochure : La liberté de la presse ! Ce qu'elle est en
Algérie. Cet ouvrage fut largement diffusé, vendu
et distribué. L'auteur se plaignait de la sévérité
avec laquelle la loi de 1852 était appliquée, et de ce
que les sanctions en Algérie fussent suivies (le conséquences
plus rigoureuse qu'en France, où les journaux continuaient quelquefois
à paraître après un troisième avertissement.
Le ton des communiqués était, disait-il, toujours "
injurieux ". Behagel, poursuivi, fut condamné à un
mois (le prison et 200 francs d'amende. Le tribunal exigea la destruction
de tous les exemplaires de cette publication.
---------Martinprey , Gouverneur intérimaire.
à la mort (le Pélissier, Mai 1864, eut à faire
face à une difficulté nouvelle créée par
l'insurrection de 1864 . A tous les motifs (le mécontentement
que les Français (le la Colonie avaient depuis le 2 Décembre
: privation (le leurs droits politiques, entraves apportées à
la colonisation par l'arabophilie impériale, instabilité
administrative, vint s'ajouter à la crainte (le l'insurrection.
La nervosité fut d'autant plus grande que le Gouvernement Général
communiquait peu (le nouvelles, elle entraîna un arrêt des
affaires.
---------Martimprey invita en termes énergiques
la Presse à se conformer aux dispositions de la loi interdisant
de faire connaître les mouvements de troupes et les faits (le
guerre que le Gouvernement n'aurait pas porté à la connaissance
du public. Il fixa par une circulaire de juin 1864 d'étroites
limites à la discussion, dans le but (le maintenir "l'ordre
moral ".
---------Ne nous étonnons pas que
le malheureux Courrier de l'Algérie ait
été pendant cette période deux fois " averti
" puis suspendu.
---------Dans ce climat (le contrainte,
la Presse s'abandonnait pourtant à (le folles espérances,
pensant que la succession définitive (le Pélissier serait
petit-être l'occasion d'un remaniement administratif au profit
d'une autorité civile plus clémente. Elle fut déçue_
---------Le nouveau Gouverneur Général
Mac-Mahon appliqua le décret du 7 Juillet 1864 qui marquait
une victoire des généraux sur les préfets au cours
de leur longue querelle en Algérie. Les journaux eurent de ce
fait un situation plus difficile que jamais. Le général
commandant la province fut chargé sous l'autorité du (louverneur
de faire la police de la Presse : donnant et révoquant les autorisations
de publier, infligeant avertissements et suspensions, ordonnant les
poursuites juidiciaires. Ainsi, la loi de 1852 devenait aux mains ds
généraux une arme redoutable. Les " traîneurs
de sabres " ne pouvaient avoir nulle tendresse pour les journalistes
libéraux ennemis de tous temps de l'autorité militaire.
---------Par exemple, un deuxième
avertissement, fait grave, est infligé au
Progrès de l'Algérie, journal de Constantine, pour
avoir dit clans un numéro de Juin 1868 qu'il faut " extirper
de 'l'Algérie les deux cancers qui la rongent, la féodalité
indigène et les bureaux arabes "...
---------Mac-Mahon, personnellement, n'appréciait
pas le nouveau système et proposait dans ses rapports de coordonner
la surveillance (le la Presse en confiant l'exercice au secrétaire
général Faré, auquel onn adjoindrait. pour l'aider,
un ,auditeur au Conseil d'Etat. Cette suggestion resta sans suite.
---------La non-application (le la loi
de 1868 en Algérie suscita une déception d'autant plus
vive que parmi les avantages accordés se trouvait notamment l'abolition
(le l'odieux régime des avertissements. Les protestations juridiques
de certains avocats algériens n'eurent pour suite que de motiver
une pluie de communiques.
---------Aux dernières années
de l'Empire, la Presse dépend donc toujours (le l'autorité
militaire qui exerce là son favoritisme, ici sa sévérité
: en 1867, Le Courrier de l'Algérie
se voit privé des annonces judiciaires. Beaucoup de sujets demeurent
interdits. L'Administration ne veut pas d'histoires... En un temps où,
nouvelle Egypte, l'Algérie a aussi ses plaies, parler des incendies
de forêts, du choléra. des famines ou du typhus, attire
communiqués, avertissements ou même poursuites judiciaires
pour " délit de fausses nouvelles
avec mauvaise foi et trouble au repos public "...
---------Dans ce duel du sabre et de la
plume, Mac Alahon marquait du reste un certain scepticisme quant à
l'efficacité des sanctions. Dans une lettre au Ministre de la
Guerre, datée du 22 Juillet 1869, il dit à propos d'un
article du Courrier de l'Algérie attaquant
violemment l'Empereur
---------" J'aurais
pu donner un avertissement à ce journal, hais j'ai considéré
qu'il avait déjà reçu deux avertissements, et que,
par suite, j'aurais été amené à le supprimer.
Je ne pense pas qu'il en fut résulté un bien réel,
car il est presque certain que les rédacteurs de ces journaux
supprimés, qui ne veulent point quitter l'Algérie, rentreraient
immédiatement à un autre journal qui se livrerait à
une opposition violente... c'est le moyen d'avoir un plus grand nombre
d'abonnés. D'un autre côté, il me parait impossible
de supprimer la presse en Algérie... "
---------Aux derniers mois du régime,
le Gouverneur Général se trouva dans un grand embarras.
Les journaux algériens prudents, par désir de vivre, ne
parlent pas en leur nom mais reproduisent des articles des feuilles
d'opposition, plus libres dans la Métropole.
Le Courrier de l'Algérie donne souvent des extraits de
La Lanterne, notamment le 4 juillet 1868,
un article d Rochefort sur " l'art de se faire décorer.
en 28 leçons ". La Méthode était adroite ;
elle mettait à l'abri des rigueurs du régime spécial
de la Colonie, Mac-Mahon hésitant à intervenir, pour la
reproduction de textes non poursuivis en France.
---------En Avril 187o, tardive concession...
Une députation menée par Alexandre Lambert, journaliste
de l'Indre, transporté de 1852, vint trouver le Gouverneur. Rappelant
que le Gouvernement de l'Empereur avait annoncé à la tribune
son intention de laisser à la Presse, pendant la d'urée
du plébiscite. toute liberté d'action, Lambert réclama
pour l'Algérie le bénéfice de cette mesure.
---------Le Gouverneur. après en
avoir référé à Paris, donna l'autorisation
de paraître à trois journaux :
---------L'Algérie
Française, prenant en quelque sorte la suite du
Courrier de l'Algérie.
---------Le
Démocrate Algérien, représentant à
peu près les idées du Siècle.
---------Le Colon,
dont les idées étaient celles du
Rappel et de La Marseillaise. Sa
violence du reste le fera supprimer au 15 Août 1870.
---------Ainsi. exception
faite du court ministère de Jérome-Napoléon, la
Presse algérienne, sous le Second Enioire. a été
soumise à une dure condition. Le but cherché : empêcher
les opposants de se manifester, fut pourtant- loin d'être atteint.
Certes, les suppressions furent nombreuses, la longévité
des feuilles dépendit de leur prudence, mais l'opposition fut
beaucoup plus vivante et continue que celle de la presse départementale
(le la Métropole dans son ensemble. S'adaptant aux conditions
spéciales qui leur étaient faites, les organes §upprimés
changèrent souvent de nom, sans changer (le rédaction,
ni de ton. A peu près tous les journaux algériens, sauf
l'officiel Moniteur et L'Africain, de Constantine,
expriment toujours avec courage, parfois avec violence, des théories
en désaccord avec l'esprit du 2 Décembre et l'arabophilie
d'inspiration généreuse trais à vues étroitesdu
rêveur de Ham.
---------Si l'indépendance d'esprit
fut presque générale, elle se nuança, toutefois,
de plus ou moins l'opportunisme. L'Akhbar,
" doyen de la presse algérienne " (1839-1897),
réussit à franchir le cap de l'Empire sans soutenir toujours
la doctrine officielle, mais en faisant-" balai neuf " de
ses rédacteurs à chaque oscillation du régime administratif.
Souplesse assez exceptionnelle pour lui valoir de ses confrères
le suruom de " journal tournesol ".
---------Bénéficiant tout
au plus d'une tolérance intermittente, cette Presse n'en témoigne
pas moins d'une vigueur qu'elle doit en partie aux " transportés
" nombreux dans les salles de rédaction, et elle prend déjà
conscience de sa mission.
---------On songea, lors de l'inauguration
du chemin de fer de Blidah, en Août 1862, à profiter de
la présence à Alger de nombreux envoyés spéciaux,
pour tenir un " Congrès de journalistes Algériens
". Rien ne nous permet d'affirmer que le projet ait été
réalisé, en un temps où la liberté de réunion
n'existait que dans des conditions très précaires, mais
il est significatif que l'idée ait pu en être lancée.
Mme. G. SERS-GAL.
agrégée de l'Université