Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : coutumes
La vie économique du Chaouia de l'Aurès
.
Vue d'ensemble

8 pages - n°3 - 1er décembre 1948

L'étiquette berbère ne fait que consacrer une fondamentale. complexité raciale et celle de Chaouia a un sens assez évasif, sous lequel on ne discerne, que bien obscurément, les origines zenatienne, arabo-berbère, chrétienne ou juive. L'Aurès a protégé la cohabitation de ces agrégats et leur parenté doit, peut-être, beaucoup à la longue continuité d'uni vie commune en vase clos.

mise sur site en août 2005
42 Ko / 13 s
 
retour
 

L'AURES, MUSEE VIVANT

--------L'Aurès, sorte d'île montagneuse au milieu des terres, a préservé les Berbères Chaouia qui l'habitent d'une immersion complète dans le brassage arabo-berbère.
--------Sans doute a-t-il, aussi, grandement contribué à homogénéiser ce groupe, qui est bien loin d'être de souche unique. L'étiquette berbère ne fait que consacrer une fondamentale. complexité raciale et celle de Chaouia a un sens assez évasif, sous lequel on ne discerne, que bien obscurément, les origines zenatienne, arabo-berbère, chrétienne ou juive. L'Aurès a protégé la cohabitation de ces agrégats et leur parenté doit, peut-être, beaucoup à la longue continuité d'uni vie commune en vase clos.
--------Il a également facilité la conservation des anciennes formes de vie et des objets utilisés, Des types de charrues et de poteries probablement antérieurs à l'époque punique, des meules à écraser les olives et à broyer le grain, restituées des siècles romains, des motifs de décorations linéaires, dits berbères, y étaient encore, il y a seulement une vingtaine d'années d'un usage courant et n'en ont pas disparu, tant le Chaouia tient à ses habitudes et agrée difficilement les choses nouvelles.
--------L'Aurès a été fort longtemps un idéal et vivant musée d'ethnographie. Et même il n'a pas cessé de l'être.

LA VIE ECONOMIQUE ACTIVITE AGRICOLE

--------La vie économique du Chaouia requiert trois formes d'activité : agricole, industrielle et commerciale.
--------L'activité agricole est primordiale : elle se manifeste tant dans le village que dans la campagne ; l'importance de la terre, son champ d'action, dépasse même le plan agraire ;. celle de l'eau la conditionne et l'ensemble de l'économie impose au Cha'ouia la forme demi-nomade de son existence.
--------Le village et ses habitants
--------Le village, la dechra, est construit sur une hauteur isolée ou sur une sorte de promontoire, tels Arris, Inerkeb, Bellihoud. Il domine la vie agricole et en fait partie. Il en est le prolongement. Ses maisons, dont la teinte se confond à celle de la terre dénudée d'où elles sont sorties, s'épaulent et font bloc autour de la plus importante de toutes, la guelaa.
--------Dans le canyon de l'oued El Abiodh, le village est posé à l'extrême bord des falaises et sou-vent, ses maisons s'incrustent au flanc du roc vertical, comme des antres de fauves, tels : Oulad Mansour, Ghoufi, Oulad Yaya, Oulad Mimoun.
--------De ces groupements sévères, prêts à la défense et à la riposte, se dégage une âme militaire. Tacfarinas ( chef berbère qui, au teMps de Tibère, tint ,sept ans en échec les armées romaines.) y reprenait haleine, entre deux coups de main et l'on imagine ce qu'y pouvait être le retour des circoncellions, chargés du butin razzié dans les fermes romaines ou celui des puritains de Donat.
--------Certes, les grands conquérants parvinrent à forcer le redoutable bastion chaouia : Rome a signé de sa griffe orgueilleuse la haute paroi des gorges Tighanimine. Salomon poursuivit Iabdas ( chef berbère que combattit Salomon, officier sous les ordres de Bélisaire.) jusqu'à la roche géminienne, son dernier retranchement et Dihia la Kahena (Dihia la Prophétesse ; reine berbère qui organisa la résistance aux premières invasions arabes.) n'y put vaincre l'Islam, mais sur le théâtre des guerres intestines, dans l'atmosphère chaouia, faite d'hostilité latente et de méfiance endémique, les ennemis devaient compter avec cette organisation. Enserrés dans l'étau que formaient les forces conjuguées des Abdaoui et des Beni bou Sliman, les Touaba avaient particulière-ment à faire et leur réputation de guerriers farouches répond assurément à une réalité ancienne et nécessaire.
--------Aujourd'hui, de même que les villages ont conservé leur position de combat, les âmes, malgré l'apparence, sont demeurées hostiles. Si les tribus ne sont plus en guerre, si l'on peut franchir sans péril les anciens bled baroud (pays de la poudre ; zone disputée.), tout comme jadis, un Touaba demeure strictement Oulad-Daoud. II ne se sent chez lui, ni à Tkout, ni à Ghoufi, ni à Djemorah. On l'y reçoit avec froideur et il ne cache pas sa méfiance. Nous avons vu les gens de Tkout refuser toute nourriture à notre deïra (Cavalier de commune mixte.) et ceux de Ghoufi refuser de vendre de l'orge à nos muletiers, parce que tous nos gens étaient Touaba, alors que Tkout (doua Zellatou) et Ghoufi (douar Rassira) appartiennent aux Beni bou Sliman. Chaque tribu conserve si bien son particularisme d'autrefois qu'il y a peu de temps, alors qu'il s'agissait, pour les Chaouia d'élire un délégué commun à l'Assemblée algérienne, nulle tribu ne consentit à s'effacer devant les autres ; ce qui permit à un Arabe de les représenter.
--------Quoi qu'il en soit, le caractère des Chaouia ne diffère guère d'une tribu à l'autre. On trouve évidemment plus de douceur chez les sédentaires de Menaâ que chez les Touaba ; mais, malgré cela, partout, les contrastes semblent s'être harmonisés. Pour synthétiser rapidement et dans, les limites qui nous sont permises, c'est à la fois le caractère du guerrier indépendant retranché dans son nid d'aigle après les razzia en plaine et celui de l'arboriculteur patient et calme. conservateur de la beauté biblique des vallées.
--------Les cultures
--------Autant l'aspect des hauteurs est rude, autant celui des vallées a de charme.
--------Au printemps, d'opulentes moissons d'orge et de blé recouvrent les terres et le beau ruban moiré des vergers se déploie le long des oued. Dans le nord de l'Aurès, ces jardins rappellent étrangement ceux de la côte méditerranéenne sous le signe du noyer. Passée la ligne médiane Menaâ-Tighanimini, leur caractère devient nettement saharien et la variété des arbres fruitiers, parmi lesquels dominent les abricotiers et les figuiers, s'abrite sous l'ombre haute des palmiers. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans Ies deux grandes oasis méridionales de M'chounech, au sud de l'oued El Abiodh et de Djemorah, au sud de l'oued Abdi.
--------Ainsi un double contraste existe entre le sud et le nord d'une part, entre les cimes et les bas-fonds de l'autre.
Au vrai, cette dernière opposition n'est pas seulement le fait de la nature.
--------Le Chaouia a jadis sérieusement collaboré à l'oeuvre en abattant beaucoup d'arbres, pour satisfaire aux 'nécessités de sa vie industrielle et domestique, complétant ainsi, sur les pentes abritées des montagnes, le mal causé par le vent brûlant du sud aux flancs méridionaux ; et il y travaille encore en laissant ses troupeaux brouter les jeunes pousses.
--------Il collabore, aussi, à maintenir ce contraste en soignant, avec autant d'art que de patience, la végétation qui habille le fond des vallées, endroit déjà favorisé par la présence de l'eau. A cet égard, son labeur est admirable. On ne peut descendre dans l'ombre humide et silencieuse des oasis sans ressentir toute la calme noblesse de son travail, de paysan-arboriculteur, ack9rné, depuis des siècles, à. perpétuer, à cette même place, l'oeuvre de la nature.
--------Les jardiniers berbères
--------Evidemment, le Chaouia n'est pas seul, parmi les Berbères, à cultiver amoureusement la terre. Le Kabyle et le Mzabite ont leurs jardins. Ce dernier réalise même une entreprise plus difficile que celle du Chaouia, puisque, pour faire jaillir les arbres d'entre les cailloux de la Chebka, il doit rechercher l'eau souterraine, construire des barrages, utiliser les crues, cela dans des conditions très défavorables, l'oued:. Mzab, dont le cours a groupé les agglomérations urbaines abadlites, restant quelquefois fort longtemps à sec et pour aboutir à un résultat insuffisant, leurs jardins ne réussissant pas. à faire vivre les Mzabites.
--------Les oasis de l'Aurès, au contraire, sont des oasis de montagne, pour lesquelles les hautes cimes ont toujours, au printemps du moins, des réserves de neige. Elles ne trahissent pas le Chaouia.
--------Mais. si les conditions matérielles du Mzab sont plus dures que celles de l'Aurès, le Mzabite, homme industrieux, a su se créer d'autres ressources. Il émigre pour s'enrichir. Comme l'a dit Gautier, " c'est un âpre commerçant du Tell, qui possède au Sahara une maison de campagne ruineuse ". La fortune que lui procurent les commerces d'épicerie, boucherie, bois et charbon exploités par lui, lui sert à forer des puits au désert.
--------Le Kabyle, qui a le culte de sa vieille terre, vit de ses jardins et n'hésite pas davantage à s'expatrier. Il vient de lui-même la recherche de la civilisation. On le rencontre à Alger, Marseille, Paris, dans les stations balnéaires, voire à l'étranger et en Aurès et si, il y a une vingtaine d'années, il se contentait encore d'apparaître sous les aspects d'un colporteur d'objets orientaux, il entre, aujourd'hui, dans les usines ou les maisons de commerce et, contrairement au Mzabite, fidèle à ses habitudes vestimentaires, n'hésite pas à se rendre méconnaissable. Ainsi que l'a observé Augustin Bernard, la facilité (les communications fait les déracinés et permet l'exode des habitants d'une région à l'autre. Si le Mzabite est poussé hors de chez lui par la nécessité, le Kabyle est invité à s'expatrier par des causes extérieures : facilité qu'il a de gagner les grands centres et proximité de la mer.
--------Le Chaouia, lui, vit dans une île éloignée et, jusqu'à ces dernières années, n'a pas souhaité (l'en sortir. Toutefois, depuis 1936, un mouvement d'émigration vers la France s'est amorcé en Aurès, sous l'impulsion des nécessités vitales. Ce mouvement est, en la forme, analogue à celui qui se produit en Kabylie, en ce sens que le Chaouia qui traverse la mer n'emmène pas sa femme avec lui ; mais il en diffère quant à son importance, le nombre des émigrants étant insignifiant, puisqu'il ne se chiffre, annuellement, que par quelques unités. Quoi qu'il en soit, cette très petite émigration n'est pas négligeable et ses conséquences ont pu, dans une certaine mesure, dépasser le cadre des intérêts économiques personnels des émigrés.
--------La terre
--------Le Chaouia considère la terre, non comme un commerçant enrichi son jardin de plaisance, mais comme un vrai paysan la glèbe que ses aïeux ont remuée : avec un sentiment d'amour religieux.
--------Il vit d'elle uniquement et pour elle uniquement. Il en est l'esclave et la question foncière régente la question familiale. Si un père de famille souhaite ardemment avoir un fils, c'est pour lui léguer son patrimoine : s'il préfère ne pas en avoir beaucoup, c'est pour éviter l'émiettement du bien foncier ; et s'il recourt au hobous, c'est presque toujours pour maintenir l'héritage dans la famille agnatique. La primauté (le la terre est si réelle que, dans le cas où les héritiers mâles se montrent prodigues ou inaptes, la jmaâ (Assemblée de notables.) n'hésite pas à intervertir les rôles et à faire aux filles une situation plus avantageuse qu'aux garçons ; de même, le caractère impérieux des travaux agricoles pousse quelquefois des frères à demeurer dans l'indivision à 1a mort de leur père et incite les femmes, voire les jeunes filles, â apporter leur collaboration aux hommes et à bécher la terre du jardin auprès d'eux.
--------L'irrigation
--------La réalisation de l'oeuvre agricole a conduit le Chaouia à la science de l'irrigation.
--------Cette question a une très grande importance en Aurès. en raison de l'inconstance des oued, alternativement torrentiels et pauvres.
--------La propriété d'un fonds. de même qu'elle n'entraîne pas forcément celle de l'arbre qu'il nourrit (on peut très bien acheter un palmier ou un olivier), ne donne pas droit à l'eau qui l'arrose. Celle-ci a une valeur distincte.
--------Elle est utilisée avec parcimonie et distribuée à chaque terre durant un laps de temps rigoureusement chronométré.
--------Son utilité explique les conflits qu'elle fait naître, non seulement entre voisins chaouia, mais entre les oasis de la montagne et celles du désert. Ces conflits ont revêtu un caractère aigu, chaque fois que la menace s'est plus ou moins précisée de forcer les Aurasiens à ouvrir leurs barrages de montagne et à assoiffer leurs jardins pour abreuver ceux des oasis. La restriction de l'eau aurait, sur le rendement des terres et sur l'existence entière des Chaouia, une incidence si désastreuse qu'elle provoquerait chez eux des réflexes extrêmes.
--------Demi-nomadisme et élevage
--------Si l'espace cultivable dont il est propriétaire aux environs du village ne lui assure pas de façon suffisante la subsistance familiale, le Chaouia se déplace. Il va un peu au Nord, où il ensemence des terres en orge et en blé, ou vers le Sud, soit qu'il y loue ses services aux propriétaires de jar-clins, soit qu'il v cultive ses propres vergers. Il fait ainsi, en automne, la récolte des dattes et. au printemps, les battages.
--------Ces déplacements ont également pour but la recherche des pacages nécessaires à son cheptel. Le régime des pluies conditionne l'époque du départ comme celle du retour.
--------A l'époque du nomadisme, le Chaouia part avec toute sa famille valide et' son troupeau. Le village est alors à peu près vide, les maisons. verrouillées, étant laissées sous la responsabilité d'un gardien. Jusqu'à leur retour, les Chaouia vivent sous la tente.
--------Lorsque le pâturage fait défaut au point où l'on campe. il arrive que le père de famille où son fils parte seul avec une tente et le troupeau vers des zones plus élevées.
--------Le peuple chaouia est comme une vague courte qui ondoierait indéfiniment d'un bord à l'autre de l'Aurès. s'élèverait des vallées aux crêtes et ne déborderait jamais.
--------Tous les gens d'une même tribu partent -en même temps, suivent les mêmes pistes et reviennent à la même époque. Il est arrivé que certains d'entre eux, ayant pris les devants, se soient installés dans une région pour y faire pacager leurs bêtes. Les protestations irritées des autres pasteurs parurent si sincères et si justifiées que l'administration, gardienne de la bonne règle, dut faire rétrograder les gens trop pressés.

 

--------Le nomadisme étant fonction des nécessités agricoles, il est normal qu'il soit différent selon les tribus.
--------Les Chaouia de l'oued Ahdi sont peu nomades. Les fractions fixées à Taghit Sidi Belkheir, Chir. Teniet et Abed, ne s'absentent guère que de décembre à mars : les gens de Tagoust, une vingtaine de jours seulement, au moment de la morte saison ; quant aux Menaoui, ils sont complètement sédentaires. Les Oulad Daoud, les Beni bou Sliman et les Ahmar Khaddou ont un nomadisme plus accusé.
---------Les Chaouia ne sont pas de grands pasteurs. Ils pratiquent surtout l'élevage des chèvres, mou-tons, mulets, ânes, poules et abeilles ; peu, celui des vaches, pigeons et lapins ; moins encore, celui des chevaux.
--------A cet égard, une collaboration s'établit entre l'homme et la femme. Elle est particulièrement étroite en ce qui concerne l'apiculture, laquelle est pratiquée notamment à Beni Ferah et Menaâ, chez _les Abdaoui, les Cheurfa, les Serahna, les Beni bou Slîman, les Rassira
-------L'abondance des plantes sauvages aromatiques et - des fleurs clans les vergers permet aux Chaouia d'obtenir différentes qualités de miel. Celui que fournit le nouvel essaim, dénommé l'oiseau, est un miel blanc succulent : le miel des oiseaux.
--------L'abeille est sacrée et les Chaouia ont coutume de dire que " celui qui détruit une ruche ne verra jamais la figure de Dieu ".
--------La guelaa
--------Jadis, la guelaa était à la fois grenier commun, forteresse, poste d'observation et refuge suprênie. Tout, au cas de péril, s'y trouvait réuni : la, population et son bien. Aujourd'hui, seul son rôle de grenier subsiste.
--------Les guelaa sont généralement des constructions de deux ou trois étages situées soit au sommet du village et au bord de l'abîme, à l'endroit le mieux protégé, soit en un lieu isolé, naturellement préservé, soit, même, en une grotte à flanc de roc. La guelaa de Baniane, posée au bord d'une falaise, au-dessus de l'oued, "est particulièrement typique, avec sa terrasse débordante, ses balcons sans rampe' destinés au séchage des fruits, les orbites noires de ses chambres à provisions et la face hirsute de vieux guerrier berbère que lui font les poutres sortant de ses planchers. "
--------A l'intérieur, la guelaa se caractérise par une cour d'où des escaliers, qui sont plutôt des échelles, permettent d'atteindre à de petites plateformes fragiles donnant accès aux chambres. Celles-ci sont ver-rouillées par leurs propriétaires. Quand la guelaa est particulièrement inaccessible, ces pièces restent ouvertes sur l'extérieur, comme à Baniane, et sont reliées par une sorte de vestibule, un balcon sans rampe.
-------Chacun peut y posséder une pièce où mettre ses réserves : grains, légumes et fruits séchés, viandes salées, peaux tannées, beurre, laine, miel. Le Chaouia, dont l'effort est stimulé par son esprit de prévoyance, n'a de répit qu'il y ait accumulé assez de provisions pour vivre une année.
--------Pendant l'hiver, alors qu'une neige épaisse l'enveloppe, un village chaouia est quelque chose comme une grande fourmilière, où il y a de quoi vivre jusqu'à la récolte.
--------Dans l'urbanisme chaouia, une grande place : la meilleure, est donc faite aux produits de la terre.

les chaouias

ACTIVITE INDUSTRIELLE

--------L'activité industrielle du Chaouia est beaucoup moins importante que son activité agricole. Une seule remarque le démontre : tout Chaouia est agriculteur-jardinier. quelques-uns seulement s'adonnent à l'artisanat.
--------La principale caractéristique de la plupart des industries chaouia est d'ailleurs d'être condition-nées par la fonction agricole.
--------Quelques distinctions peuvent etre faites entre elles. suivant qu'elles sont strictement familiales ou organisées en vue du commerce et suivant qu'elles sont localisées en peu d'endroits ou généralisées. Nous n'en donnerons qu'un schéma.
--------Le travail du bois est, suivant les cas, fonction domestique masculine, métier ou art.
--------Chaque homme abat les arbres dont il a besoin, les taille, les écorce et en fait selon leur calibre les piliers (le sa maison, les poutres de la terrasse, les chambranles des portes, les montants du métier à tisser, les lits de branchages incorporés dans les murs, le trépied de l'outre à baratter, les piquets des tentes et tous autres objets nécessaires à la vie domestique.
--------Dans à peu près toutes les fractions, se trouvent des gens adroits qui taillent des planches. fabriquent de grands plats pour pétrir la pâte et rouler le couscous, des mortiers, des pilons, des semelles de souliers, des fuseaux...
--------Enfin, il existe des sculpteurs sur bois, véritables artistes qui, lentement, pendant leurs longs loi-sirs, exécutent divers objets : petites coupes, poires à poudre, fuseaux, gourdins et les décorent de fines ciselures au couteau. Ce sont généralement des bergers.
--------La brique crue employée dans la construction des villages du sud, est fabriquée soit par des gens adroits en ce genre de travail, soit par chaque propriétaire. Il en est de même du plâtre.
--------La fabrication de la poudre à fusil est pratiquée clandestinement dans à peu près toutes les demeures et certaines tribus, notamment celle des Rassira, en font métier.
--------La sparterie est localisée dans les endroits où croit l'alfa. La femme réalise de petits objets pour l'utilisation ménagère, l'homme de grandes pièces destinées à l'échange.
--------Le goudron est également préparé par quelques groupes clans les régions forestières.
--------Quant à la fabrication des bijoux, son lieu d'élection est la vallée de l'oued ,Abdi, où les femmes sont fort coquettes et les azriat très nombreuses.
--------Toutes les autres industries sont plus ou moins dépendantes de l'agriculture.
--------Il en est ainsi de la meunerie, point terminal de la culture des céréales, et de la forge, presque uniquement employée à la fabrication d'instruments aratoires, métiers qui sont pratiqués un peu partout.
--------La fabrication de l'huile est localisée dans les régions où se trouvent de petits bois d'oliviers. Elle est surtout familiale.
--------Celle des meules est nécessitée par l'huilerie et par la meunerie, tant professionnelle que domestique.
--------La cordonnerie, pratiquée en de rares endroits, est rendue possible par la possession du bétail, comme d'ailleurs le travail familial de la laine. Ce dernier, à son tour, explique la fabrication des cardes, localisée en deux dechra.
--------Seul, le séchage des abricots marque une évolution. Grâce à l'initiative très heureuse de M. Lech, Inspecteur général des Services civils, alors administrateur de l'Aurès, des méthodes nouvelles introduites dans la région permettent la désinsectisation complète et la conservation rationnelle ds fruits. Ce progrès est d'autant plus avantageux pour les Chaouia que leurs abricots, tout en demeurant l'objet d'un échange important entre l'Aurès et le Sahara, trouvent désormais dans le commerce un débouché particulièrement rémunérateur.
--------Toutes les autres industries se limitent aux besoins locaux.

ACTIVITÉ COMMERCIALE

--------L'activité commerciale est assez restreinte en Aurès. Elle affecte cependant plusieurs formes. C'est d'abord le commerce des dechra : cafés, épiceries et boucheries.
--------S'y ajoute le commerce ambulant, exercé par des colporteurs, pour la plupart "Kabyles et, quelquefois Oulad-Naïl. Dans cette catégorie se classent quelques artisans chaouia qui, par intermittence, vont, de denchra en dechra, pour, vendre des objets ou des produts fabriqués par eux à l'avance. Ce sont des fabricants de goudron, de poudre et de bijoux. Les bijoutiers s'installent quelquefois un certain temps pour travailler sur place.
--------Le commerce se fait sous forme d'échange ou de payement en espèces.
--------Enfin, la plus grande activité commerciale se manifeste sur les marchés annuels d'été. La clientèle y est d'autant plus nombreuse qu'ils coïncident comme emplacements et comme dates, avec les grands pèlerinages, annuels également.
--------Sur les marchés, les grosses quantités destinées à être mises en réserve sont obtenues par échange : troc pour troc, tête contre tête (ikhf dig ikhf ou ras b'ras) disent lès Chaouia. Les petites quantités sont payées en espèces.
--------Les modalités d'échange et de payement varient avec l'abondance des récoltes récemment faites et les prévisions d'avenir.
--------Comparativement aux industries féminines, l'artisanat masculin apparait avec un rayonnement plus étendu ; il franchit le cercle domestique.
--------Ses fonctions commerciales mettent, en effet, le Chaouia en rapport avec les étrangers ce qui l'amène à accepter certaines formes nouvelles du progrès. notamment à perfectionner quelque peu son outillage.
--------Toutefois, il pratique peu l'achat en vue de la revente. Le marchand de goudron a procédé lui-même à la fabrication, comme le marchand de poudre et comme le vannier. Le propriétaire- de l'huilerie ne fait que louer un moment ses appareils, le meunier moud le grain qu'on lui apporte. Seuls le cordonnier et le bijoutier sont approvisionnés en matière première.
--------Cela n'implique pas que le Chaouia ait le dédain du profit. Il sait fort bien tenir compte du désir d'un acheteur et l'appat du gain est, pour le convaincre, un moyen sérieux.
Mais, pour lui, l'orge et le blé, la viande salée et les fruits séchés, le beurre rance, la laine, le miel ont plus de valeur que le métal. L'argent est quelquefois inutilisable. Les biens en nature constituent une assurance indispensable. Ce sont eux qu'il juge le plus utile de thésauriser.

Mathéa GAUDRY
Docteur en Droit
Avocate à la Cour d'Appel d'Alger.