----------Si
le rustique olivier enveloppe l'Aurès d'un prestige millénaire
et s'il contribue à recréer l'ambiance rurale romaine, il
a, par contre, ses exigences culturales. ----------L'abricotier,
lui, n'en a presque pas. Qu'il éclaire de ses petits lampions odorants
la pénombre gothique des oasis présahariennes, comme à
Rhoufi, Mchounech, Djemorah, ou qu'il voisine avec les puissants noyers,
dont,la silhouette méditerranéenne domine les jardins de
l'Aurès septentrional, partout il offre généreusement
ses savoureuses récoltes. Il est vraiment l'arbre-roi.
----------Aussi
les Chaouia font-ils une grande consommation de ses fruits, qui sont vraiment
l'un des éléments essentiels de leur alimentation.
----------Les
jours de fête, notamment pour la célébration du printemps
et à. l'occasion des pratiques rituelles qui. marquent le début
des labours, le plat régional de l'Aurès : la tachekhchoukht
parfume les logis de la senteur mêlée des abricots,
des tomates et des épices qui cuisent avec la viande sur les trois
pierres du kanoun et, au repas, toute
la famille assemblée se régale de cette piquante merga,..
que l'Aurasienne verse sur une galette très fine, coupée
en menus morceaux, enveloppée encore d'un onctueux arrosage de
beurre fondu.
----------Presque
tous les jardins ont, d'ailleurs, leurs abricotiers. Au printemps, hommes,
femmes et enfants procèdent ensemble à la cueillette. Les
fruits sont étalés, soit sous l'arbre même, sur des
nattes d'alfa ou sur des claies en feuilles de palmier, soit sur les terrasses
des maisons qui semblent, de loin, parées de tapis éclatants.
----------Malheureusement,
les fruits n'étant pas triés, ceux qui sont tachés
contaminent les autres Les Chaouia le savent bien. Mais c'est là,
pour eux, l'une de ces choses ,contre lesquelles on ne peut rien et ils
se résignent à faire la part du feu
----------Au
bout d'une huitaine de jours, les abricots sont secs. Hommes et femmes
en emplissent alors soit des paniers quelconques, soit, lorsqu'on possède
une belle récolte, de grandes amphores (azraâth).
Ces réserves sont entreposées dans la chambre à provisions
de la maison ou dans celle du grenier commun: la guelaâ.
Elles assureront le ravitaillement familial d'une récolte à
l'autre.
----------Lors
de la fête musulmane de 1'Achoura,
l'Aurasienne dépose, dans la pièce où se trouvent
toutes les provisions : couffes pleines d'abricots secs, sacs de grains,
fruits et légumes de tontes sortes, viande, beurre, miel..., sept
petits cailloux ronds ayant trempé dans de l'eau puisée
dès l'aube, ou encore de minuscules galettes, grosses comme des
pièces de 2 francs, qui augmenteront la
barâka dont ces provisions sont chargées.
----------Pour
les Chaouia qui possèdent un grand jardin et dont la récolte
est très abondante, les abricots deviennent, la part domestique
étant d'abord prélevée, une denrée d'échange.
Ils sont même, avec les olives mais celles-ci à un degré
beaucoup moindre, le seul produit du sol de l'Aurès qui fasse I'objet
d'un commerce avec l'extérieur. L'échange se fait dans le
Sud, où les Chaouia transportent leurs récoltes.
----------Les
arboriculteurs les troquent contre des céréales ou des dattes
que leur fournissent les Sahariens ; c'est là une vieille habitude,
qui fait l'affaire des uns et des autres et en raison de laquelle apparurent
plus regrettables encore, jusqu'à ces dernières années,
les défectuosités de la conservation.
-----------Aujourd'hui,
grâce à la création, par l'administration de la Commune
mixte, d'ateliers de séchage et grâce à l'emploi de
procédés modernes de désinsectisation, les cueillettes
peuvent être sauvées (Cette
si opportune création des ateliers de séchage fut l'oeuvre
de M. Bech, alors administrateur en chef de l'Aurès. L'entreprise
est aujourd'hui continuée avec une remarquable activité
par M. F abet.).
|
|
----------Dès
leur création et jusqu'en 1.945, le fonctionnement de ces ateliers
fut accompagné d'un succès d'excellent augure. Malheureusement,
à cette époque, un événement étranger
tant à l'Aurès qu'à organisme, infligea à
la réussite en marche ascendante une chute brutale.
----------La
cause de ce recul est à la fois d'ordre économique et psychologique.
----------Jusqu'en
1945, les ristournes, soit en arbres, soit en argent, attribuées
chaque année aux fellah sur les bénéfices réalisés,
les avaient convaincus des avantages de l'entreprise. Tout permettait
d'ailleurs, à ce moment, d'escompter une nouvelle progression (
Voir tableau Atelier de séchage ). Or, en 1945, ces ristournes
ne purent être réparties en raison de la baisse imprévue
subie par les pulpes d'abricots. Les Chaouia ne comprirent pas ce jeu
économique. Leur manque à gagner fut, à leurs yeux,
quelque chose comme la conséquence d'une défaillance à
un engagement tacite et le système des ristournes apparut, à
leur prudence, fort incertain. Sans pénétrer plus avant
dans l'examen des causes, ils jugèrent, dès lors, malgré
la supériorité, reconnue par eux, des ateliers de séchage,
que leurs anciens errements, plus à l'abri des influences étrangères,
valaient mieux ; ils se détournèrent du progrès et
la conséquence fut qu'en 1946 les arboriculteurs de l'Aurès
s'abstinrent d'apporter leurs récoltes aux ateliers.
----------Depuis
lors, un seul continue à fonctionner : celui d'Arris.
ANNÉE
|
ABRICOTS SECS
|
ABRICOTS FRAIS
|
MONTANT DES ACHATS FAITS
PAR L'ATELIER AUX CHAOUIA
|
MONTANT DES VENTES DE L'ATELIER
AU DEHORS
|
RÉSULTATS
|
|
kilos
|
quintaux
|
francs
|
francs
|
francs
|
1940/41
|
|
|
211.311,70
|
411.139,60
|
+ 87.170,40
|
1941/42
|
78.164
|
100,13
|
208.031,70
|
474.866
|
+ 161.560,40
|
1942/43
|
69.933
|
89,89
|
415.521,20
|
715.410
|
+ 299.888,80
|
1943/44
|
86.432
|
113
|
965.802,60
|
1.375.130
|
+ 409.3227.40
|
1944/45
|
106.900
|
130
|
1.132.744,60
|
1.125.315
|
- 7.409,60
|
1945/46
|
33.440
|
41
|
3 49.686
|
369.000
|
+19.314
|
1946/47
|
28.400
|
25
|
317.965
|
300.000
|
-17.965
|
1947/48
|
28,142
|
38
|
370.503
|
420.000
|
+49.497
|
----------Mais
cet accident au cours de l'évolution ne peut logiquement comporter
qu'un arrêt momentané. Les ateliers ont brillamment fait
leurs preuves : ils ont aidé à la bonne marche de la vie
économique pendant les années difficiles qui viennent de
s'écouler et, grâceà plus d'un million de ristournes
réparties moitié en argent, moitié en abricotiers
greffés, le verger aurasien a été sensiblement amélioré.
Leur rétablissement, sous la forme d'un Secteur d'Amélioration
rurale, ne sera plus un essai exposé aux aléas de toute
entreprise nouvelle, ce sera le rétablissement d'un organisme éprouvé
et perfectionné, dont profiteront les Chaouia, comme aussi leurs
anciens clients sahariens et même toute la production algérienne.
MATHÉA GAUDRY,
Docteur en Droit,
Avocate à la Cour d'Appel d'Alger.
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