-----------Le
Souf n'est plus aujourd'hui un pays inconnu.
-----------De
plus en plus nombreux les touristes peuvent s'y rendre avec leurs voitures
personnelles, poux peu que ces voitures soient puissantes et bien conduites.
Ils ont aussi la faculté de prendre place dans les cars qui assurent
un service quotidien entre Biskra et El-Oued, malgré le mauvais
état de la piste
-----------A
une époque relativement récente, le voyage était
beaucoup plus difficile et il fallait plusieurs étapes à
chameau ou à cheval pour terminer le parcours, à partir
de Biskra ou de Touggourt.
-----------C'est
à cheval qu'en 1899 Isabelle Eberhardt parvint dans le Souf où
elle fit la connaissance du sous-officier de spahis qui plus tard l'épousa.
Au cours d'un séjour qu'elle fit â Behima, petite palmeraie
proche d'El-Oued, elle reçut d'un fanatique un coup de sabre qui
ne la blessa que légèrement. La " Bonne Nomade"
fut très vivement impressionnée par le flamboiement des
dunes et des coupoles et plusieurs pages de ses écrits sont imprégnées
de ses sensations.
-----------André
Gide, lui, vint à El-Oued à chameau et il se plaisait, lorsqu'il
y revint en avril 1942.. cette fois en automobile, à évoquer
devant nous ses méharées de l'époque héroïque.
-----------Outre
la très remarquable monographie du Souf, publiée en 1947
par le commandant Cauvet, un certain nombre de descriptions ont été
faites du pays, en particulier par des officiers des Affaires Indigènes.
M. Dermenghern, bibliothécaire du Gouvernement Général,
signa dans la revue Sciences el Voyages de mars 1949 un article intitulé
" Le Souf pays étrange et magnifique ".
-----------Quand
nous aurons rappelé que les Documents Algériens ont consacré
un de leurs numéros aux " Réalisations dans l'Annexe
d'El-Oued " (série
économie n°21) nous croirons avoir suffisamment
démontré que le Souf n'est plus maintenant un pays inconnu.
-----------Au
Sud de Biskra, à l'Est de Touggourt, à l'Ouest de Nefta,
l'Annexe d'El-Oued que les Musulmans appellent le Souf, étale ses
80.000 kilomètres carrés en bordure de la frontière
tunisienne jusqu'aux environs de Ghadamès, sur plus de 500 kilomètres
de longueur.
-----------Elle
comprend dans sa partie septentrionale une zone pierreuse, couverte d'une
maigre végétation de touffes clairsemées et poussiéreuses
qui ne s'interrompt qu'aux abords des chotts désolés et
arides. dont le Melghir est le plus vaste.
-----------Commencent
alors les dunes de l'Erg Oriental, d'abord enchevêtrées,
basses, pressées les unes contre les autres, puis plus hautes,
séparées par des couloirs de plus en plus profonds et larges
au fur et à mesure qu'on s'avance vers le Sud. C'est le Sahara
classique des cartes postales, qui ne déçoit pas les touristes
: ciel bleu, soleil brûlant, chameaux dont le pas lent s'harmonise
avec le mol contour des masses de sable clair sculptées par le
vent.
-----------Les
Oasis sont représentées sur la carte, dans le tiers supérieur
du territoire de l'Annexe par des taches vertes qui marquent le tracé
du cours sous-lacent de l'Oued Souf. qui a donné son nom à
la région.
-----------C'est
un pays original.
-----------Original
par ses palmeraies qui se gardent d'exhiber leur orgueilleuse luxuriance
comme elles savent le faire dans d'autres oasis, mais qui au contraire
se cachent au fond de vastes entonnoirs creusés dans le sable jusqu'au
niveau de la nappe phréatique. Les palmiers ont ainsi leurs racines
dans l'eau, ce qui supprime l'irrigation, mais ce qui impose un travail
permanent d'entretien. Par couffins transportés à dos d'homme
ou chargés sur des ânes, les fellahs sont contraints de remonter
sans cesse du tond de leurs jardins la poudre jaune pâle que le
vent ne tarde pas à y faire redescendre. Sempiternel combat sans
issue, contre un adversaire insidieux, tenace, jamais lassé, combat
de fourmis, travail de Sisyphe.
-----------A
peu près invisibles à la surface du sol, on découvre
en les survolant en avion les quelques 400.000 palmiers cultivés
ainsi au prix d'une somme considérable d'efforts.
-----------Original
par ses habitations que, près des palmeraies, les Souafa ont construits
avec un rare sens architectural. Les matériaux existaient sur place
:
- cristaux de gypse plus ou moins pur, qu'on baptise roses de sable quand
leurs formes sont régulières et qui sont les pierres à
bâtir.
- plâtre d'excellente qualité, utilisé comme liant
et obtenu par la cuisson de blocs blanchâtres extraits de carrières
peu profondes et qu'on trouve un peu partout, le combustible, longues
racines ligneuses d'arbustes, étant amené du Sahara par
des nomades.
-----------L'absence
de bois de charpente et l'astuce des maçons ont déterminé
le typique procédé de construction des voûtes et des
coupoles. Des ficelles de la longueur du rayon des hémisphères
ou des demi-cercles et attachées à la tête de clou
qui matérialise le centre géométrique, savamment
calculé, permettent d'éviter l'emploi des coffrages utilisés
ailleurs.
-----------Et
c'est en procédant de cette façon qu'à partir des
plus anciens centres, El-Oued, Guémar, Taghzout. Z'Goum, les Souafa
ont essaimé comme abeilles au printemps et ont bâti les nouveaux
villages de Reguiba, Magrane, Ourmès, Béhima, Bayada, pour
ne citer que les plus importants. où les mosquées dominent
de leurs élégants minarets la masse compacte des maisons
aux murs aveugles.
-----------C'est
un pays pauvre.
-----------L'élevage
d'environ 10.000 chameaux, 40.000 moutons et 40.000 chèvres permet
aux nomades de subsister et même de jouir d'une relative aisance
quand les pluies tombent à des périodes favorables à
la croissance des pâturages. Leur évolution vers la sédentarisation.
phénomène social permanent s'accélère lors
des années de sécheresse.
-----------La
culture d'un excellent tabac à priser fait vivre un millier de
fellahs dans la région de Guémar. Les femmes tissent partout
des haïks et quelques artisans fabriquent des tapis. Ce qui accroît
les revenus d'un certain nombre de familles.
-----------Mais
la ressource essentielle provient de la vente des dattes. Les deglet nour
du Souf jouissent à juste titre d'une excellente réputation
et font prime sur les marchés. C'est toutefois une ressource insuffisante
pour une population qui sans cesse s'accroît. Aussi un grand nombre
d'hommes en âge de travailler (30% environ) doivent émigrer,
soit vers les mines de Tunisie, soit vers les villes du Tell, Bône
et Constantine en particulier.
-----------On
évaluait à 23.000 en 1887 le chiffre de la population. Il
dépasse 100.000 en 1950. Retrouver l'origine des Souafa n'est pas
chose aisée. Aux vieilles populations autochtones, aux chrétiens
que les Vandales ont déportés dans le Souf et dont parlent
encore les légendes, sont venus s'ajouter les Adouane, qui seraient
des Arabes, dont certains sédentaires se proclament descendants
et surtout les Troud, fraction des Beni Soleim qui seraient arrivés
au 13è siècle et dont la plupart des nomades disent qu'ils
sont leurs ancêtres.
-----------Quelle
est la part de chacun de ces éléments dans la population
actuelle ? Ne nous laissons pas arrêter par cette question qui eût
accablé des disciples de Gobineau -- ou de Hitler - et bornons-nous
à constater que le brassage a donné naissance à un
type humain assez caractérisé pour qu'on puisse aisément
le distinguer, presque aussi aisément que le type mozabite, un
type très peu marqué par des apports négroïdes
et qui semble plus purement arabe chez les éléments nomades.
Ceux-ci représentent maintenant approximativement le tiers de la
population.
-----------Les
derniers venus sont les Chaamba, rattachés à la tribu des
Messaba, les Rebaia, et les Guettatia dépendant du caïd des
Achèche.
-----------Les
Chaamba d'El-Oued, qui parcourent la zone Sud-Ouest de l'Annexe se répartissent
en
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Ouled-Guédir, descendants d'un certain nombre d'Ouled Fredj d'El-Goléa
venus au 17è siècle chercher dans l'Erg Oriental des pâturages,
plusieurs années consécutives de sécheresse ayant
fait disparaître à cette époque ceux de l'Erg Occidental.
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Ouled Amrane, qui vinrent se réfugier dans le Sud au 19è
siècle, à la suite d'un combat au cours duquel leur ancêtre
Amrane aurait tué son rival El-Mir, les deux adversaires appartenant
à la fraction des Ouled Bou Saïd d'Ouargla.
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-----------Ils
possèdent des palmiers dans la région d'Amiche et d'Oued
el Allenda. Ils ne résident guère dans leurs maisons qu'au
moment de la récolte des dattes et demeurent des éleveurs
de chameaux pour qui le Sahara conserve son attrait.
-----------C'est
parmi eux que se recrutent les meilleurs et les plus nombreux des Méharistes
de la Compagnie de l'Erg Oriental basée à El-Oued.
-----------Le
noyau central des Rebaia est originaire du Sud tunisien, d'une région
proche de la frontière tripolitaine. Ils ont encore des parents
dans la région de Nalout. Arrivés d'abord à Témacine
près de Touggourt, ils en furent chassés par les Tidjania
qui ieur imposèrent ensuite de quitter Taïbet el Gueblia où
ils venaient d'étendre leur influence.
-----------La
plus grande partie d'entre eux aurait pris la direction de Laghouat en
remontant le lit de l'Oued Djedi. Ce sont les Larbaa. Les autres seraient
venus dans le Souf au 19è siècle. A leur petit groupe se
seraient agglomérés des éléments d'origines
diverses, mais en provenance de l'Est pour la plupart.
-----------Actuellement,
la fraction des Rébaïa représente environ 14.000 individus.
Ils possèdent des palmiers et ont tendance à se sédentariser
à la lisière de 1a zone occupée par les sédentaires.
On en trouve à Reguiba, Hassi Khalifa, Magrane. mais surtout à
Amiche et Bayada. Leurs terrains de parcours sont vastes. Ils se déplacent
dans toute la partie orientale de l'Annexe et campent fréquemment
en territoire tunisien.
-----------Les
Guettatia venus récemment de Libye partagent les terrains de parcours
des Rebaïa dans la région Sud-Est de l'Erg Oriental. Ils tiennent
à conserver leur indépendance.
-----------Ces
trois fractions Chaamba, Rebaïa et Guettatia, les dernières
venues dans le Souf, sont aussi les plus irréductiblement attachées
à leurs traditions de nomades. Elles ont amené dans le pays,
parmi d'autres coutumes marquées d'influences orientales, la danse
des chevaux qui surprend en milieux islamique. Lors de certaines fêtes,
les jeunes filles ou les jeunes veuves, dévoilées, font
voltiger leurs cheveux dénoués en imprimant à leur
buste un balancement rythmé, devant l'assemblée des hommes,
tandis que des poètes chanteurs exaltent les charmes de leur bien-aimée
ou les souffrances de leur amour ( Commandant
Ferry. La danse des cheveux (Travaux de l'Institut de recherches sahariennes
- Tome VI. 1950.:).
-----------Les
Troud sont les plus anciens nomades de l'Annexe d'El-Oued. Ils représentent
l'essentiel de la population des deux grandes tribus administratives,
Achèche et Messaaba. Ils descendraient d'une fraction des Beni
Soleim arrivés en Algérie au IIè siècle. C'est
du moins ce qu'ils prétendent, mais il semble bien que leur race
n'est pas pure. Les habitants du pays au moment de l'invasion hilalienne
n'ont vraisemblablement pas complètement disparu et ils ont dû,
convertis à l'Islam, être peu à peu assimilés
par leurs vainqueurs.
-----------Les
Troud comprennent :
------------Les
Ouled Djamaa
------------
Les Ouled Ahmed et les Ferdjane dépendant du Caïdat des Achèche
------------
Les Chebabta Les Azezla dépendant du Caidat
des Messaaba.
-----------Quand
les Français arrivèrent dans le Souf, un grand nombre de
ces nomades avaient déjà abandonné leur vie sous
la tente et dans la petite ville d'El-Oued existaient, à côté
du quartier des Azezla, celui des Ouled Ahmed et celui des Ouled Djamaa.
Le mouvement de sédentarisation s'est accentué, mais dans
. chacune des cinq fractions subsistent des familles farouchement attachées
à leur existence au Sahara. Leur zone de parcours dans l'Erg s'est
peu à peu restreinte et ils ont pris l'habitude d'installer leurs
campements près des villages pendant une bonne partie de l'année.
Ils restent en relations avec leurs frères sédentarisés
qui exercent sur eux une grande influence.
-----------A
l'exception des groupes Chaamba et Gettatia, restés à peu
près intacts, des Rébaia qui résistent, mais qui
sont entraînés par la loi d'évolution sociale inexorable,
le bloc nomade des Messaaba et des Achèche s'effrite de jour en
jour. On peut évaluer ce " dernier carré " à
30.000 âmes. Il grossit de ses dissidents la masse des sédentaires
fixés dans la zone des palmeraies.
-----------Cette
masse comprend. outre les Achèches et Messaaba sédentarisés,
les Ouled-Saoud et les ressortissants de la tribu de Guémar qui
seraient d'une manière plus nette les descendants des anciennes
populations sédentaires du Souf. Au total. 60 à 70.000 individus
dont la principale ressource provient de la récolte des dattes.
-----------La
plupart des Souafa sont de rudes travailleurs. De l'aube à la nuit
occupés à remonter le sable envahissant les palmeraies,
à tirer l'eau des puits pour irriguer les minuscules carrés
où ils cultivent des légumes et dont il faut tous les ans
changer le sol sur une profondeur de vingt centimètres, ils mènent
une vie sévère. Ils se nourrissent essentiellement .d e
dattes et de galettes de blé ou d'orge, se vêtent l'été
d'une chemise de coton serrée par une ceinture et l'hiver d'une
gandoura de laine tissée par leur femme.
-----------On
ne peut qu'éprouver pour eux une profonde sympathie lorsqu'on visite
leurs jardins entretenus avec tant de peine et tant de soins et qu'on
remarque, comme n'eut pas manqué de le souligner mon brave instituteur,
au cours d'une leçon de morale, combien leur vie laborieuse développe
leurs qualités morales. Dans le petit village d'Ourmès,
en particulier, on est frappé par l'aménité des gens
et la douceur de leurs moeurs paisibles qui auraient enthousiasmé
J.-J. Rousseau. Honnêtes, ouverts, hospitaliers, ces cultivateurs
pauvres savent pratiquer la charité. On le vit bien, lorsqu'en
1946, vingt mille Nementcha, chassés de la région de Tebessa
par la misère vinrent chercher refuge dans le Souf.
-----------Moins
sympathiques peut-être, les habitants des centres les plus importants
que par opposition et non sans emphase nous appellerons les bourgeois.
ont une existence moins difficile.
-----------Parfois
propriétaires de jardins qu'ils font entretenir par des Khamès
ils tirent surtout leurs revenus du commerce. Ils s'y montrent habiles
et astucieux.
-----------Près
de leurs boutiques dont l'aspect minable ne correspond pas a leur relative
opulence, une faune de commissionnaires, de débardeurs, de travailleurs
intermittents souhaite que la chance lui procure la pitance journalière.
-----------Tout
un monde aux ressources mal définies, ceux qu'on appelle les chemassa
" parce qu'on les voit ta plupart du temps se prélasser au
soleil, attendent l'incident ou l'altercation qui sera leur distraction
de badauds impénitents.
-----------De
nombreux enfants, turbulents comme des moineaux, évoluent entre
les groupus, écoutent se chamaillent et sont prêts à
joindre leurs cris espiègles à toute manifestation de foule.
-----------Dans
le grandiose décor des dunes de l'Erg Oriental, dans ses maisons
à coupoles, domaines des etei nelles recluses, des femmes aux vêtements
noirs, parées de bijoux d'argent. la population d'El-Oued va vers
ses destinées.
-----------Et
ceux qui ont vécu dans ce pays attachant ne peuvent sans nostalgie
évoquer le souvenir des Souafas, si travailleurs et si affables,
et celui de la ville aux mille coupoles dont le charme prenant est si
bien décrit par Isabelle, " la ville
grise perdue dans le désert gris, participant tout entière
de ses flamboiements et de ses pâleurs, comme lui et en lui, rose
et dorée aux matins enchantés, blanche et aveuglante aux
midis enflammés, pourpre et violette aux soirs irradiés...
et grise. grise comme le sable dont elle est née. sous les ciels
blafards de l'hiver "
Commandant FERRY.
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