De 1830 à 1848
--------Le
journalisme débarqua avec l'armée française en
la personne du vaudevilliste Merle. Secrétaire du Général
de Bourmont. L'honneur d'avoir fondé la Presse en Algérie
revient à cet homme de lettres qui lança sur la presqu'île
de Sidi-Ferruch le n°1 de L'Estafette...
" au milieu des coups de fusil et au son
du fifre et du tambour "... La publication ne dépassa
pas le 2è numéro.
--------Il
s'agissait là d'une Presse toute officielle, la seule, que le
pays ait connue pendant les premières années.
--------A.
-- La Presse Officielle
--------En
Janvier 1832. le baron Pichon, conseiller d'État, créa
Le Moniteur Algérien. Le nouvel Intendant civil jugea
qu'il devenait nécessaire d'établir un moyen régulier
de publication : tant pour tes lois, ordonnances et actes (lu gouvernement
de France concernant Alger, que... " pour
les actes émanés du Gouvernement (le la Régence
"... et avis des divers services militaires et civils.
L'utilité était aussi grande pour les annonces légales,
judiciaires et commerciales. Cette création répondait
aux besoins d'une cité, qui d'après Pellissier de Raynaud
comptait déjà, à cette époque, une population
européenne de plus d e 3.000 individus"... dont
beaucoup se livraient au commerce. Ires peu à l'agriculture...
".
--------Le
premier numéro (lu Moniteur est du 27 Janvier 1832. Le format
grand in-8° ne devint in-folio qu'en 1855. Composé au début
à l'Imprimerie (lu Gouvernement, rue Jénina, puis rue
de la Charte, rue (les Lothophages enfin, il paraissait alors à
peu près une fois par semaine, les numéros avant entre
deux et six pages. Le prix (le l'abonnementétait (le 2 francs
pour un an.
--------On
y distinguait :
--------a)
Une partie officielle : ordonnances et discours du roi. nominations
et promotions, arrêtés, ordres généraux,
circulaires, avis administratifs, etc...
--------Il)
Une partie non officielle : timide journal d'information donnant
des nouvelles diverses, embryon (le revue, avec, sous la rubrique "
Variétés ", (les études historiques. géographiques.
archéologiques, médicales, des pièces (le vers
et même une, " revue dramatique..
--------Trois
phases apparaissent dans la vie du Moniteur:
---------1)Pendant
la première de 1832 à 1833, il fut exclusivement rédigé
par les autorités civile, et militaires qui le fournissaient
d'arrêtés, ordres (lu jour, bulletins, annonces légales,
etc...
---------
2) De 1833 à 1837. on lui donna un rédacteur en chef.
Adrien Berbrugger. qui prit sa tache au sérieux et essaya (le
faire un véritable journal. Les numéros sont alors plus
riches. Certains comportent une véritable " Revue (le Presse
" avec extraits du Temps, (lu
Constitutionnel, de La Paix. donnant
les opinions au sujet des débats sur l'Algérie ; les feuilletons
Littéraire, présentent un certain intérêt
en même temps que la chronique locale devient plus dense. Devant
tant d'activité et d'initiative, hélas, l'autorité
se montre méfiante. L'infortuné rédacteur eut à
lutter contre " les prétentions,
les exigences et les susceptibilités en frac ou en pantalon garance
"... Le Ministre (le la Guerre intervient personnellement,
blâmant le novateur d'avoir remplacé par " Algérie
" la périphrase officielle :"Possession françaises
dans le Nord (de l'Afrique ".
----------
3) Le successeur de Berbrugger. plus sage, rendit le Moniteur à
ses officiels écrivains primitif.t aux longues chroniques sanitaires
ou archéologiques se prolongeant par d'infinis ; à suivre
" sans crainte (le trouble pour l'esprit public.
--------II
(levait durer sous cette forme jusqu'à 1858. date (le sa suppression,
sous le Ministère de l'Algérie et des Colonies. puis reparaître
le 3 Septembre 1861 avec des numéros de plus en plus fréquent,.
plus nourris, un programme très élargi, esquissé
par Pélissier dans le sens d' une propagande active en faveur
(le la colonie.
--------B.
- A partir de 1839 naissance de journaux locaux
--------Jusque
là seule la Presse Officielle était représentée
eu Algérie par le Moniteur. C'est
au mois. de Juillet 1839 qu'Auguste Bourget fonda à Alger l'Akhbar,
1, rue Sainte ; il devait en garder la direction jusqu'à sa mort,
en 1862. Cinq années plus tard, 5 Octobre 1844, la province de
l'Ouest a sari premier journal, L'Echo d'Oran,
créé par Adolphe Perrier, imprimeur rue Philippe ; il
devait rester l'unique organe (le cette ville pendant quatre ans. Dans
le même temps, La Seybouse naquit
à Bône par les soins du propriétaire-gérant
de Dagand. Puis le Courrier de Philippeville
apparut.
--------Ces
modestes feuilles paraissaient en hebdomadaire pour La
Seybouse et L'Echo, deux fois par
semaine en ce qui concerne L'Akhbar, puis
trois fois dès 1848. Dans les colonnes (le leurs quatre pages
grand in-8° étaient reproduits les articles du Moniteur,
des avis officiels, quelques faits divers, le mouvement des ports et
l'état civil des Français. En feuilleton, des fragments
d'ouvrages inédits, mais. surtout (les chroniques théâtrales,
la population de ces villes-garnisons manquait de distraction et se
passionnait pour les troupes de chanteurs italiens.
--------Ces
journaux vivaient des abonnements-souscriptions, 25 fr. pour L'Akhbar,
2o fr. pour les autres, des annonces légales, , judiciaires,
administratives et commerciales qui leur étaient conférées
par privilège, et avaient été quelquefois le motif
(le leur naissance, comme le prouve le nom du doyen Akhbar. Rien (le
politique, aucun article d'opinion, pas (le signature si ce n'est celle
(lu propiétaire-gérant, qui est en même temps l'imprimeur.
Aucun journal ne pouvait paraître sans la signature d'un imprimeur
breveté et assermenté. Le brevet en Algérie était
délivré par le Ministre (le la Guerre. sur la proposition
du Gouverneur Général... "
le Conseil de gouvernement entendu... ".
--------C.
- Apparition de la Censure
--------S'il
était interdit (le parler guerre, politique on administration,
il ne semble pas que l'autorité ait exercé de censure,
au sens propre du terme, dans les débuts. (Ceci était
conforme aux principes de la Charte de 1830. Du reste, la crainte de
la suppression du privilège devait suffire à inspirer
la prudence. C'est du Ministre de la Guerre que vint l'initiative, niais
ce premier temps (le censure fut (le courte durée. Bugeaud obtint
sa suppression, faisant valoir que cette inquisition locale était
dénuée d'efficacité, les journaux (le la métropole
étant admis dans la colonie. On lui fit observer, de Paris, que
c'était là de sa part un acte (le pure bienveillance personnelle,
qu'un autre Gouverneur - pourrait. si cela lui plaisait, revenir sur
cette mesure. Bugeaud revenant à la charge, demanda que la Presse
fut organisée en Algérie sur les mêmes bases qu'en
France, sauf les exceptions exigées parles circonstances locales.
l,e Ministre, loin de faire cette concession, profita (le la première
occasion pour rétablir la censure : il la trouva à la
fin de l'année 1846 : l'Akhbar avait
annoncé l'arrivée à Alger d'une caravane ayant
une vingtaine d'esclaves à mettre en vente. Ceci était
contraire à la fiction officielle d'après laquelle les
ventes de ce genre étaient interdites en Algérie. Au mépris
(le toute vérité, il fut enjoint à l'Akhbar
de démentir la nouvelle dans son numéro suivant du 15
Octobre 1846.
--------A
la suite de cette affaire, la Censure fut rétablie sur ordre
de Guizot. Le service en fut confié à Alger à un
très jeune fonctionnaire... " tout
frais débarqué... ". Son zèle à
manier ciseaux et encre rouge eut (les résultats parfois étonnants
: supprimant, le 24 février 1848, dans
l'Akhbar, un article de fond assez inoffensif sur les indemnités
arriérées, il fut responsable d'un impressionnant blanc
de première page, qui, en un jour où l'on attendait des
nouvelles du banquet réformiste de Paris , fut - interprété
comme l'annonce d'une révolution parisienne.
LA SECONDE RÉPUBLIQUE
--------Au
premier rang 'des bienfaits que l'Algérie doit à la République
avec le suffrage universel lui donnant une place à l'Assemblée,
il convient de placer la Liberté (le la Presse.
--------Le
15 Mars 1848, le Gouverneur Général Cavaignac fit connaître,
par le Moniteur, le nouveau régime de la Presse Algérienne
: abolition de la Censure et promesse d'assimilation. Voici les principales
dispositions.
--------"
... à la veille de l'appel qui va être fait à la
nation, pour qu'elle manifeste sa volonté sur les bases de la
Constitution, il importe que les citoyens français d'Algérie
jouissent sans délai du bienfait d'une presse libre... "
-------Article
premier. - Les lois et ordonnances qui régissent en France la
Presse sont provisoirement applicables à l'Algérie, sauf
les exceptions ci-après
--------Article
2. - Il sera sursis à exiger le versement (lu cautionnement jusqu'à
ce que le régime le la Presse ait été définitivement
fixé.
--------Article
3. - Aucune publication ou article (le journal ayant pour objet
--------1°/les
opérations militaires,
--------2°/les
mouvements de troupes,
--------3°/les
travaux de défense de terre et de mer
ne pourra paraître qu'avec l'autorisation du Général
Commandant la division ou la subdivision.
--------Article
5. - La poursuite et le jugement des délits et contraventions
auront lieu suivant les formes établies par la législation
particulière à l'Algérie.
--------Notons,
en passant, que cet Article 5 créait une situation pénible
pour les journalistes algériens le jury n'existant pas dans la
colonie, la " ...législation particulière
... " devait se révéler assez sévère
par la suite.
--------A.-
Quatre mois de liberté presque illimitée
furent inaugurés par ces dispositions, jusqu'en- Juin 1848. Cette
période est caractérisée par :
--------1)
Le grand nombre d'organes nouveaux. La censure défunte, les
charges fiscales, cautionnement et timbre n'existant pas, il se produisit
une extraordinaire floraison : Sentinelle
Républicaine d'Alger, Abeille de l'Atlas, Courrier de Constantine,
Brûlot de la Méditerranée, Gourayah (Bougie),
Courrier d'Afrique. L'Algérie, Les Deux
Frances, Le Nador, L'Afrique Française, L'Etoile d'Afrique, L'Echo
de l'Atlas, Le Précurseur... Les citer est utile pour
donner une idée de la vigueur (le l'éveil à condition
de- ne pas perdre (le vue, tout d'abord, que certains ont eu une vie
très brève : Le Précurseur
de Blidah en resta à son numéro, ensuite que d'autres
de même tendance, quelquefois avec le même personnel, se
sont relayés. L'énumération des feuilles, dont
certaines parurent successivement, ne doit pas fausser l'idée
du chiffre des journaux ayant existé au même moment. Le
cas est net à Alger pour la filiation Sentinelle
Républicaine, Brûlot, puis
Atlas. En Aoüt 1848, la flambée tombe il ne subsistera
plus que 6 à 7 Journaux pour les trois provinces.
--------2°)Le
caractère de cette période de liberté est,
qu'à une exception près, l'orléaniste
Akhbar restant hors du jeu, il est presque impossible de séparer
la vie de la Presse, en ces jours d'espoir révolutionnaire des
clubs et sociétés dont elle se fait l'écho.
La Seybouse nous renseigne sur l'activité des " Amis
du Peuple " qui furent au premier plan des troubles (le Bône
en Mai 1848. Philippeville a son club de la " Fraternité
" ; l'Echo d'Oran invite des compatriotes
à participer aux réunions du " Comité républicain
oranais " : on retrouvera les noms des membres les plus actifs
plus tard parmi les accusés du procès (le la Société
(les " Bons Cousins ".
--------Alger.
capitale, se (levait d'avoir plusieurs clubs : on n'en comptait pas
moins de six. L'un d'eux, le " Club démocratique ",
avait pour centre de réunion la salle Gambini, rue d'Isly. -
Il comptait un haut protecteur, le Général Cavaignac,
et avait son journal La Sentinelle Républicaine,
créé par un avocat algérois, Audebert, et le libraire
Monginot. ancien compagnon (le captivité de Godefroy Cavaignac,
ce qui explique la faveur dont il jouissait. La
Sentinelle sacrifiait à l'engouement féministe
du jour en ouvrant ses colonnes à une poétesse locale,
MlleBALLY . qui signait (l'un double prénom romantique, "
Louise-Eugénie ", ses hymnes à la Liberté.
--------Si
nous en croyons l'Akhbar, les tournois
d'éloquence dans ces clubs dégénéraient
en pugilats. Le bienveillant Echo d'Oran déplorait
lui-même le tumulte des réunions.
--------La
Sentinelle disparut en Avril 1848, après
le départ (le Cavaignac et ses amis. Elle fut relayée
par le Brûlot qui servit d'organe
dès lors au club Gambini, puis resta fidèle à Cavaignac
au moment de l'élection présidentielle. Lorsque le Brûlot
sombra en juillet 1849, l'Atlas recueillit
ses cendres ardentes.
--------Le
vieil Akhbar assistait à ces naufrages
et transformations avec une raillerie hargneuse et jalouse, nourrie
du mécontentement de voir, par le régime de liberté,
lui échapper le monopole des annonces judiciaires qui lui étaient
échues jusqu'alors. Le poète (le service. Vraisemblablement
Désiré Léglise, saluait par cette parodie la disparition
des éphémères :
---"
...Hélas, que j'en ai vu mourir de jeunes feuilles...
Toutes fragiles fleurs sitôt mortes que nées
La tartine ne vit et ne dure qu'un temps
Et, malgré les cités qui s'étaient abonnées,
Pas une de ces fleurs n'a vécu plus d'années
Que la blanche fleur du printemps... "
|
--------B.
- Les difficultés reparaissent dès Juillet 1848.
---------
La répression ne cesse de s'accentuer au cours de chaque année
par 3 séries de lois successives sur la Presse : Août 1848,
Juillet 1849, Août 1850. Ces dispositions applicables à
l'Algérie firent naître une double gêne.
--------1)Difficulté
matérielle créée par l'application des charges
fiscales
--------a)
Le cautionnement Le Moniteur du 30 Juillet 1848 fait connaître
un arrêté de Marey-Monge pris à la suite d'une dépêche
du Ministre de la Guerre
--------"
...les gérants des journaux ou écrits périodiques
qui se publient actuellement en Algérie devront dans le délai
de 15 jours à partir (le la promulgation du présent arrêté,
fournir le cautionnement prescrit par l'Article premier de la loi du
14 Décembre 1830... ". Les organes nouvellement
créés devaient également souscrire à cette
obligation.
--------Pour
s'acquitter, la plupart des feuilles existantes, ouvrirent parmi leurs
abonnés et lecteurs une liste de souscription. C'est ce que firent
notamment le Brûlot et l'Echo
d'Oran. Celles qui furent créées par la suite,
Saf-Saf, Courrier
de Bône, Journal de Constantine, Atlas, ont à leur
origine une société par actions.
--------Le
" Silence au Pauvre " ainsi imposé fut tout de même
sensible à quelques-uns. Le Nouvelliste
de la Mitidja, petit hebdomadaire in-8° rédigé
par A. Brieu, dut paraître en blanc le 11 Février 1849,
portant simplement son feuilleton, l'autorité lui ayant donné
avis qu'il ne pouvait traiter les questions locales avant d'avoir versé
le cautionnement sans s'exposer à (les poursuites. Le dernier
numéro sortit le 1er Avril 1849. Ce n'était qu'une éclipse
; les fonds trouvés. Aristide Brieu reprit brillamment la plume
créant Le Démocrate de Blidah.
--------b)
Un timbre de 2 c. étant exigible pour chaque numéro
par la loi d'Août 1850 amena une charge nouvelle. L'Atlas,
qui paraissait tous les deux jours essaya de s'en tirer em portant de
25 fr. à 28 fr le prix (le son abonnement. L'Assimilation semblait
amère lorsqu'il s'agissait de charges.
--------2)
Dans le même temps l'extension constante du nombre des délits
créait une contrainte (le plus en plus sensible.
--------La
loi d'Août 1848 énumère et précise toute
une série de délits contre l'ordre, l'Assemblée,
la République. Juillet 1849 y ajoute, entre autres, offense au
Président, " provocation aux militaires pour les détourner
de leurs devoirs ".
--------"
La Loi de la haine ", en Août 1850, s'efforce (le rendre
la répression plus prompte, plus dure. Elle impose la signature
des articles et crée le droit de réponse
--------Naturellement
le nombre des procès de presse s'éleva (le plus en plus.
Par mesure de précaution, à partir de Novembre 1849. le
Procureur de la République exigea qu'un exemplaire signé
pour minute par le gérant (le chaque journal fut déposé
au Parquet au moment (le sa publication. Cette disposition de la loi
de1828 n'avait pas été observée jusque là.
L'Écho d'Oran fut poursuivi en vertu
(le l'article 111 de l'arrêté Cavaignac du 15 Mars 1848.
On lui reprochait. dans un article donnant des détails sur la
redoute (le Lalla Marghnia, de présenter cet ouvrage comme n'ayant
pas les caractères de résistance nécessaires pour
la garantie des habitants du dehors et (lu dedans. Perrier fut condamné
à 100 fr. d'amende par le tribunal de 1ère Instance d'Oran.
jugeant en matière correctionnelle. Il essaya, du reste en vain,
de se défendre d'unc manière assez spécieuse, contestant
la validité ale l'arrêté Cavaignac dont la ratification
ministérielle n'aurait pas été publiée au
Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement.
--------Le
Journal de Constantine se vit infliger 500 F.
d'amende pour refus d'insertion d'une lettre, puis 1.000 F et six mois
de prison pour la publication d'une lettre (le reproches à un
administrateur.
|
|
-------L'Akhbar
eut aussi ses ennuis. Bourget fut mandé chez le Procureur (le
la République pour avoir manifesté trop ouvertement ses
sympathies orléanistes, en défendant avec véhémence
Louis-Philippe contre l'accusation d'avarice, il fut prié de
montrer plus de circonspection dans sa polémique. --------En
Septembre 1849. 100 fr. d'amende et,100 fr. de dommages et intérêts
lui furent infligés par la police correctionnelle, pour refus
d'insérer une lettre-réponse. Eu Janvier 1851, 500 F d'amende
pour avoir omis les signatures prescrites par la plus récente
loi. Comme Verrier, Bourget prend ces poursuites avec mauvaise grâce,
discutant la valeur d'une promulgation (le la loi faite par un Gouvernent
Général, prétendant que la loi ne peut être
effective qu'après une " ...déclaration d'application
du pouvoir législatif ".
--------Le
Démocrate de Blidah, Saf-Saf ne furent
pas non plus épargnés, mais dans ce martyrologe, la plus
belle palme revient à l'Atlas :
dans sa courte existence d'Août 1849 à sa courageuse fin
après le coup d'état , il compte plus d'une demi-douzaine
de procès, .Les plus marquants opposèrent à Mgr
Pavy le journaliste Rey. Ce dernier, sous l'avalanche des poursuites,
pensait qu'il y avait complot contre son journal. Il accusait l'évêque
de manuvrer obliquement pour faire supprimer l'Atlas,
en conseillant à l'autorité le retrait du brevet d'imprimeur.
Le combatif prélat était contre-attaqué sur plusieurs
colonnes, et son adversaire ne craignait point pour l'accabler d'évoquer
la grande ombre de son prédécesseur Saint-Augustin.
--------La
conclusion fut une condamnation à 5oo F. d'amende et trois mois
de prison pour le rédacteur en chef, un mois et 200 fr. pour
le gérant. Un jugement en appel, par la suite, diminua les amendes
et supprima la prison.
--------Ainsi
les procès furent assez nombreux, les condamnations sévères.
Les journalistes algériens pouvaient déplorer avec raison
(le n'être pas justiciables comme leurs confrères de France
des indulgents jurys.
CARACTÈRE DE
CETTE PRESSE
--------a)
Il est assez difficile de connaître avec
précision le tirage de tous les journaux, mais on peut
essayer de s'en faire une idée à la lueur de quelques
renseignements. Le Démocrate de Blidah
tire à 1.000 exemplaires. Le chiffre le plus élevé
est atteint par les grands in-folio d'Alger. aux alentours de 2.000.
Voici l'exemple (le l'Atlas en Novembre 1849, donc vers ses débuts.
--------Tirage
: 1.500.
---------711
exemplaires vendus à Alger ;
---------281
dans la province d'Alger ;
---------
112 dlans la province de l'Ouest
---------
150 dans la province de l'Est
---------76
en France.
--------Ces
chiffres témoignent d'une belle vitalité si l'on songe
à ce qu'était alors la population des villes de l'Algérie.
Signalons à titre indicatif qu'Alger comptait 4.500 Français
et 5.ooo étrangers lorsque son premier journal local apparut
; Oran, dans les mêmes circonstances, 1.200 Français et
2.650 étrangers. il convient d'ajouter, il est vrai, les lecteurs
que pouvaient fournir l'Armée d'Afrique et les lettrés
Indigènes. En 185o. la population française (les trois
départements algériens comptait environ 50.000 âmes
--------b) Le personnel de rédaction
semble assez limité : --------jusqu'à
la loi d'Août 1850 nous ne pouvons connaître que le nom
du propriétaire-gérant qui assumait aussi, souvent, les
fonctions (le rédacteur en chef. A partir de cette date, la signature
obligatoire des articles de " ...discussion
politique. philosophique ou religieuse... " fournit
une précieuse information. Dans la majorité (les cas,
l'équipe ne comprend que deux ou trois noms. Seuls les grands
journaux d'Alger ont une gamme plus étendue.
--------A
l'Akhbar, à côté (le
Bourget et (le son rédacteur en chef, le poète satirique
Désiré Léglise, paraissaient les signatures (le
Trollier. Chandellier, Isidore Vieil. L'Atlas,
après de Rey et Delavigne, a (les collaborateurs de valeur :
le Docteur Warnier, E. Barrault qui adresse ses correspondances de Paris,
et des " feuilletonistes" assez inattendus : les transportés
de juin. Le feuilleton du 22 Mars 1851 commence ainsi "
... le pigeon voyageur qui nous donne de temps en temps des nouvelles
de la Kasbah de Bone nous a apporté cette fois quelque feuilles
(le poésie... ". Sous le titre " Une
rose en prison " suivent (les strophes assez touchantes dans
le ton (le larmoiement sentimental en faveur à l'époque.
Le transporté Chautard eut aussi les honneurs du " rez-de-chaussée"
pour ses mémoires de prisonnier. publiés sous un titre
macabre... " Les morts vivants ". L'Atlas
perdit cette collaboration originale après l'extraordinaire évasion
réussie par onze transportés en Octobre Leur dernier "
papier " au journal fut un adieu et des remerciements à
la direction pour la sollicitude continue dont elle avait fait preuve
à leur égard.
--------c)
Les traits communs que l'on pourrait reconnaître aux journaux
algériens de l'époque sont les suivants
--------1)
dans le fond, d'abord un certain sentiment d'isolement : ils
craignent tous que la métropole ne s'intéresse pas assez
vivement à sa colonie. En second lieu, ils manifestent généralement
à l'égard de l'administration locale et de ses représentants
une grande méfiance. Dans le cercle encore étroit de cette
société algérienne de telles préventions
dégénèrent souvent en attaques personnelles ;
--------2)dans
la forme, ces journaux ont le goût des
déclamations doctrinales, d'un ton violent et soutenu, mais dont
le rythme est parfois brusquement interrompu par de mordante épigrammes
ou d'incisifs traits d'ironie.
---------d)les
courants d'opinion indiquent, à une exception
près. la persistance du sentiment républicain.
--------L'Echo
d'Oran, d'Ad. Perrier, souhaite pour l'Algérie
l'administration civile. Partisan sincère et dévoué.
de la démocratie, pitoyable aux insurgés de juin comme
aux accusés des sociétés secrètes dont il
salue l'héroïsme, il se montre hostile aux candidatures
princières, lorsque l'Akhbar souhaite
l'élection du duc d'Aumale à l'Assemblée. Il préfère
de même pour la présidence Cavaignac à LouisNapoléon,
ce " ...mystérieux inconnu...
". Ses ennemis le disent... " mi-girondin,
mi-terroriste... ". On y relève des articles
signés Thivol Le coup d'Etat lui inspira des pensées pleines
de dignité développées sous le titre : " Pages
d'histoire ".
--------Le
Courrier d'Oran eut son premier numéro
le 24 Février 185o. Son directeur Renard obtint le brevet d'imprimeur
dans les délais records et assez irrégulièrement
semble-t-il. Hebdomadaire puis bihebdomadaire. il était considéré
par ses confrères plus indépendants comme " ...feuille
ministérielle ". Au 2 Décembre, il adoptera
la version officielle.
--------La
Seybouse, en 1848, était à sa 5è
année d'existence à Bône : paraissant une ou deux
fois par semaine. elle accepta avec enthousiasme les événements
de Février, puis prit une certaine méfiance à l'égard
des partis extrêmes..., " les impérialistes
et leurs millions, les communistes et leurs mensonges dorés...
". Les victimes de la répression lui semblèrent toujours
dignes d'intérêt... Voici comment s'exprime le Marchant
au sujet des transportés : " cette
situation faite à des condamnés politiques imprime encore
aujourd'hui un triste caractère à la cruelle victoire
remportée le 13 Juin... ".
--------Le
Courrier de Bône naquit en mars 1849, grâce
à une société par actions. Bertier (le Sauvignv
en était gérant ; par une profession de foi originale,
il déclara vouloir délaisser " ...la
politique qui en Algérie ne signifie rien... "
pour se consacrer uniquement aux " ...
intérêts algériens... ". assimilation
complète et développement (le la colonisation. Paraissant
quatre fois par mois, il donnait une correspondance suivie de tous les
centres de colonisation.
--------Saf-Saf,
créé par actions en Janvier 1849 à Philippeville,
géré par des Ageux. souhaitait aussi l'assimilation mais
avec " décentralisation " par méfiance pour
Alger. Cet hebdomadaire désire " ....l'ordre
dans la liberté... ", admire Barrault et le docteur
Warnier, décoche quelques flèches à Louis Napoléon.
Toutefois, sa modération lui fait craindre... "
les énergumènes (le la réaction et les enfants
perdus de la démagogie... ". De nombreux articles
sont signés Grenier.
--------Le
Journal de Constantine apparut en Avril 1848,
par les soins de Guende, imprimeur-gérant. avec un numéro
tous les cinq jours. Il défend surtout des intérêts
de clocher. Son républicanisme modéré est suffisamment
résolu pour résister au conformisme (le l'Akhbar
et à Louis-Napoléon. Il devait connaître deux concurrents,
Le Progrès de Constantine, puis
L'Africain. C'e dernier, créé
en Juillet 1851 était destiné à jouer dans la province
de l'Est le rôle (le défenseur (le l'administration assigné
au Courrier d'Oran dans l'Ouest.
--------A
Alger l'Akhbar, orléaniste de cur,
comme en témoignent (le nombreux articles, devint bonapartiste
par goût de l'ordre et opportunisme. Méconnaissant le problème
social, il ne voit dans l'insurrection de juin qu'un " ...affreux
complot... ". La ferveur républicaine (les clubs
algérois fait revivre, d'après Bourget, " ...
les passions désordonnées (le 93... ".
Il ironise à l'occasion (le l'anniversaire de Février
1848 et persifle dans son feuilleton lorsqu'un coup de vent abat malheureusement
le peuplier de la Liberté sur la place du Gouvernement. Hostile
à Cavaignac, il ne le couvrira (le louanges qu'au moment de la
répression de juin.
--------Le
Brûlot de la Méditerranée,
dirigé par Ladevèze et Marie-Achards maintient la flamme
républicaine, défend Cavaignac contre l'Akhbar...
" ...cette mare tranquille mais bourbeuse...
". D'un ton acerbe. il donne la réplique à son rival,
et ne manquant pas d'esprit, met souvent les rieurs de son côté.
--------Avec
l'Atlas le souffle de la Montagne persiste,
vigilance constante, méfiance qui va, semble-t-il, jusqu'à
l'injustice lorsqu'il s'agit du pouvoir militaire... " ...L'Algérie
a contre elle toute l'aristocratie militaire, tous les généraux,
qui se sont engraissés en Afrique de gloire, (l'or et (le pouvoir...
".
--------e)
Des rivalités s'accusent souvent.
Entre organes du même tendance parfois : c'est ainsi qu'au moment
du procès de la Société secrète des Bons
Cousins d'Oran, l'Atlas et l'Echo d'Oran,
favorables tous deux aux accusés, s'efforcent délibérément
d'attirer la même clientèle en donnant chacun
un compte rendu très détaillé (les débats.
L'Echo se plaint amèrement à cc sujet de la surenchère
de son confrère algérois. Emile Barrault se brouilla avec
l'équipe (le l'Atlas, et adressa
par la suite ses articles au Démocrate
de Blidah, qui était sensiblement de même nuance,
ce qui déchaîna une aigre polémique.
--------Entre
les deux géants de la Presse algérienne Akhbar
et Atlas, les plus forts tirages
(lu temps, la rivalité fut autant commerciale que doctrinale.
On se disputa les annonces judiciaires. L'Atlas
s'efforça, par une présentation soignée,
d'être un journal très complet, non seulement pour la capitale,
mais pour l'ensemble (le la colonie. Chaque ville y avait son correspondant
et une longue rubrique. Comme il paraissait tous les deux jours, sa
publicité le disait le journal le moins cher (le l'Algérie.
CONCLUSION
--------Il
apparaît donc qu'après des débuts très modestes,
dans des conditions plus difficiles qu'en France. du fait de la Censure,
la Presse algérienne s'est révélée sous
la Seconde République d'une vigueur qui ne manque pas de surprendre,
si l'on songe qu'elle est l'organe- d'une société naissante
où les possibilités de diffusion sont encore très
restreintes. Il serait facile d'ironiser sur ses maladresses qui furent
nombreuses, sur les publications qui ne dépassèrent pas
le numéro 1. Toutefois, si la continuité fait défaut
dans la vie (les organes, il n'en va pas (le même quand on considère
l'ensemble et l'esprit qu'ils reflètent. Bien (les rameaux jaillis
au printemps 1848 tombent, mais dans l'arbre ébranché
la sève républicaine reste vivace. Parfois le rayonnement
survit à la chute.
--------Continent
expliquer autrement les spectaculaires obsèques que Blida fit
en Décembre 1853 a Aristidc Brieu dont la plume était
pourtant brisée depuis deux ans ? Les "internés politiques"
(le la petite ville se rassemblèrent devant la maison mortuaire,
telle une garde d'honneur. Le convoi groupa 4oo personnes, les rapports
de police adressés au Garde (les Sceaux à ce sujet y mentionnent
la présence de "...dix officiers
(les divers corps (le la garnison... ".
--------Cet
hommage rendu avec crânerie, s'il allait au républicain,
montre aussi que le prestige (lu journaliste n'était nullement
diminué par son silence. Ceux qui l'accompagnaient en ces jours
(le servitude, devaient entendre au fond d ' eux-mêmes l'écho
(le sa prose. Certains se souvenaient sans doute du trait mordant par
lequel le disparu leur faisait connaître, trois ans plus tôt,
une publication métropolitaine nouvelle Le
Napoléon, largement diffusée par propagande.
--------"
...Votre éloignement n'a pu vous préserver
du Napoléon, non plus que du choléra. Les fléaux
se suivent s'ils ne se ressemblent pas... "
--------I)'autres
peut-être se remémoraient la colère du démocrate
voyant façonner le joug.
--------"
... La force a changé de place, des
hommes de Février, les uns languissent dans l'exil, les autres
dans l'oubli, cet exil de l'opinion. Les geôles regorgent de prisonniers.
La grande armée de l'ordre est victorieuse sur toute la ligne.
Et maintenant derrière les illustres épées, derrière
les triomphateurs de hasard, voici venir les valets de plume, pour achever
les vaincus, pour insulter aux morts... Qui êtes-vous soutiens
de l'ordre, apôtres de la famille, défenseurs (le la propriété
--------"
... la liberté de s'assembler a été supprimée,
la liberté de la pensée est frappée dans toutes
les plumes, brisées des Républicains, dans leurs orateurs
proscrits... dans l'odieux espionnage qui fait du gendarme le premier
fonctionnaire de la République... " (Démocrate
de Blidah, 20 Janvier 1850).
--------Ce
verbe cruellement prophétique à cette date, cette audace
et cette verve n'apparentent-ils pas le modeste journaliste algérien
aux plus illustres adversaires du césarisme ?
Mme G. SERS-GAL.
Agrégée de l'Université
Signalons que "
Le Mobacher " (Le Nouvelliste) fut publié par l'administration
à partir de septembre 1847 avec une édition arabe et une
édition française. Il ne devait cesser de paraître
que le 3 déc. 1926.
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