L'AURES, MUSEE VIVANT
--------L'Aurès,
sorte d'île montagneuse au milieu des terres, a préservé
les Berbères Chaouia qui l'habitent d'une immersion complète
dans le brassage arabo-berbère.
--------Sans
doute a-t-il, aussi, grandement contribué à homogénéiser
ce groupe, qui est bien loin d'être de souche unique. L'étiquette
berbère ne fait que consacrer une fondamentale. complexité
raciale et celle de Chaouia a un sens assez évasif, sous lequel
on ne discerne, que bien obscurément, les origines zenatienne,
arabo-berbère, chrétienne ou juive. L'Aurès a protégé
la cohabitation de ces agrégats et leur parenté doit, peut-être,
beaucoup à la longue continuité d'uni vie commune en vase
clos.
--------Il
a également facilité la conservation des anciennes formes
de vie et des objets utilisés, Des types de charrues et de poteries
probablement antérieurs à l'époque punique, des meules
à écraser les olives et à broyer le grain, restituées
des siècles romains, des motifs de décorations linéaires,
dits berbères, y étaient encore, il y a seulement une vingtaine
d'années d'un usage courant et n'en ont pas disparu, tant le Chaouia
tient à ses habitudes et agrée difficilement les choses
nouvelles.
--------L'Aurès
a été fort longtemps un idéal et vivant musée
d'ethnographie. Et même il n'a pas cessé de l'être.
LA VIE ECONOMIQUE ACTIVITE
AGRICOLE
--------La vie économique
du Chaouia requiert trois formes d'activité : agricole, industrielle
et commerciale.
--------L'activité
agricole est primordiale : elle se manifeste tant dans le village que
dans la campagne ; l'importance de la terre, son champ d'action, dépasse
même le plan agraire ;. celle de l'eau la conditionne et l'ensemble
de l'économie impose au Cha'ouia la forme demi-nomade de son existence.
--------Le
village et ses habitants
--------Le
village, la dechra, est construit
sur une hauteur isolée ou sur une sorte de promontoire, tels Arris,
Inerkeb, Bellihoud. Il domine la vie agricole et en fait partie. Il en
est le prolongement. Ses maisons, dont la teinte se confond à celle
de la terre dénudée d'où elles sont sorties, s'épaulent
et font bloc autour de la plus importante de toutes, la guelaa.
--------Dans
le canyon de l'oued El Abiodh, le village est posé à l'extrême
bord des falaises et sou-vent, ses maisons s'incrustent au flanc du roc
vertical, comme des antres de fauves, tels : Oulad Mansour, Ghoufi, Oulad
Yaya, Oulad Mimoun.
--------De
ces groupements sévères, prêts à la défense
et à la riposte, se dégage une âme militaire. Tacfarinas
( chef berbère qui, au teMps de Tibère, tint ,sept ans en
échec les armées romaines.) y reprenait haleine, entre deux
coups de main et l'on imagine ce qu'y pouvait être le retour des
circoncellions, chargés du butin razzié dans les fermes
romaines ou celui des puritains de Donat.
--------Certes,
les grands conquérants parvinrent à forcer le redoutable
bastion chaouia : Rome a signé de sa griffe orgueilleuse la haute
paroi des gorges Tighanimine. Salomon poursuivit Iabdas
( chef berbère que combattit Salomon, officier sous les ordres
de Bélisaire.) jusqu'à la roche géminienne, son dernier
retranchement et Dihia la Kahena (Dihia
la Prophétesse ; reine berbère qui organisa la résistance
aux premières invasions arabes.) n'y put vaincre l'Islam, mais
sur le théâtre des guerres intestines, dans l'atmosphère
chaouia, faite d'hostilité latente et de méfiance endémique,
les ennemis devaient compter avec cette organisation. Enserrés
dans l'étau que formaient les forces conjuguées des Abdaoui
et des Beni bou Sliman, les Touaba avaient particulière-ment à
faire et leur réputation de guerriers farouches répond assurément
à une réalité ancienne et nécessaire.
--------Aujourd'hui,
de même que les villages ont conservé leur position de combat,
les âmes, malgré l'apparence, sont demeurées hostiles.
Si les tribus ne sont plus en guerre, si l'on peut franchir sans péril
les anciens bled baroud (pays de la
poudre ; zone disputée.), tout comme jadis, un Touaba demeure strictement
Oulad-Daoud. II ne se sent chez lui, ni à Tkout, ni à Ghoufi,
ni à Djemorah. On l'y reçoit avec froideur et il ne cache
pas sa méfiance. Nous avons vu les gens de Tkout refuser toute
nourriture à notre deïra
(Cavalier de commune mixte.) et ceux de Ghoufi refuser de vendre de l'orge
à nos muletiers, parce que tous nos gens étaient Touaba,
alors que Tkout (doua Zellatou) et Ghoufi (douar Rassira) appartiennent
aux Beni bou Sliman. Chaque tribu conserve si bien son particularisme
d'autrefois qu'il y a peu de temps, alors qu'il s'agissait, pour les Chaouia
d'élire un délégué commun à l'Assemblée
algérienne, nulle tribu ne consentit à s'effacer devant
les autres ; ce qui permit à un Arabe de les représenter.
--------Quoi
qu'il en soit, le caractère des Chaouia ne diffère guère
d'une tribu à l'autre. On trouve évidemment plus de douceur
chez les sédentaires de Menaâ que chez les Touaba ; mais,
malgré cela, partout, les contrastes semblent s'être harmonisés.
Pour synthétiser rapidement et dans, les limites qui nous sont
permises, c'est à la fois le caractère du guerrier indépendant
retranché dans son nid d'aigle après les razzia en plaine
et celui de l'arboriculteur patient et calme. conservateur de la beauté
biblique des vallées.
--------Les
cultures
--------Autant
l'aspect des hauteurs est rude, autant celui des vallées a de charme.
--------Au
printemps, d'opulentes moissons d'orge et de blé recouvrent les
terres et le beau ruban moiré des vergers se déploie le
long des oued. Dans le nord de l'Aurès, ces jardins rappellent
étrangement ceux de la côte méditerranéenne
sous le signe du noyer. Passée la ligne médiane Menaâ-Tighanimini,
leur caractère devient nettement saharien et la variété
des arbres fruitiers, parmi lesquels dominent les abricotiers et les figuiers,
s'abrite sous l'ombre haute des palmiers. Ceux-ci sont particulièrement
nombreux dans Ies deux grandes oasis méridionales de M'chounech,
au sud de l'oued El Abiodh et de Djemorah, au sud de l'oued Abdi.
--------Ainsi
un double contraste existe entre le sud et le nord d'une part, entre les
cimes et les bas-fonds de l'autre.
Au vrai, cette dernière opposition n'est pas seulement le fait
de la nature.
--------Le
Chaouia a jadis sérieusement collaboré à l'oeuvre
en abattant beaucoup d'arbres, pour satisfaire aux 'nécessités
de sa vie industrielle et domestique, complétant ainsi, sur les
pentes abritées des montagnes, le mal causé par le vent
brûlant du sud aux flancs méridionaux ; et il y travaille
encore en laissant ses troupeaux brouter les jeunes pousses.
--------Il
collabore, aussi, à maintenir ce contraste en soignant, avec autant
d'art que de patience, la végétation qui habille le fond
des vallées, endroit déjà favorisé par la
présence de l'eau. A cet égard, son labeur est admirable.
On ne peut descendre dans l'ombre humide et silencieuse des oasis sans
ressentir toute la calme noblesse de son travail, de paysan-arboriculteur,
ack9rné, depuis des siècles, à. perpétuer,
à cette même place, l'oeuvre de la nature.
--------Les
jardiniers berbères
--------Evidemment,
le Chaouia n'est pas seul, parmi les Berbères, à cultiver
amoureusement la terre. Le Kabyle et le Mzabite ont leurs jardins. Ce
dernier réalise même une entreprise plus difficile que celle
du Chaouia, puisque, pour faire jaillir les arbres d'entre les cailloux
de la Chebka, il doit rechercher l'eau souterraine, construire des barrages,
utiliser les crues, cela dans des conditions très défavorables,
l'oued:. Mzab, dont le cours a groupé les agglomérations
urbaines abadlites, restant quelquefois fort longtemps à sec et
pour aboutir à un résultat insuffisant, leurs jardins ne
réussissant pas. à faire vivre les Mzabites.
--------Les
oasis de l'Aurès, au contraire, sont des oasis de montagne, pour
lesquelles les hautes cimes ont toujours, au printemps du moins, des réserves
de neige. Elles ne trahissent pas le Chaouia.
--------Mais.
si les conditions matérielles du Mzab sont plus dures que celles
de l'Aurès, le Mzabite, homme industrieux, a su se créer
d'autres ressources. Il émigre pour s'enrichir. Comme l'a dit Gautier,
" c'est un âpre commerçant
du Tell, qui possède au Sahara une maison de campagne ruineuse
". La fortune que lui procurent les commerces d'épicerie,
boucherie, bois et charbon exploités par lui, lui sert à
forer des puits au désert.
--------Le
Kabyle, qui a le culte de sa vieille terre, vit de ses jardins et n'hésite
pas davantage à s'expatrier. Il vient de lui-même la recherche
de la civilisation. On le rencontre à Alger, Marseille, Paris,
dans les stations balnéaires, voire à l'étranger
et en Aurès et si, il y a une vingtaine d'années, il se
contentait encore d'apparaître sous les aspects d'un colporteur
d'objets orientaux, il entre, aujourd'hui, dans les usines ou les maisons
de commerce et, contrairement au Mzabite, fidèle à ses habitudes
vestimentaires, n'hésite pas à se rendre méconnaissable.
Ainsi que l'a observé Augustin Bernard, la facilité (les
communications fait les déracinés et permet l'exode des
habitants d'une région à l'autre. Si le Mzabite est poussé
hors de chez lui par la nécessité, le Kabyle est invité
à s'expatrier par des causes extérieures : facilité
qu'il a de gagner les grands centres et proximité de la mer.
--------Le
Chaouia, lui, vit dans une île éloignée et, jusqu'à
ces dernières années, n'a pas souhaité (l'en sortir.
Toutefois, depuis 1936, un mouvement d'émigration vers la France
s'est amorcé en Aurès, sous l'impulsion des nécessités
vitales. Ce mouvement est, en la forme, analogue à celui qui se
produit en Kabylie, en ce sens que le Chaouia qui traverse la mer n'emmène
pas sa femme avec lui ; mais il en diffère quant à son importance,
le nombre des émigrants étant insignifiant, puisqu'il ne
se chiffre, annuellement, que par quelques unités. Quoi qu'il en
soit, cette très petite émigration n'est pas négligeable
et ses conséquences ont pu, dans une certaine mesure, dépasser
le cadre des intérêts économiques personnels des émigrés.
--------La
terre
--------Le
Chaouia considère la terre, non comme un commerçant enrichi
son jardin de plaisance, mais comme un vrai paysan la glèbe que
ses aïeux ont remuée : avec un sentiment d'amour religieux.
--------Il
vit d'elle uniquement et pour elle uniquement. Il en est l'esclave et
la question foncière régente la question familiale. Si un
père de famille souhaite ardemment avoir un fils, c'est pour lui
léguer son patrimoine : s'il préfère ne pas en avoir
beaucoup, c'est pour éviter l'émiettement du bien foncier
; et s'il recourt au hobous, c'est
presque toujours pour maintenir l'héritage dans la famille agnatique.
La primauté (le la terre est si réelle que, dans le cas
où les héritiers mâles se montrent prodigues ou inaptes,
la jmaâ (Assemblée de
notables.) n'hésite pas à intervertir les rôles et
à faire aux filles une situation plus avantageuse qu'aux garçons
; de même, le caractère impérieux des travaux agricoles
pousse quelquefois des frères à demeurer dans l'indivision
à 1a mort de leur père et incite les femmes, voire les jeunes
filles, â apporter leur collaboration aux hommes et à bécher
la terre du jardin auprès d'eux.
--------L'irrigation
--------La
réalisation de l'oeuvre agricole a conduit le Chaouia à
la science de l'irrigation.
--------Cette
question a une très grande importance en Aurès. en raison
de l'inconstance des oued, alternativement torrentiels et pauvres.
--------La
propriété d'un fonds. de même qu'elle n'entraîne
pas forcément celle de l'arbre qu'il nourrit (on peut très
bien acheter un palmier ou un olivier), ne donne pas droit à l'eau
qui l'arrose. Celle-ci a une valeur distincte.
--------Elle
est utilisée avec parcimonie et distribuée à chaque
terre durant un laps de temps rigoureusement chronométré.
--------Son
utilité explique les conflits qu'elle fait naître, non seulement
entre voisins chaouia, mais entre les oasis de la montagne et celles du
désert. Ces conflits ont revêtu un caractère aigu,
chaque fois que la menace s'est plus ou moins précisée de
forcer les Aurasiens à ouvrir leurs barrages de montagne et à
assoiffer leurs jardins pour abreuver ceux des oasis. La restriction de
l'eau aurait, sur le rendement des terres et sur l'existence entière
des Chaouia, une incidence si désastreuse qu'elle provoquerait
chez eux des réflexes extrêmes.
--------Demi-nomadisme
et élevage
--------Si
l'espace cultivable dont il est propriétaire aux environs du village
ne lui assure pas de façon suffisante la subsistance familiale,
le Chaouia se déplace. Il va un peu au Nord, où il ensemence
des terres en orge et en blé, ou vers le Sud, soit qu'il y loue
ses services aux propriétaires de jar-clins, soit qu'il v cultive
ses propres vergers. Il fait ainsi, en automne, la récolte des
dattes et. au printemps, les battages.
--------Ces
déplacements ont également pour but la recherche des pacages
nécessaires à son cheptel. Le régime des pluies conditionne
l'époque du départ comme celle du retour.
--------A
l'époque du nomadisme, le Chaouia part avec toute sa famille valide
et' son troupeau. Le village est alors à peu près vide,
les maisons. verrouillées, étant laissées sous la
responsabilité d'un gardien. Jusqu'à leur retour, les Chaouia
vivent sous la tente.
--------Lorsque
le pâturage fait défaut au point où l'on campe. il
arrive que le père de famille où son fils parte seul avec
une tente et le troupeau vers des zones plus élevées.
--------Le
peuple chaouia est comme une vague courte qui ondoierait indéfiniment
d'un bord à l'autre de l'Aurès. s'élèverait
des vallées aux crêtes et ne déborderait jamais.
--------Tous
les gens d'une même tribu partent -en même temps, suivent
les mêmes pistes et reviennent à la même époque.
Il est arrivé que certains d'entre eux, ayant pris les devants,
se soient installés dans une région pour y faire pacager
leurs bêtes. Les protestations irritées des autres pasteurs
parurent si sincères et si justifiées que l'administration,
gardienne de la bonne règle, dut faire rétrograder les gens
trop pressés.
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--------Le nomadisme
étant fonction des nécessités agricoles, il est normal
qu'il soit différent selon les tribus.
--------Les
Chaouia de l'oued Ahdi sont peu nomades. Les fractions fixées à
Taghit Sidi Belkheir, Chir. Teniet et Abed, ne s'absentent guère
que de décembre à mars : les gens de Tagoust, une vingtaine
de jours seulement, au moment de la morte saison ; quant aux Menaoui,
ils sont complètement sédentaires. Les Oulad Daoud, les
Beni bou Sliman et les Ahmar Khaddou ont un nomadisme plus accusé.
---------Les
Chaouia ne sont pas de grands pasteurs. Ils pratiquent surtout l'élevage
des chèvres, mou-tons, mulets, ânes, poules et abeilles ;
peu, celui des vaches, pigeons et lapins ; moins encore, celui des chevaux.
--------A
cet égard, une collaboration s'établit entre l'homme et
la femme. Elle est particulièrement étroite en ce qui concerne
l'apiculture, laquelle est pratiquée notamment à Beni Ferah
et Menaâ, chez _les Abdaoui, les Cheurfa, les Serahna, les Beni
bou Slîman, les Rassira
-------L'abondance
des plantes sauvages aromatiques et - des fleurs clans les vergers permet
aux Chaouia d'obtenir différentes qualités de miel. Celui
que fournit le nouvel essaim, dénommé l'oiseau, est un miel
blanc succulent : le miel des oiseaux.
--------L'abeille
est sacrée et les Chaouia ont coutume de dire que "
celui qui détruit une ruche ne verra jamais la figure de Dieu ".
--------La
guelaa
--------Jadis,
la guelaa était à la fois grenier commun, forteresse, poste
d'observation et refuge suprênie. Tout, au cas de péril,
s'y trouvait réuni : la, population et son bien. Aujourd'hui, seul
son rôle de grenier subsiste.
--------Les
guelaa sont généralement des constructions de deux ou trois
étages situées soit au sommet du village et au bord de l'abîme,
à l'endroit le mieux protégé, soit en un lieu isolé,
naturellement préservé, soit, même, en une grotte
à flanc de roc. La guelaa de Baniane, posée au bord d'une
falaise, au-dessus de l'oued, "est particulièrement typique,
avec sa terrasse débordante, ses balcons sans rampe' destinés
au séchage des fruits, les orbites noires de ses chambres à
provisions et la face hirsute de vieux guerrier berbère que lui
font les poutres sortant de ses planchers. "
--------A
l'intérieur, la guelaa se caractérise par une cour d'où
des escaliers, qui sont plutôt des échelles, permettent d'atteindre
à de petites plateformes fragiles donnant accès aux chambres.
Celles-ci sont ver-rouillées par leurs propriétaires. Quand
la guelaa est particulièrement inaccessible, ces pièces
restent ouvertes sur l'extérieur, comme à Baniane, et sont
reliées par une sorte de vestibule, un balcon sans rampe.
-------Chacun
peut y posséder une pièce où mettre ses réserves
: grains, légumes et fruits séchés, viandes salées,
peaux tannées, beurre, laine, miel. Le Chaouia, dont l'effort est
stimulé par son esprit de prévoyance, n'a de répit
qu'il y ait accumulé assez de provisions pour vivre une année.
--------Pendant
l'hiver, alors qu'une neige épaisse l'enveloppe, un village chaouia
est quelque chose comme une grande fourmilière, où il y
a de quoi vivre jusqu'à la récolte.
--------Dans
l'urbanisme chaouia, une grande place : la meilleure, est donc faite aux
produits de la terre.
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ACTIVITE INDUSTRIELLE
--------L'activité
industrielle du Chaouia est beaucoup moins importante que son activité
agricole. Une seule remarque le démontre : tout Chaouia est agriculteur-jardinier.
quelques-uns seulement s'adonnent à l'artisanat.
--------La
principale caractéristique de la plupart des industries chaouia
est d'ailleurs d'être condition-nées par la fonction agricole.
--------Quelques
distinctions peuvent etre faites entre elles. suivant qu'elles sont strictement
familiales ou organisées en vue du commerce et suivant qu'elles
sont localisées en peu d'endroits ou généralisées.
Nous n'en donnerons qu'un schéma.
--------Le
travail du bois est, suivant les cas, fonction domestique masculine, métier
ou art.
--------Chaque
homme abat les arbres dont il a besoin, les taille, les écorce
et en fait selon leur calibre les piliers (le sa maison, les poutres de
la terrasse, les chambranles des portes, les montants du métier
à tisser, les lits de branchages incorporés dans les murs,
le trépied de l'outre à baratter, les piquets des tentes
et tous autres objets nécessaires à la vie domestique.
--------Dans
à peu près toutes les fractions, se trouvent des gens adroits
qui taillent des planches. fabriquent de grands plats pour pétrir
la pâte et rouler le couscous, des mortiers, des pilons, des semelles
de souliers, des fuseaux...
--------Enfin,
il existe des sculpteurs sur bois, véritables artistes qui, lentement,
pendant leurs longs loi-sirs, exécutent divers objets : petites
coupes, poires à poudre, fuseaux, gourdins et les décorent
de fines ciselures au couteau. Ce sont généralement des
bergers.
--------La
brique crue employée dans la construction des villages du sud,
est fabriquée soit par des gens adroits en ce genre de travail,
soit par chaque propriétaire. Il en est de même du plâtre.
--------La
fabrication de la poudre à fusil est pratiquée clandestinement
dans à peu près toutes les demeures et certaines tribus,
notamment celle des Rassira, en font métier.
--------La
sparterie est localisée dans les endroits où croit l'alfa.
La femme réalise de petits objets pour l'utilisation ménagère,
l'homme de grandes pièces destinées à l'échange.
--------Le
goudron est également préparé par quelques groupes
clans les régions forestières.
--------Quant
à la fabrication des bijoux, son lieu d'élection est la
vallée de l'oued ,Abdi, où les femmes sont fort coquettes
et les azriat très nombreuses.
--------Toutes
les autres industries sont plus ou moins dépendantes de l'agriculture.
--------Il
en est ainsi de la meunerie, point terminal de la culture des céréales,
et de la forge, presque uniquement employée à la fabrication
d'instruments aratoires, métiers qui sont pratiqués un peu
partout.
--------La
fabrication de l'huile est localisée dans les régions où
se trouvent de petits bois d'oliviers. Elle est surtout familiale.
--------Celle
des meules est nécessitée par l'huilerie et par la meunerie,
tant professionnelle que domestique.
--------La
cordonnerie, pratiquée en de rares endroits, est rendue possible
par la possession du bétail, comme d'ailleurs le travail familial
de la laine. Ce dernier, à son tour, explique la fabrication des
cardes, localisée en deux dechra.
--------Seul,
le séchage des abricots marque une évolution. Grâce
à l'initiative très heureuse de M. Lech, Inspecteur général
des Services civils, alors administrateur de l'Aurès, des méthodes
nouvelles introduites dans la région permettent la désinsectisation
complète et la conservation rationnelle ds fruits. Ce progrès
est d'autant plus avantageux pour les Chaouia que leurs abricots, tout
en demeurant l'objet d'un échange important entre l'Aurès
et le Sahara, trouvent désormais dans le commerce un débouché
particulièrement rémunérateur.
--------Toutes
les autres industries se limitent aux besoins locaux.
ACTIVITÉ COMMERCIALE
--------L'activité
commerciale est assez restreinte en Aurès. Elle affecte cependant
plusieurs formes. C'est d'abord le commerce des dechra : cafés,
épiceries et boucheries.
--------S'y
ajoute le commerce ambulant, exercé par des colporteurs, pour la
plupart "Kabyles et, quelquefois Oulad-Naïl. Dans cette catégorie
se classent quelques artisans chaouia qui, par intermittence, vont, de
denchra en dechra, pour, vendre des objets ou des produts fabriqués
par eux à l'avance. Ce sont des fabricants de goudron, de poudre
et de bijoux. Les bijoutiers s'installent quelquefois un certain temps
pour travailler sur place.
--------Le
commerce se fait sous forme d'échange ou de payement en espèces.
--------Enfin,
la plus grande activité commerciale se manifeste sur les marchés
annuels d'été. La clientèle y est d'autant plus nombreuse
qu'ils coïncident comme emplacements et comme dates, avec les grands
pèlerinages, annuels également.
--------Sur
les marchés, les grosses quantités destinées à
être mises en réserve sont obtenues par échange :
troc pour troc, tête contre tête (ikhf
dig ikhf ou ras b'ras)
disent lès Chaouia. Les petites quantités sont payées
en espèces.
--------Les
modalités d'échange et de payement varient avec l'abondance
des récoltes récemment faites et les prévisions d'avenir.
--------Comparativement
aux industries féminines, l'artisanat masculin apparait avec un
rayonnement plus étendu ; il franchit le cercle domestique.
--------Ses
fonctions commerciales mettent, en effet, le Chaouia en rapport avec les
étrangers ce qui l'amène à accepter certaines formes
nouvelles du progrès. notamment à perfectionner quelque
peu son outillage.
--------Toutefois,
il pratique peu l'achat en vue de la revente. Le marchand de goudron a
procédé lui-même à la fabrication, comme le
marchand de poudre et comme le vannier. Le propriétaire- de l'huilerie
ne fait que louer un moment ses appareils, le meunier moud le grain qu'on
lui apporte. Seuls le cordonnier et le bijoutier sont approvisionnés
en matière première.
--------Cela
n'implique pas que le Chaouia ait le dédain du profit. Il sait
fort bien tenir compte du désir d'un acheteur et l'appat du gain
est, pour le convaincre, un moyen sérieux.
Mais, pour lui, l'orge et le blé, la viande salée et les
fruits séchés, le beurre rance, la laine, le miel ont plus
de valeur que le métal. L'argent est quelquefois inutilisable.
Les biens en nature constituent une assurance indispensable. Ce sont eux
qu'il juge le plus utile de thésauriser.
Mathéa GAUDRY
Docteur en Droit
Avocate à la Cour d'Appel d'Alger.
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