Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : agriculture
Le séchage des abricots en Aurés
3 pages - n°6 - 30 octobre 1949

L'abricotier, lui, ...éclaire de ses petits lampions odorants la pénombre gothique des oasis présahariennes, comme à Rhoufi, Mchounech, Djemorah, ou qu'il voisine avec les puissants noyers, dont,la silhouette méditerranéenne domine les jardins de l'Aurès septentrional, partout il offre généreusement ses savoureuses récoltes. Il est vraiment l'arbre-roi.

mise sur site en août 2005
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----------Si le rustique olivier enveloppe l'Aurès d'un prestige millénaire et s'il contribue à recréer l'ambiance rurale romaine, il a, par contre, ses exigences culturales. ----------L'abricotier, lui, n'en a presque pas. Qu'il éclaire de ses petits lampions odorants la pénombre gothique des oasis présahariennes, comme à Rhoufi, Mchounech, Djemorah, ou qu'il voisine avec les puissants noyers, dont,la silhouette méditerranéenne domine les jardins de l'Aurès septentrional, partout il offre généreusement ses savoureuses récoltes. Il est vraiment l'arbre-roi.
----------Aussi les Chaouia font-ils une grande consommation de ses fruits, qui sont vraiment l'un des éléments essentiels de leur alimentation.
----------Les jours de fête, notamment pour la célébration du printemps et à. l'occasion des pratiques rituelles qui. marquent le début des labours, le plat régional de l'Aurès : la tachekhchoukht parfume les logis de la senteur mêlée des abricots, des tomates et des épices qui cuisent avec la viande sur les trois pierres du kanoun et, au repas, toute la famille assemblée se régale de cette piquante merga,.. que l'Aurasienne verse sur une galette très fine, coupée en menus morceaux, enveloppée encore d'un onctueux arrosage de beurre fondu.
----------Presque tous les jardins ont, d'ailleurs, leurs abricotiers. Au printemps, hommes, femmes et enfants procèdent ensemble à la cueillette. Les fruits sont étalés, soit sous l'arbre même, sur des nattes d'alfa ou sur des claies en feuilles de palmier, soit sur les terrasses des maisons qui semblent, de loin, parées de tapis éclatants.
----------Malheureusement, les fruits n'étant pas triés, ceux qui sont tachés contaminent les autres Les Chaouia le savent bien. Mais c'est là, pour eux, l'une de ces choses ,contre lesquelles on ne peut rien et ils se résignent à faire la part du feu
----------Au bout d'une huitaine de jours, les abricots sont secs. Hommes et femmes en emplissent alors soit des paniers quelconques, soit, lorsqu'on possède une belle récolte, de grandes amphores (azraâth). Ces réserves sont entreposées dans la chambre à provisions de la maison ou dans celle du grenier commun: la guelaâ. Elles assureront le ravitaillement familial d'une récolte à l'autre.


----------Lors de la fête musulmane de 1'Achoura, l'Aurasienne dépose, dans la pièce où se trouvent toutes les provisions : couffes pleines d'abricots secs, sacs de grains, fruits et légumes de tontes sortes, viande, beurre, miel..., sept petits cailloux ronds ayant trempé dans de l'eau puisée dès l'aube, ou encore de minuscules galettes, grosses comme des pièces de 2 francs, qui augmenteront la barâka dont ces provisions sont chargées.
----------Pour les Chaouia qui possèdent un grand jardin et dont la récolte est très abondante, les abricots deviennent, la part domestique étant d'abord prélevée, une denrée d'échange. Ils sont même, avec les olives mais celles-ci à un degré beaucoup moindre, le seul produit du sol de l'Aurès qui fasse I'objet d'un commerce avec l'extérieur. L'échange se fait dans le Sud, où les Chaouia transportent leurs récoltes.
----------Les arboriculteurs les troquent contre des céréales ou des dattes que leur fournissent les Sahariens ; c'est là une vieille habitude, qui fait l'affaire des uns et des autres et en raison de laquelle apparurent plus regrettables encore, jusqu'à ces dernières années, les défectuosités de la conservation.
-----------Aujourd'hui, grâce à la création, par l'administration de la Commune mixte, d'ateliers de séchage et grâce à l'emploi de procédés modernes de désinsectisation, les cueillettes peuvent être sauvées (Cette si opportune création des ateliers de séchage fut l'oeuvre de M. Bech, alors administrateur en chef de l'Aurès. L'entreprise est aujourd'hui continuée avec une remarquable activité par M. F abet.).

 


----------Dès leur création et jusqu'en 1.945, le fonctionnement de ces ateliers fut accompagné d'un succès d'excellent augure. Malheureusement, à cette époque, un événement étranger tant à l'Aurès qu'à organisme, infligea à la réussite en marche ascendante une chute brutale.
----------La cause de ce recul est à la fois d'ordre économique et psychologique.
----------Jusqu'en 1945, les ristournes, soit en arbres, soit en argent, attribuées chaque année aux fellah sur les bénéfices réalisés, les avaient convaincus des avantages de l'entreprise. Tout permettait d'ailleurs, à ce moment, d'escompter une nouvelle progression ( Voir tableau Atelier de séchage ). Or, en 1945, ces ristournes ne purent être réparties en raison de la baisse imprévue subie par les pulpes d'abricots. Les Chaouia ne comprirent pas ce jeu économique. Leur manque à gagner fut, à leurs yeux, quelque chose comme la conséquence d'une défaillance à un engagement tacite et le système des ristournes apparut, à leur prudence, fort incertain. Sans pénétrer plus avant dans l'examen des causes, ils jugèrent, dès lors, malgré la supériorité, reconnue par eux, des ateliers de séchage, que leurs anciens errements, plus à l'abri des influences étrangères, valaient mieux ; ils se détournèrent du progrès et la conséquence fut qu'en 1946 les arboriculteurs de l'Aurès s'abstinrent d'apporter leurs récoltes aux ateliers.
----------Depuis lors, un seul continue à fonctionner : celui d'Arris.

ANNÉE
ABRICOTS SECS
ABRICOTS FRAIS
MONTANT DES ACHATS FAITS
PAR L'ATELIER AUX CHAOUIA
MONTANT DES VENTES DE L'ATELIER AU DEHORS
RÉSULTATS
 
kilos
quintaux
francs
francs
francs
1940/41
   
211.311,70
411.139,60
+ 87.170,40

1941/42
78.164
100,13
208.031,70
474.866
+ 161.560,40
1942/43
69.933
89,89
415.521,20
715.410
+ 299.888,80
1943/44
86.432
113
965.802,60
1.375.130
+ 409.3227.40
1944/45
106.900
130
1.132.744,60
1.125.315
- 7.409,60
1945/46
33.440
41
3 49.686
369.000
+19.314
1946/47
28.400
25
317.965
300.000
-17.965
1947/48
28,142
38
370.503
420.000
+49.497

----------Mais cet accident au cours de l'évolution ne peut logiquement comporter qu'un arrêt momentané. Les ateliers ont brillamment fait leurs preuves : ils ont aidé à la bonne marche de la vie économique pendant les années difficiles qui viennent de s'écouler et, grâceà plus d'un million de ristournes réparties moitié en argent, moitié en abricotiers greffés, le verger aurasien a été sensiblement amélioré. Leur rétablissement, sous la forme d'un Secteur d'Amélioration rurale, ne sera plus un essai exposé aux aléas de toute entreprise nouvelle, ce sera le rétablissement d'un organisme éprouvé et perfectionné, dont profiteront les Chaouia, comme aussi leurs anciens clients sahariens et même toute la production algérienne.

MATHÉA GAUDRY,
Docteur en Droit,
Avocate à la Cour d'Appel d'Alger.