------------En
Afrique du Nord et notamment en Algérie les problèmes de
l'eau revêtent une exceptionnelle importance. On a souvent dit,
avec beaucoup de raison, que l'Algérie est un pays essentiellement
agricole, et n pays agricole pauvre. Pourtant ce pays doit pouvoir nourrir
une population, actuellement de quelque neuf millions d'habitants qui
s'accroît à la cadence d'au moins 120.000 individus par an.
Pour arriver à résoudre ce problème difficile plusieurs
moyens fondamentaux doivent être employés, parmi lesquels
la domestication de l'eau et son utilisation rationnelle est un des plus
puissants.
LES CONDITIONS NATURELLES
------------Cette
importance particulière de la question de l'eau provient aussi
des conditions naturelles elles-mêmes, dont il convient de rappeler,
fût-ce brièvement et schématiquement les caractères
si l'on veut bien comprendre la nature même de l'équipement
hydraulique, ce qu'il est actuellement, et ce qu'il doit devenir.
------------Il
est bon de rappeler tout d'abord que si la partie la plus prospère
de l'Algérie est constituée par les quelque 120.000 km2
de la bande tellienne, formée en gros par les bassins versants
tributaires de la Méditerranée, il n'est plus permis aujourd'hui
de limiter à ces seules régions ce qu'on pourrait appeler
l'Algérie utile. Il faut y englober toute la zone des hautes plaines
comprise entre le versant méridional de l'Atlas Tellien et le versant
nord de l'Atlas Saharien, qui peut être aménagée pour
l'élevage extensif ou, quand l'altitude diminue, pour la culture.
Il faut y faire entrer aussi certaines régions proprement sahariennes,
au sens géologique et géographique du terme, mais où
la présence d'importantes ressources en eau crée des conditions
favorables à la vie. C'est ainsi que, dans le Sud Constantinois,
la région des Zibans et de l'Oued-R'Hir tient une place honorable
dans l'économie du pays.
------------Au
Sahara, la pluie est si rare qu'on ne peut compter sur les précipitations
locales pour faire pousser les plants et alimenter les gens et les bêtes.
L'eau employée, puisée dans les nappes souterraines, vient
par un lent écoulement de régions plus clémentes.
------------La
zone des hautes plaines reçoit une hauteur d'eau non négligeable
(entre 15o et 350 m/m) qui toutefois ne permet qu'exceptionnellement la
culture des céréales. On pourrait dire de la partie tellienne
qu'elle est assez bien arrosée, si on ne considérait que
les moyennes générales dans l'espace et le temps. Mais la
seule considération des moyennes conduirait à des conceptions
très fausses.
------------Tout
d'abord les précipitations sont très mal réparties
dans l'espace. Elles atteignent à peine 400 m/m par an en Oranie,
où se trouvent pourtant les plus belles et les plus vastes terres.
Elles sont de l'ordre de 8oo m/m dans l'Algérois, et passent à
des valeurs parfois très élevées, supérieures
à un mètre quand on se déplace vers l'Est, où
précisément la superficie des terres de plaine qui peuvent
en profiter au maximum diminue considérablement.
------------En
second lieu, l'irrégularité dans le temps est considérable,
irrégularité au cours des saisons, qui sont inscrites dans
le paysage, notamment sur les callées d'oueds, et c'est à
dessein que ce terme arabe est employé ; un oued n'est pas
une rivière au sens européen du mot. Qui parcourt l'Algérie
est obligatoirement frappé par, ces puissantes vallées franchies
par des ponts très longs et au fond desquelles coulent de simples
filets d'eau, ou qui sont même complètement sèches.
Le voyageur curieux apprendra que tel pont, pourtant si disproportionné
en apparence, est le successeur d'un ouvrage un peu plus modeste enlevé
naguère par une crue de plusieurs milliers de mètres cubes
par seconde. Depuis, l'oued est pratiquement à sec huit mois sur
douze,et la plus forte crue n'a pas dépassé 200 m3/sec.
------------Aridité
ou semi-aridité de vastes régions, irrégularité
annuelle et interannuelle foncière, telles' sont les caractéristiques
fondamentales (le l'Algérie hydraulique. Ajoutons-y la jeunesse
des reliefs accusés par l'abondance des plaines suspendues, des
bassins fermés, ainsi que par la forme très peu évoluée
des profils en long des thalweg, le peu de dureté des roches géologiquement
jeunes dans l'ensemble, la présence trop fréquente de sels
et l'instabilité de la couverture végétale causée,
à 'la fois par les circonstances du climat et souvent, il faut
bien le dire, par l'action néfaste de l'élément humain,
et nous commencerons à bien comprendre l'allure générale
du pays.
------------L'eau
torrentielle burine la montagne, dénude les pentes, alluvionne
les plaines en haussant sans cesse des champs d'épandage sur lesquels
les oueds changent leurs cours. Dans bien des régions, les récoltes
en, culture non irriguée sont médiocres ou nulles trois
années sur cinq. Viennent à la suite l'une de l'autre quelques
années sèches et les sources tarissent, les puits sont bas,
villes et villages souffrent du manque d'eau potable, le cheptel meurt
de soif. Et puis, un beau jour, on voit des ponts partir, les oueds divaguer
à travers le cultures, les nappes phréatiques salées
remonter brutalement et tuer les plantes, et surgir une attaque généralisée
du paludisme, fruit des marécages mal drainés et des mares
sans écoulement.
------------Lutter
contre tout cela, essayer de rétablir artificiellement une régularité
qui n'est pas dans la nature des choses, et de discipliner ce qui est
sauvage, voilà une tâche certes vaste et difficile, mais
absolument indispensable si l'on veut faire vivre mieux un plus grand
nombre d'hommes, d'une part en leur permettant de tirer d'une terre assainie,
défendue et arrosée, des ressources vivrières plus
abondants, d'autre part en trouvant dans l'exportation des produits agricoles
de choix une compensation aux importations nécessaires de combustibles,
de machines, de produits fabriqués et de compléments de
nourriture.
L'EQUIPEMENT HYDRAULIQUE
DANS L'ANTIQUITÉ
------------Ce
serait ici le moment de raconter l'histoire des différentes phases
de l'équipement hydraulique du pays. Outre l'intérêt
que cette étude présente pour le simple curieux, elle est
pleine d'enseignement pour le technicien et le spécialiste d'économie
rurale. Par exemple, il est impressionnant de retrouver sur des photographies
aériennes les traces d'aménagements complets réalisés
par les Romains, de petits bassins versants en régions- semi-arides.
La perfection des méthodes combinées de lutte contre l'érosion
et d'utilisation des eaux superficielles si elle peut de nos jours être
généralisée grâce à nos moyens modernes
d'exécution, n'est guère surpassable. Certaines villes d'Algérie
sont encore alimentée par des captages, des aqueducs et des réservoirs
romains. La leçon que nous ont donnée les sapeurs de la
conquête est aussi d'un puissant intérêt et mériterait
un examen critique sérieux. Mais tout ceci nous entraînerait
bien trop loin.
------------Nous
allons donc passer en revue rapidement, en essayant d'user d'un classement
artificiel et peu rationnel, mais commode, les différents aspects
de cette question d'équipement hydraulique. On essaiera de donner
l'état actuel des choses en faisant ressortir les perspectives
d'avenir sous l'angle purement hydraulique.
LA RESTAURATION DES
SOLS
------------Un
des aspects fondamentaux de ces travaux d'équipement a trait à
la lutte contre les eaux nuisibles. Le ravinement des pentes, on l'a (lit
plus haut, est un mal chronique dont souffre l'Algérie. Rien ne
vaut pour bien estimer la gravité de ce mal, le survol du pays.
Il y a là quelque chose de très inquiétant, car le
sol arable ne se reconstitue pas à l'échelle humaine, et
son enlèvement supprime toute vie.
------------La
protection des pentes par les procédés désormais
classiques du reboisement, de l'arboriculture fruitière sur banquettes,
de la culture en terrasse, et (le la régularisation des ravins,
ne ressortit que d'assez loin à l'hydraulique. On n'y insistera
donc pas, sauf pour dire que ce travail conditionne étroitement
le labeur de l'hydraulicien dans la plaine, lequel sait, faire couler
l'eau, mais est peu habile à manier galets, sable ou limon ; pour
(lire aussi que l'Algérie, après une période expérimentale
féconde, s'engage résolument dans cette voie essentielle
pour elle de la défense (les sols.
LES EAUX NUISIBLES
------------De
l'eau qui ruisselle et qui s'infiltre, seule une partie de plus en plus
importante d'ailleurs, peut être domestiquée et récupérée
pour des usages humains. L'autre est nuisible : c'est celle qui ronge
les berges, inonde, crée des marécages, fait remonter les
nappes. Très schématiquement, trois genres de problèmes
se posent à l'ingénieur :
-------------
faire écouler le plus rapidement possible les eaux superficielles
plus ou moins canalisées à travers les plaines cultivables
;
-------------
supprimer les marais stériles et générateurs de paludisme,
en rendant les terres à la culture ou à l'élevage
,
-------------
drainer le sol partout où cela est nécessaire pour permettre
aux plantes et surtout aux arbres, de disposer d'une tranche de sol saine
sans que leurs racines risquent la pourriture ou l'asphyxie.
------------Le
drainage proprement dit est surtout indispensable en zone d'irrigation
: de très importants travaux de drainage par fossé sont
visibles en ces régions, notamment dans le Bas-Chéliff,
et dans les plaines de Relizane, de Perrégaux et du Sig. Quand
la présence d'une couche perméable en sous-sol le permet,
on peut songer à la mise en écoulement libre de ce drain
naturel par puits de pompage. Un essai en grand est en ce moment tenté
dans la plaine de Perrégaux. Ce procédé permettrait
de substantielles économies par rapport au système classique
des fossés, coûteux à faire et surtout à entretenir.
------------L'écoulement
des eaux superficielles à travers les zones cultivées a
donné lieu dans le passé à des tentatives grandioses,
mais peu fructueuses à,cause des phénomènes d'alluvionnement.
Que reste-t-il des lits canalisés de l'oued Sig, de l'Habra, des
oueds de la Mitidja ? Peu de choses utiles, hélas ! La leçon
est pleine d'enseignements Elle a eu le mérite d'apprendre aux
Algériens qu'il était bien inutile <le tenter une telle
aventure, tant que l'eau arrivant dans la basse partie des cours continuerait
à charrier et à déposer autant de matière
solides : on doit commencer par le travail en montagne, et tout ce qu'on
réalise en ce moment, sous l'empire de la nécessité
et pour éviter des événements graves. n'a que le
caractère d'un palliatif temporaire.
------------En
ce qui concerne la lutte contre le marécage et l'eau stagnante
en général, par contre, les résultats acquis' sont
déjà brillants et définitifs, et on peut de confiance
poursuivre l'oeuvre entreprise. Pour ne citer que l'exemple le plus marquant,
une vaste partie de la plaine de Bône, i5.ooo hectares environ,
a été assainie et rendue à la culture, grâce
à un réseau complexe de canaux d'écoulement et à
l'aménagement rationnel des exutoires à la mer. Bien d'autres
travaux sont réalisés, ou en cours à l'heure actuelle
dans la même région de Bône, en Mitidja, dans les plaines
successives du Chéliff, et dans les basses plaines d'Oranie.
------------Si
l'on a insisté un peu sur la lutte contre les eaux nuisibles, c'est
que son caractère ingrat, peu .spectaculaire et, particulièrement
difficile ne doit pas faire oublier que dans l'équipement hydraulique
les réalisations de ce genre sont absolument fondamentales, et
qu'elles sont saris qu'il y paraisse bien, parmi les plus payantes.
LES BARRAGES EXISTANTS
------------Mais
abordons maintenant le chapitre le plus attrayant (le l'eau utile, ou
plus exactement de l'eau que l'on peut rendre utile.
------------Le
caractère fondamental du; pays étant l'irrégularité,
on est bien obligé de penser immédiatement à la régularisation
des cours d'eau, chaque fois qu'un débit annuel moyen suffisant
le justifie. et que les circonstances topographiques et géologiques
permettent de trouver des emplacements favorables à la création
(le barrages-réservoirs. ------------Cette
dernière condition, est, hélas, bien peut souvent réalisée
véritablement, car en Algérie les terrains d'assise sont
rarement favorables à de telles constructions. ------------Seul
un besoin aigu a poussé à l'édification d'ouvrages
en des emplacements qui, en d'autres pays, eussent été abandonnés.
------------Nos
devanciers avaient montré la voie avec (les moyens précaires,
mais aussi avec une constance et une hardiesse dignes d'éloges.
------------Les
anciens barrages du Tlélat, du Sig, des Cheurfas, de l'oued Fergoug
et de la Djidjouia en Oranie, de Meurad, du Hamiz, sans compter de nombreux
ouvrages secondaires, ont été des histoires compliquées,
agrémentées de ruptures souvent assez catastrophiques. Les
survivants encore utiles sont rares, car leur capacité trop faible
les condamnait à une vie courte, à cause de l'envasement.
Certains d'entre eux ont pu être consolidés, parfois surélevés,
et rendent encore des services appréciés. C'est le cas de
celui des Cheurfas. sur le Mékerra en Oranie (Saint-Denis-du-Sig)
et surtout de celui du Hamiz, aux portes d'Alger, qui a été
consolidé par l'amont, surélevé et muni d'un réservoir
(le capacité raisonnable en 1934-35.
------------C'est
en 1920 qu'a été élaboré le vaste programme
de barrages-réservoirs dont l'achèvement total, nonobstant
les difficultés techniques parfois considérables. une cadence
de financement trop lente et, pour finir, la guerre, est maintenant acquis.
------------En
pratique, la réalisation de ce programme a commencé en 1926
par le début de la construction du barrage de l'Oued-Fodda,
très beau mur rectiligne de près de 100 m. de haut, installé
dans une gorge calcaire, et retenant plus de 200 millions de mètres
cubes d'eau. La seule difficulté sérieuse fut l'étanchement
des fissures du rocher, et il faut voir là la première utilisation
à grande échelle, et avec un plein succès, des procédés
modernes d'injection.
------------Le
barrage du Ghrib, sur le Haut-Chéliff, et celui de Bou-Hanifia
sur l'Oued-el-Hammam, en Oranie, offrent des caractéristiques
communes. Installés dans des vallées molles, sur des terrains
franchement mauvais, compressibles et entraînables, sur des rivières
offrant des possibilités de crues de 4.000 à 6.000 mètres
cubes/seconde, ils comportent tous deux un énorme massif de gros
enrochements arrimés, un masque amont à base de béton
bitumineux spécialement étudié des parafouilles très
profonds, des rideaux d'injections extrêmement développés,
des moyens de drainage complexes et des ouvrages évacuateurs de
crues particulièrement puissants. Nous n'avons pas le temps d'insister
sur les caractéristiques détaillées, ni sur les dimensions,
que l'on pourra aisément trouver dans des publications bien connues.
Disons simplement que le Ghrib a une soixantaine de mètres de hauteur,
Bou-Hanifia une cinquantaine et que chacun des deux ouvrages a nécessité
la mise en uvre de 7 à 800.000 mètres cubes de matériaux.
------------Le
barrage de Bakhadda, sur la Mina (affluent du (Chéliff),
est également un barrage en enrochement de 45 mètres de
haut. Le masque étanche d'une technique un peu plus ancienne, est
en béton armé souple.
------------Sur
a Tafna, presque à la frontière marocaine, s'élève
un bel ouvrage à voûtes multiples, le barrage des Beni-Bahdel,
de 54 m. de haut, destiné à l'alimentation en eau de la
ville d'Oran, et aux irrigations de la plaine de Marnia. Les voûtes
inclinées à 45 degrés et s'appuyant sur des contreforts
en béton massif, ont 20 m. de portée d'axe en axe de ces
derniers. Une surélévation de 7 mètres décidée
en cours de construction conduisit à l'utilisation de procédés
élégants de précontrainte, qui constitue une des
originalités du barrage. Une autre réside dans l'évacuateur
de crues dit en a becs de canard ", installé sur l'un des
deux ouvrages secondaires de fermeture de cols situés à
une côte trop basse.
------------On
se contentera de mentionner les autres ouvrages du même programme,
celui du Ksob, à voûtes multiples, dans la région
du Hodna, ceux de Foum-E-Gheïs et des Zardézas,
également dans le Constantinois.
------------Ces
ouvrages, qui tous ont leur originalité propre, et ont pratiquement
tous donné lieu à des difficultés exceptionnelles
de construction, constituent des réussites techniques que les ingénieurs
d'Algérie sont assez fiers de montrer aux visiteurs.
------------Ils
sont aussi, et c'est cela qui compte, une source de richesses particulièrement
précieuses, et le prix souvent élevé de leur construction
difficile n'enlève rien à leur puissant intérêt
économique.
LES TRAVAUX ACTUELS
------------Très
récemment l'Algérie, nonobstant toutes les difficultés
(le l'heure, a eu la hardiesse d'entreprendre un nouveau programme de
grands barrages. Deux d'entre eux sont en pleine construction : l'un sur
l'Oued-Sarno, en Oranie, barrage en terre destiné à compléter
et garantir les irrigations du Sig, mal assurées par le vieil ouvrage
des Cheurfas ; l'autre sur l'Oued-El-Abiod, dans la région de Biskra
; il barrera par une voûte hardie la gorge calcaire du Foum-El-Gherza,
à la traversée (lu dernier chainon que l'oued descendu de
l'Aurès et coulant vers le Sud traverse avant son entrée
dans la plaine désertique. Cet ouvrage sera le premier exemple
d'un réservoir d'irrigation à utilisation proprement saharienne.
Lé barrage de l'Oued-El-Taht sur un sous-affluent du Chéliff
(affluent de la Mina) en Oranie, dont l'édification sera entreprise
vers la fin de l'année, permettra de compléter la régularisation
du bassin de cet oued, tandis que celui du Meffrouch, dont la construction
est également décidée, permettra l'alimentation en
eau potable et industrielle de Tlemcen, ainsi que de riches" cultures.
LES PROJETS
------------Enfin,
tout un programme est actuellement à l'étude, dont la réalisation
progressive, sera l'oeuvre des années à venir. Citons rapidement
les projets : régularisation de l'Isser au sud d'Alger, qui permettra
l'extension massive des irrigations en Mitidja orientale, ainsi que l'alimentation
sûre de l'agglomération algéroise. Régularisation
du Sly, du Riou, affluents du Chéliff ; de la Bau-Namoussa et de
l'Oued-Kébir dans le Bônois ; ouvrages divers sur certains
oueds importants de l'Atlas Saharien, etc...
LES DIFFÉRENTS
MODES D'IRRIGATION
------------Que
fait-on de cette eau si précieuse, régularisée à
grands frais par nos barrages-réservoirs ? II faut maintenant la
distribuer sur les terres en en perdant le moins possible, et en assurant
un service très souple parfaitement adapté aux exigences
diverses des terres et des cultures. Dans ce domaine des réseaux
d'irrigation modernes, il n'est pas exagéré de dire de l'Algérie
qu'elle est en tête du progrès et il est réconfortant
de voir l'étranger prendre souvent ici ses modèles. On ne
saurait s'appesantir, faute de temps, sur les caractéristiques
des différents réseaux. Disons que, suivant les formes topographiques,
ils sont établis soit en canaux préfabriqués en usine,
soit en conduite forcées en béton précontraint de
divers types, soit suivant un système mixte, et équipés
de multiples appareils automatiques simples fabriqués en série
pour le partage, la prise et le comptage (le l'eau. Les réseaux
du Sig (barrage des Cheurfas, puis du Sarno), de Perrégaux
(Bou-Hanifia), de Relizane (Bakhadda, puis du Taht),
du Bas-Chéliff, d'Orléansville ( Fodda), du Hamiz,
dominent au total une superficie d'environ 75.000 hectares sur laquelle
45.000 sont effectivement irrigués chaque année dans la
situation actuelle grâce à un cube d'eau annuel de 250 millions
de mètres cubes mesurés en tête des propriétés
(c'est-à-dire pertes déduites). Quand les aménagements
en cours seront terminés, les chiffres ci-dessus seront plus que
doublés, et l'on ne parle pas de ce qui est encore à l'état
de simple projet.
------------A
qui peut suivre l'étonnante et rapide transformation d'une terre
sèche en terre irriguée, ou simplement traverser même
rapidement ces merveilleuses oasis que sont les périmètres
d'irrigation algériens, il n'est point besoin (le démontrer
le puissant intérêt d'une telle uvre sur le plan économique
et sur le plan social. Dans ce domaine, la politique d'investissement
hydraulique est une des plus fécondes qui soit pour l'avenir dit
pays.
------------Mais
tous les oueds ne sont pas régularisables, et les vastes plaines
fertiles justiciables d'un aménagement complet et moderne sont
malgré tout l'exception dans le " bled algérien ".
Et pourtant, plus on s'éloigne (le ces régions privilégiées
du Tell, et plus l'eau est la principale, voire la seule véritable
richesse. Tous les moyens doivent être employés pour faire
vivre les hommes grâce à l'eau
------------Un
aspect intéressant de ce qu'on appelle la " petite hydraulique
" est l'épandage des rares crues d'oueds généralement
secs. Dans des pays même très arides, si l'on a la chance
de pouvoir étaler sur la terre une crue d'automne qui permette
les labours et les semailles, et une crue de fin d'hiver, la récolte
(le céréales est assurée. Elle est souvent magnifique
à cause (le la masse d'éléments fertilisants amenés
par l'eau elle-même. Il n'est pas rare de voir, même en zone
saharienne, des récoltes extraordinaires, dont la valeur est exceptionnelle
à cause de la distance aux gros centres de production et de la
précocité. Aussi la construction de ces barrages d'épandage
utilisés de temps immémorial mais auxquels les moyens modernes
permettent (le donner une longévité et une efficacité
inconnues dans le passé, prend-elle (le plus en plus d'importance.
Certaines réalisations (lu genre sont même considérables,
comme ce barrage d'El-Fatah récemment construit sur l'oued M'Zi
en aval de Laghouat, qui permet d'épandre sur les vastes terres
(le cultures (le la rive droite les crues du Djebel-Amour dans le Sud-Oranais.
C'est par des procédés (le ce genre que, dans une région
proche de Colomb-Béchar, celle d'Abadla, les crues du Guir, descendues
du- Grand Atlas Marocain. fertilisent un vaste champ d'épandage,
une sorte de " delta central " très fertile, au lieu
d'aller se perdre sans profit eu plein Sahara, dans les sebkhas de la
Basse-Saoura.
LES EAUX SOUTERRAINES
------------Si
l'homme ne peut pas discipliner, et de loin, toutes les eaux qui ruissellent,
la nature se charge de régulariser celles qui s'infiltrent dans
le sous-sol. Les nappes souterraines sont de merveilleux réservoirs
soustraits à l'évaporation, et affranchis de l'engravement.
Les sources en sont les exutoires naturels, et le captage rationnel (le
ces émergences constitue une tache très féconde.
Parfois il faut solliciter, la ressource au moyen de puits ou de forages,,
et en pompant. Parfois aussi les nappes sont jaillissantes, et cette eau
douce qui sourd des profondeurs dans des pays souvent désolés,
et crée ainsi une transformation quasi-miraculeuse, excite l'imagination.
des gens à un point tel qu'on veut des puits artésiens partout,
même en des endroits où il n'y a aucune chance de o réussir
de tels ouvrages. Pour ne citer que le plus évident (les succès
obtenus, les puits artésiens des Zibans et de l'Oued-R'Hir font
vivre par millions les fameux palmiers à " Déglet-Nour
" qui constituent pour l'Algérie une importante ressource
grâce à une sorte (le monopole mondiale de la qualité.
Si les forages artésiens de ces régions, exécutés
il y a déjà longtemps par de géniaux pionniers français
avec des moyens encore primitifs, sont en voie de dépérissement,
un vaste programme (le réfection, avec des moyens et (les méthodes
modernes. est d'ores et déjà en cours de réalisation.
Il est même permis d'espérer, au point où en sont
rendues de vastes et difficiles études d'hydrologie, qu'on pourra
dans un assez proche avenir, contrairement aux opinions reçues,
développer largement les superficies plantées et donner
plus de vie encore à ce " coin " particulièrement
favorisés du bas Sahara.
------------Il
est assez vraisemblable en effet, en l'état actuel (les études,
que les nappes artésiennes (lu miopléocène de l'Oued-R'Hir
se trouvent suralimentées par l'énorme ensemble aquifère
des grès formant ce qu'on a appelé 'le " continental
intercalaire ". Cet appareil, dont la zone d'alimentation fondamentale
se trouve dans l'Atlas Saharien occidental et central, affleure de plus
au Nord-ouest, à l'Ouest et au Sud du plateau du Tademaït,
c'est-à-dire dans le Gourara. le Haut et Bas Touat, le l'idikelt,
toutes régions où il est exploité superficiellement
par un énorme réseau de galeries captantes qu'on appelle
foggaras, ou par (le primitifs puits à tirage. Avant
de s'enfoncer profondément vers l'Est en direction de la dépression
(le l'Oued R'Hir où elle devient progressivement imperméable,
cette puissante couche e t exploitée à El-Goléa par
forages artésiens peu profonds, et au M'Zab par pompage. Dans ces
deux régions, de vastes travaux sont en cours dont on attend une
amélioration décisive des conditions (le vie. A 6o km. dans
l'est du M'Zab, un grand forage de prospection vient de faire jaillir
de cette même couche, d'une profondeur de plus de 8oo m., ,une eau
excellente. qui permettra, grâce à une exploitation rationnelle,
(le créer, de nouvelles oasis dans une région où
il y a peu d'années, au cours d'une reconnaissance préliminaire,
nous avons eu la chance, grâce à une petite réserve
d'eau, (le sauver de la mort par la soif, une demi-douzaine d'individus.
------------Une
des utilisations de l'eau les plus fécondes, basée sur l'exécution
rie très petits ouvrages, est l'élevage d'ovins 'transhumants,
largement pratiqué sur une vaste partie ries hautes plaines et
sur la bande nord-saharienne. Les maigres pâturages d'armoise ou
de plantes herbacées à vie très courte qui naissent
avec les rares pluies, conviennent parfaitement au mouton du pays. à
laine suffisante et à chair savoureuse, même dans les conditions
où,- comme l'a écrit à peu près le géographe
Gauthier " paître devient un exercice
éminemment ambulatoire ". Mais il faut donner à
boire au mouton dans toute cette immense zone où existe ou peut
surgir le pâturage. Rares sources aménagées, puits
rustiques, citernes, parfois forages avec moyens de puisage, augmentent
rapidement les possibilités rie vie des bêtes, et la sécurité
de cette vie, pourvu que la densité des points d'eau soit suffisante,
l'ordre de grandeur (le l'espacement ne devant pas être supérieure
à vingt kilomètres. Mais ces points d'eau peuvent n'être
que très peu abondants, quelques mètres cubes par jour suffisent
à alimenter plusieurs milliers (le moutons. Cet aménagement
hydraulique du pâturage steppique, s'il ne résout pas tout
les problèmes (le l'élevage ovin, en est pourtant le substratum
indispensable. Un très gros effort est fait en ce moment dans ce
domaine. Instruites par les études de géologues et hydrologues
spécialisés, des équipes ambulantes de création
ou d'entretien de points d'eau, organisées en détachement,
de travail et d'essais, basée sur des centres fixés comportant
ateliers et magasins, exécutent en ce moment un travail dont l'efficacité
n'est plus à démontrer.
L'AMENAGEMENT DU CHOTT
ECH-CHERGUI
------------Sans
sortir de ce sujet des eaux souterraines encore mystérieux et très
prometteur, et puisqu'il a été convenu de faire une place
aux perspectives d'avenir. il est utile de dire quelques mots d'une ressources
considérables, dont l'exploitation future est de nature à
"modifier profondément, l'aspect (le la question de l'eau
et de l'énergie dans la région tellienne située à
l'Est d'Oran. L'existence de cette ressource, connue depuis peu, ne pouvait
pas tomber sous le sens, ce qui est assez extraordinaire en soi : sa découverte
est oeuvre de réflexion à caractère scientifique.
------------La
haute plaine oranaise. immense gouttière structurale orientée
WSW-ENE, comprise entre le versant sud calcaire de l'Atlas Tellien et
le versant nord gréseux rie l'Atlas Saharien, et dont le fond est
à la cote 1.000 reçoit en moyenne 300 m/m d'eau par an sur
une superficie de 40.000 km2. Grès et calcaires sont perméables
et le géologue, après étude, croit pouvoir affirmer
qu'ils sont en relais direct sous les terrains semi-perméables
d'apports continentaux. Il est bien certain que- sous le climat très
sec (le ces régions, une grande partie de l'eau précipitée
s'évapore, soit très rapidement, soit après avoir
plus ou moins ruisselé. Mais, pour prendre des chiffres extrêmement
prudents. il serait invraisemblable qui le coefficient d'infiltration
n'atteigne pas 5 % , étant donné la nature des terrains.
On peut donc affirmer sans crainte d'exagération que chaque année
6oo millions de m3 d'eau s'infiltrent dans cette zone. Que devient l'eau
ainsi descendue vers les profondeurs ? En vérité, on connaît
des exutoires qui sont, le fait est important, des résurgences
artésiennes naturelles d'eau douce : Ain-Skrouna, source du Kreider,
Aïn-Saouss, et d'autres moins importantes. A elles toutes, ces sources
ne débitent que i m3/seconde, soit environ le 1/20 de l'infiltration
estimée. Autre constatation curieuse, l'immense Chott Ech-Chergui,
qui n'est que très exceptionnellement mouillé par les eaux
de ruissellement. reste très humide même à la fin
des étés les plus durs, à telle enseigne que toute
tentative de circulation en voiture sur sa surface conduit inéluctablement
à l'enlisement. En fait, si l'on creuse un trou dans les sables
gypseux mêlés de limon fin qui en constituent la surface,
on trouve une eau terriblement salée entre 20 et 6o cm de profondeur,
suivant la saison.
------------Passant
sur toutes les idées intermédiaires et provisoires, pour
ne retenir que l'hypothèse (le travail actuelle on est conduit
à imaginer que 6oo millions de m3 d'eau percolent sous charge à
travers les terrains semi-perméables du Chott (qui se comportent
comme une sorte d'éponge artésienne) et s'évaporent
dans la couche superficielle très poreuse grâce au double
effet de l'ascension capillaire et (les échanges avec l'atmosphère.
Comme la surface évaporatoire a une superficie voisine de 2.000
km2, il suffit d'admettre que la tranche annuelle d'évaporation
sur le sol humide est de 3o cm dans un pays où, sur un plan d'eau
libre, elle dépasserait largement deux mètres.
------------L'idée
fondamentale d'exploitation consiste en un prélèvement par
ouvrages souterrains franchissant la ligne de crête septentrionale
et déversant les eaux dans les hauts bassins telliens (,affluents
de la Mina), en abaissant le niveau statique de manière à
soustraire la réserve à l'évaporation, et à
permettre une totale régularisation interannuelle. L'ordre (le
grandeur (le la tranche à vider serait de 50 m, mais alors, toujours
dans le cadre d'hypothèses prudentes, le volume emmagasiné
dans cette tranche parait être de l'ordre de 50 milliards de mètres
cubes, ce qui conduirait à prévoir pendant plus d'un siècle
le doublement du débit de renouvellement annuel moyen.
------------Voit-on
ce que représenterait un débit (l'eau douce d'au moins un
milliard de mètres cubes par an, parfaitement régularisé,
prélevé vers la côte 950 dans un réservoir
entièrement protégé, alors que les premières
utilisations agricoles sérieuses ne peuvent guère être
envisagées qu'au-dessus de la cote 200. Un milliard et demi de
kw/h par an. Puis l'irrigation de 200.000 hectares, sans compter la possibilité
d'implantation d'industries adaptées au pays. La géographie
humaine (le toute cette partie de l'Oranie s'en trouverait complètement
modifiée.
------------Or
toutes les études poursuivies grâce à l'installation
du centre de recherches de l'Aïn-Skrouna les études géologiques,
hydrologiques, climatologiques, physiques, les sondages, etc... donnent
des résultats (le plus en plus encourageant, et jusqu'ici rien
n'est venu infirmer l'hypothèse de travail, bien au contraire.
Pour le visiteur, dont la surprise est déjà grande (le trouver
en pleine steppe, au bord du Chott, un village confortable. des magasins,
des ateliers et des laboratoires, il est curieux (le pouvoir faire jaillir
d'un sondage. en ouvrant une vanne, au milieu d'un terrain qui n'est que
gypse et sel, un flot puissant d'une eau excellente pour l'Algérie,
puisque son résidu sec ne dépasse guère 1gr. par
litre.
------------Mais
il y a plus : une reconnaissance complète de toute la série
des chott algéro-tunisiens montre qu'ilsont entre eux un lien de
parenté très étroit. Il est vraisemblable que tous,
ou à peu près tous, Zahrez Rharbi, Zahrez Chergui, Hodna,
Melrhir et Mérouane, et aussi petits chott des hautes plaines constantinoises,
pour ne parler que des dépressions algériennes, sont eux
aussi des machines évaporatoires alimentée en charge par
le fond. Il est probable que leur ensemble dissipe chaque année
dans l'atmosphère quelque cinq milliards de m3 d'eau. Si le Chergui
est le plus intéressant parce que correspondant à l'appareil
hydraulique le plus vaste et le plus élevé, ne voit-on pas
qu'il y a là une énorme possibilité (le récupération
qui conditionne en grande partie l'avenir du pays ?
L'ALIMENTATION DES VILLES
EN EAU POTABLE
------------J'en
terminerai enfin en mentionnant un aspect non encore abordé, mais
fort important, de l'équipement hydraulique de l'Algérie
: celui de l'alimentation en eau potable des villes, villages et petites
agglomérations. L'Agérie a dans ce domaine, il faut bien
le reconnaître, un assez gros retard. ------------Encore
faut-il reconnaître de bonne foi que, si cette insuffisance est
rendue plus sensible par la dureté du climat, elle n'est pas hors
d'échelle avec ce qu'on petit constater dans la Métropole.
Quoi qu'il en soit, la tâche à accomplir est lourde, mais
en ce moment les progrès sont rapides et substantiels.
------------Il
serait fastidieux de vouloir décrire par le détail l'état
actuel de l'équipement, et de tenter de dresser le bilan des réalisations
en cours des dernières années. Disons simplement que, comme
partout, l'origine de l'eau est très diverse : captages de sources,
pompages dans des nappes souterraines, dans des sous-écoulements
d'oueds, puits artésiens, prélèvements sur des réserves
régulatrices. Disons aussi que parmi une multitude de réalisations,
à l'échelle courante, en tous pays, l'Algérie peut
d'ores et déjà s'enorgueillir d'un ensemble remarquable
en cours de réalisation ; l'alimentation de la région d'Oran
à partir du barrage-réservoir des Beni-Bahdel, conçue
pour un débit d'environ 100.000 m3 par jour. Grands souterrains,
stations de filtration et de correction chimique des eaux, conduite forcée
en béton fretté de 1,10 m de diamètre intérieur
pour des pressions atteignant 3o kg./cm2, de 165 km. de long, dispositifs
très modernes et spécialement étudiés de rupture
de charge permettant pour la première fois la commande automatique
par l'aval de tout le dispositif, usines destinées à utiliser
l'énergie des chutes, tout cela contribuera à faire de cetteadduction
une sorte de modèle du genre.
------------Il
y aurait beaucoup à dire sur les projets concernant l'agglomération
algéroise, sur ceux qui ont pour objet l'alimentation des très
nombreux villages de Kabylie et sur bien d'autres encore. Qu'il suffise
de savoir que l'Algérie, soucieuse de la vie matérielle
de ses enfants, se préoccupe non seulement de leur permettre de
vivre plus largement, mais encore de leur donner l'hygiène et le
confort.
M. Georges DROUHIN
Directeur du Service de la Colonisation
et de l'Hydraulique.
Conférence prononcée à Alger au Congrès de
l'Industrie et du Commerce, le 22 Avril 1948. Confédération
Générale du Patronat de l'Algérie.
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