-------Le bilan
des quarante premières années de souveraineté française
sous l'autorité militaire (n°16) se traduit par "l'aménagement
du cadre complet d'un régime civil dont les organes fonctionnaient
ou étaient amenés à pied uvre"
(Louis Milliot. - Le Gouvernement et l'Administration
de l'Algérie (Collection du Centenaire).).
-------Les
réformes libérales amorcées en 1868 et dont la
chute de l'Empire empêcha la réalisation n'en avaient pas
moins créé une transition vers l'avènement du régime
civil. -------Le
but poursuivi par ce régime civil va être de façonner
une Algérie à l'image de la France. Il s'y efforcera pendant
une vingtaine d'années poursuivant une politique d'assimilation
presque totale, calquant pour ainsi dire les lois métropolitaines,
les appliquant autant que possible, telles quelles, ou avec un minimum
de modifications motivées par l'état de chose établi
ou par l'origine de la population algérienne en majorité
musulmane.
-------"
Le territoire de l'Algérie, disait Chanzy,
fait partie intégrante du territoire de la Métropole et
doit vivre de la même vie qu'elle ".
RÉORGANISATION
ADMINISTRATIVE ET POLITIQUE.
-------Le changement
de régime s'accomplit, étant donné la fin douloureuse
de la guerre Franco-Prussienen et la chute de l'Empire, d'une manière
assez rapide, souvent brutale. Tandis que des mouvements antimilitaires
et (les émeutes éclataient dans de nombreuses villes algériennes
( On vit se constituer à Alger
une " Commune " insurrectionnelle dont l'animateur WUILLERMOZ
télégraphiait à Gambetta à la suite d'une
émeute qui avait empêché le général
Walzin-Estherazy nommé Gouverneur Général intérimaire
de prendre la possession de son poste : " Le peuple d'Alger et
la Garde Nationale ont, par leur mouvement spontané et irrésistible,
mis fin au régime militaire ".), le Gouvernement
de la Défense Nationale avait, de son côté, au lendemain
du 4 Septembre, confié à l'un de ses membres, Crémieux,
la réorganisation administrative de l'Algérie. A partir
du 24 Octobre 1870, d'un trait de plume et sans souci des contingences,
par une série de 57 décrets dont certains d'ailleurs ne
furent jamais appliqués, et d'autres bientôt abrogés,
Crémieux s'efforça de " Détruire
le détestable régime militaire, fléau de cette
riche colonie et d'y substituer le gouvernement civil, d'assimiler en
un mot complètement l'Algérie à la France "
( "En trois mois et douze jours,
déclarait-il plus tard à la commission chargée
d'enquêter sur les actes du gouvernement de la Défense
Nationale, j'ai présenté à la délégation
27 décrets, au Gouvernement de la Défense Nationale 30
décrets... Ces décrets ont établi le Gouvernement
Civil en remplacement du Gouvernement Militaire d'abord par des mesures
décisives mais qui ne déplaçaient pas tout à
coup le centre de .l'autorité ; puis par des modifications Successives...
faisant ainsi... en quelque sorte jour par jour l'assimilation tant
réclamée.").
LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
DE L'ALGÉRIE.
-------Le territoire
de l'Algérie est placé, par un décret du 24 Octobre
1870, sous l'autorité d'un gouvernement général
civil rattaché au Ministère de l'Intérieur et qui
centralise à Alger le gouvernement et la halite administration.
Les deux premiers gouverneurs généraux civils seront d'ailleurs
un amiral : de Gueydon, et un général : Chanzy ; ils seront
ensuite choisis de préférence parmi les hauts fonctionnaires
métropolitains, préfets, conseillers d'État, ambassadeurs.
C'est Chanzy, partisan convaincu de l'assimilation, qui trouvera la
formule (lu nouveau régime : " Initiative et exécution
à Alger, décision et contrôle à Paris
". Or, l'application de cette formule va réduire à
bien peu de chose le rôle du Gouverneur Général.
-------Si,
en effet, la décision devait être prise à Paris,
elle ne le pouvait être en connaissance de cause par le Ministre
de l'Intérieur que dans les matières de sa compétence
; pour les autres matières il fallait faire intervenir les différents
ministres responsables devant le Parlement. Ainsi devait-on en arriver
au système dit des rattachements.
-------C'est
sur un rapport du Gouverneur Général de l'Algérie,
M. GREVY, du 3 novembre 1880, qu'une commission extraparlementaire fut
formée par M. GOUSTAU, ministre de l'Intérieur, pour réviser,
organiser et définir les attributions du Gouvernement Général,
préciser ses rapports avec la Métropole, la forme de sa
responsabilité devant les Chambres, examiner s'il convenait de
rattacher de nouveaux services au pouvoir central, dégager enfin
du régime des décrets, si plein de confusion et d'arbitraire,
la législation de l'Algérie (Cette
Commission était composée de deux sous-secrétaires
d'Etat : MM. FALLIERES et WILSON ; de MM. LELIEVRE, POMEL; sénateurs
de l'Algérie ; MM. GASTU, J. THOMSON, députés de
l'Algérie ; BARNE, sénateur ; Louis LEGRAND, député
; CLAMEGERAN, conseiller d'État ; MARQUES Di BRAYA, maître
des requêtes ; VILLET, conseiller, maître à la Cour
_des comptes ; MARBE de SAINT-HARDOUIN, inspecteur général
des Ponts et Chaussées ; TISSERAND, directeur de l'Agriculture
; COCRERY, directeur du Cabinet du Ministère des Postes et Télégraphes
; SAVARY, député ; DELABANE, chef du Service de l'Algérie
au Ministère de l'Intérieur ; le Gouverneur Général
GREVY ; MM. GUERET, DESNOYERS et de CASMIAJOR, secrétaires.).
-------Le
Gouverneur Général n'allait pas tarder à mesurer
l'erreur qu'il avait commise en cherchant à appuyer ses projets
de réformes sur l'autorité d'une Commission dont la composition
avait été arrêtée en dehors'de lui. Celle-ci
se prononça en faveur des rattachements demandés par GREVY
mais dans des conditions telles que l'administration d'Alger était
en fait dessaisie et qu'il ne restait rien au Gouverneur des pouvoirs
dont il avait demandé l'extension. Ainsi devait-il être
lui-même l'artisan de ce que Jules Ferry appela en 1892 : "
Le dépècement du Gouvernement Général
" ( Parlant du Gouverneur Général...
" Par quelle étrange ironie du sort allait-il devenir dans
le dépècement du Gouvernement Général, à
la fois l'initiateur et la victime ? " - Jules Ferry. Le Gouvernement
de l'Algérie. Rapport de 1892, page 20.).
Un décret du 26 août 1881 consacra le principe du nouveau
régime administratif.
-------Les
Services de l'Algérie se trouvent placés sous l'autorité
directe des ministres qui suivent de Paris, chacun en ce qui le concerne,
les affaires relevant de son département, transmettent des instructions
au gouverneur général, sollicitent ses avis et propositions
et décident ensuite eux-mêmes ou font prendre la décision
par le Chef de l'Etat.
-------Après
avoir eu le droit d'initiative, le gouverneur général
devient uniquement un agent d'exécution. Même dans les
attributions que le prestige attaché à son titre n'a pas-
permis de lui retirer on retrouve un caractère de subordination
: . c'est " par délégation " de chacun des ministres
qu'il les exerce (série de décrets du 26 AOÛT 1881).
Finalement le Gouverneur Général n'a de pouvoirs autonomes
que ceux qui lui sont conférés par des lois spéciales.
-------La
centralisation et l'assimilation étaient ainsi complètes.
Grévy, pour avoir voulu faire étendre et préciser
ses attributions, ses moyens d'action et sa responsabilité, n'avait
réussi qu'à faire du Gouverneur Général
de l'Algérie le subordonné de tous les ministres, sans
pouvoirs propres, sans budget, sans crédits, une sorte de super-préfet
impuissant et irresponsable.
LE CONSEIL SUPÉRIEUR
DU GOUVERNEMENT ET LA PRÉPARATION DU BUDGET
-------L e Gouverneur
Général établit le projet de budget concernant
les services et les soumet au Conseil Supérieur du Gouvernement.
Ce Conseil (dont l'attribution principale est la préparation
du budget), réorganisé et élargi par le décret
du 11 août 1875, comprend désormais, outre les quatorze
hauts fonctionnaires (quinze à partir de 1883) du Conseil du
Gouvernement, les trois préfets, les trois généraux
commandant les divisions et dix-huit conseillers généraux,
examine les propositions budgétaires, l'assiette et la répartition
des impôts. Les ministres arrêtent ensuite *ces propositions.
Les crédits ouverts à l'Algérie, par la loi des
Finances, pour les dépenses de l'exercice, sont répartis
entre les budgets des différents ministères qui en disposent
dans les mêmes formes et conditions et sous les mêmes responsabilités
que pour le budget général de l'Etat. Dans ce secteur
comme dans la plupart des autres d'ailleurs, le Gouverneur Général
n'est plus qu'un agent -de transmission ission chargé de provoquer
les décisions nécessaires et de les exécuter quand
elles ont été prises.
LA REPRÉSENTATION
ALGÉRIENNE AUX ASSEMBLÉES MÉTROPOLITAINES
-------L'Algérie
formait trois départements depuis 1848. Ils sont soumis, par
décret du 24 octobre 1870, au inertie régime que les départements
métropolitains et jouissent ainsi d'une représentation
au Parlement. Le décret de convocation du 5 février 1871
leur permettra d'envoyer chacun à l'Assemblée nationale
deux députés élus au scrutin de liste. La loi organique
du 30 novembre 1875 n'accordera
plus qu'un député au département algérien
; mais la loi du 28 juillet 1881 doublera cette représentation
qui sera élue suivant le même mode de scrutin qu'en France.
-------La
loi constitutionnelle du 24 février 1875 et la loi du 9 décembre
1884 doteront encore le département algérien d'un sénateur
élu par un collège défini par l'article ii (le
la loi organique du 2 août 1875, qui ne comprend pas les membres
des Conseils d'arrondissements, non institués en Algérie
et dont les délégués communaux sont élus
par les conseillers municipaux citoyens français, à l'exclusion
(les conseillers municipaux indigènes.
ORGANISATION DÉPARTEMENTALE
-------Chaque
département est placé sous l'autorité d'un préfet
auquel est subordonné le général de brigade commandant
les territoires militaires. Les Conseils généraux, dont
l'organisation est définie par le décret du 23 septembre
1875, voient leur effectif porté successivement à 3o membres
citoyens français pour Alger et Constantine et à 27 membres
pour Oran.
-------Ce
décret du 23 septembre 1875 reproduit les dispositions des lois
métropolitaines (lu 1o août 1871 et (lu 31 juillet 1875,
sauf quelques modifications rendues nécessaires par la diversité
de la population algérienne et dont les principales sont la présence
de 6 assesseurs musulmans ayant voix délibérative, nommés
par le Gouverneur Général, et la participation (lu Général
commandant la division aux travaux (lu Conseil général
pour les affaires concernant le territoire militaire.
-------Car
l'ancienne division subsiste, en effet, (lu département en territoire
civil et- territoire militaire. Mais le premier a considérablement
gagné au détriment (lu second.
ADMINISTRATION COMMUNALE
- TERRITOIRE CIVIL ET TERRITOIRE MILITAIRE
-------Etendu
jusqu'aux limites (lu Tell par le décretdu 24 octobre 1870, le
territoire civil comprend, à partir de 1873, trois millions d'hectares,
puis cinq millions et demi en 1876.
-------Le
territoire militaire, devenu le territoire de commandement, a perdu
dans le Tell toute la superficie attribuée au territoire civil.
Il reculera encore devant la colonisation (on n'y comptera plus, dès
1576, que 10.000 Européens), regagnant, en s'étendant
vers le Sud, ce qu'il abandonne dans le Nord. Il a conservé son
ancienne division en cercles, annexes et postes. La répartition
municipale se trouve seulement modifiée par la suppression des
anciennes communes subdivisionnaires, circonscriptions trop étendues
que l'arrêté du Gouverneur Général, en date
du 13 novembre 1874, découpe en communes, dites " indigènes
", formées des cercles et annexes dotés de ressources
suffisantes.
-------L'administration
du territoire civil s'avérait délicate, la population
française étant la plupart (lu temps trop peu nombreuse
pour permettre la constitution de Conseils municipaux et le rattachement
(les nouveaux territoires civils aux communes déjà existantes
impossible, étant données les circonscriptions déjà
fort étendues (le ces dernières. Momentanément
suspendue, faute de solution pratique satisfaisante, l'application du
décret du 24 octobre 1870 fut entreprise par le Gouverneur Général
Chanzy qui adapta au régime civil la commune mixte du territoire
militaire.
-------Il
y eut désormais, en territoire civil, deux catégories
de communes : la commune de plein exercice
et la commune mixte.
-------La
commune de plein exercice est constituée
comme celle de la Métropole sur la base des règles et
des principes contenus dans la loi municipale du 5 avril 1884. Dirigée
comme elle par un maire élu, assisté lui-même d'adjoints
et d'un Conseil municipal également élus, elle n'en diffère
que sur les points définis par le décret du 7 avril 1884
: le Conseil municipal se complète par des conseillers municipaux
qui représentent spécialement la population musulmane
et qui sont élus par un collège restreint.
-------La
commune mixte jouit d'une organisation qui est
en principe celle fixée par l'arrêté du Gouverneur
Général en date du 20 mai 1868 pour le territoire militaire.
Les instructions gubernatoriales publiées le 25 avril 188o prescrivent
la création de 42 communes mixtes embrassant un territoire de
près (le 6.ooo.ooo d'hectares et une population autochtone importante.
Les modalités de fonctionnement sel ont étudiées
clans le paragraphe ci-dessous concernant l'administration des Musulmans.
ADMINISTRATION
DES POPULATIONS AUTOCHTONES
Bureaux Arabes et Bureaux des Affaires
Indigènes.
-------La
défaite et l'écroulement de l'Empire amenèrent,
avec la chute du régime militaire, la condamnation de l'organe
de transition qu'avaient été les Bureaux Arabes. Le décret
du 24 décembre 1870 supprima le bureau politique ainsi que les
bureaux divisionnaires et subdivisionnaires, ne laissant aux
bureaux de cercles et d'annexes qu'une action restreinte, de caractère
purement administratif et à titre transitoire seulement. Complètement
désorganisés par la rupture d'une hiérarchie qui
faisait toute leur force, et discrédités au point d'être
solennellement accusés par le Ministre Crémieux d'avoir
poursuivi une " politique antinationale ", les Bureaux Arabes
étaient menacés (le disparition.
-------La
condamnation était trop sévère pour demeurer sans
appel. L'institution sera réorganisée sous l'étiquette
à peine modifiée de " Bureaux des Affaires indigènes
". Cantonnée dans le Sud, elle perd (le son importance initiale,
reste localisée sur le territoire militaire qui va se rétrécissant
et sera graduellement remplacée par l'administration civile.
Administration communale - La Commune mixte.
-------Les
communes mixtes sont installées sur les territoires militaires
nouvellement récupérés par les décrets du
24 octobre 1870. Groupant une population presque exclusivement musulmane,
les 42 communes mixtes, créées par arrêté
(lu 25 avril 1880, sont administrées par des fonctionnaires civils
: les administrateurs.
-------Considérée
à cette époque comme un organe essentiellement provisoire
destiné à être tôt ou tard remplacé
par la commune de plein exercice instituée dans les centres importants
de peuplement français, la commune mixte a si bien rempli son
rôle qu'elle s'est maintenue jusqu'à nos jours (Loi
du 20 septembre 1947 portant statut de l'Algérie (article 53)
: " Les communes mixtes sont supprimées ".).
|
|
-------Vaste comme
plusieurs arrondissements français et- fréquemment peuplée
de plus de 80.000 âmes, elle comprend des douars constitués
sur des données réelles, fondées sur des biens
de famille, des traditions tribales ou des communautés d'intérêt,
et des centres européens qui n'ont pas atteint un brade suffisant
de développement économique, social et politique pour
pouvoir être érigés en communes de plein exercice.
-------La
commune mixte est donc un tout formé de centres de colonisation,
de douars et de tribus. Elle se constitue en vertu d'un arrêté
du Gouverneur Général. Elle est à la fois une entité
spécifiquement municipale et une circonscription politique et
administrative dotée de la personnalité civile et d'une
certaine autonomie financière. Elle est dirigée par un
fonctionnaire, l'administrateur dés Services civils, lui-même
assisté d'un ou plusieurs administrateurs adjoints et de chefs
indigènes ou caïds. Auprès de lui et sous sa présidence
siège une assemblée délibérante, la commission
municipale, composée de membres européens, élus,
représentant les centres de colonisation, des présidents
élus des Djemaâs des douars de la commune mixte et des
différents caïds placés au commandement d'un ou plusieurs
douars.
-------Les
administrateurs de commune mixte hériteront de la plupart des
attributions des officiers des Bureaux Arabes. La loi du 28 juin 1881
leur confiera même pour 7 ans la répression par voie disciplinaire
des infractions à l'indigénat et ces pouvoirs leur seront
renouvelés par (les lois successives. Mais il faudra une quarantaine
d'années pour fondre les administrateurs et leurs adjoints dans
un corps homogène ayant son esprit, ses méthodes, ses
traditions. Il était difficile d'improviser une administration
dont les cadres comprendront, dès l'année 1880, i8o administrateurs,
adjoints et stagiaires. Son recrutement, principalement composé
au début d'officiers et de fonctionnaires des Services civils
de l'Algérie, connaissant l'arabe, ne perdra son caractère
disparate qu'en 1897 avec l'institution du concours.
Institutions judiciaires et civiles.
-------La
volonté d'assimilation qui préside à la réorganisation
des institutions algériennes se manifeste également dans
la politique indigène.
-------Les
mesures prises à cette époque tendent à remplacer
les institutions judiciaires et civiles des Arabes et des Kabyles par
les institutions et la législation françaises. Tandis
que la loi du 23 mars 1882 institue l'état civil-chez les Musulmans
( Cette loi n'échappa pas à
la critique de Jules FERRY dans son rapport de 1892. " Cette loi
" disait-il " procédait d'une bonne pensée.
Ouvrir aux naissances et aux décès des registres réguliers
est un objet des plus louables ; mais entreprendre de débaptiser
et rebaptiser trois millions d'indigènes est une uvre singulièrement
compliquée. On a voulu faire la clarté, on n'est arrivé
qu'à accroître la confusion et à multiplier sans
grand profit le nombre des mécontents ".), la justice
civile indigène est organisée par les décrets (lu
29 août 1874 pour la Kabylie et du 17 avril 1889 pour le reste
du territoire civil.
-------Les
Musulmans deviennent en matière pénale justiciables des
tribunaux ordinaires : cours d'assises et tribunaux correctionnels.
Au civil, toutes les juridictions indigènes sont supprimées
en Kabylie ; pour toutes les autres régions, les magistrats musulmans,
les " cadis ", voient leur juridiction restreinte aux questions
du statut personnel (liquidation de successions mobilières, établissement
des actes de mariage et de divorce, des procurations et réception
d'autres petits actes). On leur retire, dès 1870, le droit de
statuer sur les litiges en matière mobilière et immobilière
et de recevoir les actes se rapportant à 12, propriété
immobilière.
-------Cette
dernière mesure est en relation directe avec le problème
(le la francisation de la propriété codifié par
la loi Warnier du 26 juillet 187.3.
Régime de la propriété foncière.
-------Le
sénatus-consulte de 1863 avait résolu la question de la
propriété foncière selon le droit et la logique
en reconnaissant les indigènes propriétaires des terrains
dont ils avaient la jouissance permanente et traditionnelle. La loi
impériale avait divisé la propriété en deux
grandes catégories : le melk, appartenant sans réserve
à son possesseur régulier, et l'arch, territoire
collectif de la tribu. Le même texte, après avoir disposé
que la propriété des melk serait reconnue et confirmée
aux ayantsdroit, ordonné que le périmètre de la
tribu, une fois délimité, sera réparti en douars
et que dans chaque douar, prélèvement fait des melk et
des parties domaniales et communales, le reste sera attribué
en pleine propriété aux cultivateurs qui en jouissaient.
-------Le
but du sénatus-consulte de 1863 était clair : donner une
sanction légale aux faits existants, c'est-à-dire reconnaître
les propriétés privées (melk) et attribuer les
" arch " aux possesseurs de façon à soumettre
toutes les terres au régime du droit commun. L'administration
devait se charger de constituer la propriété individuelle.
-------La
loi du 26 juillet 1873 (loi Warnier), déviant du but initial,
dispose que la propriété aussi bien en territoire melk
que arch sera reconnue dans des formes déterminées et
qu'un titre individuel sera délivré à chaque ayant-droit.
La délivrance des titres était confiée au Service
des Domaines, sous la surveillance des préfets et du Gouverneur.
Toute propriété reposant sur des titres français
sera dorénavant exclusivement soumise à l'action de la
justice civile.
-------La
constitution de la propriété ainsi définie s'avéra
difficile. La détermination de filiations souvent très
imprécises et le partage des terres en fractions décimales
entraîna une perte de temps et une série de formalités
qui paralysèrent pendant longtemps la bonne marche de l'opération.
-------La
loi du 28 avril 1887 fut édictée dans le but de remédier
à ces inconvénients. Outre une atténuation sensible
apportée aux formalités, elle permettait les transactions
en territoire melk et arch non constitué, au moyen d'une procédure
particulière.
-------Grâce
à cette loi, les opérations de la délimitation
de la propriété individuelle furent poussées activeraient.
Elles étaient terminées dans le Tell en 1882 pour 2.170.000
hectares. Il ne restait à constituer que 900.000 hectares environ
sur lesquels 350.000 avaient fait l'objet de travaux plus ou moins avancés.
Ce fut alors que, tenant compte des critiques (le la commission sénatoriale,
l'administration arrête net les opérations. Elles ne seront
reprises qu'après la promulgation de la loi de 1897.
Accession à la citoyenneté française
des Musulmans et des Israélites.
-------L'accession
des Musulmans algériens à la citoyenneté française
resta soumise aux dispositions du sénatus-consulte (lu 14 juillet
1865 (DA n°16) dont les Israélites
bénéficièrent d'une manière beaucoup plus
certaine que les Musulmans.
-------En
effet, les Israélites renoncèrent volontiers au statut
mosaïque, tandis que les Musulmans refusèrent en général
d'abandonner le statut coranique. C'est dans ces conditions que fut
promulgué, le 24 octobre 1870, le décret Crémieux
(l'un des 57 publiés à cette date) qui organisait l'aces
direct des Israélites à la citoyenneté française.
-------Le
résultat fut que tous les Israélites d'Algérie
devinrent citoyens français, tandis que l'immense majorité
des Musulmans conservait le statut de sujets français.
LA POLITIQUE D'ASSIMILATION
ET LE PEUPLEMENT FRANÇAIS
-------Il faut
reconnaître, quelles que soient les critiques formulées
contre la politique d'assimilation, qu'elle a pleinement atteint son
but de peuplement français de l'Algérie. Quelques chiffres
suffisent à donner la mesure de l'effort accompli et des résultats
obtenus : 200 villages créés et 30.000 colons établis
entre 1871 et 1877 ; 400.000 hectares répartis entre 264 périmètres
de colonisation de 1871 à 1881.
-------La
population européenne passant de
245.000 individus |
130.000 Français |
115.000 étrangers |
1871 |
376.000 |
T95.000 |
181.000 |
1881 |
536.000 |
318.000 |
218.000 |
1896 |
-------Cet effort,
principalement soutenu par la colonisation officielle, a été
complété par des mesures comme la loi foncière
du 26 juillet 1873 qui a facilité l'acquisition des terres par
les Européens, le décret de 1870 qui a fait accéder
en bloc les indigènes israélites à la qualité
de citoyen français et la loi du 26 juin 1889 qui a appliqué
le "jus soli" et la naturalisation automatique aux étrangers
nés en Algérie,
ÉCHEC DE LA
POLITIQUE D'ASSIMILATION
-------Désirée
avec passion, puis accueillie avec faveur pendant une dizaine d'années,
la politique d'assimilation a été par la suite l'objet
d'un discrédit croissant. Après s'être rendue impopulaire
avec les lois de 1875 et 1887 sur la propriété foncière
en poursuivant, sur plus de deux millions d'hectares, des opérations
qui favorisèrent malheureusement trop souvent les spoliations
et les spéculations, être loinbée dans le ridicule
en appliquant, sans adaptation préalable, la loi du 3o octobre
1886 sur l'instruction primaire et ses programmes métropolitains,
elle se traduisit en fait par la centralisation des affaires algériennes
à Paris, retardant ainsi les solutions à y apporter, souvent
laissées au jeu des influences parlementaires et à l'incompétence
de personnalités métropolitaines insuffisamment éclairées
sur les choses de ce pays. L'avenir de l'Algérie semblait compromis.
Le Parlement finit par se préoccuper de la question. Le Sénat
nomma une commission chargée d'enquêter sur l'organisation
de l'Algérie. Jules Ferry, qui la présidait, dressa dans
un rapport un réquisitoire impitoyable contre la centralisation
et l'assimilation.
-------"
Il faut. disait-il notamment, quelque courage d'esprit pour reconnaître
que les lois françaises ne se transplantent pas étourdiment,
qu'elles n'ont point la vertu magique (le franciser tous les rivages
sur lesquels on les importe, que les milieux sociaux résistent
et se défendent et qu'il faut en tout pays que le présent
compte grandement avec le passé. Il nous apparaît avec
une grande clarté qu'il n'est peut-être pas une seule (le
nos institutions, une seule de nos lois du continent qui puisse, sans
des modifications profondes, s'accommoder aux 272.000 Français,
aux 219.000 étrangers, aux 3 millions 267.000 indigènes
(lui peuplent notre Empire algérien. "
-------"
Il faut bien le reconnaître, le régime de l'assimilation
législative s'effrite et craque de toutes parts... L'Algérie
commence à trouver qu'on lui fait payer bien cher les bienfaits
de nos lois civiles. les garanties de notre procédure : l'assimilation
se traduit par une lime énorme prélevée au profit
des hommes d'affaires, des officiers ministériels et des- gens
de loi. "
-------"
Il est temps. Messieurs, de comprendre la leçon
des choses. Il faut aviser résolument et, sur la voie fausse
où nous sommes engagés, non seulement nous arrêter,
mais, s'il le faut, rebrousser chemin. "
-------Les
autres membres de la commission se montrèrent aussi sévères.
-------D'autre
part, au moment même où la commission entreprenait son
enquête paraissait un rapport de Burdeau, alors Gouverneur Général,
sur le projet de budget de 1882, comportant un panorama de la situation
de l'Algérie et des projets de réformes. Jonnart, en 1892,
publia à son exemple une vaste étude, ne ménageant
pas les critiques au régime en vigueur (
Revenant sur la question des rattachements, Jonnart les présentait
sous un jour amusant : " Le Procureur Général, le
Recteur, le Conservateur des Fcrêts, d'autres chefs de service
encore vivent à côté du Gouverneur Général
sans le connaître ; ils ne relèvent en aucune façon
de lui ; lis correspondent directement avec 1 ministre dont ils dépendent,
de sorte que les services algériens ressemblent fort aux étages
des grandes maisons parisiennes cù les locataires ne se connaissent
ni de nom ni de vue ».) et destinée à permettre
aux Chambres de formuler leurs préférences sur la politique
algérienne.
-------Le
Parlement se rangea à leur opinion. Sur les insistances du Sénat.
puis de la Chambre des députés, le Gouvernement opéra,
de 1896 à 1902, une série de réformes qui orientèrent
vers la décentralisation administrative la politique algérienne.
-------La
méthode d'assimilation avait fait son oeuvre. Elle disparaissait
comme la méthode militaire pour des raisons tenant autant à
ses succès qu'à ses, faiblesses et à ses échecs.
Elle avait favorisé la formation d'une peuplement solide, par
une naturalisation massive, et, déviant de sa ligne de conduite,
organisé, sur des bases heureuses et originales, la vie communale
dans le bled par l'institution des communes mixtes, Son action profonde
avait préparé un nouvel état de choses qui exigeait
- telle est la force du progrès - l'avènement d'une autre
méthode.
---
|