-----------"
Aussi loin qu'il est donné à l'humanité de remonter
dans ses souvenirs, elle trouve l'Afrique. L'Egypte, un doigt sur les
lèvres, est assise au seuil des civilisations. Au delà,
il n'y a plus que la nuit ! Or, aujourd'hui, qu'après vingt mille
ans (car on ne peut nombrer les siècles) l'homme achève
de parcourir la planète, la ' terre qu'il découvre la dernière,
c'est encore l'Afrique. L'Afrique est à la fois la plus ancienne
et la plus récente conquête de l'humanité .Pendant
la durée d'une si longue histoire, ce continent a fait défaut
à l'histoire. "
-----------Ainsi
s'exprimait en termes éloquents, M. G. Hanotaux dans son discours
d'ouverture de la session du Congrès de Géographie d'Oran
vers 1889. Il est bien exact que l'Afrique, pendant des Siècles,
est restée ignorée, du monde Européen qui déniait
toute histoire quelconque à cette poussière de peuplades,
de tribus, de petits États que la statistique et l'ethnographie
elle-même avaient de la peine à ranger en groupes distincts.
-----------Or;
depuis le Congrès d'Oran, la connaissance de la préhistoire
et l'histoire de l'Afrique, ont fait des progrès considérables.
Toute une lignée d'explorateurs et de savants se sont efforcés,
en particulier, de reconnaître en tous sens le Sahara et d'y découvrir
des traces de son passé jusqu'aux plus lointaines époques.
Des traductions ont été faites des récits des anciens
voyageurs Arabes et Berbères. Des travaux importants ont été
publiés par nos contemporains, touchant la géographie, la
géologie, la préhistoire et l'histoire de l'immense région
comprise entre l'Afrique noire et l'Afrique du Nord, éclairant
de quelques lueurs, encore incomplètes d'ailleurs, les aventures
de l'homme dans cette contrée qui ne fut peut-être pas toujours
un Désert. _
-----------Il
nous a paru intéressant d'examiner à la lumière des
données générales acquises par la science, quelle
fut la nature des relations humaines à travers le Sahara, depuis
les époques les plus reculées où l'homme ait oser
s'aventurer, jusqu'à notre temps où de nouvelles techniques
ont permis de mettre ces relations au niveau de celles qui dans l'ensemble
du monde, règlent désormais les contacts des hommes des
différentes races entre eux.
L E PAYS.
-----------Aspect
géographique du Sahara.
-----------Plaines
immenses, presque sans limites. A peine quelques groupes montagneux importants
: régions du Hoggar, du Tassili des Ajjeur, de l'Adrar et l'Air
soudanais. Donc, en général, parcours facile à priori.
Même les montagnes sont facilement perméables, étant
coupées de vallées, routes indiquées pour les mouvements
humains.
-----------Or,
le Sahara est resté longtemps un des pays les plus inhumains. Le
climat d'abord, supportable en hiver, mais très dur en été.
Le manque d'eau ensuite, car aucun des grands fleuves dont le lit est
encore reconnaissable dans le désert, ne coule plus à l'air
libre sinon, et très temporairement à sa source.
-----------A
peine quelques puits creusés par l'homme, quelques réservoirs
naturels (Redir des Arabes-Aguelmans des Berbères). Puits éloignés
les uns des autres, parfois de 3 à 400 kilomètres.
-----------Jusqu'à
l'occupation française, un obstacle plus redoutable existait :
c'était l'homme lui-même : Maures du Sahara occidental, Touareg
du Sahara central, Tebbous du Tibbesti, opposaient à toute pénétration
leurs bandes pillardes ou (dans les époques de paix relatives)
leurs prétentions à des dîmes excessives sur les marchandises
qui passaient à leur portée.
-----------Mais,
même pour ces pillards, les distances restaient grandes, impossibles
à parcourir par les animaux de bât ordinaires. Seuls chameaux
et mehara pouvaient supporter ces longues étapes et se contenter
des maigres pâturages rencontrés.
LE SAHARA DANS LA PRÉHISTOIRE.
-----------Les
découvertes faites sur la préhistoire du Sahara, sont de
date toute récente. Les reconnaissances et explorations qui n'avaient
débuté qu'avec Barth vers 1850, avaient permis de constater
l'existence de bassins fluviaux très importants auxquels il ne
manquait que de l'eau pour arroser le Désert et faciliter les relations
humaines.
-----------Faut-il
citer entre autres, de l'Ouest à l'Est, les bassins de l'Oued Ghir
et de la Saoura distinctement tracés à travers les sables,
à partir de l'Atlas marocain et qui ne vont se perdre dans le Sahara
qu'après avoir arrosé de leurs eaux, presque dès
le début souterraines, des régions d'oasis importantes dont
la rue des Oasis de la Satura est la plus typique.
-----------Et
encore l'Oued Igharghar qui, né dans le massif du Hoggar, se prolonge
vers le Nord, nettement visible jusque dans cette autre rue des Oasis
que représente la contrée de l'Oued Rhir, aujourd'hui enrichie
par des eaux souterraines jaillissantes. L'Oued se termine dans une région
de Chotts et on sait que des ingénieurs se trouvèrent pour
proposer de rendre à cet immense fleuve, le débouché
qu'il avait jadis dans la Méditerranée, en créant
à son issue, une vaste mer intérieure (projet du Commandant
Hou-claire).
-----------Nous
nous garderons bien d'oublier (ayant nous-mêmes signalé ce
phénomène dès 1904) que l'actuel Niger se jeta jadis
dans un lac ou une mer intérieure située dans la région
d'Arraouan, jusqu'au mo - nient où, par suite d'un phénomène
de capture, bien connu, ses eaux furent " captées " par
celles des grands fleuves descendus du Hoggar et de l'Air vers le Golfe
de Guinée ".
-----------N'avions
nous-mêmes pas généralisé cette constatation
en émettant l'hypothèse d'un changement probable dans un
avenir plus ou moins lointain, du cours actuel du Chari qui serait finalement
" capté ;. par la Bénoué, grand affluent du
Niger dont les eaux vont se jeter aussi dans le Golfe de Guinée
?
-----------Tout
permet donc de supposer que le Sahara inhumain d'aujourd'hui, fut à
une époque lointaine (et qu'on ne peut chiffrer en l'état
actuel) un pays bien arrosé et par suite fertile et capable de
nourrir une certaine population.
-----------De
fait, des officiers sahariens et des explorateurs (parmi lesquels il serait
injuste de ne pas mentionner le savant Henri Lhote) ont fait sur les rives
de ces fleuves, des découvertes singulières : amas d'arêtes
de poissons et d'ustensiles de pierre destinés à broyer
le grain, démontrant l'existence en ces temps reculés de
villages de pêcheurs et d'agriculteurs.
-----------Ailleurs,
ce sont des ateliers de l'âge de la pierre taillée où
l'on trouve de véritables amas de pointes de flèches, de
lances, de grattoirs, sans compter des objets sculptés dont on
ne connaît pas toujours l'usage. -
-----------Les
régions montagneuses où vécurent jadis d'autres hommes,
dont les principales industries paraissent avoir été la
chasse et l'élevage, renferment d'ailleurs de véritables
trésors, sous la forme de dessins et parfois de peintures, reproduisant
les figures des hommes et des animaux qui peuplèrent jadis ces
régions. Nombreux sont les officiers et les savants qui ont pu
faire de telles trouvailles et, en ce moment même sont poursuivies
des prospections qui viendront heureusement compléter celles faites
notamment par Henri Lhote
-----------Parmi
ces dessins préhistoriques on retrouve des traces d'une faune aujourd'hui
disparue, sans doute en grande partie par suite d'un assèchement
du climat : girafes, hippopotames, rhinocéros, dont on a exhumé
d'ailleurs des ossements fossiles, - et parmi les animaux domestiques,
boeufs, moutons, chèvres, et surtout des chevaux du type "
ailé " traînant des chars à la grecque.
-----------Tous
ces indices paraissent démontrer l'existence au Sahara d'une population
primitive dont on ne peut encore affirmer qu'elle fut blanche ou noire,
ou encore rouge comme certains ont voulu le croire.
-----------Quoi
qu'il en soit, on peut sans crainte d'erreur, imaginer une époque
préhistorique durant laquelle les déplacements humains furent
singulièrement facilités par l'existence de ces fleuves
et rivières dont nous avons parlé. Sans doute le climat
était-il entièrement différent du climat actuel.
De là à affirmer un assèchement progressif du Sahara,
il n'y a qu'un pas. Nous ne le franchirons pas, les partisans du maintien
d'un même climat depuis la préhistoire disposant également
d'arguments de valeur.
L'ENTRÉE DU SAHARA
DANS L'HISTOIRE.
-----------C'est
avec les Grecs et les Romains que le Sahara va faire son entrée
dans l'histoire. Certes les données qui peuvent être tirées
des auteurs anciens sont encore vagues et incertaines. On connaît
par exemple le récit rapporté par Hérodote, du voyage
de cinq " Nasamons " qui, traversant le Sahara, seraient parvenus
jusque dans la vallée d'un grand fleuve qu'on a pensé être
le Niger. Mais les idées demeurent troubles et les auteurs ont
tendance à confondre les fleuves : Niger ou Nil que leur signalent
les caravaniers qui, comme de notre temps, commencent de se rendre au
pays des Noirs.
-----------Henri
Lhote, l'un des plus curieux et des mieux informés de tout ce qui
touche au Sahara, ayant relevé lui-même ou entendu parler
de ces gravures rupestres qui représentent des chars traînés
par des chevaux " ailés ", a cru pouvoir établir
l'existence .le véritables pistes sur lesquelles les chars pouvaient
circuler de la Libye, jusque vers l'Adrar soudanais.
-----------Mais
une de ses hypothèses les plus ingénieuses se rapporte à
l'itinéraire qu'il aurait retrouvé, d'un certain centurion
nommé Cornélius Balbus connu pour avoir, prédécesseur
de nos modernes explorateurs traversé le Sahara de part en part.
D'après certains textes qu'il aurait trouvés au sujet des
honneurs du triomphe décernés à ce militaire, et
par suite de rapprochements philologiques très vraisemblables qu'il
a faits, il semble résulter que ce dernier, parti de la Libye romaine,
se soit enfoncé dans le Sud-ouest du Sahara, qu'après avoir
franchi la Hammada el Homra, il soit passé par le pays de "
Lezy " (Ilésy-Fort Polignac) ; que par les défilés
du Tassili des Ajjeur (" Iter proaeter caput saxi ") il se soit
rendu dans les jardins de " Blessa " (A balessa) et qu'il ait
abouti finalement à un grand fleuve que les naturels du pays appelaient
" Harissa " (les Songhai nomment encore le Niger dans son cours
moyen l'Issa Ber).
Hypothèse séduisante certes et qui rencontre l'adhésion
de beaucoup d'auteurs. Mais ce qui paraît certain, c'est que lors
de l'occupation par les Romains de la Libye et de la Mauritanie, ils auraient
eu affaire à des cavaliers Numides et Gétules qu'ils repoussèrent
vers le Sahara, au delà du " limen " dont des études
récentes ont établi les limites. Ainsi se seraient continués
les rapports entre les peuples des deux Rives de la mer saharienne et
s'expliquerait la parenté étroite qui parait unir les Touareg
du Sahara central (tout au moins les " Imrad ", les Touareg
de classe moyenne, aux Kabyles, ces autres Berbères du Nord de
l'Afrique.
-----------Avec
la décadence du Monde romain, la connaissance du Sahara cesse d'intéresser
les possesseurs successifs de l'ancienne Mauritanie romaine. Cependant,
les relations entre ces deux régions ne s'arrêtèrent
pas, bien au contraire, car repoussées par leurs vainqueurs, les
tribus autochtones se retirent soit dans les montagnes où elles
résistent à tous les assauts, soit vers le Sahara où
elles font cultiver les points fertiles par des nègres originaires
des oasis ou bien importés de la Nigritie avec laquelle elles demeurent
en contact. Dans cette période, les chevaux, les boeufs, tendent
à disparaître par suite de la sécheresse et on pense
que c'est au IIIme siècle de notre ère seulement que le
chameau (connu de longue date en Egypte) commencera d'apparaître
dans le désert.
-----------Et
c'est à partir du VIIn e siècle, l'entrée en ligne
des envahisseurs Arabes qui se précipitent à la conquête
de l'Afrique du Nord afin d'y répandre la nouvelle foi. Seul, vers
l'Ouest, l'Océan Atlantique pourra arrêter les hordes de
Sidi Okba, mais les sables du Sud ne constitueront pas un obstacle pour
ces nomades accourus de la péninsule arabique, tout aussi désertique
que le Sahara.
-----------Leurs
explorateurs répandent dans le monde de l'Islam la connaissance
du Sahara en même temps que celle du Soudan où ils s'efforcent
d'introduire la nouvelle foi. Parmi eux nous pouvons citer El Bekri qui,
au XI' siècle recueille de précieuses informations sur la
vallée du. Niger, Ibn Batouta qui vint à Tombouctou vers
le XIVme siècle, Ibn Haoukal, Ibn Khaldoun, le plus réputé
d'entre eux, auteur d'une histoire des Berbères, Léon l'Africain,
etc...
-----------Tous
ces auteurs et après eux le TARIKH ES SOUDAN et le TARIKH EL FETTACHI,
apportent au
monde civilisé du XV siècle une idée de ce qu'a été
au début de notre ère le développement propre des
régions soudanaises, sous l'influence et par le contact des Berbères
venus du Nord.
-----------Ce
n'est pas le lieu d'esquisser d'après tous ces auteurs les épisodes
divers de l'histoire de la civilisation des pays soudanais. Divers états
centralisés s'y succèdent : Etats de Ghanade Mali, du Songhaï.
On ne peut que s'en faire une vague idée à travers les généalogies
de leurs rois que le TARIKH-ES-SOUDAN énumère. La richesse
de ces derniers devient proverbiale et attire la cupidité des Sultans
du Ma-roc. Par un mouvement inverse de celui qui avait conduit une des
tribus du Sahara occidental, les ALMORAVIDES, à envahir le Maghreb
et finalement l'Espagne, les CHORFA du Maroc, allaient porter leur activité
guerrière vers l'Empire des Askia qui depuis le XIII ` siècle,
dirigeaient les destinés des Songhaï
-----------La
préparation de la campagne qu'ils méditaient, précédée
d'ambassades solennelles de part et d'autre, d'escarmouches et de razzias,
fut conduite par les souverains du Maroc avec une réelle persévérance.
Enfin, après quelques échecs, une petite armée formée
aux ordres du pacha Djouder, dit : El-Mansour (Le Victorieux) et envoyée
par le Sultan Mouley Ahmed, atteignit Tombouctou, non sans grande difficultés,
en passant par Teghazza et Taoudenit, et vainquit en un combat décisif
l'armée d'Askia Ishak, qui dut se résoudre à l'abdication
et à l'exil.
-----------Il
semblait qu'après cette victoire, le Maroc agrandi d'une partie
importante du Soudan, dut continuer les contacts avec sa nouvelle colonie
et y apporter, à travers le- désert pacifié et purgé
de ses tribus pillardes, une organisation durable. Or, cet Empire livré
à tous les avatars des pays orientaux, retomba bientôt dans
un état d'anarchie chronique, qui empêcha les sultans, réduits
à l'impuissance, de continuer de ce côté leurs efforts.
-----------Dès
lors, la Boucle du Niger, partagée par une multitude de petits
tyrans locaux, va -perdre ses attaches avec l'Afrique du Nord et sera
livrée à tous les périls.
-----------Tandis
que Maures et Touareg qui ne sont plus tenus par une main forte, bornent
leur activité à piller les régions plus riches qui
bordent le Sahara vers le Sud et y détruisent peu à peu
les populations emmenées par eux en captivité, les contrées
du Soudan passent de main en main, sans connaître désormais
la stabilité qu'elles avaient peut-être eue sous les souverains
de Mellé, de Ghana et du Songhai.
-----------Chassés
eux-mêmes d'un Sahara qui devient chaque année plus sec et
plus stérile, les nomades Maures et Touareg s'enfoncent plus loin
dans le Soudan, pour y former le peuplement d'une bande de terrain qui
s'étend de jour en jour vers le Sud. On ne sait pas assez que la
majorité de la population de l'Afrique, située au Nord du
16è parallèle est de race blanche, apparentée par
tous ses caractères somatiques et mentaux aux Berbères du
Nord.
Et, dans ce phénomène qui n'a pas assez attiré l'attention,
on devra reconnaître la cause de la transformation de la race proprement
noire, influencée par des métissages lointains et continus.
-----------Un
fait analogue pourra d'ailleurs être relevé dans le Sahara
central et oriental où se produiront des infiltrations analogues
de la race blanche, qu'il s'agisse des missionnaires arabes venus de Tripoli
vers le Tchad, Ouled Sliman, ou bien d'autres tribus qui ont remonté
la vallée du Nil et de la région des marais se sont rabattus
vers le Tchad (Chouas).
-----------Mais
il convient de noter que dans tous leurs déplacements Arabes et
Berbères n'ont pas eu d'autre moyen de transport que le chameau
et le méhari.
|
|
L'INTERVENTION DE LA
FRANCE AU SAHARA.
-----------Avec
l'entrée en ligne de la France, l'histoire du Sahara va se fixer
dans ses lignes définitives. Dès le début, grâce
à un petit nombre de hardis explorateurs, le Sahara va être
parcouru en tous sens. Parmi. eux René Caillé retrouve les
traces des armées marocaines de Djouder et Duveyrier prend un contact
amical avec les Touareg. D'autres explorateurs parmi lesquels ressortent
les noms de Barth, de Nachtigal, de Rohls... parcourent le Sahara central
et les pays qui le bordent vers le Sud.
-----------Derrière
les explorateurs, arrivent les colonisateurs. La France s'établit
sur les côtes de l'Océan Atlantique, du Golfe de Guinée,
du Congo et son extension fait tâche d'huile jusqu'au moment où
les trois groupes de colonies et de possessions françaises de l'Afrique
du Nord et de l'Afrique occidentale et de l'Afrique équatoriale
se seront réunies pour former un ensemble magnifique.
-----------Mais
entre eux, les séparant plus que les réunissant, se trouve
l'obstacle opposé aux relations humaines par le Sahara. Et ce sera
la tâche du XX'"e siècle de le supprimer.
**********
-----------Dès
le début, l'Algérie va avoir une politique saharienne. Elle
ne peut faire autrement, à moins de se limiter à une étroite
bande côtière, celle de 1"occupation restreinte
".
-----------Du
Sud du Sahara surgissent des rezzous qui pillent les populations du Nord.
Il n'est pas tolérable, ou'à portée immédiate
de pays tranquilles, opèrent en toute sécurité des
bandes de pillards.
-----------Les
officiers des " Bureaux Arabes " créés depuis
peu s'efforcent d'abord de réunir tous renseignements sur le Sahara
français, sur son état social, sur son commerce. Toutes
les informations recueillies concordent. Le désert, tout entier,
est livré aux exactions des tribus guerrières qui les habitent.
La misères des quelques sédentaires qui cultivent les oasis
sahariennes, comme les " arrems " du pays Targui est affreuse.
Le commerce se borne, avec le passage de quelques rares caravanes, qui
portent des produits européens en pays noirs, à la traite
des esclaves que les Nomades continuent de prélever au prix de
sanglants combats sur les pacifiques populations noires.
-----------Aussi
la pénétration saharienne se dessine-t-elle, à un
rythme d'abord lent, puis accéléré lorsque des plans
de liaisons transsahariennes sont dressés. Le massacre de la mission
saharienne du colonel Flatters, n'arrête la marche en avant que
pour un temps. Le succès de la mission saharienne Foureau-Lamy
dissipe le mirage d'un Sahara invincible et prépare la réunion
des efforts faits de part et d'autre du désert.
-----------Dans
la période de quinze années qui va suivre, l'A.O.F. et l'A.E.F.
qui sont pervenues en lisière du Grand Désert vont à
leur tour faire tâche d'huile jusqu'à ce qu'elles trouvent
leurs limites avec l'Algérie.
-----------Les
accords internationaux de 1898 et 1899 ont permis à la France de
poursuivre la pacification du Sahara. Conduites parallèlement,
les opérations entreprises par le Nord et par le Sud du Sahara
aboutissent rapidement au but recherché (sous l'oeil parfois ironique
de nos éternels concurrents en Afrique). Il n'importe. Le commandant
Laperrine, créateur des compagnies sahariennes ouvre le premier
l'ère des rencontres interafricaines. Non sans quelques incidents
plus ridicules qu'affligeants, il fait fixer les limites du Sahara Algérien
vers le Sud et dès lors ce seront des rencontres fréquentes
entre troupes des Deux Rives, rencontres toujours cordiales et qui aboutissent
finalement à la signature de la Convention de Niamey (1909) qui
règle de façon définitive la question des limites
des deux zones.
-----------Toujours
sous l'impulsion du colonel Laperrine, les compagnies méharistes
s'étendent vers les limites occidentales de la Libye, à
ce moment d'obédience turque. La paix s'étend sur le Territoire
des Oasis tout entier et l'on commence à parler de sa mise en valeur.
-----------Certes
toute cause d'insécurité n'a pas disparu et en 1913 le lieutenant
Gardel doit soutenir un combat très dur, mais finalement victorieux
à Esseyen où des bandes Touareg, très supérieures
en nombre. viennent l'attaquer.
Mais s'agissant de transports sahariens, rien de nouveau n'a été
fait ni tenté pour remplacer chameaux et mehara restés seuls
chargés des communications, des transports et même des courriers
à destination du Soudan.
-----------Sait-on
que lorsque le colonel Laperrine institua les premiers courriers transsahariens
à méhara, la durée de leur transport s'avéra
comme un succès lorsqu'on réussit à faire passer
en deux mois lu poste transsaharienne. On avait bien étudié
la possibilité de la pose d'un fil télégraphique
d'Alger à Tombouctou, mais pour toutes sortes de raisons, dont
les accidents qui seraient dus au long cou des girafes, cette innovation
fut retardée.
-----------Telle
était la situation en 1913, au moment où un nouveau commandant
militaire prit la suite du
commandant Payn qui avait été le successeur immédiat
de Laperrine rentré en France avec le grade de général.
Sous l'impulsion du gouverneur général Lutaud, plein d'initiative
et de dynamisme, le nouveau commandant militaire des Oasis présenta
à M. Eugène Etienne, grand ami de l'Algérie et des
colonies, un plan de modernisation du Sahara qui fut adopté aussitôt.
-----------Il
s'agissait d'utiliser les découvertes récentes de la technique
moderne, pour rendre plus faciles les relations transsahariennes par le
moyen de la T.S.F., de l'automobile et de l'avion. Dès ses premières
tournées d'inspection, le nouveau chef étudia les moyens
de tirer parti de ces outils. Les correspondances qu'il eut à ce
sujet avec le général Laperrine et les longues conversations
qu'il eut avec le R.P. de Foucauld les montrent tous les _deux fort intéressés
par ces réformes.
-----------Et
aussitôt on se met au travail. Tous les déplacements des
officiers et des sous-officiers sahariens sont utilisés pour rapporter
de renseignements topographiques sur les différents itinéraires
automobilisables réunissant les centres nerveux du Sahara. Des
correspondances sont échangées avec le général
Ferrier, le grand initiateur en T.S.F., que la question intéresse
au plus haut point. Enfin, le lieutenant aviateur de Laffargue amorce
brillamment l'entrée de l'avion au Désert
-----------Le
14 mais 1914, enfin, est inauguré à Touggourt, au milieu
d'une grande affluence, le chemin de fer à voie de 1 m de Biskra
à Touggourt, création de M. C. Lutaud, et réalisation
du colonel du Génie Godefroy (1M. le Gouverneur général
Léonard a approuvé le prilcipe de l'apposition en gare de
Touggourt d'une plaque rappelant le souvenir de ce bon serviteur du pays.).
-----------Malheureusement
tous ces beaux projets seront interrompus ou tout au moins mis en sommeil
par la guerre de 1914. Des besognes militaires plus immédiates
s'imposent pour protéger l'Algérie contre les attaques des
Senoussistes qui, après avoir reconduit les Italiens à la
côte, se tournent progressivement contre nous. Quels regrets de
ne pouvoir disposer à ce moment d'autres moyens de transports que
des des chameaux de bât et des méhara. Sur une ligne de communication
de plus de 1.500 km les troupes et goums engagés, après
avoir chassé l'ennemi de Djanet, dans une lutte sans issue puisqu'on
leur interdit d'occuper les oasis de Rhat et de Rhamadès, nids
de vipères où les Senoussistes préparent silencieusement
leurs attaques, doivent se cantonner sur la défensive.
-----------C'est
pourtant de cette époque (mai 1915) que date la première
performance importante de l'auto-mobile. Le lieutenant Isnard réussit
ce coup de maître en utilisant une piste de fortune construite d'Ouargla
à In-Salah par Inifel.
Mais il faudra la nomination du général Laperrine au commandement
d'un Sahara très agrandi pour voir s'introduire des engins automobiles
qui. faute de pistes suffisantes, sèmeront leurs cadavres tout
au long des pistes sahariennes.
-----------Par
contre, la T.S.F., introduite progressivement. dans les postes, rencontre
le plus beau succès et justifie toutes les espérances qu'on
avait mises en elle.
L'aviation militaire ne fera qu'une timide apparition qui se clora malheureusement
par l'accident survenu au général Laperrine lui-méme.
-----------En
résumé, dans cette période qui se termine avec la
guerre, automobile, aviation, T.S.F., n'ont fait que de timides et malheureux
essais. Il faudra le retour au temps de paix pour permettre la reprise
de tous les projets ébauchés. Encore cette reprise aura-t-elle
lieu sur l'initiative des grandes firmes françaises d'autos Citroën
et Renault qui réussiront, la première la grande croisière
Noire d'Alger au Cap et à Madagascar,' la 2-, l'utilisation pratique
des pistes existant entre Colomb-Béchar et Gao.
UN PROGRAMME GENERAL
DE MODERNISATION DU SAHARA.
-----------En
l'année 1925, M. Viollette était nommé Gouverneur
général de l'Algérie et aussitôt il se déclarait,
en matière saharienne tout au moins, l'héritier direct de
M. C.' Lutaud.
-----------Il
profiterait des conférences annuelles nord-africaines qui réunissaient
chaque année tous les Gouverneurs et Résidents généraux
de l'Afrique française pour leur proposer d'harmoniser la politique
saharienne de tous ces pays, de créer entre eux un puissant réseau
de pistes automobiles, un ensemble cohérent de stations de télégraphie
sans fil. Enfin, d'étudier, avec le concours de l'aviation militaire,
les possibilités de l'avion au Désert.
-----------Les
années qui suivirent furent capitales pour le développement
des relations transsahariennes. Dès 1926-1927, une mission importante
d'Algériens - commerçants, savants, hommes politiques -
pouvait se rendre au Soudan en automobile.
-----------Des
compagnies de transport subventionnées étaient très
vite créées et trouvaient dès leur début de
nombreux clients.
-----------La
compagnie AIR AFRIQUE du regretté commandant. Dagnaux commençait
de fonctionner en " pool" avec la société belge
S.A.B.E.N.A.
-----------Le
réseau de T.S.F. fonctionnait sans défaillance et cet ensemble
de conditions favorables permettait la réalisation d'un rallye
d'Alger au Niger qui démontrait victorieusement, grâce à
une organisation parfaite due à son commissaire général,
capitaine Nabal, que désormais le Désert était franchissable
pour n'importe quelle voiture de série (1930).
-----------En
1936, enfin, s'organisait cette fois en avion une très importante
mission des Chambres de Commerce d'Algérie qui réussissait
pleinement et sans le moindre à-coup, grâce à l'intervention
du regretté Maurice Cardinal.
LE COMITE " ALGERIE
ET COLONIES ".
-----------Les
années passaient et démontraient par les résultats
obtenus la justesse des vues d'un autre grand disparu : M. Morard, président
de la Région Economique d'Algérie.
-----------Sous
sa haute impulsion, un comité " Algérie et Colonies
", comprenant les plus hautes personnalités de la politique
et de l'économie algérienne était créé.
Les résultats de son action se traduisaient par une augmentation
très sensible du trafic entre l'Algérie et l'Afrique noire.
-----------Déjà,
élargissant ses vues, le Comité préparait un nouveau
Rallye International Automobile de la Méditerranée au Cap,
lorsque une nouvelle guerre mondiale éclata en 1939 et parut une
fois encore devoir annihiler les résultats obtenus au prix de tant
d'efforts.
-----------Il
n'en résultait pas moins que dans la période de 1913 à
1939, la question des relations transsahariennes avait été
résolue pour le mieux et si les projets de Chemin de Fer Transsaharien
subirent par contre quelque retard, celui-ci n'en demeure pas moins vivant
et prêt à renaître de son long sommeil, si toutefois
d'autres découvertes ne viennent pas encore changer la face des
choses.
-----------Dans
un prochain article faisant directement suite à celui-ci, nous
nous- proposons de donner un aperçu des conditions dans lesquelles
a été organisé en 1950-1951 le Rallye de la Méditerranée
au Cap, qui fut un grand succès. Une nouvelle épreuve du
même genre est en préparation et elle rencontre l'assentiment
et les encouragements du public et du gouvernement.
-----------M.
le président Pinay lui a accordé son patronage en terme
particulièrement chaleureux. M. le Président de la République
lui-même a bien voulu l'honorer d'une semblable faveur.
-----------Ainsi
les efforts que le Comité d'Organisation a faits ont trouvé
leur première récompense. Elles seront couronnées,
nous l'espérons, par la création de sentiments communs entre
les divers pays d'Afrique, préliminaire à la création
d'une Eurafrique homogène et cohérente.
GENERAL O. MEYNIER.
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