Alger, Algérie
: documents algériens
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-------Le
soixante-dix-neuvième Congrès National des sociétés
savantes s'est tenu à Alger du 14 au 21 avril 1954.
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----------------Monsieur
le Gouverneur général, Mesdames, Messieurs" ----------------Vous
allez y voir des choses souvent nouvelles et très variées
: des paysages fort divers qui se succèdent de la Méditerranée
au Sahara ; des témoins des civilisations si différentes
qui y ont fleuri et que vous offriront les musées, les ruines et
les monuments que nous vous ferons visiter ; des villes dont certains
quartiers n'ont rien à envier aux plus modernes d'Europe, dont
d'autres vous séduiront par leur " couleur locale ",
tandis que d'autres poseront à vos yeux, par leur aspect délabré,
le difficile problème du prolétariat algérien ; des
campagnes qui évoquent, par leur modernisme et leur richesse, des
paysages californiens, mais d'autres aussi qui traduisent trop visiblement
la pauvreté des terres et des gens, ou encore l'insuffisance, souvent
dramatique, des pluies. Je n'ai pas d'autre ambition que de vous aider
un peu à comprendre ce que vous verrez, à préparer
des cadres où vous pourrez classer vos impressions et vos observations. ** ----------------Les paysages algériens ne résultent pas uniquement des conditions géographiques : ils portent aussi l'empreinte d'une histoire singulièrement variée et intéressante. ----------------La préhistoire, encore bien incertaine, dont le Musée du Bardo vous montrera de belles collections, n'a pas complètement résolu le problème de l'origine des habitants de l'Afrique du Nord, les Berbères, bien que M. Balout ait récemment écrit qu"on a tout lieu de penser que les Berbères actuels sont la lignée des Méditerranéens porteurs, il y a 10.000 ans, de la civilisation capsienne. " Le mot même de Berbères dérive du latin " barbari ", les étrangers, et a survécu aussi bien dans certains noms propres du pays que, sous le nom de Barbaresques, dans les écrits des Européens. ----------------Les Phéniciens, venus des côtes de Syrie au début du ter millénaire avant J.C., les ont fait passer directement du Néolithique à l'Histoire et ont fait progresser leurs procédés agricoles. Les nombreuses stèles puniques récemment trouvées à Constantine et que vous verrez confirment que l'action des Phéniciens et de leurs héritiers, les Carthaginois, fut plus profonde qu'on le pensait en dehors de leur territoire tunisien. ----------------Beaucoup d'entre vous ont été attirés sur ces rives de l'Afrique par les vestiges de l'Antiquité romaine. Vous serez à cet égard royalement servis. Plus. encore que les musées d'Alger, de Cherchel et de Constantine, ce sont les ruines des villes qui évoqueront pour vous la vie antique, et nous sommes particulièrement heureux de pouvoir vous montrer des ensembles tels que Tipasa, Djemila, Tiddis et Timgad, Nous aurions voulu y joindre Hippone, la ville de Saint Augustin ; son éloignement seul nous en a empêchés, mon collègue Leschi et moi-même, lorsque je lui ai soumis le programme des voyages. Permettez-moi d'évoquer en passant la mémoire de ce cher ami, de cet incomparable connaisseur de l'Algérie antique qui se réjouissait tant de votre venue ici et qui aurait été si heureux et si fier de vous montrer lui-même l'oeuvre à laquelle il avait consacré sa vie. ----------------Cette
Afrique romaine, qui n'a jamais couvert que la moitié à
peine de notre Afrique du Nord, n'a été que partiellement
et provisoirement reconstituée' - après la conquête
et la domination des Vandales, - par les Byzantins : vou§ verrez
à Timgad un fort byzantin et tout ce que des fouilles récentes
ont révélé dans ses fondations. |
--- * * ----------------L'Algérie française est donc peuplée en majorité par les descendants de ces Berbères qui, chrétiens et romanisés dans l'Antiquité, ont été ensuite islamisés et en grande partie arabisés. Jusqu'au XIXè siècle les immigrants n'ont jamais été bien nombreux, même les nomades du XI' siècle qui se sont dispersés de la Cyrénaïque au Maroc atlantique ; les ports seuls ont toujours eu une population bigarrée par l'apport de marins, de commerçants ou d'esclaves venus de tous les coins de la Méditerranée. Les Musulmans d'Algérie sont actuellement au nombre de 8.200.000 d'après les statistiques du ler janvier 1953. Avec eux vivent plus d'un million d'Européens, pour la plupart Français nés dans la Métro-pole ou de familles qui en sont originaires ; en Oranie surtout de nombreux Espagnols ont été naturalisés. ----------------Plus
d'un siècle de cohabitation, de bonne entente et de travail coude
à coude, deux grandes guerres qui ont témoigné d'une
véritable fraternité en face des mêmes dangers et
des mêmes épreuves ont amené le Gouvernement de la
IV' République à reconnaître à l'Algérie
un statut particulier, statut qui a été voté le 20
septembre 1947, dans le cadre de l'Union française. ****** ---------------Le rappel de ces quelques faits était, je crois, utile, sinon nécessaire, pour aider ceux qui arrivent pour la première fois en Algérie à comprendre ce qu'ils sont appelés à voir et à juger. Je demanderai à ceux qui ne viennent pas seulement en touristes ou en simples spécialistes des disciplines représentées dans ce congrès, mais aussi en voyageurs curieux de la vie et de l'actualité algérienne, de ne pas porter de jugements trop rapides et trop définitifs sur un pays complexe qu'ils ne feront qu'entrevoir, sur un pays où l'on a beaucoup travaillé, mais où il reste beaucoup à faire, dans des conditions générale-ment difficiles. ----------------L'oeuvre des agriculteurs et des ingénieurs est souvent spectaculaire. Bien des plaines autrefois peu cultivées et localement marécageuses et malsaines portent aujourd'hui des cultures faites selon les techniques les plus modernes et les plus délicates. Leur mise en valeur y a créé de nombreuses agglomérations que dominent ou avoisinent de vastes caves souvent collectives, de puissants silos, des usines de conditionnement, de conserves ou de transformation. Des centres miniers sont nés des richesses nouvelles extraites du sous-sol dans des contrées autrefois presque vides ; les grandes villes et leurs banlieues voient se multiplier des industries récentes, sans que le pays puisse encore prétendre à la grande industrie. L'équipement portuaire sur un littoral souvent dangereux, la construction et l'entretien de routes et de voies ferrées dans un pays montagneux aux roches sans consistance, ébouleuses et glissantes, l'édification de grands barrages dans des conditions difficiles ont demandé et demandent toujours de gros efforts financiers et techniques. De nombreuses villes sont des créations françaises tandis que les plus grandes cités se sont développées à partir de modestes " medina " musulmanes, les quartiers nouveaux transposant sur cette terre d'Afrique les aspects les plus modernes de l'Europe ou même du Nouveau Monde. ----------------Moins spectaculaire mais plus profonde peut-être a été l'action des établissements d'enseignement et d'assistance hospitalière et médicale. Nous sommes heureux de vous recevoir ici dans une Université qui compte plus de 5.000 étudiants dont de nombreux Musulmans. L'Ecole nationale d'Agriculture et l'Institut industriel de Maison-Carrée forment de jeunes ingénieurs. Il n'est pas de ville qui n'ait au moins un ou deux établissements d'enseignement secondaire ou professionnel. Près de 13.600 classes distribuent l'instruction primaire à un nombre encore insuffisant d'enfants. Vous pourrez visiter l'Institut Pasteur d'où sont sorties tant de belles découvertes vous apercevrez au passage, durant vos voyages, les hôpitaux construits dans les villes et les principaux centres ; quant à l'assistance médicale, elle a ses ramifications jusqu'aux régions les plus reculées. ----------------C'est à l'effort de nos maîtres que l'on doit l'extension de notre langue et l'assimilation, si remarquable souvent, de notre culture par les élites musulmanes, lesquelles comptent Plusieurs écrivains qui honorent la littérature française. C'est à l'assistance médicale et hospitalière que l'on doit, en grande partie, le triplement en un siècle de la population musulmane et la disparition ou le recul des grandes épidémies qui la décimaient autrefois. ----------------Il y a naturellement, à ce tableau haut en couleur, des ombres, des ombres que vous verrez, qu'on ne saurait masquer mais qu'il s'agit de comprendre, en particuier ce paupérisme qu'affichent les nombreux mendiants, les foules mal habillées, les bidonvilles qui s'accolent aux cités, les pauvres gourbis de certaines régions rurales. Sans doute est-il nécessaire de s'en prendre à une trop inégale répartition des richesses. Mais on doit aussi souligner d'abord les difficultés dues à une augmentation que l'on serait tenté de dire trop rapide de la population : il ne faut pas seulement que la production et les moyens de travail s'accroissent proportionnellement, mais encore qu'ils puissent assurer une amélioration des ni-veaux de vie : c'est là un problème qui préoccupe au plus haut point ceux qui ont la charge de ce pays, l'émigration spontanée des travailleurs que vous rencontrez dans les usines et sur les chantiers de la métropole n'étant qu'une solution partielle qui n'est pas dépourvue d'inconvénients. ----------------Malgré la richesse créée dans certaines régions, l'Algérie est un pays pauvre. Il ne sert à rien de dire qu'elle couvre 2.205.000 km2 puisque le désert, le plus terrible des déserts, en occupe 1.880.000. Même sur les 325.000 km2 qui s'étendent jusqu'à lui,, jusqu'au pied méridional de l'Atlas saharien, il n'y en a pas plus de 65.000 de surface cultivable. D'immenses étendues ne sont que de maigres pâtures ; de vastes surfaces montagneuses sont en plein Tell et sont couvertes de forêts ou d'un maigre maquis. Et la trop inégale pluviosité pèse fâcheusement, certaines années, sur l'économie d'un pays qui reste essentiellement agricole. ----------------Ajoutez
les difficultés que rencontrent les pouvoirs publics pour entraîner
dans le progrès des mas-ses rurales trop souvent passives qui ont
vécu pendant des siècles dans la crainte du pillage et hors
de l'influence des villes, pour faire évoluer des campagnes qui
se trouvent de plus en plus en retard par rapport aux agglomérations
urbaines, pour faire progresser une agriculture trop souvent paralysée
par le manque de moyens et par l'indivision familiale. Il n'en faut que
plus admirer les efforts des Sociétés algériennes
de prévoyance, des Secteurs d'amélioration rurale, du Service
de la défense et de la restauration des sols qui cherchent à
encadrer, à aider et à faire progresser la culture et l'élevage
de la mas-se des ruraux attardés. *** ----------------Au
terme de cet exposé à la fois trop rapide et trop dense,
j'ai conscience d'avoir négligé bien des aspects de l'Algérie,
bien des problèmes qui s'y posent. Aussi bien n'êtes-vous
pas venus ici pour les étudier. Vous avez traversé la mer
à la fois pour discuter des questions de vos spécialités
réciproques et pour découvrir ou revoir des paysages inhabituels.
Mais, savants à certaines heures et touristes à d'autres,
vous saurez aussi vous intéresser à un pays dont l'évolution
récente est une belle oeuvre française, qui tient une grande
place dans la vie française et qui mérite largement qu'on
s'y intéresse de toutes les manières. Je n'ai eu d'autre
prétention que de vous aider, bien modestement, à le comprendre
et à l'aimer. |