Alger, Algérie
: documents algériens
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----------Qu'il nous soit permis d'exprimer notre gratitude à tous ceux qui ont aidé et soutenu nos recherches, en particulier à M. Leschi, Directeur des Antiquités de l'Algérie, grâce à qui ces recherches ont pu être entreprises ; à MM. Berton et Rois, Directeur et Sous-Directeur de l'Intérieur et des Beaux-Arts au Gouvernement Général, qui ont bien voulu mettre à notre disposition, pendant trois années consécutives, les crédits nécessaires à notre mission ; à M. Georges Marçais, Directeur du Musée Stéphane-Gsell ; au colonel Thiriet et à M. H. Christofle, Architecte en Chef des Monuments historiques. Enfin, nous pensons avec gratitude à l'aide que nous avons reçue de M. Gautier, chef du Bureau des Etudes scientifiques aux Services de l'Hydraulique et de la Colonisation, et de M. Pierre Averseng, Président de l'Aéro-Club de Blida, qui nous a généreusement envoyé d'Alger, en 1952, un avion équipé pour la photographie verticale. |
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-----------A
14 kilomètres au Sud de OUARGLA, les dunes de sable qui s'étendent
à perte de vue recouvrent les ruines de l'ancienne capitale ibadhîte
de Sedrata, en berbère Isedraten. L'accès n'en est pas facile.
De Ouargla on emprunte d'abord, dans la direction du sud-ouest, la mauvaise
piste qui conduit à El-Goléa, puis on bifurque à
gauche et bientôt, quelques kilomètres plus loin, apparaissent
les premières chaînes de dunes que domine, à l'horizon,
le Gara Krima, montagne tabulaire isolée, située à
environ 20 kilomètres au sud de Ouargla. PREMIERE CAMPAGNE DE FOUILLES - FEVRIER 1951. -----------Nous
avons déjà donné par ailleurs un aperçu sommaire
de cette première campagne qui n'a duré qu'un mois, faute
de moyen de transport. DEUXIEME CAMPAGNE DE FOUILLES - NOVEMBRE 1951 A FIN JANVIER 1952. -----------A la périphérie Est de la ville, nos prospections du site et nos photographies aériennes avaient attiré notre attention sur un grand rectangle d'environ 50 mètres de longueur, dont les murs, bien que recouverts de sable, formaient de hauts remblais. Nous avions ramassé là, à plusieurs reprises, des fragments de plâtre sculpté d'un dessin fort élégant et d'une exécution très fine. Ce point promettait d'être intéressant et ce fut au dégagement de ce vaste monument que fut consacrée notre deuxième campagne de fouilles. Les plus grandes surprises devaient nous y être réservées. -----------Bien
que le sommet de cette muraille soit éboulé, celle-ci s'élève
encore à 4 et 5 mètres de hauteur. Elle est faite de gros
blocs non équarris, liés avec du timchent, les seuls blocs
de pierre que nous ayons trouvés dans la région. L'épaisseur
de ces murs, leur aspect et leur appareil ne laissent subsister aucun
doute sur le caractère défensif de cet ouvrage. Une voie
large, s'élevant par des marches, longe la muraille à l'extérieur
et pénètre en tournant à angle droit dans une vaste
cour ou fondouk, entourée de bâtiments. Nous avons mis au
jour, à l'angle sud-est, des restes de tours carrées dans
lesquelles nous avons trouvé des auges bien conservées,
des traces de feu et d'anciens fours à poteries, ainsi que de nombreux
tessons. |
-----------A peine avions-nous commencé à dégager une salle longue et étroite communiquant avec cette cour, que nous sommes tombés soudain sur une grande quantité de fragments de plâtre sculpté (timchent), enfouis pêle-mêle et brisés dans le sable. Mais il était évident que ces débris faisaient partie d'un même et important décor. -----------Cette salle, d'environ 8 mètres de longueur sur 2 mètres de largeur, selon le modèle de pièce bien connu, était recouverte d'une voûte en berceau dont une partie a pu être recueillie. Aux deux extrémités de cette salle, deux grands arcs en plein cintre délimitaient deux iwàns auxquels on accède encore par une haute marche. Quatre petites niches en forme de coquille, dont nous av ons ramassé de nombreux morceaux, occupaient les quatre angles supérieurs de la salle. -----------Les parois étaient revêtues, tout au moins dans le Ir partie inférieure, d'une magnifique décoration murale en plâtre sculpté dont la variété et la beauté sont sur prenantes. Seuls quelques panneaux sur les encadrements des portes sont demeurés in situ. -----------La place nous manque pour décrire ce vaste ensemble décoratif qui a été rapporté en entier à Alger, où il attend de pouvoir être reconstitué. Les quelques exem pies qu'on trouvera ici ne peuvent donner qu'une idée imparfaite de sa valeur artistique et documentaire. -----------Il se composait d'une succession de panneaux encadrés de bordures diverses. Ces panneaux sont ornés tantôt de grandes rosaces, tantôt d'une sorte de palmiers stylisés dont nous ne connaissons pas d'autre exemple, ou de bandes verticales séparées par des rinceaux et qui semblent évoquer des arcatures aux sommets en forme de bulbes (fig. 2 et 3). -----------La palmette ou fleuron apparaît sous des aspects infiniment variés. Elle s'inscrit parfois dans des cercles, ou dans des losanges, et sert généralement de jeux de fond. Ailleurs, elle est faite de quatre fleurons rayonnants. -----------Les motifs importants se détachent souvent sur un réseau d'alvéoles qu'on retrouve aussi dans les bordures. Ces alvéoles qui ont jusqu'à 2 cm, 5 de profondeur sont sculptées en oblique avec un art consommé, de façon à se trouver dans l'axe visuel du spectateur placé au sol. Les fonds acquièrent de ce fait une valeur d'ombre sur laquelle les motifs se détachent en plus clair. Ce détail technique témoigne du degré de raffinement des artisans auxquels on doit ces oeuvres d'art. -----------Les retombées
des arcs étaient ornées de ce même réseau d'alvéoles
et de rosaces. En bordure de l'arc, couraient des rinceaux ou de petits
enroulement dérivés de la feuille d'acanthe. -----------Le fragment d'inscription reproduit ici porte le mot" baraka" répété trois fois. Cette lecture, controversée par quelques savants, est celle qui rencontre le plus d'adhérents. Aussi, l'avons-nous adoptée. -----------Une quantité de tessons et de fragments de poteries variées ont été recueillis dans la cour de la maison, parmi lesquels une grande amphore à 4 anses en tel re cute, faite à la main. Une autre amphore plus fine est ornée à la base du col d'une petite torsade. -----------L'extraction de ces décors, qui ont été ramenés dans une cinquantainé de caisses et au prix de mille peines à Alger, est une opération fort délicate, à cause de l'extrême friabilité de cette matière. Cette opération ne peut être confiée qu'à des mains expertes munies de petits instruments très fins. A peine exhumés du sable, qui est toujours humide à une certaine profondeur, ces fragments doivent sécher à l'air et au soleil au moins deux jours avant de pouvoir être transportés (fig. 2). CONCLUSION. -----------La découverte
de cet ensemble décoratif unique de son espèce, et l'originalité
de cet art posent bien des problèmes que l'histoire ne réussit
pas encore à résoudre. C'est que nous manquons de précisions
sur les origines, sur le développement et sur la fin de cette ville
qui semble, d'après ce que nos recherches nous en ont révélé,
avoir été un centre beaucoup plus important, beaucoup plus
civilisé aussi qu'on ne le pensait. Si le mystère entoure
encore la vie de la capitale ibadhîte, c'est que beaucoup de manuscrits,
a-t-on dit, ont été brûlés ou détruits
au cours de l'histoire tourmentée de ces schismatiques. Mais c'est
surtout, pensons-nous, parce que les sources historiques ibadhîtes
ont été jusqu'ici insuffisamment traduites et étudiées.
Les Mozabites, descendants directs des Ibadhîtes de Sédrata,
ont tenu souvent ces archives secrètes. Mais le temps fait son
oeuvre lentement. Les Mozabites sont fiers de leur passé, ils ont
raison de l'être. Ils seront de plus en plus disposés à
permettre à tous ceux que cette histoire intéresse, de la
pénétrer à travers ses sources les plus anciennes. -----------«
Quittant, vers l'an 909 de l'ère chrétienne,
Tâhart, la capitale de l'empire rostémide (l'actuelle Tiaret,
dans la province d'Oran), alors assiégée par les tribus
rivales, les Ibadhîtes fuient dans le désert sous la conduite
de leur imam Yacoub. e Ils tournent le dos, disent les historiens arabes,
au monde corrompu et affaibli par les " divisions intestines et marchent
vers le Sud jusqu'à Ouargla. Malgré les fièvres qui
y règnent l'été et l'aridité absolue du désert
environnant, ils décident d'y con struire leur ville (à
quelques kilomètres au sud de Ouargla) parce qu'ils y trouvent,
à 60 mètres de profondeur, la mer du déluge, immense
nappe artésienne qui -----------Ce récit imagé est moins fantaisiste qu'il ne paraît, puisque, comme on l'a vu, les grandes séguias que nous avons repérées s'éloignent de la ville vers la plaine sur plusieurs kilomètres de distance. -----------Il est possible, il est même probable qu'en cette année 909 qui vit la chute de Tiaret et la fuite des Ibadhîtes vers le Sud, ceux-ci ne trouvèrent pas sur l'emplacement de Sédrata où ils se sont fixés le désert tel qu'il est décrit ici, mais un établissement berbère antérieur. Leur rôle aurait été alors de donner à la ville une extension et une vie nouvelles. -----------Sédrata connut, aux Xème et Xlème siècles, une grande prospérité. La date de sa fin est encore incertaine. Un ancien manuscrit rapporté de Ouargla par H. Tarry, en 1881, donne l'année 1274 de notre ère comme celle de la destruction de la ville par un chef de troupes, un ancien caïd, El-Mançour-el-Machriq, dont la nationalité est inconnue . -----------Chassés une fois encore de leur capitale, les Ibadhîtes se réfugièrent sur le plateau aride du Mzab, plus facile à défendre, et où ils sont restés. Il est vraisemblable que cet exode a été plus graduel qu'on ne le dit. -----------Une fois abandonnée par ses habitants, Sédrata fut rapidement reconquise par les sables. Mais les Ibadhîtes, dont la communauté est demeurée vivante, vénèrent encore aujourd'hui le souvenir de leur ancienne capitale. Chaque année, à la fin d'avril, ils y viennent en pèlerinage. Franchissant à dos d'âne ou à pied les hautes dunes de sable, ils vont s'agenouiller sur l'emplacement de leur mosquée primitive qu'ils ont marqué d'un tas de pierres. Puis ils vont, à 500 mètres de là, prier sur le tombeau de l'imam Yacoub. Et, bien que les tempêtes de sable fassent disparaître d'une année à l'autre les points de repère qu'ils ont établis, ils retrouvent sans hésitation la place qui leur est devenue sacrée. C'est ainsi que, de père en fils et siècle après siècle, le souvenir de Sédrata s'est conservé. Marguerite van BERCHEM. (1) Cf. Marguerite van Berchem. La découverte de Sédrata dans la Nouvelle Clio, 3me année N. 9 - 10. Bruxelles 1951, pp. 389, 396 - Pl. I à V, figs. 1 à 17, et : A la recherche de Sédrata. Archéologica Orientalia. In memoriam ErnstHerzfeld, New-York 1952. Pl. II - IV, pp. 21-31. |