Alger, Algérie : documents algériens
Série politique : presse
Le régime de la presse en Algérie sous le Second Empire

n°22 - 15 décembre 1948

La Presse Algérienne sous le Second Empire ne fut à aucun moment exactement sous le même régime que celle de la Métropole. Les dispositions de 1852 n'entrèrent en vigueur, avec quelques modifications, qu'en 1855, mais restèrent valables jusqu'en I870. L'Algérie ne bénéficie pas de l'évolution libérale : la loi de 1868 y resta lettre morte.

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-----------La Presse Algérienne sous le Second Empire ne fut à aucun moment exactement sous le même régime que celle de la Métropole. Les dispositions de 1852 n'entrèrent en vigueur, avec quelques modifications, qu'en 1855, mais restèrent valables jusqu'en I870. L'Algérie ne bénéficie pas de l'évolution libérale : la loi (le 1868 y resta lettre morte.
---------- Rappelons, dans ses grandes lignes, le système initiale de Février 1852 tel qu'il fut conçu pour les journaux de France.
---------- Autorisation préalable nécessaire pour toute création de journal, pour tout changement opéré dans le personnel dirigeant : propriétaires ou administrateurs, gérant, rédacteur en chef.
---------- Cautionnement, 6 c. de timbre par numéro.
---------- Définition sévère des délits qui sont confiés à la juridiction des tribunaux correctionnels et parmi
lesquels figure, par exemple, la " publication de fausses nouvelles, même de bonne foi... ".
---------- Systeme répressif ingénieusement gradué : "avertissement, suspension au 3è avertissement. Le journal peut être supprimé par décision ministérielle.
---------- La surveillance de la Presse fut confiée, au début, au ministre de la Police, aidé d'un directeur (le la division de la Presse. Persigny transféra ces attributions au ministère de l'Intérieur, quand` il l'occupa. Dans les départements, les préfets avaient tous pouvoirs en' matière d'avertissement.

---------- Quelle fut la situation légale en Algérie ?

---------- 1) 4 années de régime spécial instauré par le décret de Mars 1852.
---------- Conditions plus douces au point' de vue cautionnement, droits de timbre et postes que dans la \létropole.
---------- Mais, fait grave, un visa est nécessaire pour chaque numéro à paraître ; en d'autres termes, la Censure existe. Elle est aux mains (lu Gouverneur Général ou (le ses délégués.
---------- 2) A partir d'Avril 1855 application de la loi de Février 1852, trois exceptions sont prévues.
---------- La première confère au Gouverneur les pouvoirs que détient dans la Métropole le Ministre de l'intérieur : toute la surveillance (le l'usage de la Presse. Il accorde les autorisations préalables, avertit et suspend en cas d'abus.
---------- La deuxième maintient à un taux inférieur à celui de la France le chiffre du cautionnement exigible.
---------- La troisième a trait à diverses restrictions nécessaires par la situation particulière de la colonie : par exemple interdiction de publier des nouvelles des opérations militaires. Seule, demeure autorisée sur ce sujet la reproduction des articlés insérés dans les journaux officiels.
---------- Ainsi est assuré le pouvoir discrétionnaire de l'autorité, qui a de puissants moyens d'action pour empêcher une feuille (le naître ou de vivre. La crainte de l'avertissement fait, du journaliste prudent son propre censeur, le " communiqué " non signé, obligatoirement placé en tête du journal, est le moyen impérieux par lequel l'administration exerce son droit de réponse. L'octroi du monopole des annonces judiciaires constitue en quelque sorte pour les organes favorisés une subvention déguisée, le retrait : une sanction.
---------- Toutes ces dispositions furent appliquées par les autorités successives au milieu des vicissitu en dues à l'instabilité administrative de la colonie sous le 2è Empire.

---------- Dans quel esprit les responsables usèrent-ils des armes que leur donnait la loi ?

---------- Randon eut la main assez rude. Evoquant plus tard la période de son gouvernement, Cl.. Duvernois dira dans L'Algérie Nouvelle :
---------- «Chatouilleux à l'excès, le pouvoir militaire ne permettait pas qu'on le discutât... et dès qu'on élevait un peu la voix, il réprimait cet écart par le traditionnel " silence des rangs "...
---------- Le champ se trouva singulièrement restreint lorsque le Gouverneur eut interdit toute discussion des faits ou des actes dans lesquels l'Administration intervenait... "directement ou indirectement"...
---------- On peut donner comme exemple de sévérité la suppression du journal de Cl. Duvernois La Colonisation. Le prétexte invoqué fut un article de Novembre 1855 au sujet du procès des frères de l'orphelinat de Misserghin : le ton en fut jugé injurieux pour l'Administration.
---------- Le Ministère de l'Algérie et des Colonies, à partir de juin 1858, instaure un régime d'autorité civile.
---------- Jérôme-Napoléon refuse aux Préfets le droit d'avertir ou de suspendre que le Gouverneur Général leur laissait autrefois sous sa haute surveillance. En fait, pendant toute l'année de son ministère, nous pouvons dire que la Presse fut libre : le prince n'adressa pas un seul avertissement. La violence des polémiques sans contrainte mena même à certains scandales. Ecoutons Jules Berthet, professeur de 2è au Lycée Impérial d'Alger (note du site: le lycée Bugeaud)et journaliste à ses heures
---------- «... La presse algérienne depuis quelques mois, semble une arène en champ clos, où les invectives, les accusations exagérées, les calomnies les plus perfides, remplacent la discussion loyale et sérieuse.»
---------- Chasseloup-.Laubat, qui remplace Jérôme-Napoléon démissionnaire en Mars 1859, va essayer de calmer les passions. Le nouveau ministre rendit aux Préfets leurs pouvoirs. Les journaux qui faisaient l'opposition la plus violente furent l'objet de nombreuses tracasseries, en plus des avertissements. Le gérant de L'Algérie Nouvelle, Arthur de Fonvielle, fut poursuivi en correctionnelle et condamné à de fortes amendes pour le seul fait d'avoir reproduit, sans la signature de leur auteur, des articles de L'Akhbar. Le Préfet Levert frappa le journal d'une autre manière en lui enlevant le monopole des annonces judiciaires. La prudence fit taire L'Algérie Nouvelle. L'un de ses rédacteurs, Wilfrid de Fortvielle, qui avait pris une part active dans la fièvre (le ses vingt ans aux journées parisiennes de Février 1848 et à la vie de la 2è République, se plaint amèrement que la presse ne jouisse pas d'une liberté plus grande... " qu'aux beaux jours du pouvoir militaire "... Clément Duvernois soutient sa polémique par une série de petites brochures pleines de verve. L'auteur et son éditeur Dubos passèrent en correctionnelle pour outrage et diffamation. Leur procès fut un événement algérois. Le journaliste eut deux mois de prison et 1.000 francs d'amende, l'éditeur bénéficia du demi-tarif et s'en tira avec un mois et 5oo francs.
---------- Pélissier exerça paternellement son autorité à l'égard (le la Presse dans les deux premières années de son gouvernement.
---------- « A de rares exceptions près, je n'ai qu'à me féliciter rie la latitude que je laisse à la libre discussion "... (Rapport à l'Empereur d'Avril 1862).
---------- 1863 amène des orages, après la connaissance (les brochures anticolonisatrices d'Urbain et de la lettre-programme de l'Empereur. Les feuilles algériennes se font l'écho d'une violente opposition. Un seul organe fait exception, L'Africain de Constantine, qui, de ce fait, se voit qualifié " d'ennemi des colons ", de " réactionnaire " et " barbaresque "...
---------Le Gouverneur Général, pourtant défenseur de la colonisation européenne, se voit contraint de sévir, pour rétablir l'ordre, contre des journalistes avec lequels il est en accord de principe
---------Avertissement donné à " L'Akhbar " pour un article du 15 Mars 1863. Commentant le refus de l'Empereur de recevoir les délégués des colons, et faisant allusion aux voyages des chefs indigènes en France, le rédacteur disait
" Nous ne demandions pas pour nos délégués les honneurs de Compiègne "...
---------Motif de l'avertissement : " apprécie en termes irrespectueux une détermination attribuée à l'Empereur "...
---------Le Courrier de l'Algérie fut suspendu pour deux mois : Avril et Mai 1863.
---------L'Echo d'Oran, pour un article hostile à la lettre de l'Empereur, reçut un communiqué cinglant.
---------C'est contre cette grêle d'avertissements et communiqués que Behagel (ancien rédacteur de L'Observateur de Blidah) protesta par sa brochure : La liberté de la presse ! Ce qu'elle est en Algérie. Cet ouvrage fut largement diffusé, vendu et distribué. L'auteur se plaignait de la sévérité avec laquelle la loi de 1852 était appliquée, et de ce que les sanctions en Algérie fussent suivies (le conséquences plus rigoureuse qu'en France, où les journaux continuaient quelquefois à paraître après un troisième avertissement. Le ton des communiqués était, disait-il, toujours " injurieux ". Behagel, poursuivi, fut condamné à un mois (le prison et 200 francs d'amende. Le tribunal exigea la destruction de tous les exemplaires de cette publication.
---------Martinprey , Gouverneur intérimaire. à la mort (le Pélissier, Mai 1864, eut à faire face à une difficulté nouvelle créée par l'insurrection de 1864 . A tous les motifs (le mécontentement que les Français (le la Colonie avaient depuis le 2 Décembre : privation (le leurs droits politiques, entraves apportées à la colonisation par l'arabophilie impériale, instabilité administrative, vint s'ajouter à la crainte (le l'insurrection. La nervosité fut d'autant plus grande que le Gouvernement Général communiquait peu (le nouvelles, elle entraîna un arrêt des affaires.
---------Martimprey invita en termes énergiques la Presse à se conformer aux dispositions de la loi interdisant de faire connaître les mouvements de troupes et les faits (le guerre que le Gouvernement n'aurait pas porté à la connaissance du public. Il fixa par une circulaire de juin 1864 d'étroites limites à la discussion, dans le but (le maintenir "l'ordre moral ".
---------Ne nous étonnons pas que le malheureux Courrier de l'Algérie ait été pendant cette période deux fois " averti " puis suspendu.
---------Dans ce climat (le contrainte, la Presse s'abandonnait pourtant à (le folles espérances, pensant que la succession définitive (le Pélissier serait petit-être l'occasion d'un remaniement administratif au profit d'une autorité civile plus clémente. Elle fut déçue_
---------Le nouveau Gouverneur Général Mac-Mahon appliqua le décret du 7 Juillet 1864 qui marquait une victoire des généraux sur les préfets au cours de leur longue querelle en Algérie. Les journaux eurent de ce fait un situation plus difficile que jamais. Le général commandant la province fut chargé sous l'autorité du (louverneur de faire la police de la Presse : donnant et révoquant les autorisations de publier, infligeant avertissements et suspensions, ordonnant les poursuites juidiciaires. Ainsi, la loi de 1852 devenait aux mains ds généraux une arme redoutable. Les " traîneurs de sabres " ne pouvaient avoir nulle tendresse pour les journalistes libéraux ennemis de tous temps de l'autorité militaire.
---------Par exemple, un deuxième avertissement, fait grave, est infligé au Progrès de l'Algérie, journal de Constantine, pour avoir dit clans un numéro de Juin 1868 qu'il faut " extirper de 'l'Algérie les deux cancers qui la rongent, la féodalité indigène et les bureaux arabes "...
---------Mac-Mahon, personnellement, n'appréciait pas le nouveau système et proposait dans ses rapports de coordonner la surveillance (le la Presse en confiant l'exercice au secrétaire général Faré, auquel onn adjoindrait. pour l'aider, un ,auditeur au Conseil d'Etat. Cette suggestion resta sans suite.
---------La non-application (le la loi de 1868 en Algérie suscita une déception d'autant plus vive que parmi les avantages accordés se trouvait notamment l'abolition (le l'odieux régime des avertissements. Les protestations juridiques de certains avocats algériens n'eurent pour suite que de motiver une pluie de communiques.
---------Aux dernières années de l'Empire, la Presse dépend donc toujours (le l'autorité militaire qui exerce là son favoritisme, ici sa sévérité : en 1867, Le Courrier de l'Algérie se voit privé des annonces judiciaires. Beaucoup de sujets demeurent interdits. L'Administration ne veut pas d'histoires... En un temps où, nouvelle Egypte, l'Algérie a aussi ses plaies, parler des incendies de forêts, du choléra. des famines ou du typhus, attire communiqués, avertissements ou même poursuites judiciaires pour " délit de fausses nouvelles avec mauvaise foi et trouble au repos public "...
---------Dans ce duel du sabre et de la plume, Mac Alahon marquait du reste un certain scepticisme quant à l'efficacité des sanctions. Dans une lettre au Ministre de la Guerre, datée du 22 Juillet 1869, il dit à propos d'un article du Courrier de l'Algérie attaquant violemment l'Empereur
---------" J'aurais pu donner un avertissement à ce journal, hais j'ai considéré qu'il avait déjà reçu deux avertissements, et que, par suite, j'aurais été amené à le supprimer. Je ne pense pas qu'il en fut résulté un bien réel, car il est presque certain que les rédacteurs de ces journaux supprimés, qui ne veulent point quitter l'Algérie, rentreraient immédiatement à un autre journal qui se livrerait à une opposition violente... c'est le moyen d'avoir un plus grand nombre d'abonnés. D'un autre côté, il me parait impossible de supprimer la presse en Algérie... "
---------Aux derniers mois du régime, le Gouverneur Général se trouva dans un grand embarras. Les journaux algériens prudents, par désir de vivre, ne parlent pas en leur nom mais reproduisent des articles des feuilles d'opposition, plus libres dans la Métropole. Le Courrier de l'Algérie donne souvent des extraits de La Lanterne, notamment le 4 juillet 1868, un article d Rochefort sur " l'art de se faire décorer. en 28 leçons ". La Méthode était adroite ; elle mettait à l'abri des rigueurs du régime spécial de la Colonie, Mac-Mahon hésitant à intervenir, pour la reproduction de textes non poursuivis en France.
---------En Avril 187o, tardive concession... Une députation menée par Alexandre Lambert, journaliste de l'Indre, transporté de 1852, vint trouver le Gouverneur. Rappelant que le Gouvernement de l'Empereur avait annoncé à la tribune son intention de laisser à la Presse, pendant la d'urée du plébiscite. toute liberté d'action, Lambert réclama pour l'Algérie le bénéfice de cette mesure.
---------Le Gouverneur. après en avoir référé à Paris, donna l'autorisation de paraître à trois journaux :
---------L'Algérie Française, prenant en quelque sorte la suite du Courrier de l'Algérie.
---------Le Démocrate Algérien, représentant à peu près les idées du Siècle.
---------Le Colon, dont les idées étaient celles du Rappel et de La Marseillaise. Sa violence du reste le fera supprimer au 15 Août 1870.

---------Ainsi. exception faite du court ministère de Jérome-Napoléon, la Presse algérienne, sous le Second Enioire. a été soumise à une dure condition. Le but cherché : empêcher les opposants de se manifester, fut pourtant- loin d'être atteint. Certes, les suppressions furent nombreuses, la longévité des feuilles dépendit de leur prudence, mais l'opposition fut beaucoup plus vivante et continue que celle de la presse départementale (le la Métropole dans son ensemble. S'adaptant aux conditions spéciales qui leur étaient faites, les organes §upprimés changèrent souvent de nom, sans changer (le rédaction, ni de ton. A peu près tous les journaux algériens, sauf l'officiel Moniteur et L'Africain, de Constantine, expriment toujours avec courage, parfois avec violence, des théories en désaccord avec l'esprit du 2 Décembre et l'arabophilie d'inspiration généreuse trais à vues étroitesdu rêveur de Ham.
---------Si l'indépendance d'esprit fut presque générale, elle se nuança, toutefois, de plus ou moins l'opportunisme. L'Akhbar, " doyen de la presse algérienne " (1839-1897), réussit à franchir le cap de l'Empire sans soutenir toujours la doctrine officielle, mais en faisant-" balai neuf " de ses rédacteurs à chaque oscillation du régime administratif. Souplesse assez exceptionnelle pour lui valoir de ses confrères le suruom de " journal tournesol ".
---------Bénéficiant tout au plus d'une tolérance intermittente, cette Presse n'en témoigne pas moins d'une vigueur qu'elle doit en partie aux " transportés " nombreux dans les salles de rédaction, et elle prend déjà conscience de sa mission.
---------On songea, lors de l'inauguration du chemin de fer de Blidah, en Août 1862, à profiter de la présence à Alger de nombreux envoyés spéciaux, pour tenir un " Congrès de journalistes Algériens ". Rien ne nous permet d'affirmer que le projet ait été réalisé, en un temps où la liberté de réunion n'existait que dans des conditions très précaires, mais il est significatif que l'idée ait pu en être lancée.

Mme. G. SERS-GAL.
agrégée de l'Université