Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : économie générale
Présentation de l'économie algérienne

14 pages - n°126 - 29 décembre 1957

.......L'Algérie est un pays aux ressources limitées, qui doit faire face aux besoins d'une population croissante.
.......En cent ans, de 1856 à 1956, la population algérienne est passé de 2,5 millions à près de 10 millions d'habitants.Le peuplement européen ne participe que dans une très faible mesure à cet accroissement. Il ne représente en effet que 10 % de la population totale (légèrement supérieure à 1 million), et sa progression annuelle est stabilisée au taux de 1 %. Le mouvement naturel de la population musulmane constitue donc le facteur presque exclusif de l'expansion démographique.
.......De telles charges devaient compromettre rapidement l'équilibre des finances algériennes. Elles n'ont pu être couvertes que grâce à l'intervention du Trésor public français, qui est venu relayer les ressources algériennes insuffisantes.

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PRÉSENTATION DE l'ÉCONOMIE ALGÉRIENNE

-------Si l'Algérie offre de nombreux aspects qui pourraient la faire ranger au nombre des pays sous-développés, elle présente néanmoins des caractères originaux qui interdisent une assimilation complète avec ces pays.

-------Cette originalité est la conséquence des données particulières qui conditionnent l'économie algé­rienne. Elle se traduit dans des structures économiques et sociales très différentes de celles qui carac­térisent d'autres pays parvenus au même stade de développement. Elle explique enfin que le pro­blème de l'élévation nécessaire du niveau de vie des populations s'y pose en des termes également dif­férents.

-------Les données.

-------L'Algérie est un pays aux ressources limitées, qui doit faire face aux besoins d'une population croissante. Les effets défavorables de ces données naturelles sont cependant corrigées, dans une large mesure, par les avantages que tirent les activités économiques algériennes du cadre institutionnel dans lequel elles s'exercent .

-------Ressources naturelles.

-------Les conditions de sols et de climat limitent étroitement les possibilités de l'agriculture en Algérie.

-------En effet, sur une superficie totale de 220 millions d'hectares, le territoire algérien compte environ 170 millions d'hectares improductifs en raison du relief trop accentué, de l'insuffisance ou de l'irrégu­larité des pluies, et seulement 50 millions d'hectares dits productifs. Encore la très grande majorité de ces surfaces ne peuvent-elles être soumises qu'à des modes d'exploitation extensifs et souvent inter­mittents.

-------Dans l'Algérie du Nord (21 millions d'hectares),un tiers seulement des terres peut être consacré à la culture proprement dite. Dans l'Algérie du Sud (199 millions d'hectares), les cultures sont limitées aux oasis et n'occupent que 0,97 % de la surface totale.

-------De plus, les efforts entrepris pour accroître les superficies cultivables se heurtent à l'insuffisance des ressources hydrauliques : malgré un relief très accentué, l'Algérie ne dispose cependant pas d'un « château d'eau » comparable à celui que constituent par exemple pour le Maroc les sommets du Haut-Atlas. Les montagnes algériennes ne dépassent que rarement 2.000 mètres et ne présentent donc pas de neiges durables. D'autre part, beaucoup de terrains n'ont pas encore atteint leur profil d'équilibre et ne permettent pas aux eaux de pluie de s'emmagasiner convenablement, car l'infiltration est faible.

-------En dehors de quelques plaines côtières, il n'existe pratiquement pas de cours d'eau réguliers. A la saison des pluies, des torrents dévalent les pentes des montagnes, ravinent les terres et les ren­draient impropres à toute culture si des travaux de défense et de restauration des sols n'étaient entre-pris pour lutter contre l'érosion, par l'aménagement de banquettes et le reboisement.

-------Il résulte de ces facteurs naturels que seules quelques régions basses ou plaines côtières peuvent donner lieu à une polyculture intensive. Ces régions (Oranie, valée du Chéliff, plaine de la Mitidja, plaine de Bône) assurent à elles seules la majeure partie ;le la production agricole algérienne, en valeur. Ainsi, pour la production végétale, qui représente près des 5/4 des recettes de l'agriculture, les résultats de l'année 1954 font ressortir que plus de 65 % des recettes en valeur ont été obtenus sur des terres dont la superficie ne représente que 4,5 millions d'hectares, soit 19 % du total de celles qui avaient été consacrées à ces activités. Ces zones ne peuvent êtres multipliées, car les fortes densités agricoles qu'elles connaissent s'expliquent par les influences marines qu'elles subissent ou les possibilités d'irri­gation dont sont dépourvues les autres régions. Dès que l'on quitte une mince bande côtière, qui dépas­se rarement 150 kilomètres de profondeur, le climat méditerranéen se dégrade en climat subdéser­tique, les pluies sont de plus en plus rares et irrégulières, et l'agriculture devient difficile. Seules sont possibles les cultures céréalières des régions sèches (blé dur, orge) et l'élevage extensif du mouton, pra­tiqué par les populations nomades.

-------Malgré l'existence de quelques zones privilégiées, l'Algérie apparaît donc très médiocrement douée sur le plan de la production agricole.

-------Les ressources en énergie et matières premières ne compensent que dans une très faible mesure cette relative pauvreté des' sols.

-------La découverte des gisements d'hydrocarbures dans la zone saharienne est trop récente pour que ses effets se soient déjà fait sentir, et la pénurie de ressources énergétiques a été, jusqu'à ces découve l'une des caractéristiques de l'économie algérienne. En effet, la seule production locale d'énergie est constituée par la houille du bassin de Colomb-Béchar-Kénadza et par une faible quantité d'énergie d'origine hydraulique. La production du gisement charbonnier de Colomb-Béchar oscille autour de 300.000 tonnes/an. Sa localisation à 500 kilomètres de la mer, la mauvaise disposition des couches et la médiocre qualité des produits rendent l'exploitation difficile. L'électricité d'origine hydraulique four-nit moins de 10 % de la puissance électrique normale disponible, et les données hydrographiques ne permettent pas d'envisager la possibilité d'accentuer cette proportion.

-------En définitive, l'Algérie est tributaire des importations de charbons et produits pétroliers, à concur­rence de 80 % de ses besoins énergétiques.

-------Cette pénurie de charbon et d'énergie a privé, jusqu'ici, l'économie algérienne du bénéfice qu'elle aurait pu trouver dans la mise en valeur sur place des produits de son sous-sol.

-------L'Algérie est, en effet, le plus gros producteur de minerai de fer du Maghreb. La production d'une douzaine de gîtes, dont le principal est celui de l'Ouenza, dépasse trois millions de tonnes. Elle constitue une source d'exportation importante, mais limitée à l'exploitation minière ; elle n'a sur les revenus et l'emploi de la population qu'une incidence faible (6.600 ouvriers), en comparaison de celle que pour-rait avoir le traitement sur place du minerai. L'Algérie possède en outre quelques gisements exploita­bles de minerais non ferreux, notamment de plomb et de zinc, dont toute la production est également exportée en l'état pour les mêmes raisons.

-------La seule richesse minière qui ait pu donner lieu à une transformation sur place est constituée par les phosphates. Deux gisements sont actuellement exploités dans le département de Constantine et fournissent 750.000 tonnes. Un troisième gisement important, au sud de Tébessa, doit être mis en exploi­tation prochainement. Cependant , parmi les trois pays d'Afrique du Nord, l'Algérie est le plus mal placé pour la production de ces phosphates. Une faible partie seulement est utilisée par les usines loca­les de superphosphates, pour satisfaire à la demande algérienne d'engrais phosphatés, et le reste doit affronter à l'exportation la concurrence des produits marocains et américains, généralement beaucoup plus riches.

-------Ainsi, jusqu'à la découverte récente des gisements d'hydrocarbures sahariens, la mise en valeur des ressources naturelles, qu'elles soient agricoles ou minières, n'offrait à l'Algérie que des perspectives de développement limitées. A la différence de nombreux pays Fous-développés, notamment d'Afrique Noire ou même du Maroc, elle ne disposait plus depuis longtemps d'un potentiel inexploité sous forme de terres vierges. de ressources hydrauliques ou de gisements minéraux importants à reconnaître.

-------Evolution démographique.

-------Or, sur un territoire où les données naturelles favorisent peu le développement des grandes activi­tés de base, vit une population dont les caractéristiques démographiques imposent une croissance rapide des ressources disponibles.
-------En cent ans, de 1856 à 1956, la population algérienne est passé de 2,5 millions à près de 10 millions d'habitants. Elle a donc quadruplé pendant cette période. Mais surtout, loin de se ralentir ;cette cadence s'est accélérée au cours des dernières années. Le taux de progression démographique est actuellement voisin de 2,5 % par an (8.680.000 en 1948, 9.600.000 en 1956), soit deux fois et demi le taux d'accroisse­ment moyen de la population mondiale.

-------Le peuplement européen ne participe que dans une très faible mesure à cet accroissement. Il ne représente en effet que 10 % de la population totale (légèrement supérieure à 1 million), et sa pro­gression annuelle est stabilisée au taux de 1 %. Le mouvement naturel de la population musulmane constitue donc le facteur presque exclusif de l'expansion démographique. En effet, cette population n'a encore connu que l'une des étapes de ce que l'on a appelé la révolution démographique des pays euro­péens : sa mortalité, régulièrement déclinante, torr espond sensiblement à la mortalité française du début du XXm° siècle (130 pour 10.000), sa natalité reste au contraire stable, voisine du taux naturel et se compare à celle de la France du XVII"'' siècle (450 environ pour 10.000) .

-------Conséquence de ce taux de natalité élevé, la pyramide des âges de la population algérienne musul­mane se caractérise par la forte proportion de jeunes ; très élargie vers la base, elle présente une structure voisine de celle de la population française avant 1775 : plus de 50 % de moins de 20 ans, 40 % environ de moins de 15 ans.

-------Les problèmes que pose une telle structure démographique sont, de plus, aggravés par une répar­tition de la population qui ne correspond pas toujours aux données économiques. La densité moyenne de peuplement atteint 60 habitants au kilomètre carré dans l'Algérie du Nord ; mais si, dans l'ensem­ble, le peuplement est d'autant plus fort que les terres sont plus fertiles et mieux arrosées, certaines régions déshéritées connaissent néanmoins une densité qui ne peut s'expliquer que par des raisons historiques : ainsi, les monts semi-arides de la Grande-Kabylie, zone de repli des Berbères, ont un peu­plement aussi dense que celui de la Belgique.

-------Un tel déséquilibre entre les données démographiques et les données naturelles aurait condamné l'Algérie non seulement à la stagnation, mais même à la régression sociale, si son appartenance à une communauté économique et financière plus vaste et plus riche n'était venue l'aider à surmonter les obstacles auxquels se heurtait son développement.

-------Le cadre institutionnel.

-------En effet, bien qu'elle ait vu consacrer sa personnalité dans un régime politique et administratif qui la distingue de tous les autres membres de la communauté française, l'Algérie vit néanmoins en étroite symbiose avec l'économie de la France métropolitaine.

-------Collectivité de droit public, elle possède sa propre législation élaborée par des organes qui lui sont propres. Elle possède également son propre régime financier, matérialisé dans l'existence d'un budget algérien. Toutes les dépenses de fonctionnement et d'équipement des administrations algériennes sont en effet comprises dans ce document. Toutes les recettes publiques perçues sur le territoire servent à en assurer le financement et celui des budgets des collectivités décentralisées (départements et com­munes), sans aucun partage, sauf quelques exceptions minimes, avec l'Etat français. Ces ressources proviennent d'un système fiscal propre à l'Algérie, élaboré par des organes algériens.

-------Sans doute, la Iiberté de décision de ces organes n'est-elle pas totale, puisque le budget reste sou-mis à l'homologation du Pouvoir central ; mais l'Algérie, néanmoins, jouit d'une autonomie financière beaucoup plus large que celle des collectivités locales de droit commun, qui ne disposent que d'une très faible latitude dans le choix de leurs recettes et de leurs dépenses.

-------Différente des autres collectivités françaises, l'Algérie, cependant, n'en est pas isolée. Le cadre ins­titutionnel dans lequel s'y exercent les activités économiques, la rattache à la Métropole par des liens étroits qui assurent entre deux économies parvenues à des niveaux de développement aussi différents, une association dont il est difficile de trouver d'autres exemples.

-------L'étroitesse de ces liens se manifeste en effet dans tous les domaines :

-------Sur le plan monétaire, l'Algérie dispose certes de son propre institut d'émission ; mais la conver­tibilité de sa monnaie avec le franc métropolitain est assurée sans limitation par le jeu d'un compte d'avances entre la Banque de l'Algérie et de la Tunisie, et le Trésor français. Elle se trouve ainsi libérée des limites qu'elle devrait s'imposer, si elle avait à assurer seule la tenue d'une monnaie autonome sur le marché du change.

-------Sur le plan des échanges, l'Algérie et la Métropole sont en union douanière complète et forment un véritable marché commun. En effet, non seulement les produits circulent entre les deux territoires sans être soumis à aucun droit ou contingentement, mais, de plus, l'écoulement de certains d'entre eux (vins, céréales, agrumes) fait l'objet d'une organisation des marchés dans le cadre français. Cette liberté des échanges commerciaux s'accompagne d'une liberté également totale des transferts financiers. Enfin, là circulation de la main-d'oeuvre n'est elle-même soumise à aucune entrave. La France absorbe ainsi une partie de la main-d'oeuvre excédentaire algérienne. Ces travailleurs, au nombre de 300.000 environ, touchent les mêmes salaires et jouissent des mêmes avantages sociaux que les ouvriers métro­politains. Cette émigration, en général temporaire, est à l'origine de transferts de numéraires (économies sur salaires, allocations familiales) qui constituent pour certaines régions, notamment pour la Kabylie, une source importante de revenus. Ces transferts sont de l'ordre de 35 millions de francs chaque an-née, soit plus de 6 % du total des revenus dont dis pose l'ensemble de la population.

-------C'est sur le plan des finances publiques que se manifestent avec le plus de force les liens de solidarité qui unissent la Métropole et l'Algérie.

-------Les finances publiques françaises interviennent en effet, en Algérie, de deux manières différentes : d'une part, sous forme de prêts ou de subventions au budget de l'Algérie dont les ressources d'origine algérienne ne suffisent pas à couvrir les charges en augmentation constante ; d'autre part, en assumant directement certaines dépenses sur le territoire de l'Algérie.

-------Le volume du budget a connu, ces dernières années, une progression très rapide :

1949-1950 Budget ordinaire (fonctionnement) 48 milliards
  Budget extraordinaire (équipement)  25 milliards
    73 milliards
1957-1958 Budget ordinaire (fonctionnement) 148 milliards
  Budget extraordinaire (équipement) 83 milliards
    231 milliards

-------Les dépenses budgétaires algériennes se sont donc trouvé multipliées par plus de 3 en sept ans.

-------Cette évolution est, pour une faible part, la conséquence des événements dont souffre l'Algérie ; mais elle tient surtout à des causes antérieures et permanentes : d'autre part, le gonflement du budget extraordinaire est la conséquence directe de l'effort d'investissement nécessaire pour assurer le déve­loppement économique et social du pays ; mais, d'autre part, le budget ordinaire devait lui-même subir le contre-coup de cette politique, et la progression des dépenses de fonctionnement peut entre attribuée pour les 2/3 environ aux investissements publics.

-------De telles charges devaient compromettre rapidement l'équilibre des finances algériennes. Elles n'ont pu être couvertes que grâce à l'intervention du Trésor public français, qui est venu relayer les ressources algériennes insuffisantes.

-------Jusqu'à 1955. cette aide a été limitée au financement du plan d'équipement, par une contribution métropolitaine au budget extraordinaire. A ce titre, elle est passée de 18 milliards de francs en 1949 à 28 milliards en 1954-1955, soit 81 % des dépenses comprises dans le plan d'équipement.

-------En 1955, le déséquilibre s'est étendu aux dépenses de fonctionnement elles-mêmes, et l'aide finan­cière du Trésor français a dû s'appliquer également au budget ordinaire.

-------La permanence et l'accroissement du déficit ont fait ressortir la nécessité de fonder les relations de la Métropole et de l'Algérie sur des principes valables pour une longue période, qui rendraient pos­sibles des précisions à long terme. Le groupe d'études chargé de définir ces principes, connu sous le nom de « Commission Maspetiol », a reconnu, dès le début de ses travaux, qu'il serait vain de cher-cher à doter l'Algérie de finances publiques saines, si son économie devait se stabiliser a son niveau actuel. C'est pourquoi les solutions financières envisagées n'ont pas été examinées à titre de fins pro­pres, mais elles ont été replacées dans le cadre d'une évolution économique générale étudiée à partir d'un modèle de croissance simplifié qui permettait de définir, en fonction des dispositifs retenus, le montant des investissements nécessaires et l'aide qui devrait être fournie à l'Algérie pour en équilibrer le financement.

-------Ces travaux ont abouti aux conclusions suivantes : une augmentation de la consommation privée des Algériens de 6,3 % par an qui, compte tenu de la progression démographique, assurerait une hausse annuelle du niveau de vie de l'ordre de 3,5 à 4 %, exigerait des moyens financiers qui ne pourraient être obtenus que si les concours du- Trésor public français progressaient de 15 milliards chaque année pendant 5 ans et se stabilisaient à 150 milliards de francs à partir de 1962. Parallèlement, l'effort demandé au contribuable algérien devrait s'accentuer dans une proportion qui porterait le taux de pression fis-cale (produit des impôts, rapporté à l'ensemble des revenus des particuliers) de 19 % à 24 % en 1960 par une augmentation d'un point chaque année.

-------Depuis 1955, date à laquelle fut déposé le rapport de la Commission Maspetiol, la contribution du Trésor français au financement du plan d'équipement de l'Algérie s'est accrue conformément à ses recommandations :

—        1955-1956 : 42 milliards de francs ;

—        1956-1957 : 57 milliards de francs ;

—        1957-1958: 72 milliards de francs.

-------De plus, depuis la même date, la France contribue également au financement des dépenses ordi­naires. Elle a en effet accordé au budget ordinaire une garantie d'équilibre à concurrence de 3 milliards en 1955-1956, et qui dépasse 18 milliards pour chacune des deux années 1956-1957 et 1957-1958.

-------Si l'on ajoute à ces deux formes d'aide les concours de solidarité que la Métropole a été amenée à accorder à l'Algérie pour faire face à des charges de caractère exceptionnel, le total des apports directs des finances métropolitaines aux finances algériennes est le suivant pour les dernières années :

—        1955-1956 : 49 milliards, soit 30 % du total des dépenses algériennes ;

-           1956-1957 : 88 milliards, soit 42 % du total des dépenses algériennes ;

—        1957-1958 : 98 milliards, soit 42 % du total des dépenses algériennes.

-------En dehors de l'aide qu'elles apportent ainsi aux finances de l'Algérie, les finances françaises inter-viennent dans l'économie algérienne en couvrant les dépenses que l'Etat français assume directement sur ce territoire. Ces dépenses ne ressortent pas à des chapitres du budget métropolitain intéressant directement l'Algérie. Elles se trouvent dans des chapitres prévoyant des dépenses d'une nature donnée, sans en spécifier le lieu de réalisation. Il s'agit de dépenses d'investissement pour la construction d'ou­vrages dont la portée d'intérêt national dépasse le cadre algérien : par exemple, les bases aériennes ou navales sont des dépenses courantes des services métropolitains fonctionnant en Algérie. Ces dépenses ont connu, elles aussi, un développement rapide puisqu'elles sont passées de 67 milliards en 1953 pour l'ensemble des services militaires et civils, à 240 milliards en 1956.

-------Ces deux formes d'intervention des finances publiques françaises sur l'économie algérienne ont une triple incidence favorable.

-------En assurant le financement de la majeure partie du budget extraordinaire, l'aide du Trésor fran­çais a permis d'engager l'Algérie dans une politique d'équipement qui dépasse très largement les capacités financières du pays, mais qui a été néanmoins choisie délibérément en considération de la néces­sité urgente du développement économique et social.

-------De plus, qu'elle soit directe ou indirecte, l'intervention des finances publiques françaises est un acteur d'accroissement d'activité pour un grand nombre d'entreprises algériennes et une source de revenus pour la population.

-------Sur le plan de la balance des comptes enfin, les opérations du Trésor français en Algérie se tra­duisent par un apport de fonds publics dont l'excédent, ajouté à celui que procurent les transferts de salaires et d'allocations familiales des travailleurs algériens en France, vient équilibrer le déficit résul­tant du commerce extérieur et des opérations privées en capital.

-------En effet, pour 1956 par exemple, la balance des comptes de l'Algérie a été équilibrée dans les conditions suivantes (chiffres provisoires) :

 
Excédent
Déficit
Commerce extérieur
Transferts de salaires et allocations familiales.
Autres opérations privées         
37
115
149
Déficit des opérations privées  
 
227
Excédent des opérations publiques 
256
 
Solde : accroissement des avoirs de la Banque de l'Algérie et de la Tunisie en monnaie extérieure, du fait de ses opérations en Algérie....
   29
 

-------Ces chiffres mesurent l'importance de l'aide financière française pour l'Algérie. Ils font ressortir les limites que ce territoire devrait s'imposer tant sur le plan de l'équipement que de la consommation, s'il était livré à lui-même.

-------L'Algérie tire donc de son appartenance à la communauté économique et financière française des avantages qui viennent compenser le handicap qu'aurait constitué pour son développement le déséqui­libre constaté entre les besoins d'une population croissante et les possibilités d'expansion limitées des grandes activités de base.

L'EVOLUTION ET LA STRUCTURE ACTUELLES,

-------L'évolution économique et sociale de l'Algérie, et les sti uctures auxquelles elle a abouti, sont la conséquence de ces données naturelles et institutionnelles. Elles expliquent que, tout en connaissant des progrès rapides qui, sur de nombreux points, lui donnent tes caractéristiques d'un pays développé, l'Al­gérie présente néanmoins simultanément des caractères propres aux pays sous-développés..

-------Les progrès réalisés.

-------L'appréciation des progrès réalisés en matière d'élévation du niveau de vie ne peut être tirée des travaux de comptabilité économique, encore trop récents pour présenter des données comparables sur une longue période. L'évolution de la consommation de certains produits caractéristiques est cependant significative : pour les principales denrées alimentaires, on note en effet une augmentation régu­lière. Ainsi, pour les céréales et les produits dérivés, la consommation annuelle moyenne par habitant est passée de 141,5 kg. en 1935, à 157 kg. 6 en 1956. De plus, la répartition de cette consommation entre les différents produits traduit une amélioration constante du régime alimentaire. En effet, la consommation de blé (tendre et dur) accuse un accroissement considérable, alors que la consommation d'orge diminue sensiblement.

-------Les populations musulmanes délaissent de plus en plus la galette pour le pain, et consomment plus de. blé dur 'sous forme de semoule. La con sommation des pommes de terre est passée de 13,6 kg. en 1935 à 23,5 kg. en 1956, soit une augmentation de 72 %. Pour le sucre, la consommation atteint près de 17 kg. par an, contre 9 kg. en 1935.

-------Ainsi, bien que le régime alimentaire des popu lacions algériennes reste encore très différent de celui des populations européennes, les produits laitiers et la viande notamment n'y figurent qu'en faible quantité ; « les calories chères » y occupent cependant une place croissante.

-------Comme la consommation de denrées alimentaires plus riches, la consommation d'énergie domesti­que est, elle aussi, révélatrice d'une amélioration des conditions de vie. Or, cette consommation est pas­sée de 100 millions de kilowatts-heure en 1948, à 220 millions en 1956. Elle a donc plus que doublé en 7 ans, et la progression la plus récent atteint au moins 10 % par an, alors que le rythme habituelle-ment observé en la matière est un doublement en 10 ans.

-------Mais le revenu individuel moyen, dont l'évolution de ces consommations traduit l'augmentation, ne rend pas compte à lui seul des progrès du niveau de vie d'une population. Il dépend en effet, aussi, de la qualité et de la quantité des services publics, souvent gratuits, dont elle peut disposer.

-------Or, l'apport massif de capitaux publics français dont a bénéficié l'Algérie, spécialement depuis 1948, a permis de doter ce pays d'une infrastructure de services publics qui, par son importance et sa qualité, est plus proche de celle d'un pays développé que de celle d'un pays sous-développé.

-------Le réseau routier de l'Algérie du Nord comprend plus de 40.000 kilomètres de routes carrossables, sur lesquelles circulent plus de 120.000 véhicules automobiles, et tous les centres de quelque impor­tance sont reliés par des voies à chaussée revêtue comparables aux routes européennes. Le réseau ferroviaire dépasse 4.000 km. de voies exploitées.

-------Sur le plan des transports maritimes, les installations portuaires algériennes permettent un trafic de l'ordre de 45 millions de tonneaux de jauge nette. Ce trafic s'effectue principalement dans trois ports principaux : Alger, Oran, Bône, dont l'activité se compare à celle des ports français les plus impor­tants : le trafic du port d'Alger atteint en effet près de 21 millions de tonneaux, celui d'Oran près de 10 millions, et celui de Bône près de 5 millions. A titre de comparaison, le mouvements des navires à Dunkerque, qui est le troisième port français, dépasse légèrement 7 millions de tonneaux.

 

-------De même, pour les transports aériens, l'Algérie est maintenant dotée de trois aérodromes de classe internationale et de nombreux aérodromes secondaires, qui permettent un trafic en accroissement rapi­de. Le nombre des voyageurs transportés est, en effet, passé de moins de 300.000 en 1950 à plus de 700.000 actuellement.

-------Parallèlement à ces investissements de caractère économique, ont été développés des investissements sociaux. Notamment, tout un réseau médical et hospitalier a été mis en place. Depuis la guerre mon­diale, par exemple, le nombre de lits d'hôpitaux a plus que doublé, passant de 14.000 à plus de 30.000, et le nombre de malades hospitalisés a augmenté dans la même proportion, atteignant plus de 300.000 aujourd'hui.

-------L'effort déployé en matière d'enseignement n'a pas encore abouti à une scolarisation totale de la jeunesse musulmane. Si, en effet, dans les grandes villes, cet objectif est d'ores et déjà atteint, il subsiste un important retard à combler dans les campagnes, où la dispersion des populations entraîne des frais élevés. Le rythme de scolarisation s'est cependant accru au cours des dernières années : 1.200 classes nouvelles ont été bâties en 1956 : 1.500 le seront en 1957. Cet effort porte sur tous les degrés d'enseignement : primaire, secondaire, technique, formation professionnelle et enseignemnt supérieur. Dans le domaine de l'éducation, comme dans celui de l'infrastructure sanitaire, les réalisa­tions algériennes ont, en effet, été conçues selon les normes appliquées en France métropolitaine. Les installations, la qualité des soins et de l'enseignement, les diplômes exigés du personnel médical ou enseignant sont en effet identiques.

-------Si l'Algérie dispose ainsi d'une infrastructure de services publics qui se rapproche de plus en plus de celle dont disposent les pays développés, la même tendance à anticiper sur le rythme d'un dé­veloppement économique général se retrouve en matière de rémunération du travail et de législation sociale.

-------Au cours des dernières années, les hausses du salaire minimum décidées par les Pouvoirs publics ont été délibérément beaucoup plus rapides que l'augmentation de la productivité des travailleurs. Le décalage entre le salaire minimum industriel en France et en Algérie, qui était de 50 % en 1947, n'est plus que de 25 % actuellement (95 fr 50 à Alger, contre 126 fr à Paris). En effet, alors que les hausses de prix intervenues pendant cette période sont comparables pour les deux territoires, les augmentations de salaire minimum dans l'industrie et le commerce ont atteint en Algérie 200 % et seulement 140 % en France. La législation sociale applicable en France assure aux salariés de l'indus-trie, du commerce, de l'agriculture et des services publics, le bénéfice des allocations familiales et la couverture de la plupart des risques : accidents du travail, maternité, invalidité, décès. L'assistance mé­dicale gratuite est accordée à toutes les personnes sans ressources, à la ville comme à la campagne. La création d'un « Fonds de solidarité » assurera chaque année une allocation à toute personne âgée dont les ressources seraient inférieures au minimum vital calculé sur la base des conditions de vie de la France métropolitaine.

-------Cette évolution reflète donc la possibilité qu'a eue l'Algérie d'éviter, malgré la faiblesse de ses ressources propres, le dilemme devant lequel se trouve tout pays sous-développé : sacrifier le rythme de son développement au profit d'une augmentation immédiate de la consommation, ou, au contrai­re, imposer à des populations dont le niveau de vie est déjà faible, une réduction massive de la con-sommation pour dégager les ressources nécessaires à l'investissement. Tout en préparant l'avenir par des investissements qui ont permis la constitution d'une infrastructure de base comparable à celle des pays développés, elle est parvenue à améliorer les conditions de vie de sa population dans des proportions importantes.

-------L'Algérie n'en est pas pour autant libérée de toutes les caractéristiques de sous-développement, et si les structures économiques et sociales qui résultent de cette évolution sont, par plusieurs as­pects, proches de celles des pays développés, de nombreux éléments la rattachent encore au groupe des pays sous-développés.

-------Structures économiques.

-------La part des différentes activités dans la production intérieure et la répartition de l'emploi entre les groupes professionnels font ressortir cette originalité. Contrairement à la plupart des pays sous-développés, où la presque totalité des ressources provient des activités primaires (agriculture et ex­ploitations minières), les industries de transformation fournissent déjà une part importante des res­sources dont dispose la population, puisqu'elles assurent, à elles seules, plus de 14 % de la valeur ajoutée par toutes les activités algériennes. Si l'on y joint l'activité des entreprises de bâtiment et de travaux publics, cette proportion passe à plus de 22 %. La population active du secteur non agricole connaît un accroissement rapide : de 680.000 en 1948, elle est passée à plus de 870.000, soit plus de 28 % d'augmentation. Ce début d'industrialisation est le résultat des efforts entrepris depuis la guer­re, dans le cadre des « plans quadriennaux » qui, outre les travaux d'infrastructure publique, com­portaient une procédure d'aide financière aux industries et à la construction de logements. Ces me-sures, qui touchent à la fois au crédit et à la fiscalité, ont permis ou facilité, selon les cas, la consti­tution d'industries qui, pour modestes que soient encore leurs posibilité en valeur absolue, n'en pré-sentent pas moins des dimensions cinq fois supérieures à celles d'il y a quinze ans, et la construction de 100.000 logements par an, soit le double du rythme d'avant-guerre.

-------La structure du commerce extérieur enregistre déjà l'incidence de cette évolution. En effet, si les matières premières constituent encore l'essentiel des ventes à l'extérieur, quelques produits industriels figurent également à l'exportation : 11 % de la production en valeur des industries algériennes sont vendus sur les marchés extérieurs. A l'inverse, les matières premières et les biens d'équipement pour l'industrie représentent près du tiers des importations.

-------L'Algérie reste encore, cependant, un pays agricole. Si l'agriculture ne fournit en effet que 32 % de la production intérieure, elle occupe néanmoins 72 % de la population active. La très grande majo­rité de la population algérienne, comme celle de tous les pays sous-développés, tire donc encore sa subsistance du travail de la terre.

-------La part importante des activités tertiaires dans la structure de la production intérieure brute, qui, pour certains pays, est le signe d'un degré d'évolution très avancé, doit être interprétée également comme l'un des indices du sous-développement algérien. Elles fournissent en effet la même proportion des revenus que l'agriculture, mais il faut voir là le résultat de la tendance à prolifération des petits commerces et services, conséquence du sous-emploi.

-------La répartition des revenus disponibles entre les différentes activités qui en sont la source, ne cor­respond donc pas exactement à celle qui est en général constatée dans les pays sous-développés, mais elle n'est pas encore celle d'un pays développé.

-------Cette originalité se retrouve également sur le plan de l'utilisation de ces revenus. Elle marque notamment les phénomènes d'épargne. Les travaux de comptabilité économique menés en Algérie ont fait ressortir un taux d'épargne de 20 % du produit national brut pour les dernières années, très voisin du taux constaté en France métropolitaine. Mais, si elle n'a que peu d'incidence sur le taux de l'épar­gne, la différence de structure économique des deux territoires entraîne une affectation très différente de son produit. En effet, une partie importante des revenus épargnés en Algérie tend à quitter le ter­ritoire pour se placer à l'extérieur, essentiellemnt en France métropolitaine. Cette tendance n'est que la manifestation du fait que, en raison de son moindre niveau de développement, l'économie algérienne of­fre des occasions d'investir moins rentables que l'économie française. Au cours des dernières années, c'est un peu plus du tiers de l'épargne algérienne en moyenne qui, à la faveur de la liberté totale des transferts, s'est ainsi placée à l'extérieur. Si les investissements bruts ont représenté plus de 26 % du produit national brut, ce taux doit être rapproché de la proportion des capitaux publics dans le total des sommes investies, qui est supérieur à 50 %.

-------Ainsi, bien que l'ensemble des populations soit déjà en mesure d'épargner une part importante de ses revenus, l'Algérie se trouve donc encore au stade où les capitaux publics doivent précéder les capi­taux privés pour assurer l'équipement du pays.

-------Structures sociales.

-------Conséquence du caractère composite de l'économie algérienne, les structures sociales présentent la même juxtaposition d'éléments modernes et d'éléments archaïques, caractéristiques du sous-développe­ment. Par leur comportement, comme par leur niveau de vie, les populations algériennes se rattachent à des âges économiques différents.

-------Un quart environ constitue ce que l'on peut appeler le secteur moderne, caractéiisé par une spé­cialisation du travail nécessitant des échanges monétaires intenses, aussi bien à l'intérieur du pays qu'avec le reste du monde. Il assure à ses membres des conditions de travail et un niveau de vie com­parables à ceux des pays européens.

-------Mais toute une partie de la population vit encore selon les normes traditionnelles, pratique des méthodes de production immuables depuis des siècles et orientées essentiellement vers l'autoconsom­mation familiale, n'entretenant avec le monde extérieur que des relations très réduites.

-------Cette distinction entre le secteur évolué et le secteur traditionnel ne recouvre d'ailleurs pas les distinctions ethniques.

-------Si, en effet, les musulmans forment la quasi-totalité du secteur traditionnel, ils forment néan­moins la majorité du secteur évolué (57 %) et y occupe une place croissante.

-------Cette répartition ne correspond pas, non plus, exactement à la répartition des populations entre les différents groupes d'activités, ni à la distinction entre population rurale et population urbaine.

-------Sans doute, les familles de petits exploitants agricoles, de pasteurs et salariés occasionnels de l'agriculture forment-elles la masse la plus importante du secteur traditionnel ; mais l'importance du secteur moderne agricole est cependant loin d'être négligeable : 60 % de la production agricole en valeur résulte de procédés modernes de culture dans des exploitations en majorité européennes, mais également musulmanes.

-------A l'inverse, toute la population employée dans les activités industrielles et commerciales ne peut être rangée dans le secteur évoluée ; en effet, cette population comprend une part de petits commer­çants et artisans urbains ou ruraux dont les conditions de vie restent celles du secteur traditionnel.

-------Cette absence d'homogénéité des structures sociales explique qu'un chiffre de revenu annuel moyen par habitant rende très mal compte du niveau de vie algérien. Ce revenu a pu être évalué à environ 60.000 francs pour 1956, mais ce résultat doit être interprété en tenant compte de la très grande inégalité qui existe entre le secteur traditionnel et le secteur évolué : un salarié occupant un emploi permanent dans une entreprise industrielle ou commerciale moderne dispose qu'il soit européen ou musulman, d'un revenu comparable à celui d'un salarié en France métropolitaine, donc très supé­rieur à ce chiffre moyen. Au contraire, le petit cultivateur musulman pratiquant des méthodes ar­chaïques sur une terre souvent pauvre, ne jouit que d'un revenu inférieur.

-------En définive, l'Algérie a dépassé le stade de beaucoup de pays sous-développés où, seule, une classe privilégiée peu nombreuse connaît un niveau de vie comparable ou supérieur à celui des pays européens en face d'une masse dont les ressources asurent à peine le minimum vital. Grâce à son as­sociation à une communauté plus riche, elle a vu se développer tout un secteur d'économie moder­ne, dans lequel se trouve intégrée une part importante de la population. Cependant, la parité des conditions de vie de la partie de la population demeurée dans le secteur traditionnel mesure l'im­portance de l'effort qui reste à accomplir.

PERSPECTIVES D'AVENIR.

-------Le problème économique algérien, malgré les progrès déjà réalisés, reste donc posé : Nécessité du développement.

-------Il est posé dans l'immédiat : une part importante de la population, qui poursuit son activité selon les méthodes traditionnelles, ne dispose encore que d'un revenu faible. Plus de 800.000 personnes en âge de travailler sont, à des degrés divers, en état de sous-emploi.

-------Il se posera avec plus d'acuité encore, dans l'avenir : dans dix ans, la population se sera accrue de plus d'un tiers. Avec un décalage de quinze années environ, le besoin d'emploi augmente dans les mêmes proportions. C'est environ 600.000 hommes musulmans de plus qui demanderont un emploi dans les dix années à venir.

-------Même si un ralentissement de l'expansion démographique pouvait être obtenu, les résultats de l'évolution antérieure sont d'ores et déjà acquis. Ce ralentissement pourrait donc avoir, à longue échéance, des effets dont l'importance commande que l'étude de ce problème soit faite rapidement ; mais il n'y aurait qu'une incidence très faible sur le niveau de vie et le sous-emploi, pendant vingt ans encore.

-------La faiblesse relative du niveau de vie moyen actuel, rapproché de l'importance des besoins pré­sents et à venir, suffit à marquer combien serait limitée la portée d'une politique qui serait plus fon­dée sur une répartition égalitaire des ressources actuelles que sur leur extension. Le développement de la production est donc une nécessité à laquelle il n'est plus possible d'échapper.

-------Un tel problème peut trouver une solution, mais il exige la réunion d'un certain nombre de condi­tions très précises.

-------Des études ont en effet été entreprises pour vérifier les premières conclusions que les travaux de la Commission Maspetiol, rappelés plus haut, avaient permis de dégager par l'utilisation d'un modèle de croissance très simplifiée. A partir d'une connaissance détaillée de l'économie algérienne, obtenue par l'application des méthodes de la comptabilité économique et en utilisant un modèle de croissance beaucoup plus élaboré, ces études ont confirmé que, malgré le taux d'accroissement massif de la popu­lation, l'objectif recherché, qui était d'assurer une amélioration du niveau de vie moyen en Algérie plus rapide qu'en France sur une longue période, pouvait être atteint.

-------Mécanisme de développement.

-------Mais un tel résultat suppose une transformation profonde de la structure de l'économie algérienne : encore essentiellement agricole, elle doit évoluer vers une structure industrielle.

-------En effet, l'étude détaillée des possibilités d'expansion de toutes les activités à laquelle il a été pro-cédé, a confirmé que l'agriculture ne peut plus être la base principale des emplois et des revenus. L'action entreprise dans le secteur agricole pour augmenter le rendement des terres par l'encadre-ment technique des exploitants, la mise en valeur de toutes les ressources hydrauliques, la lutte contre l'érosion, la recherche agronomique et l'implantation de cultures intensives partout où elles sont possibles, doit être poursuivie et renforcée. Mais, quelle que soit l'importance des moyens mis en oeuvre, tant en capitaux d'investissement qu'en personnel technique d'encadrement et de recher­che, les limites naturelles auxquelles on se heurte interdisent d'envisager un accroisement de produc­tion suffisant pour élever dans une proportion notable le niveau de vie d'une population agricole plus nombreuse qu'actuellement. Tout le surcroît de population des années à venir doit donc pouvoir trouver un emploi dans le secteur non agricole. L'industrialisation apparaît donc, en dehors des pos­sibilités d'émigration, d'ailleurs limitées, comme le seul moyen d'élever sensiblement et de façon con­tinue le niveau de vie des populations algériennes.

-------Ctte industrialisation doit se trouver facilitée par les possibilités qu'offrent les récentes décou­vertes de gaz naturel et de pétrole dans le sous-sol saharien.

-------L'Algérie dispose en effet, déjà, d'une infrastructure industrielle, et l'exploitation de ces richesses doit fournir un complément d'activité aux entreprises algériennes déjà existantes. Mais, surtout, elles viennent corriger une des faiblesses qui entravaient jusqu'ici le développement industriel de l'Algérie, en lui fournissant des matières premières et une d'énergie qui lui manquait. Le pétrole peut, en ef­fet, constituer la base d'une industrie de la pétrochimie. Le gaz naturel, dont l'un des gisements se trouve seulement distant de 400 kilomètres d'Alger, et pour lequel le seul problème est celui d'une consommation suffisante pour permettre l'amortissement des pipes-lins, peut faire de l'Algérie, pays où l'énergie était chère, un pays d'énergie abondante et bon marché. Il peut notamment per-mettre l'implantation d'une industrie sidérurgique lorsque son utilisation comme réducteur du mine-rai de fer, abondant en Algérie, aura été mise au point.

-------Cependant, quelle que soit l'importance de ces secteurs favorables récents, l'étude de l'effet mul­tiplicateur que pourraient avoir de telles activités a montré qu'elles ne pouvaient, à elles seules, dé­clencher un processus de développement suffisant pour atteindre les objectifs envisagés.

-------Le problème économique algérien ne peut donc être traité par une percée réalisée en un point donné, mais seulement par une progression de l'ensemble des activités. Or, cette progression ne se réalisera pas toute seule à partir d'un petit nombre de secteurs particulièrement rentables, comme l'ex­ploitation pétrolière, ou faciles à développer, comme les travaux publics.

-------En définitive, trois grand groupes d'activités doivent constituer les éléments moteurs du déve­loppement :

—        la construction de logements, pour laquelle les débouchés solvables s'accroîtront parallèlement au progrès des revenus, conséquence du développement économique général et qui présente l'avan­tage de faire surtout appel à des activités locales, à un moindre degré seulement, les travaux publics ;

—        la recherche et l'exploitation du pétrole et du gaz, clients aux besoins croissants pour les en­treprises algériennes, sources d'énergie et de matière première ;

— les industries de transformation, enfin ; l'industrie est en effet le meilleur client de l'indus-trie, et c'est d'elle que doit venir la contribution la plus important à l'élargissement du marché que suppose une politique d'industrialisation.

-------Les moyens à mettre en oeuvre pour assurer une expansion équilibrée des différents secteurs d'activité ont été étudiés, et la comptabilité d'ensemble des perspectives envisagées a été vérifiée. Pour le secteur industriel notamment, il a été procédé à une étude chiffrée des handicaps que sup­portent les entreprises algériennes, par rapport notamment aux entreprises françaises. Cette étude a permis l'élaboration d'un régime d'aide financière plus complet, que celui qui est actuellement appli­qué, et qui doit permettre à l'industrie algérienne de' supporter la concurrence extérieure.

-------Les investissements à prévoir pour porter le volume de la production au niveau nécessaire ont également été étudiés dans chaque secteur, et la concordance avec les possibilités de financement a été vérifiée.

-------Enfin, la mise en place des principaux moyens d'action nécessaires pour promouvoir le dévelop­pement est en cours d'exécution : le texte qui définira la procédure d'aide financière dont bénéficie­ront les entreprises industrielles fonctionnant en Algérie, est en préparation ; mais les modalités techniques en sont, d'ores et déjà, fixées. Un organisme vient d'être créé qui, sous le nom de « Fonds de l'Algérie », est chargé de réunir les ressources financières destinées aux investissements, d'en orienter l'emploi et de suivre la réalisation des programmes.

-------S'il est ainsi possible d'envisager une amélioration substantielle des conditions de vie des popu­lations algériennes, l'appréciation des possibilités de développement économique de l'Algérie reste inséparable des données sur lesquelles elle se fonde. Elle est étroitement liée, notamment, aux don-nées de financement retenues en matière de capitaux publics.

-------Malgré l'attrait que peuvent exercer quelques activités particulièrement rentables sur les capi­taux privés, le rôle de ces capitaux publics restera encore déterminant pour de nombreuses années en Algérie : ils asurent le financement de l'infrastructure, ils jouent un rôle de catalyseur à l'égard des capitaux privés ; enfin, les transferts de fonds auxquels ils donnent lieu, constituent l'élément essen­tiel de l'équilibre de la balance des comptes. Leur mise en oeuvre, par des effets directs et indirects, détermine donc, en fait, le rythme et l'ampleur de tout le développement.

CONCLUSION.

-------Les grands traits de l'économie algérienne, qui viennent d'être dégagés, font reseortir la situation très particulière qu'occupe l'Algérie dans l'ensemble du groupe des pays sous-développés.

-------Peu favorisée sur le plan des richesses naturelles, elle ne dispose plus, depuis longtemps, de ce potentiel des richesses de base encore inexploitées qui constituent la meilleure chance de développement de beaucoup d'entre eux, alors qu'elle doit faire face aux besoins d'une population dont l'accroisse-ment est deux fois et demi plus rapide que le taux d'accroissement moyen de la population mondia­le. En dehors des hydrocarbures sahariens, dont l'exploitation pourrait avoir une influence déterminante si les emplois et les revenus qu'elle procurera devaient profiter à une population peu nombreuse, comme celle de certains pays du Moyen-Orient, mais dont l'incidence sera relativement faible pour une masse de 10 millions et bientôt 13 millions d'habitants, — toutes les ressources de son sous-sol sont non seulement reconnues, mais aussi exploitées. Le climat subdésertique qui règne sur la majeure partie de son territoire impose aux progrès de son agriculture des limites qu'il n'est pas possible de franchir, quelle que soit l'ampleur des efforts déployés.

-------Si ces facteurs naturels opposent donc des obstacles particulièrement graves au développement économique algérien, les concours extérieurs dont bénéficie l'Algérie pour l'aider à les surmonter lui donnent cependant une situation privilégiée parmi tous les pays qui ont à faire face à des difficultés analogues.       -

-------L'importance qu'elle attache à une région qu'elle considère comme la clef de voûte de son ensem­ble africain, jointe à la forte proportion du peuplement européen, ont en effet amené la France à considérer l'Algérie comme partie intégrante de sa propre économie. Elle se juge donc responsable des conditions de vie des habitants de l'Algérie, sans distinction, au même titre que des populations mé­tropolitaines, et elle est ainsi conduite à consentir en leur faveur des efforts comparables, dans leurs modalités et leur importance, à ceux qu'elle aurait consentis en faveur d'une partie du territoire fran­çais si lés mêmes problèmes s'y étaient posés.

-------Le problème fondamental de l'Algérie n'est que l'un des aspects du problème du sous-développement, qui se pose à l'échelle de la planète. Mais les solutions qui lui sont appliquées sont profondément originales. Grâce à son étroite association avec une économie plus riche, l'Algérie est le seul pays sous-développé à bénéficier d'une aide aussi importante.

-------L'aspect financier de cette aide est le plus facile à discerner : pour 1956 par exemple, les seules sommes fournies par le Trésor français au budget algérien représentent, pour chaque habitant de l'Algérie, plus de 9.000 francs (25 dollars). Pour un pays comme l'Egypte, une aide extérieure du mê­me montant par habitant représenterait chaque année 210 milliards de francs (0,6 milliard de dollars). Pour l'Inde, ce seraient 3.400 milliards de francs (10 milliards de dollars). Or, le total des investisse­ments que les pays riches effectuent chaque année dans les régions sous-développées est de l'ordre de 3 milliards de dollars (1.000 milliards de francs), dont 600 millions de dollars sont fournis par la France seule.

-------Mais ces concours financiers sont loin de constituer la seule forme d'aide dont bénéficie l'Algérie. Si les capitaux ainsi fournis ont permis de faire évoluer tout un secteur de l'économie algérienne vers des modes de production et des structures comparables à celles des pays européens, c'est notamment parce que ce territoire a pu profiter pour leur mise en oeuvre, dans les différents domaines de la tech­nique industrielle ou agricole, de la gestion des affaires publiques et privées, de la même expérience que les pays les plus développés. C'est aussi parce que son appartenance à une communauté économique plus vaste, par les avantages monétaires et commerciaux qu'il en retire, lui permet de s'approvision­ner en biens d'équipement, matières premières et biens de consommation, et d'écouler les produits de son activité dans des conditions beaucoup plus favorables que celles qu'il connaîtrait s'il devait rester isolé et réduit à une aide aux autres régions sous-développées du globe.   -

-------Cette association originale entre deux pays de niveaux aussi différents, l'effort que la France y a entrepris et est décidée à y poursuivre, l'expérience qu'elle a acquise des problèmes très particuliers qui s'y posent, apparaissent donc comme Ies chances incomparables du développement économique de l'Algérie.

STRUCTURE DE LA PRODUCTION INTERIEURE EN 1954
(en milliards de francs)

 

SALAIRES et charges sociales

IMPOTS

AMORTISSEMENTS

BENEFICES

SUBVENTIONS

TOTAL

POURCENTAGE de la valeur ajoutée totale

Agriculture, Forêts, Pêche.

33

7,3

11

146,3

- 1

196,6

32,8

Energie, Pétrole, Mines . .

13,5

2,7

5,5

10,2

-           0,8

31,1

5,2

Industries de transformation      

32,3

15,3

6

24,3

-           0,3

88,1

14,7

Bâtiment et Travaux publics    

25,8

7,6

3

8,8

-           0,2

45

7,5

Transports    

25,2

6,4

5,3

6,4

-           6,2

37,1

6,3

Commerce et Services ....

58,6

52

15,3

76,5

- 2,3

200,1

33,5

TOTAL           

188,4

101,3

46,1

273

- 10,8

598

100,0