--------Chacun s'accorde
à constater que le régime de la propriété
foncière en Algérie est complexe. Mais seuls les initiés
ou les spécialistes mesurent exactement cette complexité
et en connaissent les véritables causes. Car à l'idée
de complexité on est souvent tenté d'associer celle de responsabilité
de l'Administration. Le but de cet exposé n'est d'ailleurs pas
de plaider la cause de cette dernière et de démontrer que
tout ce qu'elle a fait dans ce domaine reléve de la perfection.
Il appartiendra au lecteur de faire objectivement la part des choses et
de distinguer, au cours d'une pareille étude, parmi les causes
de cette complexité, celles qui ne sont Pas imputables à
la fiance.
---------Parlant
des nations civilisées, André Gide n'a-t-il pas déjà
dit :"La propriété foncière
est de date relativement récente dans l'histoire, et, même,
elle a beaucoup de peine à se constituer " ? On
a pu soutenir également que "mises
à part les conquêtes, l'histoire de la propriété
marque le degré de l'évolution historique d'un pays et d'un
peuple ".
---------Ces
grandes vérités étant ainsi rappelées, il
devient possible d'annoncer le plân qui va être suivi et qui
comprendra deux grandes parties :
---------situation
foncière de l'Algérie avant l'occupation, ------------situation
actuelle,
---------la
première partie comportant un aperçu de la législation
musulmane auquel s'attache non seule-ment un intérêt historique
mais aussi un intérêt actuel, puisque de nombreuses terres
se trouvent encore placées sous le statut musulman.
CHAPITRE 1
---------Aperçu
de la Législation musulmane
---------La
loi musulmane, qui ne repose pas sur un texte codifié mais sur
le livre saint, le Koran, et sur la tradition orale, juridique ou scolastique,
ne contient aucune réglementation cohérente de la propriété
foncière : on en déduit seulement diverses prescriptions,
éparses et parfois contradictoires
---------L'un
des plus célèbres commentateurs, Sidi Khalil, résume
ces règles ainsi qu'il suit :
---------Les
territoires des pays conquis deviennent ouakf ou habous, c'est-à-dire
qu'il sont immobilisés. (Trad de Perron, tome II, p. 269).
---------Dans
le cas de capitulation, les habitants sont maintenus en possession, sauf
paiement du tribut ; ils peuvent vendre et disposer (Perron, tome p. 293
à 295).
---------Les
terres qui n'ont subi de la part de personne le fait d'appropriation,
sont terres mortes ; elles n'appartiennent à personne et sont acquises
au premier occupant par leur vivification ou mise en valeur (Perron, tome
V, p. 3 et suivantes).
---------La
vivification entraine le droit de jouir d'une surface adjacente qui se
prolonge jusqu'à une distante égale à celle que pourrait
atteindre, par exemple, un bûcheron ou un pâtre qui, partant
au point du jour, iraient l'un faire du bois, l'autre faire paître
un ttpupeau et qui ayant rempli leur tâche, rentre-raient au pays
avant le coucher du soleil.
---------La
propriété s'établit encore au moyen de concessions
faites par le Souverain. Mais les terres productives, dans les pays conquis
de vive force, ne doivent être concédées qu'à
titre d'usufruit par la raison que la conquête les immobilise immédiatement
au profit de la communauté musulmane.
---------Pour
vivifier une terre rapprochée d'autres terres déjà
utilisées, on doit au préalable en obtenir l'autorisation
du Souverain. Faute d'autorisation, l'occupant peut être expulsé
par le Souverain.
---------Quant
aux terres éloignées des terres habitées ou cultivées,
elles peuvent être vivifiées sans aucune autorisation.
---------La
propriété constituée peut être acquise par
prescription en justifiant d'une possession exclusive de dix ans vis-à-vis
d'un étranger et de quarante vis-à-vis d'un parent, allié
ou associé.
---------Elle
peut être transmise par vente, donation ou succession.
---------Elle
peut être aussi immobilisée, autrement dit constituée
habous dans une intention pieuse et désintéressée.
---------Le
habous consiste à donner l'usufruit d'une chose, pour une
durée égale à celle de la chose, (Perron, tome V,
p. 24 et suivantes).
---------Les
immeubles constitués habous sont inaliénables et imprescriptibles.
---------Le
fondateur peut se réserver le droit d'en percevoir les fruits pour
en faire la répartition entre les ayants droit.
---------Peu
à peu, à la faveur de cette dernière disposition,
le habous a été detourr.é de sa destination première
et employé pour déroger au droit successoral institué
par le Prophète.
---------D'après
le Coran, les femmes sont héritières : or, les constitutions
des habous. telles qu'elles sont pratiquées depuis longtemps, les
excluent d'habitude de la succession en stipulant que l'usufruit des biens
habousés appartiendra d'abord au fondateur, puis à sa postérité
de mile en mile, à l'exclusion des filles.
---------Le
droit de Chefaà, comme le habous, a pesé d'une influence
cons. lérable sur la proprio é ; ce droit permet à
tout indivisaire de contraindre un acquéreur étranger de
lui rétrocéder, moyennant le remboursement du prix, la part
qui lui a été vendue.
---------Le
droit de chefaà doit être exercé dans un délai
fort court, spécialement dans le cas où Pacquéreur
met le copropriétaire en demeure de se prononcer immédiatement
apres se contrat. Mais, le retrayant est à l'abri de toute déchéance
et i1 peut faire valoir son droit à toute époque s'il était
absent au moment de la vente ou s'il n'en a pas eu connaissance ; circonstance
aggravante, dans le cas de contestation, s'il nie avoir eu connaissance
de la vente, il est cru sur parole à la condition de prêter
serment.
---------Enfin,
parmi les contrats qui peuvent grever la propriété, sont
la rahnia et la tsenia.
---------La
rahnia est l'équivalent de l'antichrèse ; la tsenia correspondrait
à la vente à réméré. N'étant
soumises à aucune formalité de publicité, elles constituent
des charges occultes. Au surplus, contraire-ment à ce qui se passe
dans notre droit français, ce sont des contrats à durée
illimitée.
---------Il
convient d'ajouter que toute convention peut être prouvée
par témoins, quelle que soit la valeur sur laquelle elle porte
et quel que soit le bien, meuble ou immeuble, qu'elle ait pour objet.
---------Comme
on le voit, la législation musulmane ne prévoit aucune précaution
pour prémunir les tiers contre la fraude ; elle favorise l'immobilisation
par le habous et l'indivision par la chefaà.
---------2.
- Etat de la propriété en Algérie au montent de la
conquête.
---------La
situation de fait de la propriété algérienne au moment
de la conquête française avait pour origine les Kanouns kabyles,
le droit musulman tel qu'on l'a vu au paragraphe précédent,
les coutumes variées provenant du mélange des lois musulmanes
et des Kanouns kabyles, et les errements établis par le gouvernement
turc.
---------Les
diverses tribus qui constituaient des unités sociales et ethniques
indépendantes n'étaient pas placées sous un régime
identique ; elles pouvaient être divisées en quatre catégories,
selon :
---------1)-
quelles étaient établies en terrain beylik ou de l'Etat
---------2)-
qu'elles étaient installées sur des territoires Maghzen
;
---------3)
- qu'elles possédaient des territoires melk ;
---------4)-
ou qu'elles occupaient des territoires arch ou sabega.
---------1/
- Territoires beylik.
---------Le
gouvernement turc était propriétaire de vastes territoires,
désignés dans le département de Cons-tantine sous
le nom d'Azel, dont il disposait au mieux de ses intérêts
: tantôt il percevait directement le revenu sous forme de fermage,
tantôt il en faisait l'attribution à titre d'apanage à
un prince, à un fonctionnaire ou même à un service
public.
---------Les
indigènes qui les occupaient étaient de simples métayers
; ils payaient un fermage (hokor), plus l'impôt , en outre, ils
devaient un certain nombre de corvées et de prestations plus ou
moins facultatives.
---------Le
beylik avait, en outre, la disposition des terres mortes tant qu'elles
n'étaient l'objet d'aucune vivification ; les bois et forêts
lui appartenaient à titre privé ; il était maître
également des mines et des carrières.
---------2/-
Territoire. Maghzen.
---------Les
forces militaires dont disposaient les Turcs pour maintenir le pays sous
leur domination étaient peu nombreuses ; pour y suppléer,
ils avaient constitué des colonies militaires désignées
sous le nom de Maghzen. ---------Profitant
des désordres régnant dans le pays, les favorisant même
parfois pour les besoins de leur politique, ils s'emparaient du territoire
des tribus rebelles ou qui refusaient de payer l'impôt, le confisquaient
et l'attribuaient aux gens du Maghzen.
---------Un
traité intervenait alors entre le représentant du gouvernement
et les familles indigènes admises a entrer dans le Maghzen_ Chaque
chef de famille recevait un lot de terre, des instruments de travail,
des armes et un cheval. En échange, il s'engageait à fournir,
à toute réquisition, un service militaire, organisé
sous les ordres d'un caïd, consistant à assurer tant la répression
des mouvements insurrectionnels que la perception des impôts.
---------Des
tribus furent ainsi constituées dans toute l'Algérie, sur
les points stratégiques les mieux choisis.
---------Les
concessions territoriales faites aux gens du Maghzen, outre qu'elles étaient
toujours résiliables, au gré du gouvernement, pour défaut
d'exécution des conditions imposées, n'attribuaient pas
à leurs bénéficiaires des droits partout uniformes
: dans quelques tribus, les indigènes pouvaient disposer des terres
reçues connue de leurs biens propres, les aliéner, les partager
; dans d'autres, au contraire, et c'était la généralité,
ils étaient placés dans l'état de simples possesseurs,
ne pouvant ni céder leur droit de jouissance à un étranger,
ni les transmettre par décès â d'autres que leurs
descendants mâles.
---------En
un mot dans les tribus Maghzen, la possession du sol était essentiellement
précaire.
---------3/
- Territoires melk.
---------Les
terres melk appartenaient aux occupants en pl ne propree dans les conditions
déterminées par la loi musulmane.
---------Elles
étaient libres, aliénables à la volonté du
possesseur, soumises au droit commun, donnant à ce-lui qui en est
le propriétaire le droit d'en disposer et d'en jouir de la manière
la plus absolue. Elles étaient fréquemment possédées
à l'état d'indivision par une nombreuse famille, surtout
dans les pays arabes, car en Kabylie, au contraire, le goùt de
la possession privative va jusqu'à se manifester dans le partage,
branche par branche, d'un seul arbre.
---------Par
suite de l'état de guerre presque permanent qui existait dans les
tribus et des difficultés que rencontrait leur conservation, les
titres qui constataient la propriété de ces terres étaient
peu nombreux. Dressés par des écrivains sans caractère
officiel et toujours suspects de falsification, ils n'offraient aucune
garantie ; en outre, faute d'indications précises, ils ne pouvaient
être appliqués sur les lieux qu'avec la plus large tolérance.
---------D'ailleurs,
que la propriété melk reposât sur un titre écrit
ou sur la simple possession, ce qui était le cas le plus général,
sa consistance était toujours mal définie.
---------Nota.
- Il sera parlé à nouveau des caractéristiques des
terres melk dans le chapitre II qui traite de la situation actuelle des
terres.
---------4/
- Territoires arch ou sabega.
---------On
a défini comme suite cette tenure particulière :
---------Le
fonds (du bien arch ou sabega) était réputé appartenir
au souverain qui en abandonnait la jouissance à la tribu. Celle-ci
usait de cette jouissance comme elle l'entendait, mais sans pouvoir aliéner
le
fonds. Chaque tribu était libre d'adopter un mode de jouissance
particulier, suivant les besoins ou les nécessités de la
communauté. Toutefois, la règle à peu près
générale était que tout membre de la tribu avait
droit à la jouissance des superficies qu'il était à
même de mettre en valeur. Le premier occupant conservait cette jouissance
de la terre, tant qu'il pouvait continuer à la vivifier, et il
la transmettait dans les mêmes conditions à ses héritiers
màles en ligne directe. Cette transmission s'opérait même
parfois en ligne collatérale à défaut d'héritiers
directs (Vignard, Conseil Supérieur, séance du 5 décembre
1882).
---------Nota.
- Comme les terres melk, les terres arch et sabega réapparaîtront
dans le chapitre II, pour le même motif.
---------Il
y avait donc en Algérie, avant 1830, deux genres de propriété
: d'un côté, le melk, bien possédé à
titre privatif, régi par les statuts de la loi musulmane, de l'autre
le blad el arch, la terre de tribu, bien impersonnel, possédé
par des communautés et régi par les us et coutumes locaux,
résultant de nécessités locales.
---------A
cette nomenclature, il convient d'ajouter les terres du Sahara où
tout système foncier n'est que fonction du régime des eaux.
---------Tel
était, exposé aussi succinctement que possible l'état
de la propriété en Algérie avant la conquète.
Il est caractérisé par l'insécurité résultant
des charges occultes (habens, rahnias et tsenias), par le dé-faut
de toute précision dans la consistance des biens ruraux, par l'indivision
des terres melk, par l'indécision des droits des détenteurs
des terres maghzen, arch ou sabega, en un mot, par l'absence des éléments
essentiels à la propriété et nécessaires à
tout progrès.
CHAPITRE II
---------Situation
juridique actuelle des terres
---------Avant
de passer à l'examen de la situation actuelle des terres, il conviendrait
d'évoquer et de suivre pas à pas depuis l'origine de notre
installation, l'évolution et la transformation de l'état
juridique de la propriété. C'est ce qu'on a coutume d'appeler
l'histoire foncière de l'Algérie et qui consiste à
analyser les différentes mesures intervenues tant dans le domaine
réglementaire que législatif de 1830 à nos jours.
Outre que cette analyse ne manque pas d'être longue et fastidieuse,
il n'apparaît pas qu'elle soit vraiment nécessaire pour les
besoins de cet exposé.
---------Trois
textes revêtent une importance particulière :
----------
la loi du 16 juin 1851 qui a défini les domaines public et privé
de l'Etat, des départements et des communes ;
----------
le sénatus-consulte du 22 avril 1863 qui a déclaré
les tribus propriétaires des territoires dont elles avaient la
jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre que ce
soit (terres arch) et prescrit la délimitation de leurs territoires,
leur répartition entre les différents douars de chaque tribu,
la détermination des biens communaux et la reconnaissance des biens
domaniaux, puis l'établissement de la propriété individuelle
;
----------
la loi du 26 juillet 1873 dont le but peut être ainsi précisé
:
---------mettre
la propriété indigène sous le régime de la
loi française, reconnaître et constater les droits individuels
dans les territoires melk,
---------constituer
la propriété individuelle dans les territoires collectifs,
---------dans
l'un comme dans l'autre cas, délivrer aux ayants droit des titres
formant le point de départ de la propriété.
---------Avec
cette loi est née la théorie de la francisation selon laquelle
toute terre francisée passe définitivement sous le statut
réel français alors que jusqu'à 1873 elle pouvait
retomber sous le statut musulman.
---------Précisons
encore que la francisation de la terre reste sans effet sur le statut
personnel du propriétaire lorsque celui-ci est musulman. Ce dernier
conserve donc son statut personnel qui, on le sait, gouverne notamment
l'état des personnes, la loi successorale, le régime matrimonial,
etc...
---------D'autres
textes seraient encore à connaître, en particulier les lois
des 16 février 1897, 4 août 1926 et 16 juin 1951. Toutes
trois encore partiellement ou totalement en vigueur. Leur étude
n'est toutefois pas indispensable ( Il
suffit de savoir que ces lois, du moins les deux premières, Instituent
des processus d'enquête partielle et d'ensemble qui se sont substituées
à celles de la loi de 1873 qui à l'expérience avaient
révélé de nombreuses imperfections.) pour
la compréhension de la nomenclature des terres actuelles qui va
être maintenant donnée ci-après :
---------1.
- TERRES DOMANIALES
---------II.
- TERRES COMMUNALES
---------III.
- TERRES DE PROPRIETE PRIVEE
---------Celles-ci
se subdivisent en :
---------a)
terres francisées
---------b)
terres non francisées. (Terres soumises au statut mixte et terre
melk).
---------IV
- TERRES ARCH OU SABEGA
|
|
1. - LE DOMAINE DE L'ETAT
dont la composition est indiquée par l'article 4 de la loi du 16
1951 ( Modifiée et complétée par l'ordonnance du
13 avril 1943) comprend :
- les biens que le Code Civil attribue, en France, à l'Etat,
- les biens provenant du Beylick,
- les biens sequestrés,
- les bois et forêts.
---------Les
biens domaniaux peuvent être aliénés - concédés
- donnés à bail ou affectés à des services
publics.
---------Les
baux peuvent être, suivant le cas, passés par le Préfet
assisté du tribunal administratif -- par le Gouverneur Géneral
- au par décret.
2- LE DOMAINE COMMUNAL comprend, en dehors
des bâtiments affectés aux services, les biens déclarés
biens communaux par la législation de France, ainsi que les dotations
prélevées sur le domaine de l'Etat, qui leur sont faites
gratuitement ou à prix réduit.
---------Un
domaine très important est celui qui, à la suite des opérations
du sénatus-consulte, a été attribué aux douars
considérés par la législation algérienne comme
des sections de commune ayant leur personnalité morale. Ces biens
- constitués pour la très grande partie, par des terres
de parcours - ne peuvent être aliénés que par les
djemaas et sauf autorisations accordées par le Gouverneur Général
ou par décret suivant la valeur de l'immeuble déterminée
par exertise.
---------Ils
peuvent également faire l'objet de locations.
---------Pratiquement
la durée de ces locations n'excède pas 18 ans. Les baux
les plus courants sont ceux d'une durée de 3, 6 ou 9 ans. Dans
les douars où les communes sont d'une étendue restreinte,
l'administration recourt fréquemment à la location de gré
à gré pour éviter de favoriser les fellahs les plus
fortunés.
III. - LES TERRES DE PROPRIETE PRIVEE, comprennent
depuis la loi du 26 juillet 1873 deux grandes subdivisions : les terres
francisées et les terres non francisées :
---------A)
Les immeubles francisés sont sauf quelques
réserves soumis à toutes les prescriptions de la loi française
et les litiges auxquels ils peuvent donner lieu sont tranchés par
les tribunaux français. Peu importe ic statut du propriétaire,
français ou musulman. Le caractère de terre francisée
est indélébile. Contrairement à ce qu'avait décidé
le législateur du 16 juin 1851, ce caractère subsiste, quand
bien même la terre passe des mains d'un propriétaire français
dans celles d'un acquéreur resté soumis au statut musulman.
---------Mais
parmi les terres francisées, une distinction est encore à
faire.
---------Les
unes, en effet, sont francisées et purgées ; les autres
simplement francisées, rendant par suite possible le conflit entre
la législation française, et la législation musulmane
qui ignore le système de publicité des contrats en sorte
que les droits antérieurs au titre continuent de subsister, sans
autres conditions que celles exigées par la loi musulmane. Cette
survivance est d'ailleurs plus théorique que pratique et on ne
doit pas sen exagérer l'importance qui va en diminuant avec l'effet
du temps. Une terre -- et elles sont nombreuses - acquise en totalité
par la voie notariale est, au bout d'un certain nombre
années à l'abri de toute revendication basée sur
un droit antérieur à sa francisation. Il est exact toutefois
que des spéculateurs ou des ayants droit de bonne fois, conservent
la possibilité de faire valoir de tels droits.
---------a)
Les terres francisées et purgées sont
------------------1
- Les terres qui ont fait l'objet de titres délivrés en
exécution de l'ordonnance de 1846 et par voie de conséquence,
les terres situées dans les localités que l'article 1er
de cette ordonnance dispense des mesures de vérification qu'elle
ordonne ;
------------------2°
- Les terres qui ont fait l'objet de titres délivrés en
exécution des opérations de cantonnement ;
------------------3
- Les terres pour lesquelles existent des titres délivrés
en exécution de la troisième opération du sénatus-consulte
de 1863 (constitution de la propriété individuelle).
---------Ces
trois catégories de terres ne sont données que pour mémoire
car d'une part elles ne peuvent exister que sur des points bien déterminés
du territoire de l'Algérie du Nord. D'autre part leur francisation
appelle une réserve importante : elle n'est devenue définitive
qu'après la loi de 1873 et à la condition qu'entre temps,
la terre ne soit pas retombée sous le statut réel musulman.
------------------4-
Les terres qui ont fait l'objet des procédures d'ensemble ou partielles
orkanisécs pur les lois de 1873, 1897 et 1926.
---------Ce
sont, de beaucoup, les plus importantes. Une carte foncière éditée
en 1952 fait apparaître sous une teinte violette tous les douars
qui ont été soumis aux enquêtes de la loi de 1873
et par une teinte verte ceux auxquels a été appliquée
la loi de 1926.
---------Les
enquêtes partielles qui n'embrassent pas l'ensemble d'un territoire
n'ont pu évidemment y être représentées. Il
existe toutefois un fichier des douars qui renseigne exactement sur le
nombre d'enquêtes partielles ouvertes dans chacun d'eux et le pourcentage
de leurs terres ainsi francisées par rapport aux superficies totales.
---------Ces
pourcentages pourront être représentés par un quadrillage
plus ou moins serré dans une prochaine édition de ladite
carte.
---------Toutes
ces terres sont à la fois francisées et purgées en
ce sons que tous les droits réels antérieurs aux titres
qui n'ont pas été révélés au cours
de la procédure sont abolis alors que ceux qui ont été
divulgués sont désormais soumis aux mêmes règles
que les droits réels admis par la législation française.
---------b)
Les terres francisées mais non purgées sont :
------------------1.
- Les terres dont la propriété est établie par un
acte administratif ou notarié à compter du jour où
la loi de 1873 est devenue obligatoire, si l'acte est antérieur
à la loi, et à partir du jour même de l'acte, si ce
dernier est postérieur à la loi ;
------------------2.
Les terres dont la propriété est établie par un jugement
rendu, en matière française seulement, par les juridictions
françaises.
---------B)
Les terres de propriété privée soumises au statut
mixte établi par la loi de 1851. Entre européens
ou entre européens ou musulmans on suivait le code civil. Entre
musulmans on appliquait le droit musulman. La terre pouvait ainsi passer
successivement du statut français sous le statut musulman lors-qu'achetée
à un musulman par un européen elle était ensuite
aliénée par celui-ci à un musulman. Il s'agit là
d'une catégorie bien particulière qui a cessé d'exister
pour le Tell à partir de la loi de 1873 et pour les Territoires
du Sud à compter du statut de l'Algérie.
---------Pour
le Tell, le statut mixte ne peut intervenir encore que dans l'histoire
d'une terre. Il se peut, en effet, que dans un procès des experts
soient amenés à remonter très loin dans la filière
des propriétaires et à rencontrer une situation juridique
relevant du statut mixte pour la période antérieure à
la loi de 1873. Dans les Territoires du Sud, les mêmes constatations
sont possibles pour la période antérieure au statut de l'Algérie.
---------On
voit donc que ce statut mixte ne peut plus jouer actuellement -- hormis
tes incidences - . et n'a plus qu'un caractère historique.
---------C)
La terre melk est la terre qui appartient à ses occupants,
en pleine propriété, dans les conditions déterminées
par la loi musulmane (voir définition donnée précédemment).
---------Les
caractéristiques de cette forme de tenure ne se sont guère
modifiées : identification physique et juridique toujours aussi
imprécises avec une aggravation de l'indivision en pays arabe et
du morcellement en Kabylie par suite de l'augmentation de la population.
---------On
sait que l'indivision tient à plusieurs causes :à la loi
successorale musulmane qui appelle un nombre considérable d'héritiers,
à la constitution de la famille musulmane qui professe un grand
respect pour l'autorité patriarcale de son chef, enfin aux dispositions
des populations qui, en pratiquant une vie commune, peuvent se suffire
plus aisément.
---------Cette
situation est une des causes essentielles du sous-développement
des terres melk. Elle n'est d'ailleurs pas spéciale à l'Algérie.
On la retrouve au Maroc, en Tunisie et même en Afrique Noire. On
peut dire que d'une façon générale les moyens imaginés
pour la combattre, les uns visant à rompre complôtement l'indivision,
les autres à la diminuer, n'ont pas abouti à des résultats
bien appréciables. La rupture totale de l'indivision risque en
effet d'aboutir à une pulvérisation du sol alors que son
main-tien paralyse l'action des co-indivisaires. Entre ces solutions extrêmes,
il y a une solution moyenne : le partage par famille ou par feu, préconisé
par la loi de 1926 et pratiqué par les populations sous forme de
partages provisionnels ou de jouissance. Un régime foncier de pays
évolué ne saurait évidemment s'accommoder de tels
partages. Or, les procédures d'enquête instituées
par nos lois foncières et qui ont pour effet de franciser les terres
melk n'apportent à cette situation qu'un remède temporaire.
Clarifiée, souvent simplifiée par la purge attachée
auxdites procédures, l'indivision ne tarde pas à renaître
au bout d'un certain nombre d'années. On a môme prétendu
qu'elle se trouvait aggravée par la francisation qui opère,
par les titres de propriété, une manière de cristallisation
des quote-parts révélées. Aussi le législateur
a-t-il prévu la possibilité de soumettre à de nouvelles
enquêtes, les terres anciennement francisées, pensant sans
doute, que la seule solution au problème ne pourrait se trouver
que dans des me-sures de révision et de purge périodiques.
IV. - TERRES ARCH OU SABEGA.
-
---------Ce
sont les terres dévolues aux tribus, en vertu du principe posé
par le sénatus-consulte de 1863 suivant lequel ces collectivités
étaient déclarées propriétaires incontestables
des terres dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle.
---------La
tribu - ou plutôt le douar - en possède le domaine éminent
; les membres de la tribu en exercent l'usufruit, usufruit spécial
qui peut conduire à l'appropriation privée en tenant compte
des caractéristiques spéciales de la terre arch qui se résument
ainsi :
---------1.
- Inaliénabilité ;
---------2.
- Obligation de vivifier le sol pour en conserver la jouissance ;
---------3.
- Transmission de la terre de mâle à mâle en ligne
directe ;
---------4.
Interdiction de tout contrat impliquant le titre de propriétaire
;
---------5.
- Compétence exclusive de l'autorité administrative dans
le règlement des litiges portant sur cette catégorie de
terres ;
---------6.
- Indivision rare ou très réduite du fait du mode de dévolution.
---------La
terre arch ne peut devenir propriété privée qu'à
la suite d'une enquête partielle requise par son occupant ou par
un acquéreur européen ou musulman, l'acquisition ne pouvant
avoir lieu que sous condition suspensive.
---------Le
titre de propriété délivré en suite de cette
procédure francise et. forme le point de départ de la propriété.
---------L'administration
peut également, lorsque un intérêt supérieur
le justifie, procéder, en territoire collectif à des enquêtes
d'ensemble aboutissant à la délivrance de titres de propriété
de force identique à ceux délivrés en suite de procédures
partielles.
**************
---------Les terres
de l'Algérie du Nord (21 millions d'hectares en chiffres ronds)
se répartissent en gros, de la façon suivante:
---------REPARTITION
DE LA PROPRIETE FONCIERE EN ALGERIE à la date du 6-12-1954
Terres francisées : 4.969.102 ha
Terres melk non encore francisées : 4.406.356 ha
Terres arch non encore francisées : 2.071.582
ha
Domaine de l'État : 4.694.214
Communaux : 4.179.050
Domaine public 539.315 "
Total 20.859.619 ha
---------Il
est possible d'indiquer en outre ci-après avec toutefois une approximation
plus large, les sous- répartitions
ETAT
5.190.000 ha
|
domaine public : 539.315 ha
|
|
|
domaine privé : 4.694.214
ha
|
domaine ord.: 2.414.000 ha
|
bois et forêts 1.540.000
maquis
et broussailles 740.000 |
5.233.529 ha
|
domaine forestier : 2.280.000
ha
|
Communaux
4.179.050
|
Parcours
|
2.879.050
|
|
Forestiers : 1.300.000
|
bois et forêts : 250.000
maquis et broussailles 1.050.000
|
Propriété privée:
11.447.040 ha
|
Propriété européenne
|
2.247.040
|
|
Propriété musulmane
|
9.200.000
|
francisées 2.930.000
melk 4.000.356
areh 2.070.000
|
---------Tels sont
les chiffres auxquels les travaux de délimitation du sénatus-consulte
du 22 avril 1863 d'une part, les travaux d'enquête partielle ou
d'ensemble d'autre part, effectués entièrement sous la conduite
de l'administration en exécution des lois de 1873, 1897 et 1926.
ont permis d'aboutir. Ces statistiques s'appuient exclusivement sur des
données qui ont pu être contrôlées.
---------Pour
être complet, il y aurait lieu d'y faire entrer en outre en ligne
de compte d'autres données malheureusement à peu près
in-contrôlables. Ce sont les terres d'origine melk dont la francisation
ne résulte pas d'une enquête et qui sont passées,
néanmoins, sous le statut réel français par l'effet
d'un jugement ou d'un acte: notarié. Leurs superficies doivent
normalement s'ajouter à celles des terres francisées et
venir en diminution des terres melk.
---------II
n'empêche que, si l'oeuvre accomplie est immense, la tache restant
à réaliser demeure importante. Au surplus dans bien des
régions les travaux initiaux ont beaucoup perdu de leur précision
et il ne se-rait pas inutile de les réviser : avec l'effet du temps,
les bornes ont disparu, les titres se sont égarés, les occupants
se sont multipliés suivant une vraie progression arithmétique
et n'ont pu échapper à la force des habitudes ancestrales.
Perdant de vue les obligations résultant pour eux de la francisation
ils ont laissé périmer leurs droits ou bien ont passé
des acte: sans en respecter les formes. Des situations voisines de l'anarchie
initiale se sont ainsi recréées.
---------Voilà
bien un domaine où inc action tutélaire aurait à
s'exercer utilement : éclairer le fellah sur ses droits et ses
obligations, le mettre en garde contre ses négligences ou ses manquernents
à la loi, lui apprendre que lorslue sa terre a été
francisée elle échappe à la coutume d'ailleurs plus
ou moins mal définie pour être soumise aux exigences du code
civil, lui apprendre enfin ces notions élémentaires que
sa domiciliation, son état civil, conditionnent la reconnaissance
ou l'exercice de ses droits, l'identification de la propriété
restant subordonnée à celle de la personne.
Michel COCHET, Administrateur Civil,
Chef du Service Central de la Topographie et de l'organisation foncière".
---------NOTA.
- En se plaçant au point de vue, non pas du caractère ????????
mais de l'utilisation du sol, on peut, grosso modo, admettre que la ré
partition des ??????? suivante
(en culture 4.000.000
(en repos 2.500.000
soit 6.500.000
---------Terres
non cultivées
(privées, forêts, maquis) 8.400.000
---------Terres
improductives
(friches, parcours, ruchers, terres inutilisables) 4.000.000
---------Terrains
urbains et industriels 2.000.000
---------La proportion dus terres consacrées
aux cultures représenterait environ le 1/3 de la surface de l'Algérie
du Nord ; 2/5 seraient le lot du parcours. Le reste (1/4) représenterait
la propriété de l'Etat (domaniaux ordinaires et forestiers).
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