----------Si l'on
admet que le statut d'un pays français groupant des éléments
divers dont le degré de maturité politique est différent
ne peut être définitif, mais progressif, il faut convenir
que le nouveau statut dont vient d'être dotée l'Algérie
marque une étape décisive dans l'histoire de la communauté
de ce pays.
----------Construction
originale, faite de vieux moellons résultant de l'expérience
acquise depuis plus d'un siècle et d'un liant jeune, reflet de
l'évolution des hommes et des choses de ce pays, l'organisation
nouvellement établie n'est que le produit des institutions plus
ou moins lointaines qui, depuis 1830, régirent l'Algérie,
adapté aux conditions créées en Afrique du Nord
par le génie civilisateur de la France
1830-1834
LE RÉGIME PUREMENT MILITAIRE
----------C'est
en pleine crise intérieure (Charles X était renversé
trois semaines après la prise d'Alger) et sous il méfiant
de l'Angleterre que s'effectuèrent les premières occupations
sur le territoire africain. Cette situation, compliquée par l'opposition
du Parlement dont la méconnaissance du nouveau pays était
complète (i)
(1) Il suffit de rappeler la phrase souvent citée
d'un homme politique de l'époque : " L'Algérie
est un rocher sans ressources " ; " on n'y trouve que
de l'air, encore y est-il mauvais " et les arguments des
adversaires de la conquête qui se firent un devoir de signaler
les dangers "horribles qu'allaient courir nos troupes en
traversant les déserts séparant Sidi-Ferruch d'Alger.
"
----------Il est évident qu'en
présence d'une telle ignorance, toutes les opinions pouvaient
se donner libre cours. Les partisans voyaient des oasis verdoyantes,
des plaines d'une richesse inouïe, des villes prospères.
Témoin ce Jean CZYNSKY, prêchant la colonisation
de l'Algérie à l'aide du système de Fourrier,
suivant les " principes d'association et d'attraction "
qui dira un peu plus tard avec un lyrisme que son maître
n'aurait pas désavoué : " . Les chameaux, lés
zèbres et vingt autres espèces d'animaux utiles,
dispersés au milieu des déserts, faciles à
apprivoiser, n'attendent que la direction de l'homme pour l'aider
dans ses travaux. On y trouve mille variétés d'oiseaux,
depuis le plus petit moineau qu'on pourrait prendre pour un papillon
jusqu'à l'autruche que les naturalistes nomment un chameau
emplumé ".
----------" Dans les régions
du Maghreb, dans les environs d'Alger, on a trouvé le sel,
le fer, le plomb, on a trouvé même, chose longtemps
contestée, on a trouvé des diamants... "
----------" Quand un Européen
se repose sous un olivier en Afrique et trouve à ses pieds
un diamant, Dieu semble lui dire : " Chassez de ce pays les
panthères, les vautours, les boas, établissez-vous
à leur place et régnez-y pour le bien de la France
et pour le bien du monde entier " - (CZYNSKY, Colonisation
d'Alger, ,d'après la Théorie de Charles Fourrier,
p. 10 et 11).
|
et les idées sur l'abandon des conquêtes
d'Afrique bien arrêtées, ainsi que par les exigences des
opérations militaires, explique facilement que le Gouvernement
se soit abstenu de prendre immédiatement des mesures définitives.
C'est ainsi que le Commandant en chef de l'Armée d'Afrique, puis
le Commandant du Corps d'occupation qui le remplaça en 1832,
centralisèrent tous les pouvoirs. Le régime adopté
pendant cette période, où successivement : Alger, Oran,
Bône, Arzew, Mostaganem et Bougie furent occupés, a été
strictement militaire et l'essai de séparation des administrations
civiles et militaires, tenté en 1831, aboutit rapidement à
un échec. Dans les villes, il était relativement aisé
de dégager des méthodes convenables qui, fonction sans
doute dès fluctuations politiques de la Métropole, tinrent
cependant compte des intérêts des différents groupes
ethniques représentés, dès l'origine, auprès
des autorités compétentes, dans les Conseils et dans les
Assemblées.
----------Dans
les campagnes, où la pacification fut plus lente, les moyens
de communication longtemps rares et précaires, mais où
courageusement quelques colons commençaient à s'installer,
la tâche desPouvoirs publics était
plus délicate. On abandonna d'abord l'administration des Arabes
à l'Agha Mahieddine, puis successivement au Colonel Marey-Monge,
au Capitaine Pélissier et au Commandant Daumas, choix heureux,
car chacun d'eux réussit pleinement dans cette mission.
----------Cependant,
la dispersion des territoires occupés, les réticences
du Gouvernement sur ses intentions définitives (alors que la
politique pratiquée reste fermement celle de la conservation),
le manque de directives sur la politique générale à
observer vis-à-vis des populations musulmanes, qui se considéraient
comme indépendantes, amenèrent rapidement une confusion
et un désordre dont Européens et autochtones furent unanimes
à reconnaître les inconvénients.
La création, par le général Avizard, d'un "
Bureau Arabe " qui eut pour premier chef Lamoricière, marqua
toutefois, dès 1832, l'intention de donner à l'autorité
française les moyens d'information indispensables à l'élaboration
d'une politique indigène.
----------La
situation resta cependant si précaire que le Gouvernement décida,
en septembre 1833, d'envoyer deux Commissions en Afrique aux fins d'enquête.
----------Ayant
donné un avis favorable à la conservation des possessions
africaines, ces commissions insistèrent sur la nécessité
de substituer à l'occupation strictement militaire une organisation
adaptée aux exigences locales et séparant l'administration
civile de l'administration militaire.
----------Le
Gouvernement, alors sûr de l'appui de la majorité de la
Chambre (1) qui commençait à se rendre compte de l'ampleur
des travaux entrepris en Algérie (2) et ne craignant plus les
protestations des puissances étrangères mises devant un
état de fait depuis quatre ans, prit une position ferme en déclarant,
par l'ordonnance du 22 juillet 1834, la nouvelle conquête terre
française. Cette ordonnance, qui réglait l'organisation
des " Possessions françaises dans le Nord de l'Afrique ",
faisait implicitement entrer dans la nationalité française
les indigènes de ce pays.
(1) " Eh quoi ! Messieurs, demanda Lamartine,
les nations n'ont-elles donc qu'une balance de chiffres à
établir ? et serions-nous descendus à ce degré
de matérialisme social que l'arithmétique dût
s'asseoir seule dans les conseils de la Chambre et du Gouvernement
et peser seule les résolutions de ce noble pays ? Si l'or
a son poids, la politique, l'honneur national, la protection désintéressée
du faible, l'humanité n'ont-ils pas le leur ? " Et
le poète orateur terminait : " La pensée de
l'abandon d'Alger resterait éternellement comme un remords
sur la date de cette année, sur la Chambre et sur le Gouvernement
qui l'auraient consenti. "
(Archives parlementaires, t. 89, Députés, 29 avril
1834).
(2) Monsieur de la Rochefoucauld signala à la Chambre la
situation fausse dans laquelle la plaçait le Gouvernement-
:` " Quel est donc, demanda-t-il, le rôle qu'on fait
jouer aux membres de ces commissions ainsi qu'aux membres de cette
Chambre qui délibèrent toLt naïvement sur la
conservation du pays alors que le Gouvernement y ordonne des travaux
de longue durée en même temps que tous les agents
du ministère en Alger, les généraux qui y
commandent et les, princes eux-mêmes y fondent des établissements
pour l'avenir ". (Archives parlementaires, t. 89, Députés,
29 avril 1834).
|
1834-1840
" LES POSSESSIONS FRANÇAISES
DANS LE NORD DE L'AFRIQUE "
----------Que
sont, en 1834, ces possessions françaises dans le Nord de l'Afrique
? Une série d'îlots occupés par les troupes françaises
au milieu d'un immense pays où la France n'exerce en réalité
aucuneautorité effective.
----------De
ce fait, l'organisation du pays, réglementée par une série
de textes dont le principal est l'ordonnance du 22 juillet 1834, gardera,
malgré l'aspect civil de l'autorité supérieure,
le caractère militaire qu'on avait prétendu lui enlever.
----------Le
commandement et la haute administration étaient exercés
par un "Gouverneur Général" dépendant
du Ministère de la Guerre et aidé dans sa tâche
par un Intendant civil, un Commandant de la Marine, un Procureur général
et un Directeur des Finances placés à la tête des
différents services. Ainsi apparaît, dès 1834, le
Gouverneur Général, rouage fondamental de l'organisation
algérienne qui se maintiendra, sauf une courte interruption (1858-1860),
jusqu'à nos jours avec des attributions dont les
variations ne feront que suivre les fluctuations de la politique des
différents gouvernements métropolitains.
----------Cependant,
le Ministre de la Guerre dont dépendait directement à
cette époque le Gouverneur Général, imposa la nomination
d'un général, Drouet d'Erlon (pratique qui se maintiendra
jusqu'à la fin du Second Empire), Cette combinaison, qui présentait
l'avantage de la centralisation entre les mains du Gouverneur du pouvoir
civil et du pouvoir militaire, rendait inutile la création d'un
commandement (les troupes prévu par l'ordonnance du 22 juillet.
Le Gouverneur Général était ainsi investi de pouvoirs
étendus, il disposait de la force armée, dirigeait les
opérations militaires, négociait avec les tribus et les
chefs des États limitrophes, légiférait par voie
d'arrêtés. De 1834 à 1839, un gros travail législatif
manifestant le désir d'organiser l'administration du territoire
fut effectué.
----------L'ordonnance
du 10 août 1834 organisait la justice en maintenant les tribunaux
indigènes dont les juges étaient nommés par le
roi et en créant pour les Européens des tribunaux sur
le modèle français.
----------Une
série d'arrêtés réglementa l'administration
provinciale et municipale placées, ainsi que les Travaux publics
et les Services de la Colonisation, sous la direction de l'Intendant
civil.
----------Des
ordonnances statuèrent sur le régime douanier, l'organisation
de l'instruction publique et des Finances.
----------Pendant
toute cette période, où un travail intense d'organisation
fut indiscutablement fourni, règne,, comme on pouvait s'y attendre,
une large confusion. Les Gouverneurs Généraux, voulant
affirmer leur autorité aussi bien dans le domaine civil (l'ordonnance
du 31 octobre 1838 enleva à l'Intendant civil le droit (le correspondance
directe et le réduisit au rôle de directeur de L'Intérieur)
que dans le domaine militaire, usent largement du droit de légiférer
qui leur avait été octroyé et essaient de se dégager
du contrôle effectif du Ministre de la Guerre.
----------Intérieurement,
la politique d'occupation restreinte et d'entente avec Abd-El-Kader
(1834-1837 à 1839) subit des fluctuations incessantes et cède
parfois le pas à une série de conquêtes et d'extensions
imposées par un souci de protection des positions acquises. Époque
troublée, mais laborieuse, dont la fin marquera le ralliement
définitif du Parlement à la cause du maintien de la France
en Afrique du Nord (1) et qui verra l'extension progressive des territoires
occupés jusqu'à la formation d'un ensemble dont la dénomination
d'" Algérie ", officiellement adoptée en 1839,
affirme l'individualité.
(1) On pourrait, critérium
sûr en matière de débats parlementaires, mesurer
l'accroissement du parti algérien à la diminution
des débats dans le courant de 1838. Fort peu d'orateurs
prennent la parole au sujet des questions algériennes.
Le budget de 1839 est adopté sans discussion. A la Chambre
des Députés les crédits suplémentaires
pour la même durée recueillent 209 voix sur 303,
à la Chambre des Pairs 103 sur 111. Et le 5 janvier 1839
était adopté à la Chambre des Députés
le texte suivant d'adresse au Roi : " Nous nous applaudissons
avec votre Majesté de l'état satisfaisant de nos
possessions d'Afrique. Nous avons la ferme confiance que cette
situation s'améliorera de jour en jour grâce à
la discipline, de l'Armée, à la régularité
de l'administration et à l'action bienfaisante d'une religion
éclairée ".
|
1840-1844
LE RETOUR AU RÉGIME
MILITAIRE
----------Cependant,
les négociations avec Abd-El-Kader ne donnant que de piètres
résultats, l'occupation étendue du territoire fut décidée
et Bugeaud nommé Gouverneur Général. L'impulsion
définitive qu'il donna à la conquête, la pacification
et la mise en valeur du pays en firent assez rapidement une figure qui
restera des plus marquantes dans l'histoire de l'Algérie. Sous
son influence, le Gouvernement Général prend essentiellement
un caractère militaire. Une véritable armature, destinés
à consolider la machine administrative mise sur pied (le 1834
à j839, est forgée, dont la pièce maîtresse
est l'arrêté ministériel du 1°' février
1844 organisant le service des "Bureaux Arabes"-.
----------Le
Service des Bureaux Arabes (2 : Voir
Document Algérien no 10 de la série : Politique : Les
Bureaux Arabes ; paru le 10 novembre 1947)
----------Ce
service comprenait un bureau central appelé " Bureau
Politique ", à Alger ; trois directions provinciales
près les Généraux commandant chacune des divisions
d'occupation, des Bureaux de 1èet de 2è classe près
les Généraux commandant les subdivisions et les officiers
supérieurs commandant les circonscriptions dénommées
cercles ; des bureaux d'annexe dans les cercles trop étendus
et des postes dont les chefs étaient chargés de missions
spéciales ou temporaires.
1852-1870
L'ALGÉRIE SOUS LE SECOND
EMPIRE
----------L'histoire
des institutions algériennes sous le Second Empire est la relation
d'un conflit aigu entre l'élément civil et l'autorité
militaire dont les phases principales et les péripéties
ont été souvent retracées : mesures prises par
l'Empire autoritaire ; affaire Doineau, en 1856; suppression du Gouvernement
Général en 1856 et création du Ministère
de l'Algérie et des colonies qui vivra jusqu'en 1860 ; voyage
de Napoléon au cours des années 186o et 1863 et politique
du Royaume Arabe; grandes enquêtes de 1868 et 1869, la première
dirigée par le Comte Le Hon, la deuxième présidée
par le Maréchal Randon, et dont les conclusions sont consignées
dans le rapport d'Armand Behic.
Centralisme napoléonien (1852-1858).
----------La
Constitution du 14 janvier 1852 supprima les libertés accordées
en 1848. Les Français d'Algérie n'eurent plus de représentants
au corps législatif. L'autorité militaire s'exerça
de nouveau sans contrôle. Cette période marque la fin de
la conquête avec la réduction de la Kabylie du Nord (1857)
et l'occupation successive des oasis du Sud, Laghouat (1852), Ouargla,
Touggourt et les oasis de l'Oued Rir (1854), ainsi qu'un essor nouveau
du peuplement européen (200.000 en 1860). Ce régime, imposé,
semble-t-il, par les nécessités militaires, n'impliquait
pas cependant l'abandon de tout projet d'organisation civile. L'Empereur
lui-même, dont il est si difficile de suivre la politique hésitante,
y paraissait favorable. Par décret du 8 août 1854, l'administration
de la population musulmane non comprise dans les périmètres
communaux fut confiée à des Bureaux Arabes départementaux
civils qui avaient les mêmes attributions que les Bureaux Arabes
du Territoire militaire. (Ces Bureaux civils furent supprimés
en 1868). L'organisation
municipale s'acheminait ainsi vers son unification. La conquête
terminée, l'Empereur décida de réorganiser, en
la centralisant à Paris, l'administration de l'Algérie.
Le Ministère de l'Algérie (1858-186o).
----------Le
régime militaire étant de plus en plus attaqué
(i), Napoléon III parut donner satisfaction à l'opinion
en instituant, par le décret du 24 juin 1858, un Ministère
de l'Algérie et des colonies. Le Gouvernement Général
fut supprimé, le commandement des troupes confié à
un " Commandant supérieur" résidant à
Alger et ne possédant aucune attribution civile. Les Services
ayant encore leur siège à Alger étaient transférés
à Paris. Ceux qui l'avaient déjà été
en 1848 furent rattachés avec eux au nouveau ministère.
----------En
contrepartie, les attributions des préfets étaient étendues
et les Conseils généraux rétablis. Le principe
était de gouverner du centre et d'administrer sur place.
----------Mais
le régime ainsi instauré ne répondit pas aux espérances
qu'on avait mises en lui. Les réformes entreprises, tout en traduisant
les intentions les plus libérales, témoignent d'une connaissance
insuffisantes de l'Algérie où le Prince Jérôme,
cousin de l'Empereur et Ministre de l'Algérie, ne vint même
pas. Les causes profondes du malaise étaient de deux sortes :
l'extension de la colonisation ne pouvait se faire qu'aux dépens
des indigènes, l'extension des pouvoirs civils qu'aux dépens
des autorités militaires. De là, l'inquiétude des
milieux musulmans devant la formidable immigration qui les menaçait
dans leur possession du sol, et les violents conflits entre officiers
et fonctionnaires civils. Brusquement, après son premier voyage
en Algérie, en septembre 186o, Napoléon III change de
méthode et se rallie à la politique du " royaume
arabe ", le principe des nationalités appliqué à
l'Algérie (2).
|
|
----------(1)
En 1856, devant la Cour d'Assises d'Oran comparut le capitaine
Doineau, chef du Bureau arabe de Tlemcen, inculpé d'attaque
contre une diligence et d'assassinat commis sur la personne de
l'agha Ben Abdallah dont il aurait eu à craindre les révélations.
Jules Favre, défenseur d'un des accusés, fit par-dessus
sa tête le procès de cette administration, sous laquelle
faisait défaut, disait-il, les garanties indispensables
de liberté et de justice. ----------Ces
arguments de plaidoirie qui eurent à l'époque un
grand retentissement ne suffisent pas -à expliquer devant
l'histoire que les bureaux arabes aient perdu sous l'Empire la
faveur de l'opinion publique et que le discrédit dans lequel
ils allaient tomber ait rejailli sur le régime.
----------(2)
Il formula ses idées dans sa fameuse lettre a Pélissier
publiée en 1&63: " L'Algérie n'est pas
une colonie proprement dite mais,.. un royaume arabe.; Les Indigènes
ont, comme les colons, un droit égal à ma protection...
Je suis aussi -bien l'Empereur des Arabes que l'Empereur des Français
; j'aime mieux utiliser la bravoure des Arabes que pressurer leur
pauvreté... Ce qui importe ce n'est pas de peupler l'Algérie
d'individus misérables et avides, mais de favoriser les
grandes associations de capitaux européens en vue de vastes
entreprises assainissement, d'irrigation, d'exploitation scientifique...
"
|
La politique du Royaume Arabe.
----------Le
24 novembre 186o, un décret supprima le Ministère de l'Algérie
et rétablit le Gouvernement Général que le Maréchal
Pélissier fut appelé à occuper. Tous les services
furent transférés de Paris à Alger. Le changement
était à la vérité plus apparent que réel.
Ne relevant plus du Ministre de la Guerre, mais de l'Empereur avec lequel
il correspondait directement, le Gouverneur Général d'alors
ressemblait fort à un Ministre de l'Algérie résidant
à Alger. Assisté d'un Conseil consultatif et d'un Conseil
supérieur, il exerçait son autorité sur les territoires
militaires par l'intermédiaire d'un sous-gouverneur chef d'état-major
(le l'Armée, sur les territoires civils par celui d'un Directeur
des Affaires civiles. L'équilibre fut ainsi maintenu entre l'autorité
militaire et l'autorité civile, grâce à l'influence
personnelle (le Pélissier qui, malgré son titre de maréchal,
s'employa à remplir d'abord sa mission civile.
----------La
population musulmane reçut les apaisements indispensables par
les sénatus-consultes du 22 avril 3863 sur la propriété
foncière et du 11 juillet 1865 sur le statut des indigènes.
Les deux Sénatus-consultes.
----------Le
premier était dicté par une pensée d'équité
et (le prudence. " Comment, déclarait
l'Empereur, compter sur la pacification d'un pays lorsque la presque
totalité de la population est sans cesse inquiète sur
ce qu'elle possède ? "
----------Il
reconnaissait aux tribus la propriété des terres dont
elles avaient la jouissance à un titre quelconque et paraissait
inspiré par le désir d'arrêter les progrès
de la colonisation sur laquelle la lettre de Mac-Mahon du 20 juin 1865
porte un jugement sévère. En fait, il prévoyait
la propriété individuelle partout où cela serait
possible, les colons ayant possibilité de se procurer, par achat
aux indigènes, les terres dont ils avaient besoin. La délimitation
(les territoires des tribus, des douars et fractions (le douars, effectuée
en application de ce texte, (le 1863 à 1870, a porté sur
7 millions d'hectares reconnus et classés dans les quatre catégories
: " melk " ou propriété privative : " arch
" ou propriété collective ; communaux de douars et
domaniaux ; oeuvre préparatoire immense qui a permis l'essor
de la colonisation officielle après 1870.
----------Un
autre aspect (le ce texte révèle l'intention réelle
d'instaurer dans le bled l'organisme municipal sous forme (le douars
communaux créés par la dissociation de tribus en pays
arabe ou par la réunion de villages en pays berbère. Étrange
fantaisie où se marqua une fois de plus l'irréalisme utopique
(le l'époque, le sénatus-consulte de 1863 traitait à
l'arabe le pays kabyle et accommodait en somme à la berbère
le pays arabe !
----------En
fait, on arriva à cette situation paradoxale que le douar-commune,
au lieu d'être composé par des groupes (le même origine,
assembla souvent des populations différentes ; qu'une même
fraction homogène se trouva répartie entre plusieurs douars-communes
; qu'un puzzle capricieux découpa et rassembla les circonscriptions
et qu'on vit même une tribu purement et simplement annexée
à un douar limitrophe. Toutefois, quelque objection rétrospective
qui puisse être élevée, il n'en reste pas moins
qu'on avait aménagé dans le bled les futures bases de
la vie municipale. L'instruction du général MacMahon en
date du 1er mars 1865, précisa d'ailleurs que le douar-commune
n'était autre chose que le " germe
de la commune arabe ".
----------Telle
fut la préfiguration lointaine et elliptique de notre actuelle
cité rurale.
----------Une
seconde innovation de ce sénatus-consulte, ce fut, en pays arabe,
l'institution (le la Djemâa (Voir Documents Algériens
(Série Politique) n" 2, " Historique et Réformes
des Djemaâs) désignée par l'autorité
administrative. On n'eut rien à créer à cet égard
dans les secteurs berbères où fonctionnaient, de temps
immémorial, des assemblées locales.
----------Le
deuxième sénatus-consulte reconnaissait aux indigènes
la qualité de Français, les admettant à servir
dans les armées de terre et de mer ou à remplir certains
emplois civils sans qu'ils eussent à renoncer à leur statut.
L'accès à la citoyenneté leur était ouvert
par voie de naturalisation, mais cette mesure s'avéra inefficace
par suite de l'abandon dans ce cas du statut personnel (2Voir
Annexe. Texte du Sénatus Consulte du 13 juillet 1865 sur l'état
des personnes et les naturalisations en Algérie).
Retour au régime militaire (1864-1868).
----------Deux
mois après la mort de Pélissier, le décret du 7
juillet 1864 militarisa en quelque sorte l'administration
algérienne. La direction (le l'administration civile disparut,
les préfets furent subordonnés aux généraux
de division, les territoires civils réduits. Le Maréchal
de Mac-Mahon, successeur de Pélissier, ne réussit pas
à surmonter les difficultés de toutes sortes (insurrection,
famine, épidémies) que traversa l'Algérie au cours
(les années suivantes. Le " régime du sabre "
fut rendu responsable des maux dont souffrait le pays et l'autorité
militaire fut plus violemment attaquée que jamais. Le passage
en France (le l'Empire libéral à l'Empire parlementaire
(1868) amena en Algérie la refonte de l'organisation municipale
ainsi que la désignation d'une commission d'enquête chargée
de reprendre entièrement les principes directeurs de l'administration
(le l'Algérie.
Refonte de l'organisation municipale
----------Les
bureaux arabes départementaux civils, créés par
décret du 8 Août 1854, furent supprimés en 1868
et le territoire tout entier se trouva réparti à partir,
du s janvier 1869, entre les communes de plein exercice. En même
temps, l'organisation municipale pénétra dans le territoire
militaire. La distribution (les subdivisions, cercles, annexes et postes
se superpose et se juxtapose dorénavant à une division
en communes mixtes et en communes subdivisionnaires, les premières
comprenant les centres de populations habités à la fois
par des indigènes et des Européens et qui, possédant
des ressources propres, ne renferment pas encore une population suffisante
pour être érigés en communes de plein exercice ;
les secondes, comprenant d'autre part les douars constitués en
exécution du sénatus-consulte du 22 avril 1863 et les
tribus qui seront successivement soumises à son application.
En somme, dans ce domaine, le régime militaire avait aménagé
le cadre complet d'un régime civil dont les organes fonctionnaient
ou étaient amenés à pied uvre.
Les Commissions de 1868 et 1869.
----------L'enquête
agricole de 1868, qui se transforma par la force même des choses
en une enquête sur la situation générale de l'Algérie,
mit en pleine lumière les sentiments des Européens. L'immense
majorité de ceux qui déposèrent devant les commissaires
se prononça pour l'assimilation complète (le l'Algérie
à la France. Ils réclamaient l'application des lois françaises
à tous les habitants, indigènes aussi bien qu'Européens,
demandaient des représentants élus au Corps législatif
et dans les conseils généraux, enfin la restitution à
l'autorité civile de toutes les affaires administratives et judiciaires.
Le comte Lehon, qui avait dirigé l'enquête, appuyait ces
réclamations Une commission fut nommée pour étudier
une refonte complète de l'organisation algérienne. Le
rapporteur, Armand Behic élabora un projet de constitution, dotant
l'Algérie d'un ministère à Alger, d'institutions
libérales et (le l'autonomie financière. Ses propositions
différaient de façon assez notable des desiderata, formulés
à la même époque par les rédacteurs des "
Cahiers algériens ", partisans de la centralisation et (le
l'assimilation intégrale ; elles concordaient cependant sur un
point capital : l'abolition du régime militaire. Le corps législatif,
de son côté adoptait, le 29 Mars 1870, un ordre du jour
spécifiant que, " dans l'état de chose actuel, le
régime civil paraissait de nature à concilier les intérêts
des. Européens et des indigènes ". Se conformant
à ces indications, le Gouvernement Impérial rendit aux
préfets leurs indépendance vis-à-vis des généraux
et prescrivit la reconstitution des conseils généraux
désormais élus. La guerre franco-prussienne et la chute
de l'Empire survinrent avant que la réforme ainsi amorcée
eût pu être menée à terme. Le régime
militaire n'en était pas moins irrémédiablement
condamné.
ANNEXE
SENATUS CONSULTE DU
14 JUILLET 1865
Etat des personnes
et naturalisation en Algérie
Article premier. - L'indigène musulman
est Français : néanmoins, il continuera d'être régi
par la loi musulmane. Il peut être admis à servir dans
les armées de terre et de mer. Il peut être appelé
à des fonctions et emplois civils en Algérie. Il peut,
sur sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen
français ; dans ce cas, il est régi par les lois civiles
et politiques de la France.
Article 2. - L'indigène israélite est Français
; néanmoins, il continue à être régi par
son statut personnel. Il peut être admis à servir dans
les armées de terre et de mer. Il peut, sur sa demande, être
admis à jouir des droits de citoyen français ; clans ce
cas, il est régi par la loi française.
Article 3. -- L'étranger qui justifie de trois; années
rie résidence en Algérie peut être admis à
jouir de tous les droits de citoyen français.
Article 4. - La qualité de citoyen français ne
peut être obtenue, conformément aux articles i, 2 et 3
du présent sénatus-consulte, qu'à l'âge de
21 ans accomplis ; elle est conférée par décret
impérial rendu en Conseil d'État.
Article 5. - Un règlement d'administration publique déterminera
----------i°)
Les conditions d'admission de service et d'avancement des indigènes
musulmans et des indigènes israélites dans les armées
de terre et de mer ;
----------2°)
Les fonctions et emplois civils auxquels les indigènes peuvent
être nommés en Algérie ;
----------3°)
Les formes dans lesquelles seront instruites ses demandes prévues
par les articles 1, 2 et 3 du présent sénatus-consulte.
|