Alger, Algérie : documents algériens
Série monographies : Sahara
Le neuvième centenaire de la fondation de Ghardaïa
7 pages - n° 11 - 20 août 1953

----La ville de Ghardaïa, fondée en 1053, est une des plus saisissantes réussites de la volonté humaine. Faite dans les plus dures conditions morales, politiques, géographiques, climatériques, la création de la pentapole et des oasis du Mzab était un véritable défi à la nature, une entreprise quasi désespérée qui a réussi à force d'intelligence, de patience et de courage, sous l'impulsion d'une idée.
----Témoin principal de ce succès, la cité de Ghardaïa, la plus récente d'ailleurs de l'oued Mzab, permet la vie d'une population relativement nombreuse et est un des plus beaux sites du monde, tant par la noblesse du paysage et la féerie de la lumière, que par la perfection des constructions humaine, adaptées aux conditions naturelles et auxquelles ne manque même pas cette note d'étrangeté où Baudelaire voyait un élément essentiel de la beauté artistique parfaite.

mise sur site en août 2005
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-------La ville de Ghardaïa, fondée en 1053, est une des plus saisissantes réussites de la volonté humaine. Faite dans les plus dures conditions morales, politiques, géographiques, climatériques, la création de la pentapole et des oasis du Mzab était un véritable défi à la nature, une entreprise quasi désespérée qui a réussi à force d'intelligence, de patience et de courage, sous l'impulsion d'une idée.

-------------Témoin principal de ce succès, la cité de Ghardaïa, la plus récente d'ailleurs de l'oued Mzab, permet la vie d'une population relativement nombreuse et est un des plus beaux sites du monde, tant par la noblesse du paysage et la féerie de la lumière, que par la perfection des constructions humaine, adaptées aux conditions naturelles et auxquelles ne manque même pas cette note d'étrangeté où Baudelaire voyait un élément essentiel de la beauté artistique parfaite.

-------------Le point de départ est une idée, un idéal, une théorie métaphysique, une doctrine théologique ; et c'est ce qui rend le cas si intéressant pour les sociologues. Une fois ce point de départ posé et la décision prise, les lois économiques normales ont joué et la communauté s'est adaptée aux conditions qui s'imposaient à elle. Elle a trouvé pour cela deux grandes solutions fort ingénieuses : jusqu'au XIXme siècle et jusqu'à l'administration française, le commerce saharien ; de nos jours l'émigration temporaire des ,hommes et le commerce des épiceries du Tell. Cette dernière, solution était d'ailleurs amorcée depuis les Turcs et combinée avec la première, puisqu'il y avait à Alger une corporation officiellement reconnue de mozabites spécialisés dans les hammans, les boucheries, les moulins, l'importation des esclaves noirs, de la poudre d'or et des plumes d'autruches.

-------------Et pendant tout ce temps fut conservé à peu près le cadre d'une théocratie puritaine. L'avenir dira si ce cadre, dont la rançon est un conformisme rigide un peu étouffant, survivra aux conditions modernes ou éclatera comme une gangue trop étroite. L'accélération du temps est un phénomène de notre époque. Le Mzab a plus changé depuis son incorporation à l'Algérie française en 1882 que pendant les huit siècles de son histoire antérieure ; et des signes indiquent que des problèmes nouveaux commencent à se poser.


LES ORIGINES DE L'ABADISME.

-------------Il faut remonter au VII "' siècle de notre ère, au 1 er siècle de l'Hégire, pour saisir l'origine de la communauté mozabite. Sans les querelles doctrinales et politiques qui dressèrent alors les uns contre les autres, douloureux scandale pour les croyants, les compagnons du Prophète, il est probable que les cinq hauts minarets ne dresseraient pas leur silhouette pyramidale au- dessus de Ghardaïa, Mélika, Béni-Isguen, Bou-Noura, et El-Ateuf ; et il est certain que le pays aurait un autre aspect.

-------------Le Prophète Mohammed, on le sait, ne s'était pas désigné de successeur temporel ; il eut pour premier calife, lieutenant, en 632, Abou Bakr, son beau-père, auquel succédèrent Omar, puis Otsman, puis Ali, son cousin et son gendre, l'époux de Fâthima Zohra ,le père de Hassan et Hussein, ancêtres des tous les chorfa. Sid Ali avait donc été écarté aux trois premières élections, contrairement au point de vue des légitimistes qui voulaient conserver l'imamat dans la famille du Prophète, doctrine des-chiites. Il fut enfin proclamé calife après l'assassinat de Otsman, en 655. Moaouia, gouverneur de Syrie, qui représentait la vieille aristocratie mecquoise des Oméiades, laquelle avait si longtemps combattu le Prophète, se révolta contre lui. A la bataille de Ciffin, en 657, Ali allait triompher, quand ses adversaires, sur le point d'être écrasés, mirent des Corans 'à la pointe de leurs lances et proposèrent un arbitrage. Par scrupule, Ali accepta. Il fut odieusement dupé, déposé par l'arbitre, et Moaouia se proclama calife. Une partie de l'armée de Sid Ali considéra au contraire qu'il était déchu pouf avoir accepté de mettre en question sa légitimité et consenti à un arbitrage alors que " le jugement appartient à Dieu seul ". Ils se retirèrent près de Koufa puis près du canal de Nahrawân. C'est de cette sécession, de cette " sortie ", qu'ils prirent le nom de kharéjite (kharouârij, au pluriel, sortants). Très exaltés, ils proclamèrent infidèles et hors-la-loi tous ceux qui n'acceptaient pas leur point de vue ; ils reniaient aussi bien Ali que Osman et proclamaient l'égalité des races dans l'Islam. -
-------------Ali les écrasa à la bataille de Nahrawân, 658; mais il fut assassiné en 661 par Ibn al Mouljam. Une tradition raconte que les kharéjites, pour mettre fin aux tragiques divisions des Musulmans, avaient décidé de tuer le même jour les trois rivaux : Ali, Moaouia et Amr ben el-Ac, le gouverneur d'Égypte. Malheureusement pour ce plan, les deux politiciens ambitieux échappèrent, et seul le pieux, l'honnête et généreux Ali tomba sous les coups des conjurés.

-------------Le meurtre du Lion d'Allah pesa longtemps lourdement sur la secte, considérée comme hérétique aussi bien par les chiites légitimistes que par les quatre rites sunnites orthodoxes. Il faut dire qu'il y a aujourd'hui une
tendance à se désolidariser du geste fanatique d'Ibn Mouljam et du premier kharéjisme. Celui-ci donna naissance à plusieurs écoles théologiques et juridiques. Les plus exaltées sont celles des çafrites et celle des nokkarites à laquelle appartenait le terrible Abou Yazid, l'homme à l'Ane, qui mit en péril l'empire fatimide (chiite) d'Afrique du Nord au milieu du Xme siècle ; la plus modérée et la plus raisonnable est celle des abadhites ou ibadhites, qui l'emporte actuellement.

-------------Le principal dogme, le point de départ original, c'est que tout bon croyant, même un esclave noir, peut être élevé au califat par le voeu de la communauté. Ce point de vue démocratique et antiraciste est somme toute très orthodoxe et conforme à l'esprit de l'Islam, si l'on refuse le point de vue chiite de l'héritage par le sang. Il se double d'un corollaire d'application pratique fort délicat : l'obligation pour les croyants de proclamer illégitime et déchu ipso facto l'imàm qui est sorti de la voie droite, ce qui rend évidemment tout gouvernement difficile.

-------------D'autre part, les abadhites rejettent de façon absolue la doctrine de la justification par la foi ,sans les oeuvres : un péché mortel fait même perdre, selon certains, la qualité de croyant. De ce point de vue, très raisonnable et " humaniste ", de la nécessité des oeuvres, certains sont arrivés à tirer en conséquence l'excommunication radicale de tous les musulmans non kharéjites, aussi bien que des vulgaires pêcheurs et des non-conformistes. De même ils exigent la pureté morale comme complément essentiel de la pureté corporelle rituelle pour la validité du culte.
Il y a dans tout cela un curieux mélange de libéralisme et de rigorisme, de rationalisme et d'intransigeant ce qui s'est cristallisé au Mzab d'une .façon extrêmement originale et fait de ce pays un pays vraiment unique au monde, aussi bien au point de vue moral et social qu'au point de vue géographique et pittoresque.

-------------Il y a actuellement des Kharéjites en Arabie dans l'Oman et à Mascate, dans les îles de Zanzibar, Madagascar et Djerba, dans le Djebel Nefousa de Tripolitaine et enfin dans le M'Zab (40.000) et les principales villes d'Algérie (un millier à Alger).

-------------L'Afrique du Nord faillit devenir kharéjite au Moyen-Age. Les Abadhites y eurent un royaume prospère à
Tihert-Tiaret au VIII'"" et au IX"'" siècles ; royaume berbère fondé par un Persan, Abderrahman Ibn Rostem. Cet
état de gloire " dura jusqu'à la destruction de la ville en 909 par les Fatimides, alides chiites ,ou pseudo-alides
qui devaient conquérir l'Egypte un peu plus tard. Les chroniqueurs ont conservé le souvenir des exemples de
piété, d'austérité et de simplicité donnés par les imams de cet âge d'or. Il n'y a plus d'imam. L' " état de résistance " (quand la communauté est combattue), puis 1' " état de dévouement " quand elle est persécutée et n'a plus d'imam) suivirent, puis l' "état de secret" quand elle se replie sur elle-même, s'organise à part, et n'attend plus rien d'un monde de perdition.

L'EXODE AU DÉSERT. - SEDRATA ET L'OUED MZAB.

-------------La ruine de Tihert-Tiaret provoqua l'exode au Sahara sous la conduite du dernier imâm Yakoub ben el Aflah. Comme les Hébreux de Moïse, les Abadhites s'enfuirent au désert pour y servir Dieu selon leur conscience. Mais ils ne trouvèrent pas de Canaan, de terre où coulent le lait et le miel.

-------------Un premier repli les conduisit à Sedrata, près de l'actuelle Ouargla.

-------------Les fouilles faites au XIX' siècle, puis pendant la dernière guerre, sui-tout celles de Mlle Van Berchem en 1950-1952, ont montré que Sedrata avait été un centre riche et prospère. Mlle Van Berchem a sorti du sable des quantités de sculptures délicates sur timchent (plâtre du pays très solide), dont le style ornemental, plus arabe et oriental que berbère, et saharien, pose des problèmes aux spécialistes. De Sédrata, il ne reste que des ruines sous le sable ; mais, chaque année, à la fin avril, les Abadhites d'Ouargla, de Tunisie et du Mzab viennent en pèlerinage sur l'emplacement de l'ancienne mosquée et sur celui du tombeau du dernier imâm. Non loin de là, la Gara Krima, imposant vaisseau de pierre fendant de sa proue les dunes mouvantes du désert, porte sur sa vaste plate-forme des traces d'habitation. Les photographies aériennes ont indiqué tout un réseau de canaux d'irrigation et guidé souvent les recherches de l'archéologue.

-------------Sédrata fut anéantie vers 1075 ou plus tard. Mais les abadhites avaient pris la précaution de se préparer des refuges. Ils avaient fondé le long de l'oued Mzab : El Ateuf en 1011, puis Bou-Noura, Béni-Isguen, Mélika; et, en 1053, Ghardaïa (Berriane et Guerrara, hors de la pentapole, au nord et au nord-est, datant seulement du XVIIme siècle).

-------------Cette partie du Sahara, qu'on nomme la chebka, filet, formée de masses calcaires découpées par de profonds sillons, serait l'une des plus austères du désert sans les villes et les palmeraies qu'y ont créées les abadhites. Le paysage qu'on découvre du " belvédère est l'un des plus émouvants qu'on puisse voir, depuis la ville de Ghardaïa, à l'ouest, jusqu'à la palmeraie d'El-Ateuf, dont on ne voit pas les maisons, vers l'est.

-------------Ces cinq villes se succèdent le long de l'oued Mzab (oùil n'y a pas souvent d'eau apparente mais qui alimente de nombreux puits), la plus ancienne en aval, la plus jeune et la plus riche en amont. Elles sont toutes, serrées sur des éminences, autour d'un haut minaret qui est aussi tour de guet. Pour leur sécurité, les habitants devaient être groupés derrière des remparts. Leur nombre augmentant, ils devaient essaimer; sur un oued souterrain les gens de l'amont sont favorisés. C'est pourquoi les villes se fondèrent dans courant du XIe siècle, en remontant l'oued, et Ghardaïa est la plus récente et la plus riche. La palmeraie de cette dernière es même encore plus loin et suivie par la grande daya Ben Dahoua (on donne ce nom de daya à des dépressions où poussent plus facilement les palmiers, les arbres fruitiers et les cultures).

-------------Après la prise de Laghouat en les Béni-Mzab devinrent tributaires de la France et signèrent un accord avec le Gouverneur général Randon qui leur laissa leur administration propre. Quand la pacification du Sahara fut avancée, le pays fut annexé en 1882 au même titre que les autres territoires.

UNE SOCIETE THEOCRATIQUE ET PURITAINE

-------------Jusqu'alors, le pouvoir religieux et politique de cette république théocratique était entre les mains des tolba, les clercs (par opposition aux aouâm, les laïcs). Ces tolba sont divisés en clercs majeurs, les azzaba, formant une halga, cercle, conseil dirigeant, et en clercs mineurs, eux-mêmes répartis en " lecteurs ", " balbutiants " et " débutants ". La halga des azzaba élaborait les règlements que mettait à exécution la djemaâ, assemblée des laïcs présidée par six hakims. Aujourd'hui un caïd remplace le hakim dans chaque cité et est assisté de la djemaâ des laïcs, les azzaba se limitant au domaine religieux.

-------------Les caïds des cités et ceux des Arabes et des juifs forment la commission municipale présidée par l'administrateur chef d'annexe. Il y a en effet à Ghardaïa, sur une population d'environ 17.000 âmes, des communautés juives et malékites arabes. Les israélites y sont environ deux mille et de statut personnel. Les arabes (environ 1.000) sont des Mdabih, originaires du sud du Djebel-Amour et des Béni-Merzoug, venus de Metlili des Chaâmba " agrégés ". En effet, les Mozabites abadhites, commerçants avant tout avaient fait appel pour assurer la sécurité du pays à des tribus arabes liées à eux par un pacte. l'état de ces Arabes est assez pauvre, car la plupart des terres et le grand commerce relèvent des Mozabites ; mais ils se rattrapent dans quelques métiers interdits pratiquement aux abadhites, comme les juifs vivent en partie de l'orfèvrerie et du travail du cuivre (les tapis étant plutôt faits par les femmes abadhites. Un Mozabite pur ne peut en effet tenir un hôtel ou y servir car il serait exposé à manier du vin ; pas plus qu'ouvrir un cinéma. Dans Béni-Isguen, la ville sainte, où aucun étranger ne doit passer la nuit (c'est pourquoi le logement de l'instituteur, est accolé aux remparts mais du côté extérieur )il n'y a même pas un café maure et l'on ne peut fumer une cigarette.

  -------------Ghardaïa est beaucoup moins austère et une grande animation règne autour de la célèbre place du marché, souvent peinte par Bouviolle et tant d'artistes.

-------------Pour en terminer avec les divers éléments d'une population très cloisonnée, citons quelques noirs descendant d'esclaves importés du Soudan et qui conservent, sous l'invocation de Sidi Blal, affranchi noir et muezzin du Prophète, des coutumes et des liturgies intéressantes ; et surtout les homria, les " bruns rougeâtres " , métis de Mozabites et de négresses. Les homria jouent un rôle important, car ils servent de liaison et de transition' ; ils sont de religion eba ,hite mais moins strictement assujettis au rigorisme. Ils ont leurs coutumes propres, extrêmement pittoresques. Les postes de direction leur sont, d'ailleurs fermés.

LA GRANDE PLACE

-------------La vaste place du marché est le centre de la v e commune : les rues à droite mènent au quartier neuf français et au quartier juif ; celles de gauche mènent aux Pères Blancs et au quartier des arabes Mdabih. Une large plate-forme maçonnée s'élève à un mètre de hauteur devant le bureau du caïd ; c'est la moçalla de Sidi et Hadj Bou Hafs, sur laquelle les arabes de passage viennent prier après avoir fait l'ablution sèche avec une des pierres qui s'y trouvent en permanence. A gauche, l'on voit la haouitha : vingt-quatre pierres blanchies à la chaux s'enfoncent dans le sol en demi-cercle; on dit qu'elles proviennent des différents cimetières et que les membres de la djemaâ délibéraient jadis adossés à elles, émouvante communier' des vivants et des morts dont nous retrouvons tant d'autres exemples en ce pays.

-------------Vers la ville abadhite proprement dite conduit la rue du marché aux enchères : les dellals les parcourent avec leurs marchandises, un tapis, un vêtement par exemple,' faisant leurs offres aux acheteurs éventuels paisible-ment assis. Cette rue aborde bientôt la colline que gravissent des ruelles en colimaçon de plus en plus calmes et silencieuses. Au nord, dans le quartier lei plus retiré, le plus fermé, l'une d'elle longe la grotte de Daïa (ghar Daïa), dite Lalla Sabla, la Dame qui facilite, où les femmes viennent allumer des bougies et faire brûler des parfums, en demandant que leurs voeux soient " facilités " (jeu de mots analogue à notre Saint Expédit). Une tradition veut que ce ghar Daia soit l'origine du nom de la ville : Sidi Bougdemma, passant sur la colline d'en face, avait vu une lumière : il envoya son serviteur quitreuva une sainte femme en prière dans cette grotte ; il !e renvoya une seconde fois demander à cette femme si elle ne voudrait pas l'épouser. " C'est chose facile, sabla ", répondit-elle.

LA MOSQUEE ET SON MINARET

-------------C'est ici le coeur de la ville, l'acropole, la citadellemilitaire et mystique, le noyau saint duquel s'agrégèrent les éléments divers. Tout cela est remarquablement analysé dans le beau livre que Marcel Mercier a consacré à " la civilisation urbaine au Mzab ".
-------------Aux abords de la mosquée il est interdit de fumer et pour pénétrer dans le lien saint il faut être accompagné d'un garde du caïd. C'est un ensemble de bâtiments, confus en apparence, mais' dort il se dégage une réelle harmonie, tant chaque élément est approprié à sa fin. Le çahn, la grande cour, est bordée sur trois côtés de portiques inégaux, et sur le quatrième, au sud, par la salle de prières fermée. Les arcades de maçonnerie ou de simples troncs de palmiers re' tant deux pieds-droits, supportent un étage qui abrite la salle de réunion des tolba. Un double mirhab indique la quibla, la direction de La Mecque, car cette cour est auss_ une salle de prière en plein air, doublant l'autre. D'étroits escaliers conduisant à des écoles coraniques et à des salles d'ablution. Des moineaux, qui participent de la sainteté du lieu, voltigent, se posent dans les niche, boivent l'eau des vases à ablution.

-------------L'ensemble est dominé parle fo:.nidable minaret de vingt-deux mètre: de haut sur six mètres de côtès à la base, construit en calcaire agglon: revêtu de timchent violet rose qui devient rouge ail coucher du soleil. Cette
pyramide tronquée terminée par quatre grands " doigts b pointés vers le ciel, parte le beau nom d'assas, " gar dien ". II y a des raisons de croire que ce style n'a pas été sans influence sur certains minarets des mosquées d'Afrique Noire. Une remarque curieuse a été faite l'an dern'er par le Dr Schacht, professeur de droit musulmarà l'Université d'Oxford : les mosquées mozabites n'ont pas de minbar, de chaire à gradin où se fait la khotba le prône officiel de la prière collective du vendredi. C'est sans doute parce que cete khotba qui proclame le souverain au nom duquel se fait la prière, n'a plus de raison d'être dans le kharéjisme passé à 1' état de secret et qui n'a plus d'imam.

LES CIMETIERES

-------------Nous ne décrirons pas ici la maison mozabite, plus solide et confortable que la plupart de celles des oasis sahariennes et qui a, été analysée en détail par M. Marcel Mercier. Mais il faut dire un mot des cimetières, dont l'aspect est si caractéristique. Très différent d'autres oasis, où les cimetières se voient à peine, enfouis qu'ils sont sous le sable, le Mzab est un pays où les morts tiennent autant de place que les vivants et ne se laissent pas facilement oublier.

-------------Une caractéristique des cimetières mozabites est que les cadavres n'y sont généralement pas enterrés : l s vallée est réservée aux cultures et les tombes y seraient emportees, par les crues, rares mais puissantes. Sur lee éminences, il n'y a pour ainsi dire pas de terre. Le corps repose donc sur la pierre et on élève autour de lui une maçonnerie sommaire. L'extrême siccité de l'air évite en général les inconvénients qui pourraient en résulter. Certains sentiers sont en contre-bas et le visiteur se promène alors à la hauteur du cadavre. Les tombes sont couvertes de poteries vernissées, de couleur, et toujours brisées. Il y a aussi des palmes posées à plat. L'impression est assez décorative et un peu étrange. Aucune explication vraiment satisfaisante de l'usage n'est donnée moyen d'identifier la tombe ; objets familiers du mort, brisés symboliquement comme sa vie ; ou bien souvenirs de mobilier funéraire, ou de vases à libation, cassés pour ne pas tenter les voleurs... Sans doute un peu de tout cela... -

-------------Sur un côté du cimetière il y er une petite mosquée ou une moçalla, esplanade àciel ouvert pour la prière et un mrassel pour laver les cadavres. La plus importante de ces moçallas est celle du cimetière d'Ammi Sain auquel on accède par le grand barrage de fumier. C'est là que se réunissent, dans les grandes occasions, -les représentants des sept cités, autre exemple de l'émouvante communion des vivants et des morts. Le ton de respect avec lequel mon guide, malékite pourtant, me donna ce détail, indiquait bien la solennité de telles réunions. Ammi Said était un savant renommé qui arriva au Mzab sur un chameau. On se disputait l'honneur de l'héberger. Le premier qui toucherait la monture l'emporterait : ce fut un boiteux qui eut l'idée de lancer de loin son bâton.

-------------L'autre cimetière, le plus beau, est celui de Sidi Bougdemrna ou Baba Ouljemma, saint vénéré par les Arabes et les Mozabites. Venu du Maroc, c'est lui qui aurait épousé Daia, comme nous l'avons dit. Il est enterré sous un assez joli édifice à seize piliers avec un compagnon qui serait, selon certains, l'ancêtre des arabes Mdabih. C'est à ce sanctuaire que le marié vient avec ses garçons d'honneur, ses " vizirs =, le troisième jour après celui des noces. La troupe en fait sept fois le tour. Le marié doit casser d'une seule main un pain apporté par une servante de la mariée, et revenir avec une poignée d'herbe (qui ne me paraît pas facile à trouver). Pendant son retour à la vile, ses garçons d'honneur doivent le protéger contre les coups rituels que cherche joyeusement à lui porter la foule.

-------------Plus loin et plus bas se trouve le cimetière arabe malékite avec trois koubbas de Sidi Abdelkader Jilani le grand saint de Bagdad si vénéré dans l'Afrique du Nord, particulièrement au Sahara et dans l'Oranie. Ici, les tombes s'enfoncent dans le sol, délimitées à la tête et aux pieds par les deux chouahed, " témoins de p erres plates. Pour les femmes, on place une troisième pierre, plus petite, au milieu. Souvent une vieille chéchia, une calotte d'enfant, identifient le mort. Des pousses de palmiers portent des lambeaux d'étoffes. Ce ne sont pas les chiffons ex-voto si répandus partout, mais des morceaux du vêtement que la veuve doit porter pendant toute la période de deuil et qu'elle vient attacher ici sans due personne la voit.

-------------La différence est frappante entre les deux styles de cimetières. C'est comme s'il y avait là deux conceptions de la mort et de la vie ; bien que l'essentiel des oppositions vienne peut-être simplement de l'aisance plus ;eu moins grande des Usagers et de la nature - pierre ou sable - du terrain. Les bourgeois mozabites ber} e.-es soignent leur dernière demeure et vivent au plus haut degré la conception barrésienne de la terre et des morts.

-------------Les Arabes négligent leurs tombes et les oublient assez vite. Ni trace, ni repère comme dit un poème... Tout disparaît rapidement dans le sable indestructible et mouvant écrasé sous le soleil. La seule mémoire où rien ne s'efface est la pensée divine.

-------------Plus loin encore, plus pauvre, plus désolé et comme absorbé, annihilé par la lumière de midi, j'aperçois le cimetière des Arabes chrétiens.

LES MAROUFS

-------------Une des belles coutumes des Mozabites est celle des maroufs, oeuvres pies, distributions de nourriture aux pauvres, à l'occasion d'un décès, ou, périodiquement, avec le revenu des fondations pieuses. Elles se font aussi dans les cimetières. Au début du printemps, il y a un grand pèlerinage à tous ces cimetières. Tandis que les femmes peuvent ce jour-là circuler librement dans la ville, les hommes quittent la mosquée en procession et iront à chaque moçalla prier, lire le Coran, raconter l'histoire du saint ou de l'ancêtre de la fraction et distribuer des aumônes.

-------------Dans quelle mesure les conditions nouvelles vont- elles réagir sur la société mozabite ? Il semble qu'une
évolution s'annonce et cela n'est pas pas sans inquiéter les traditionnalistes qui craignent que tout ne s'écroule avec des coutumes presque millénaires. Au lieu d'aller tous les deux ou trois ans au pays voir leur maison et leur famille, les commerçants mozabites du Nord s'y rendent facilement chaque année ou chaque saison avec le train et les autocars qui mettent aujourd'hui Ghardaïa à 16 ou 17 heures d'Alger. Un parti réformiste dirigé par des hommes de valeur s'est créé, qui, non seulementt, élargit la doctrine religieuse pour la rapprocher, semble-t-il, des quatre rites orthodoxes, mais va jusqu'à préconiser la venue des femmes dans le Tell, alors que le principe était qu'aucune Mozabite ne devait sortir du Mzab, qu'aucun Mozabite ne devait voir le jour ailleurs que dans la terre sainte et devait même, autant que possible, s'efforcer d'y mourir.

Emile DEHMENGHEM.