|  
        ----------Si l'on 
          admet que le statut d'un pays français groupant des éléments 
          divers dont le degré de maturité politique est différent 
          ne peut être définitif, mais progressif, il faut convenir 
          que le nouveau statut dont vient d'être dotée l'Algérie 
          marque une étape décisive dans l'histoire de la communauté 
          de ce pays.----------Construction 
          originale, faite de vieux moellons résultant de l'expérience 
          acquise depuis plus d'un siècle et d'un liant jeune, reflet de 
          l'évolution des hommes et des choses de ce pays, l'organisation 
          nouvellement établie n'est que le produit des institutions plus 
          ou moins lointaines qui, depuis 1830, régirent l'Algérie, 
          adapté aux conditions créées en Afrique du Nord 
          par le génie civilisateur de la France
 1830-1834 LE RÉGIME PUREMENT MILITAIRE----------C'est 
          en pleine crise intérieure (Charles X était renversé 
          trois semaines après la prise d'Alger) et sous il méfiant 
          de l'Angleterre que s'effectuèrent les premières occupations 
          sur le territoire africain. Cette situation, compliquée par l'opposition 
          du Parlement dont la méconnaissance du nouveau pays était 
          complète (i)
 
          
            | (1) Il suffit de rappeler la phrase souvent citée 
                d'un homme politique de l'époque : " L'Algérie 
                est un rocher sans ressources " ; " on n'y trouve que 
                de l'air, encore y est-il mauvais " et les arguments des 
                adversaires de la conquête qui se firent un devoir de signaler 
                les dangers "horribles qu'allaient courir nos troupes en 
                traversant les déserts séparant Sidi-Ferruch d'Alger. 
                "----------Il est évident qu'en 
                présence d'une telle ignorance, toutes les opinions pouvaient 
                se donner libre cours. Les partisans voyaient des oasis verdoyantes, 
                des plaines d'une richesse inouïe, des villes prospères. 
                Témoin ce Jean CZYNSKY, prêchant la colonisation 
                de l'Algérie à l'aide du système de Fourrier, 
                suivant les " principes d'association et d'attraction " 
                qui dira un peu plus tard avec un lyrisme que son maître 
                n'aurait pas désavoué : " . Les chameaux, lés 
                zèbres et vingt autres espèces d'animaux utiles, 
                dispersés au milieu des déserts, faciles à 
                apprivoiser, n'attendent que la direction de l'homme pour l'aider 
                dans ses travaux. On y trouve mille variétés d'oiseaux, 
                depuis le plus petit moineau qu'on pourrait prendre pour un papillon 
                jusqu'à l'autruche que les naturalistes nomment un chameau 
                emplumé ".
 ----------" Dans les régions 
                du Maghreb, dans les environs d'Alger, on a trouvé le sel, 
                le fer, le plomb, on a trouvé même, chose longtemps 
                contestée, on a trouvé des diamants... "
 ----------" Quand un Européen 
                se repose sous un olivier en Afrique et trouve à ses pieds 
                un diamant, Dieu semble lui dire : " Chassez de ce pays les 
                panthères, les vautours, les boas, établissez-vous 
                à leur place et régnez-y pour le bien de la France 
                et pour le bien du monde entier " - (CZYNSKY, Colonisation 
                d'Alger, ,d'après la Théorie de Charles Fourrier, 
                p. 10 et 11).
 |   et les idées sur l'abandon des conquêtes 
          d'Afrique bien arrêtées, ainsi que par les exigences des 
          opérations militaires, explique facilement que le Gouvernement 
          se soit abstenu de prendre immédiatement des mesures définitives. 
          C'est ainsi que le Commandant en chef de l'Armée d'Afrique, puis 
          le Commandant du Corps d'occupation qui le remplaça en 1832, 
          centralisèrent tous les pouvoirs. Le régime adopté 
          pendant cette période, où successivement : Alger, Oran, 
          Bône, Arzew, Mostaganem et Bougie furent occupés, a été 
          strictement militaire et l'essai de séparation des administrations 
          civiles et militaires, tenté en 1831, aboutit rapidement à 
          un échec. Dans les villes, il était relativement aisé 
          de dégager des méthodes convenables qui, fonction sans 
          doute dès fluctuations politiques de la Métropole, tinrent 
          cependant compte des intérêts des différents groupes 
          ethniques représentés, dès l'origine, auprès 
          des autorités compétentes, dans les Conseils et dans les 
          Assemblées.----------Dans 
          les campagnes, où la pacification fut plus lente, les moyens 
          de communication longtemps rares et précaires, mais où 
          courageusement quelques colons commençaient à s'installer, 
          la tâche desPouvoirs publics était 
          plus délicate. On abandonna d'abord l'administration des Arabes 
          à l'Agha Mahieddine, puis successivement au Colonel Marey-Monge, 
          au Capitaine Pélissier et au Commandant Daumas, choix heureux, 
          car chacun d'eux réussit pleinement dans cette mission.
 ----------Cependant, 
          la dispersion des territoires occupés, les réticences 
          du Gouvernement sur ses intentions définitives (alors que la 
          politique pratiquée reste fermement celle de la conservation), 
          le manque de directives sur la politique générale à 
          observer vis-à-vis des populations musulmanes, qui se considéraient 
          comme indépendantes, amenèrent rapidement une confusion 
          et un désordre dont Européens et autochtones furent unanimes 
          à reconnaître les inconvénients.
 La création, par le général Avizard, d'un " 
          Bureau Arabe " qui eut pour premier chef Lamoricière, marqua 
          toutefois, dès 1832, l'intention de donner à l'autorité 
          française les moyens d'information indispensables à l'élaboration 
          d'une politique indigène.
 ----------La 
          situation resta cependant si précaire que le Gouvernement décida, 
          en septembre 1833, d'envoyer deux Commissions en Afrique aux fins d'enquête.
 ----------Ayant 
          donné un avis favorable à la conservation des possessions 
          africaines, ces commissions insistèrent sur la nécessité 
          de substituer à l'occupation strictement militaire une organisation 
          adaptée aux exigences locales et séparant l'administration 
          civile de l'administration militaire.
 ----------Le 
          Gouvernement, alors sûr de l'appui de la majorité de la 
          Chambre (1) qui commençait à se rendre compte de l'ampleur 
          des travaux entrepris en Algérie (2) et ne craignant plus les 
          protestations des puissances étrangères mises devant un 
          état de fait depuis quatre ans, prit une position ferme en déclarant, 
          par l'ordonnance du 22 juillet 1834, la nouvelle conquête terre 
          française. Cette ordonnance, qui réglait l'organisation 
          des " Possessions françaises dans le Nord de l'Afrique ", 
          faisait implicitement entrer dans la nationalité française 
          les indigènes de ce pays.
 
           
            | (1) " Eh quoi ! Messieurs, demanda Lamartine, 
                les nations n'ont-elles donc qu'une balance de chiffres à 
                établir ? et serions-nous descendus à ce degré 
                de matérialisme social que l'arithmétique dût 
                s'asseoir seule dans les conseils de la Chambre et du Gouvernement 
                et peser seule les résolutions de ce noble pays ? Si l'or 
                a son poids, la politique, l'honneur national, la protection désintéressée 
                du faible, l'humanité n'ont-ils pas le leur ? " Et 
                le poète orateur terminait : " La pensée de 
                l'abandon d'Alger resterait éternellement comme un remords 
                sur la date de cette année, sur la Chambre et sur le Gouvernement 
                qui l'auraient consenti. "(Archives parlementaires, t. 89, Députés, 29 avril 
                1834).
 (2) Monsieur de la Rochefoucauld signala à la Chambre la 
                situation fausse dans laquelle la plaçait le Gouvernement- 
                :` " Quel est donc, demanda-t-il, le rôle qu'on fait 
                jouer aux membres de ces commissions ainsi qu'aux membres de cette 
                Chambre qui délibèrent toLt naïvement sur la 
                conservation du pays alors que le Gouvernement y ordonne des travaux 
                de longue durée en même temps que tous les agents 
                du ministère en Alger, les généraux qui y 
                commandent et les, princes eux-mêmes y fondent des établissements 
                pour l'avenir ". (Archives parlementaires, t. 89, Députés, 
                29 avril 1834).
 |  1834-1840 " LES POSSESSIONS FRANÇAISES 
          DANS LE NORD DE L'AFRIQUE "
 ----------Que 
          sont, en 1834, ces possessions françaises dans le Nord de l'Afrique 
          ? Une série d'îlots occupés par les troupes françaises 
          au milieu d'un immense pays où la France n'exerce en réalité 
          aucuneautorité effective.
 ----------De 
          ce fait, l'organisation du pays, réglementée par une série 
          de textes dont le principal est l'ordonnance du 22 juillet 1834, gardera, 
          malgré l'aspect civil de l'autorité supérieure, 
          le caractère militaire qu'on avait prétendu lui enlever.
 ----------Le 
          commandement et la haute administration étaient exercés 
          par un "Gouverneur Général" dépendant 
          du Ministère de la Guerre et aidé dans sa tâche 
          par un Intendant civil, un Commandant de la Marine, un Procureur général 
          et un Directeur des Finances placés à la tête des 
          différents services. Ainsi apparaît, dès 1834, le 
          Gouverneur Général, rouage fondamental de l'organisation 
          algérienne qui se maintiendra, sauf une courte interruption (1858-1860), 
          jusqu'à nos jours avec des attributions dont les
 variations ne feront que suivre les fluctuations de la politique des 
          différents gouvernements métropolitains.
 ----------Cependant, 
          le Ministre de la Guerre dont dépendait directement à 
          cette époque le Gouverneur Général, imposa la nomination 
          d'un général, Drouet d'Erlon (pratique qui se maintiendra 
          jusqu'à la fin du Second Empire), Cette combinaison, qui présentait 
          l'avantage de la centralisation entre les mains du Gouverneur du pouvoir 
          civil et du pouvoir militaire, rendait inutile la création d'un 
          commandement (les troupes prévu par l'ordonnance du 22 juillet. 
          Le Gouverneur Général était ainsi investi de pouvoirs 
          étendus, il disposait de la force armée, dirigeait les 
          opérations militaires, négociait avec les tribus et les 
          chefs des États limitrophes, légiférait par voie 
          d'arrêtés. De 1834 à 1839, un gros travail législatif 
          manifestant le désir d'organiser l'administration du territoire 
          fut effectué.
 ----------L'ordonnance 
          du 10 août 1834 organisait la justice en maintenant les tribunaux 
          indigènes dont les juges étaient nommés par le 
          roi et en créant pour les Européens des tribunaux sur 
          le modèle français.
 ----------Une 
          série d'arrêtés réglementa l'administration 
          provinciale et municipale placées, ainsi que les Travaux publics 
          et les Services de la Colonisation, sous la direction de l'Intendant 
          civil.
 ----------Des 
          ordonnances statuèrent sur le régime douanier, l'organisation 
          de l'instruction publique et des Finances.
 ----------Pendant 
          toute cette période, où un travail intense d'organisation 
          fut indiscutablement fourni, règne,, comme on pouvait s'y attendre, 
          une large confusion. Les Gouverneurs Généraux, voulant 
          affirmer leur autorité aussi bien dans le domaine civil (l'ordonnance 
          du 31 octobre 1838 enleva à l'Intendant civil le droit (le correspondance 
          directe et le réduisit au rôle de directeur de L'Intérieur) 
          que dans le domaine militaire, usent largement du droit de légiférer 
          qui leur avait été octroyé et essaient de se dégager 
          du contrôle effectif du Ministre de la Guerre.
 ----------Intérieurement, 
          la politique d'occupation restreinte et d'entente avec Abd-El-Kader 
          (1834-1837 à 1839) subit des fluctuations incessantes et cède 
          parfois le pas à une série de conquêtes et d'extensions 
          imposées par un souci de protection des positions acquises. Époque 
          troublée, mais laborieuse, dont la fin marquera le ralliement 
          définitif du Parlement à la cause du maintien de la France 
          en Afrique du Nord (1) et qui verra l'extension progressive des territoires 
          occupés jusqu'à la formation d'un ensemble dont la dénomination 
          d'" Algérie ", officiellement adoptée en 1839, 
          affirme l'individualité.
 
           
            | (1) On pourrait, critérium 
                sûr en matière de débats parlementaires, mesurer 
                l'accroissement du parti algérien à la diminution 
                des débats dans le courant de 1838. Fort peu d'orateurs 
                prennent la parole au sujet des questions algériennes. 
                Le budget de 1839 est adopté sans discussion. A la Chambre 
                des Députés les crédits suplémentaires 
                pour la même durée recueillent 209 voix sur 303, 
                à la Chambre des Pairs 103 sur 111. Et le 5 janvier 1839 
                était adopté à la Chambre des Députés 
                le texte suivant d'adresse au Roi : " Nous nous applaudissons 
                avec votre Majesté de l'état satisfaisant de nos 
                possessions d'Afrique. Nous avons la ferme confiance que cette 
                situation s'améliorera de jour en jour grâce à 
                la discipline, de l'Armée, à la régularité 
                de l'administration et à l'action bienfaisante d'une religion 
                éclairée ". |  
 1840-1844
 LE RETOUR AU RÉGIME 
          MILITAIRE
 ----------Cependant, 
          les négociations avec Abd-El-Kader ne donnant que de piètres 
          résultats, l'occupation étendue du territoire fut décidée 
          et Bugeaud nommé Gouverneur Général. L'impulsion 
          définitive qu'il donna à la conquête, la pacification 
          et la mise en valeur du pays en firent assez rapidement une figure qui 
          restera des plus marquantes dans l'histoire de l'Algérie. Sous 
          son influence, le Gouvernement Général prend essentiellement 
          un caractère militaire. Une véritable armature, destinés 
          à consolider la machine administrative mise sur pied (le 1834 
          à j839, est forgée, dont la pièce maîtresse 
          est l'arrêté ministériel du 1°' février 
          1844 organisant le service des "Bureaux Arabes"-.
 
 ----------Le 
          Service des Bureaux Arabes (2 : Voir 
          Document Algérien no 10 de la série : Politique : Les 
          Bureaux Arabes ; paru le 10 novembre 1947)
 ----------Ce 
          service comprenait un bureau central appelé " Bureau 
          Politique ", à Alger ; trois directions provinciales 
          près les Généraux commandant chacune des divisions 
          d'occupation, des Bureaux de 1èet de 2è classe près 
          les Généraux commandant les subdivisions et les officiers 
          supérieurs commandant les circonscriptions dénommées 
          cercles ; des bureaux d'annexe dans les cercles trop étendus 
          et des postes dont les chefs étaient chargés de missions 
          spéciales ou temporaires.
 1852-1870 L'ALGÉRIE SOUS LE SECOND 
          EMPIRE----------L'histoire 
          des institutions algériennes sous le Second Empire est la relation 
          d'un conflit aigu entre l'élément civil et l'autorité 
          militaire dont les phases principales et les péripéties 
          ont été souvent retracées : mesures prises par 
          l'Empire autoritaire ; affaire Doineau, en 1856; suppression du Gouvernement 
          Général en 1856 et création du Ministère 
          de l'Algérie et des colonies qui vivra jusqu'en 1860 ; voyage 
          de Napoléon au cours des années 186o et 1863 et politique 
          du Royaume Arabe; grandes enquêtes de 1868 et 1869, la première 
          dirigée par le Comte Le Hon, la deuxième présidée 
          par le Maréchal Randon, et dont les conclusions sont consignées 
          dans le rapport d'Armand Behic.
 
 Centralisme napoléonien (1852-1858).
 ----------La 
          Constitution du 14 janvier 1852 supprima les libertés accordées 
          en 1848. Les Français d'Algérie n'eurent plus de représentants 
          au corps législatif. L'autorité militaire s'exerça 
          de nouveau sans contrôle. Cette période marque la fin de 
          la conquête avec la réduction de la Kabylie du Nord (1857) 
          et l'occupation successive des oasis du Sud, Laghouat (1852), Ouargla, 
          Touggourt et les oasis de l'Oued Rir (1854), ainsi qu'un essor nouveau 
          du peuplement européen (200.000 en 1860). Ce régime, imposé, 
          semble-t-il, par les nécessités militaires, n'impliquait 
          pas cependant l'abandon de tout projet d'organisation civile. L'Empereur 
          lui-même, dont il est si difficile de suivre la politique hésitante, 
          y paraissait favorable. Par décret du 8 août 1854, l'administration 
          de la population musulmane non comprise dans les périmètres 
          communaux fut confiée à des Bureaux Arabes départementaux 
          civils qui avaient les mêmes attributions que les Bureaux Arabes 
          du Territoire militaire. (Ces Bureaux civils furent supprimés 
          en 1868). L'organisation 
          municipale s'acheminait ainsi vers son unification. La conquête 
          terminée, l'Empereur décida de réorganiser, en 
          la centralisant à Paris, l'administration de l'Algérie.
 
 Le Ministère de l'Algérie (1858-186o).
 ----------Le 
          régime militaire étant de plus en plus attaqué 
          (i), Napoléon III parut donner satisfaction à l'opinion 
          en instituant, par le décret du 24 juin 1858, un Ministère 
          de l'Algérie et des colonies. Le Gouvernement Général 
          fut supprimé, le commandement des troupes confié à 
          un " Commandant supérieur" résidant à 
          Alger et ne possédant aucune attribution civile. Les Services 
          ayant encore leur siège à Alger étaient transférés 
          à Paris. Ceux qui l'avaient déjà été 
          en 1848 furent rattachés avec eux au nouveau ministère.
 ----------En 
          contrepartie, les attributions des préfets étaient étendues 
          et les Conseils généraux rétablis. Le principe 
          était de gouverner du centre et d'administrer sur place.
 ----------Mais 
          le régime ainsi instauré ne répondit pas aux espérances 
          qu'on avait mises en lui. Les réformes entreprises, tout en traduisant 
          les intentions les plus libérales, témoignent d'une connaissance 
          insuffisantes de l'Algérie où le Prince Jérôme, 
          cousin de l'Empereur et Ministre de l'Algérie, ne vint même 
          pas. Les causes profondes du malaise étaient de deux sortes : 
          l'extension de la colonisation ne pouvait se faire qu'aux dépens 
          des indigènes, l'extension des pouvoirs civils qu'aux dépens 
          des autorités militaires. De là, l'inquiétude des 
          milieux musulmans devant la formidable immigration qui les menaçait 
          dans leur possession du sol, et les violents conflits entre officiers 
          et fonctionnaires civils. Brusquement, après son premier voyage 
          en Algérie, en septembre 186o, Napoléon III change de 
          méthode et se rallie à la politique du " royaume 
          arabe ", le principe des nationalités appliqué à 
          l'Algérie (2).
 |  |  
        
           
            | ----------(1) 
                En 1856, devant la Cour d'Assises d'Oran comparut le capitaine 
                Doineau, chef du Bureau arabe de Tlemcen, inculpé d'attaque 
                contre une diligence et d'assassinat commis sur la personne de 
                l'agha Ben Abdallah dont il aurait eu à craindre les révélations. 
                Jules Favre, défenseur d'un des accusés, fit par-dessus 
                sa tête le procès de cette administration, sous laquelle 
                faisait défaut, disait-il, les garanties indispensables 
                de liberté et de justice. ----------Ces 
                arguments de plaidoirie qui eurent à l'époque un 
                grand retentissement ne suffisent pas -à expliquer devant 
                l'histoire que les bureaux arabes aient perdu sous l'Empire la 
                faveur de l'opinion publique et que le discrédit dans lequel 
                ils allaient tomber ait rejailli sur le régime.----------(2) 
                Il formula ses idées dans sa fameuse lettre a Pélissier 
                publiée en 1&63: " L'Algérie n'est pas 
                une colonie proprement dite mais,.. un royaume arabe.; Les Indigènes 
                ont, comme les colons, un droit égal à ma protection... 
                Je suis aussi -bien l'Empereur des Arabes que l'Empereur des Français 
                ; j'aime mieux utiliser la bravoure des Arabes que pressurer leur 
                pauvreté... Ce qui importe ce n'est pas de peupler l'Algérie 
                d'individus misérables et avides, mais de favoriser les 
                grandes associations de capitaux européens en vue de vastes 
                entreprises assainissement, d'irrigation, d'exploitation scientifique... 
                "
 |  La politique du Royaume Arabe.----------Le 
          24 novembre 186o, un décret supprima le Ministère de l'Algérie 
          et rétablit le Gouvernement Général que le Maréchal 
          Pélissier fut appelé à occuper. Tous les services 
          furent transférés de Paris à Alger. Le changement 
          était à la vérité plus apparent que réel. 
          Ne relevant plus du Ministre de la Guerre, mais de l'Empereur avec lequel 
          il correspondait directement, le Gouverneur Général d'alors 
          ressemblait fort à un Ministre de l'Algérie résidant 
          à Alger. Assisté d'un Conseil consultatif et d'un Conseil 
          supérieur, il exerçait son autorité sur les territoires 
          militaires par l'intermédiaire d'un sous-gouverneur chef d'état-major 
          (le l'Armée, sur les territoires civils par celui d'un Directeur 
          des Affaires civiles. L'équilibre fut ainsi maintenu entre l'autorité 
          militaire et l'autorité civile, grâce à l'influence 
          personnelle (le Pélissier qui, malgré son titre de maréchal, 
          s'employa à remplir d'abord sa mission civile.
 ----------La 
          population musulmane reçut les apaisements indispensables par 
          les sénatus-consultes du 22 avril 3863 sur la propriété 
          foncière et du 11 juillet 1865 sur le statut des indigènes.
 
 Les deux Sénatus-consultes.
 ----------Le 
          premier était dicté par une pensée d'équité 
          et (le prudence. " Comment, déclarait 
          l'Empereur, compter sur la pacification d'un pays lorsque la presque 
          totalité de la population est sans cesse inquiète sur 
          ce qu'elle possède ? "
 ----------Il 
          reconnaissait aux tribus la propriété des terres dont 
          elles avaient la jouissance à un titre quelconque et paraissait 
          inspiré par le désir d'arrêter les progrès 
          de la colonisation sur laquelle la lettre de Mac-Mahon du 20 juin 1865 
          porte un jugement sévère. En fait, il prévoyait 
          la propriété individuelle partout où cela serait 
          possible, les colons ayant possibilité de se procurer, par achat 
          aux indigènes, les terres dont ils avaient besoin. La délimitation 
          (les territoires des tribus, des douars et fractions (le douars, effectuée 
          en application de ce texte, (le 1863 à 1870, a porté sur 
          7 millions d'hectares reconnus et classés dans les quatre catégories 
          : " melk " ou propriété privative : " arch 
          " ou propriété collective ; communaux de douars et 
          domaniaux ; oeuvre préparatoire immense qui a permis l'essor 
          de la colonisation officielle après 1870.
 ----------Un 
          autre aspect (le ce texte révèle l'intention réelle 
          d'instaurer dans le bled l'organisme municipal sous forme (le douars 
          communaux créés par la dissociation de tribus en pays 
          arabe ou par la réunion de villages en pays berbère. Étrange 
          fantaisie où se marqua une fois de plus l'irréalisme utopique 
          (le l'époque, le sénatus-consulte de 1863 traitait à 
          l'arabe le pays kabyle et accommodait en somme à la berbère 
          le pays arabe !
 ----------En 
          fait, on arriva à cette situation paradoxale que le douar-commune, 
          au lieu d'être composé par des groupes (le même origine, 
          assembla souvent des populations différentes ; qu'une même 
          fraction homogène se trouva répartie entre plusieurs douars-communes 
          ; qu'un puzzle capricieux découpa et rassembla les circonscriptions 
          et qu'on vit même une tribu purement et simplement annexée 
          à un douar limitrophe. Toutefois, quelque objection rétrospective 
          qui puisse être élevée, il n'en reste pas moins 
          qu'on avait aménagé dans le bled les futures bases de 
          la vie municipale. L'instruction du général MacMahon en 
          date du 1er mars 1865, précisa d'ailleurs que le douar-commune 
          n'était autre chose que le " germe 
          de la commune arabe ".
 ----------Telle 
          fut la préfiguration lointaine et elliptique de notre actuelle 
          cité rurale.
 ----------Une 
          seconde innovation de ce sénatus-consulte, ce fut, en pays arabe, 
          l'institution (le la Djemâa (Voir Documents Algériens 
          (Série Politique) n" 2, " Historique et Réformes 
          des Djemaâs) désignée par l'autorité 
          administrative. On n'eut rien à créer à cet égard 
          dans les secteurs berbères où fonctionnaient, de temps 
          immémorial, des assemblées locales.
 ----------Le 
          deuxième sénatus-consulte reconnaissait aux indigènes 
          la qualité de Français, les admettant à servir 
          dans les armées de terre et de mer ou à remplir certains 
          emplois civils sans qu'ils eussent à renoncer à leur statut. 
          L'accès à la citoyenneté leur était ouvert 
          par voie de naturalisation, mais cette mesure s'avéra inefficace 
          par suite de l'abandon dans ce cas du statut personnel (2Voir 
          Annexe. Texte du Sénatus Consulte du 13 juillet 1865 sur l'état 
          des personnes et les naturalisations en Algérie).
 
 Retour au régime militaire (1864-1868).
 ----------Deux 
          mois après la mort de Pélissier, le décret du 7 
          juillet 1864 militarisa en quelque sorte l'administration 
          algérienne. La direction (le l'administration civile disparut, 
          les préfets furent subordonnés aux généraux 
          de division, les territoires civils réduits. Le Maréchal 
          de Mac-Mahon, successeur de Pélissier, ne réussit pas 
          à surmonter les difficultés de toutes sortes (insurrection, 
          famine, épidémies) que traversa l'Algérie au cours 
          (les années suivantes. Le " régime du sabre " 
          fut rendu responsable des maux dont souffrait le pays et l'autorité 
          militaire fut plus violemment attaquée que jamais. Le passage 
          en France (le l'Empire libéral à l'Empire parlementaire 
          (1868) amena en Algérie la refonte de l'organisation municipale 
          ainsi que la désignation d'une commission d'enquête chargée 
          de reprendre entièrement les principes directeurs de l'administration 
          (le l'Algérie.
 
 Refonte de l'organisation municipale
 ----------Les 
          bureaux arabes départementaux civils, créés par 
          décret du 8 Août 1854, furent supprimés en 1868 
          et le territoire tout entier se trouva réparti à partir, 
          du s janvier 1869, entre les communes de plein exercice. En même 
          temps, l'organisation municipale pénétra dans le territoire 
          militaire. La distribution (les subdivisions, cercles, annexes et postes 
          se superpose et se juxtapose dorénavant à une division 
          en communes mixtes et en communes subdivisionnaires, les premières 
          comprenant les centres de populations habités à la fois 
          par des indigènes et des Européens et qui, possédant 
          des ressources propres, ne renferment pas encore une population suffisante 
          pour être érigés en communes de plein exercice ; 
          les secondes, comprenant d'autre part les douars constitués en 
          exécution du sénatus-consulte du 22 avril 1863 et les 
          tribus qui seront successivement soumises à son application. 
          En somme, dans ce domaine, le régime militaire avait aménagé 
          le cadre complet d'un régime civil dont les organes fonctionnaient 
          ou étaient amenés à pied uvre.
 
 Les Commissions de 1868 et 1869.
 ----------L'enquête 
          agricole de 1868, qui se transforma par la force même des choses 
          en une enquête sur la situation générale de l'Algérie, 
          mit en pleine lumière les sentiments des Européens. L'immense 
          majorité de ceux qui déposèrent devant les commissaires 
          se prononça pour l'assimilation complète (le l'Algérie 
          à la France. Ils réclamaient l'application des lois françaises 
          à tous les habitants, indigènes aussi bien qu'Européens, 
          demandaient des représentants élus au Corps législatif 
          et dans les conseils généraux, enfin la restitution à 
          l'autorité civile de toutes les affaires administratives et judiciaires. 
          Le comte Lehon, qui avait dirigé l'enquête, appuyait ces 
          réclamations Une commission fut nommée pour étudier 
          une refonte complète de l'organisation algérienne. Le 
          rapporteur, Armand Behic élabora un projet de constitution, dotant 
          l'Algérie d'un ministère à Alger, d'institutions 
          libérales et (le l'autonomie financière. Ses propositions 
          différaient de façon assez notable des desiderata, formulés 
          à la même époque par les rédacteurs des " 
          Cahiers algériens ", partisans de la centralisation et (le 
          l'assimilation intégrale ; elles concordaient cependant sur un 
          point capital : l'abolition du régime militaire. Le corps législatif, 
          de son côté adoptait, le 29 Mars 1870, un ordre du jour 
          spécifiant que, " dans l'état de chose actuel, le 
          régime civil paraissait de nature à concilier les intérêts 
          des. Européens et des indigènes ". Se conformant 
          à ces indications, le Gouvernement Impérial rendit aux 
          préfets leurs indépendance vis-à-vis des généraux 
          et prescrivit la reconstitution des conseils généraux 
          désormais élus. La guerre franco-prussienne et la chute 
          de l'Empire survinrent avant que la réforme ainsi amorcée 
          eût pu être menée à terme. Le régime 
          militaire n'en était pas moins irrémédiablement 
          condamné.
 ANNEXE SENATUS CONSULTE DU 
          14 JUILLET 1865  Etat des personnes 
          et naturalisation en Algérie Article premier. - L'indigène musulman 
          est Français : néanmoins, il continuera d'être régi 
          par la loi musulmane. Il peut être admis à servir dans 
          les armées de terre et de mer. Il peut être appelé 
          à des fonctions et emplois civils en Algérie. Il peut, 
          sur sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen 
          français ; dans ce cas, il est régi par les lois civiles 
          et politiques de la France.
 Article 2. - L'indigène israélite est Français 
          ; néanmoins, il continue à être régi par 
          son statut personnel. Il peut être admis à servir dans 
          les armées de terre et de mer. Il peut, sur sa demande, être 
          admis à jouir des droits de citoyen français ; clans ce 
          cas, il est régi par la loi française.
 Article 3. -- L'étranger qui justifie de trois; années 
          rie résidence en Algérie peut être admis à 
          jouir de tous les droits de citoyen français.
 
 Article 4. - La qualité de citoyen français ne 
          peut être obtenue, conformément aux articles i, 2 et 3 
          du présent sénatus-consulte, qu'à l'âge de 
          21 ans accomplis ; elle est conférée par décret 
          impérial rendu en Conseil d'État.
 
 Article 5. - Un règlement d'administration publique déterminera
 ----------i°) 
          Les conditions d'admission de service et d'avancement des indigènes 
          musulmans et des indigènes israélites dans les armées 
          de terre et de mer ;
 ----------2°) 
          Les fonctions et emplois civils auxquels les indigènes peuvent 
          être nommés en Algérie ;
 ----------3°) 
          Les formes dans lesquelles seront instruites ses demandes prévues 
          par les articles 1, 2 et 3 du présent sénatus-consulte.
 
 
 
       |