HISTORIQUE
----------En
Algérie, le développement de la culture commerciale des
agrumes constitue un fait relativement récent. Certes, les invasions
arabes avaient bien introduit le bigaradier dans l'empire des Almohades,
l'oranger y fut sans doute apporté quelques siècles après
par les Maures d'Andalousie, mais l'état de farouche isolement
et d'anarchie dans lequel se trouvaient les Etats barbaresques n'était
guère favorable â un développement marqué des
plantations. Il ne faut donc pas s'étonner si le premier recensement
effectué après l'arrivée des Français n'accusait
que 17o hectares d'orangeries, presque toutes situées. dans la
région de Blida.
----------185o
marque une première étape importante dans l'histoire de
nos agrumes. Cette année-là, Hardy introduisit le mandarinier,
qui eut immédiatement la faveur des colons, malgré l'incertitude
qui pouvait .alors planer sur ses possibilités d'écoulement.
C'est en 1850 que la France reçut les premières expéditions
d'oranges de sa nouvelle colonie. Le revenu d'un hectare d'agrumes était
alors évalué à 8oo francs.
----------Dix
ans plus tard, la province d'Alger expédiait, à elle seule,
1.300 quintaux, et la progression va ,désormais se poursuivre avec
régularité. En 1913, 4.000 hectares d'orangeraies alimentent
une exportation de 100.000 quintaux. Quinze ans après, en 1928,
ces chiffres sont portés respectivement à 8.ooo hectares
et 220.000 quintaux.
----------Une
courte période de stagnation est provoquée par l'effondrement
des prix, consécutif à une brusque augmentation de la production
espagnole. On cesse de planter et certains parlent même d'arrachage.
----------Quelques
années se sont à peine écoulées, qu'un coup
de théâtre renverse brusquement la situation. Les exportations
espagnoles venaient d'être arrêtées net par la guerre
civile. Aussitôt les prix montèrent en flèche et un
boom sans précédent porta la cadence annuelle des plantations
à 2.000 hectares, chiffre qui eût été largement
dépassé si les possibilités en plants de pépinière
l'eussent permis. En cinq ans, les surfaces plantées en agrumes
avaient doublé.
----------Les
hostilités de 1939 sont venues mettre, à partir de 1942,
un frein à ce débordement d'activité, les moyens
de travail faisant défaut. Mais les agrumes bénéficient
toujours du préjugé favorable, leur prestige n'ayant même
pas été ébranlé par la coupure des relations
commerciales avec la Métropole.
----------Les
tableaux n° 1 et 2 indiquent le détail de la production des
exportations pour les dix dernières .années passées.
SITUATION ACTUELLE
----------L'Algérie
possède maintenant 25.000 hectares de plantations d'agrumes dont
10.000 ne sont pas encore entrés en production.
----------Les
chiffres du dernier recensement connu, figurent dans le tableau n°
3.
----------Les
surfaces plantées sont composées pour moitié par
des propriétés de moins de 15 hectares.
----------Ce
sont les cultivateurs européens qui se livrent le plus volontiers
à cette culture à laquelle ils participent dans une proportion
supérieure à 9o p. 100.
----------En
nombre d'arbres, les Citrus occupent le second rang après l'olivier,
mais leur importance économique les classe nettement en tète
de nos productions fruitières. A l'heure actuelle (1948), la valeur
foncière de nos orangeraies peut être évaluée
à 12 milliards, tandis que le produit brut annuel en puissance
est voisin de 6 milliards de francs, dont les 4/5 s'inscriront bientôt
à l'avoir de la balance de notre
commerce extérieur.
REGIONS DE PRODUCTION
----------La
culture commerciale des Citrus est localisée dans les zones irrigables
de la partie nord du pays, ,où elle trouve la température
clémente qui assure sa réussite.
----------La
plantureuse Mitidja, berceau de l'agrumiculture, a conservé sa
suprématie d'antan, puisqu'elle groupe encore près du tiers
des plantations algériennes. On y, rencontre, côte à
côte, les vieilles orangeraies des temps héroïques,
fouillis de verdure d'où perce le chant de la noria, et les alignements
sévères des plantations modernes.
----------Mais
l'attention des nouveaux planteurs se porte sur les zones desservies par
les grands barrages. C'est ainsi qu'en Oranie, où les surfaces
cultivées en agrumes seront bientôt égales à
celles dela Mitidja, les deux tiers des orangeraies ne sont pas encore
entrées en plein rapport. C'est la région de Perrégaux
qui constitue le centre le plus important avec près de 4.000 hectares.
La plaine de la Mina se plante à belle allure. -
----------Le
département de Constantine a massé ses vergers près
des ports d'embarquement, Bône et Philippeville. Grâce à
une généreuse pluviométrie, la culture des agrumes
y atteint un grand degré de prospérité.
ESPECES ET VARIÉTÉS CULTIVÉES
----------L'oranger
occupe, à lui seul, 6o% des surfaces plantées, en progression
très notable depuis quelques années, aux dépens du
mandarinier. Celui-ci, auquel on reproche le manque de résistance
du fruit aux intempéries et aux conditions de transport, n'est
plus beaucoup planté. Il entre cependant encore pour un cinquième
dans l'ensemble des orangeraies. La place du clémentinier
est un peu plus modeste, car sa découverte date de moins d'un demi-siècle.
----------Produit
du terroir algérien, cet hybride a été découvert
à Misserghin (Oran) par le Père Clément, mais le
mérite de sa diffusion dans les cultures revient au docteur Trabut,
l'éminent fondateur de l'arboriculture commerciale algérienne.
----------De
nombreuses autres espèces sont cultivées sur de faibles
surfaces : le citronnier, injustement délaissé ;
le pomélo, qui tente les plus entreprenants ; le bigaradier,
le cédrat, le kumquat, les limes et les limettes, etc...
----------Les
variétés d'oranges cultivées en Algérie sont
assez nombreuses, mais aucune ne jouit d'une estime aussi grande que la
Portugaise demi-sanguin, fruit de qualité, dont la saison de
vente s'échelonne du début de février à la
fin d'avril. Les variétés précoces, Thomson et
Washington Navel, qui nous viennent de Californie, alimentent les
marchés pour les fêtes de Noël et du Nouvel An. L'orange
d'été,, Valencia late, commence à peine à
être connue, mais son extension n'est pas douteuse, car elle arrive
à une période où les fruits de ce genre sont rares.
TECHNIQUE CULTURALE
----------D'abord
primitives, puis hésitantes, les méthodes culturales sont
maintenant bien au point. Le planteur moderne choisit avec soin l'emplacement
de sa plantation en s'appuyant sur les études agrologiques et climatologiques
qui lui sont fournies par les laboratoires officiels. Il adopte les variétés
standard recommandées pour sa région. Après avoir
profondément retourné le sol, il plante les jeunes arbres
qu'il entoure des soins les plus attentifs, car l'oranger est particulièrement
délicat durant les premières années de sa vie.
----------L'agrumiculteur
algérien sait maintenant doser les engrais d'une manière
judicieuse, distribuer l'eau d'irrigation au moment le plus favorable,
défendre ses cultures contre leurs redoutables parasites.
----------Il
lui faut non seulement des connaissances techniques étendues, un
sens inné de l'arbre, mais il doit également faire preuve
de vigilance contre les multiples fléaux qui le menacent.
----------Les
planteurs ont enfin compris que la médiocrité n'était
pas compatible avec une exploitation qui nécessite des capitaux
de première mise extrêmement lourds auxquels viennent s'ajouter
d'importants fonds de roulement.
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----------On pourrait
croire qu'une culture aussi coûteuse a comme corollaire un prix
de vente élevé du produit. Certes, la récolte d'un
hectare d'agrumes rapporte actuellement une coquette somme à son
propriétaire, mais malgré tout, le prix de vente du kilogramme
d'oranges reste relativement bas. C'est que les Citrus savent se montrer
extrêmement généreux envers ceux qui leur prodiguent
tous les soins voulus. Un arbre peut produire plus de 2.000 fruits. On
a enregistré des rendements dépassant 600 quintaux à
l'hectare. Mais ce sont là des records obtenus par des cultivateurs
particulièrement compétents. La moyenne est beaucoup plus
modeste, car nombre de vieilles plantations sont déficientes. On
estime que la production algérienne atteint en moyenne tire centaine
de quintaux par hectare. Ce chiffre concerne, pour une part, d'anciennes
plantations qui n'ont pas toujours été établies selon
les bonnes techniques. Il n'est pas douteux que les orangeraies modernes
permettront de porter nos rendementsà un taux considérablement
plus élevé.
L'ORGANISATION PROFESSIONNELLE
----------L'agrumiculture,
de par son évolution très poussée, offrait un terrain
des plus propices à l'organisation corporative.
----------Le
décret du 17 juin 1938 a groupé les producteurs en Syndicats
régionaux, eux-mêmes affiliés à une Union des
Syndicats dont la vitalité s'est affirmée en assurant, en
pleine période d'hostilité, la régularité
des expéditions sur la Métropole.
----------Mais
l'innovation la plus originale est, sans conteste, l'institution d'un
contrôle de la production des plants d'agrumes (arrêté
du 6 septembre 1937). Les pieds-mères sur lesquels les pépiniéristes
prélèvent leurs greffons sont contrôlés, au
point de vue pureté génétique, par le Service de
l'Arboriculture. L'autorisation de circuler est refusée aux plants
n'offrant pas une garantie suffisante pour l'acheteur_
Le conditionnement, l'emballage et la vente des produits se prêtent
particulièrement bien à la constitution d'une organisation
coopérative. La Société Coopérative des Agrumes
de Boufarik, fondée en 1922, prépare pour la vente, dans
des conditions d'hygiène irréprochables et avec le minimum
de frais, le quart de la production exportable du département d'Alger.
----------Stimulés
par cet exemple, de nombreux groupements professionnels s'équipent
en matériel moderne qui leur permet d'améliorer notablement
la présentation des fruits, tout en réduisant les frais
(le manipulation.
----------Mais
l'activité des coopératives ne s'arrête pas là.
En liaison avec les Services agricoles, elles contribuent à l'éducation
technique de la main-d'uvre et constituent des équipes de
travailleurs spécialisés travaillant pour le compte de leurs
adhérents.
PERSPECTIVES D'AVENIR
----------La
production mondiale des agrumes vient de doubler en vingt-cinq ans. Malgré
une expansion commerciale sans précédent dont elle est redevable
au perfectionnement des moyens de transport, l'orange est encore à
peine connue dans de nombreux pays. On peut présumer, sans trop
de risques d'erreur, que l'accroisse nient (le sa consommation ira en
s'amplifiant.
----------Lorsque
les plantations actuelles seront toutes en production, l'Algérie
ne comptera guère que pour 2 p. 100 de la production mondiale.
De splendides débouchés s'offrent encore à de nouvelles
plantations. C'est d'abord le marché intérieur sollicité
par une population (lui double tous les 50 ans. La Métropole ne
consomme annuellement, par habitant, que 8 kilos d'agrumes contre 1S kilos
en Grande-Bretagne et 3o kilos aux États-Unis. On mesure ainsi
la capacité d'extension de ses marchés. Enfin, l'Europe
du Nord et du Centre est encore très mal approvisionnée
: Danemark, 4 kilos ; Finlande, 2 kg. 500 ; Pologne, 1kg. 500 par habitant,
etc...
----------Nous
avons tenté de chiffrer les nouveaux besoins à couvrir par
la production algérienne dans un délai de 2,5 ans. Pour
faire passer la consommation intérieure annuelle de 4 kilosà
12 kilos par individu, il serait nécessaire de produire, compte
tenu de l'accroissement de la population, 1.320.000 quintaux de plus.
En se basant sur le plan Monnet, la Métropole pourrait absorber,
dans 25 ans, 1.155.000 quintaux d'agrumes d'Algérie en supplément.
Enfin, on peut prévoir, sans être taxé d'imprudence,
que l'étranger serait susceptible de nous acheter 6oo.ooo quintaux
de ces fruits.
----------Nous
arrivons ainsi à une augmentation de production, par rapport à
1938, (le 3 millions de quintaux, en chiffres ronds. Compte tenu des plantations
qui ne sont pas encore rentrées en rapport, il serait nécessaire
(le planter encore 20.000 hectares d'agrumes pour arriver à satisfaire
les besoins énoncés.
CONCLUSION
----------Forte
d'un siècle d'expérience, l'àgrumiculture algérienne
est maintenant capable de soutenir la concurrence de ses rivaux dans la
grande compétition internationale qui s'annonce. -
----------Un
sérieux effort d'organisation se poursuit sur le plan coopératif
dans le but d'abaisser davantage les prix (le revient à la production
et d'améliorer les conditions de la commercialisation.
----------En
dehors d'une demande de la consommation locale sans cesse croissante,
d'immenses contrées, dont le climat n'a pas la douceur du nôtre,
auront des besoins à satisfaire, ce qui ouvre (les perspectives
extrêmement vastes à tous ceux qui sauront oser.
----------L'optimisme
du planteur algérien, véritable acte de foi dans l'avenir
de l'agrumiculture, marque le caractère d'une race décidée
à ne pas se laisser distancer.
H. REBOUR,
Chef du Service (le l'Arboriculture en Algérie.
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