----------Depuis
le début de ce siècle, de sérieux efforts ont été
engagés dans le Constantinois pour donner une vigueur nouvelle
à la main-d'oeuvre artisanale et remettre en honneur ses techniques
et ses traditions.
----------La
richesse des arts locaux, et en particulier celle des tissages à
points noués, n'échappa pas à l'initiative privée
ou gouvernementale. D'heureux résultats techniques et commerciaux
couronnèrent les essais entrepris ; mais, faute de temps et de
moyens, un recensement systématique des ressources artisanales
du pays faisait défaut. Cette tâche fut confiée, ces
dernières années, au Service de l'Artisanat.
Dans le Constantinois il convenait, en premier lieu, de dresser l'inventaire
du tapis à points noués, richesse primordiale de l'activité
artisanale. Ce travail permit d'établir trois zones géographique
de tissages, zones riches aussi d'autres techniques qui, en grande partie,
restent encore à étudier :
----------La zone
Nord.
----------La
zone des Hauts-Plateaux.
----------La
zone des Territôires de Touggourt et des Oasis.
LA ZONE NORD
----------Elle comprend
: Philippeville, Constantine, Mila, Sétif, Bordq-Bou-Arréridj
( Les divisions adoptées ne répondent
pas toujours nettement aux évidences géographiques. Les
facteurs ethniques et l'expansion des techniques ont imposé les
circonscriptions artisanales.)
TAPIS.
----------Le tapis
du Guergour, fabriqué autrefois dans la région de Sétif,
a pratiquement disparu du marché depuis 1920 environ. Sa zone d'expansion
atteignait les marchés de Bougie, Constantine, Bordj-Bou-Arreridj
et Khenchela. Seules quelques familles aisées possèdent
encore avec fierté de beaux exémplaires de ce tissage polychrome
d'inspiration turque. Son seul concurrent régional, le tapis des
Maadid, au décor exclusivement géométrique, a subsisté
et se vend sur les marchés de Bordj-Bou-Arreridj et de Sétif.
Il résulte d'un artisanat masculin, familial et rural. Ce tapis
a perdu ses belles qualités d'antan. C'est un article pauvre, tant
par sa technique que par son décor et ses colorants. Son retour
vers les bonnes traditions doit être provoqué. Dans ce but,
un centre régional d'artisanat vient d'être ouvert à
Bordj-Bou-Arreridj.
----------Quant
au tapis du Guergour, oublié des autochtones, sa restauration est
entreprise avec l'aide et le contrôle du Service de l'Artisanat
dans les Centres Municipaux de Formation Artisanale de Philippeville et
de Sétif, ainsi qu'à Mila. Les résultats obtenus
sont encourageants. Les jeunes artisanes issues des centres de Philippeville
et de Sétif s'installeront à leur compte dans les mois à
venir. A Mila, une quinzaine de métiers familiaux groupant trente
femmes environ permettent d'offrir à la clientèle un tapis
digne de ses origines.
----------LES
TISSAGES.
----------La
zone Nord offre un choix varié de tissages aux types bien déterminés.
Une prospection est en cours ; les résultats obtenus jusqu'ici
permettent de discerner quatre catégories :
----------a)
Les tissages de la vallée de la Soummam (Bougie)
; ceux de Dra Laarba semblent les plus caractéristiques. Ils sont
tissés chez bon nombre de familles et vendus régulièrement
sur le marché. Deux larges bandes, rouge garance, séparées
par une bande centrale blanche plus étroite, sont divisées
en compartiments garnis de décors géométriques. Quelques
touches de jaune et de vert rompent la monotonie du ton. La gamme des
couleurs est obtenue par teinture végétale. Il suffit d'adopter
les dimensions aux convenances européennes pour obtenir des tentures
qui rencontrent le meilleur accueil de la clientèle.
----------b)
Les tissages de la Petite Kabylie (région d'El-Milia, Boulafâ).
Les belles pièces d'autrefois ont totalement disparu de la région.
Les tissages d'aujourd'hui bien abatardis ne conservent dans leur dé-cor
que quelques motifs d'un goût discutable. L'école de filles
de Djebala a tenté, non sans succès, la rénovation
de cette technique. Malheureusement, depuis quelques années, cette
activité est abandonnée. Dès le mois d'octobre 1953
l'enseignement de ce tissage s'inscrira au programme du Centre Municipal
de Formation Artisanale de Philippeville. Il s'adapte bien au décor
des appartements modernes. Un fond blanc, en forme de rectangle est encadré
de rouge avec des motifs géométriques, parfois brodés
ou ajourés.
----------c)
Les tissages des Maadid (région de Bordj-Bou-Arréridj et
M'Sila). Depuis une vingtaine d'an-nées environ
l'antique tradition de ces tissages à fond rouge, décorés
de grands losanges, a cédé la place à des tissus
à bandes multicolores sans caractère. Quelques-unes de ces
pièces se vendent sur les marchés de Bordj-Bou-Arréridj,
M'Sila et Sétif.
----------La restauration
de ces tissages est envisagée à Sétif au centre municipal
de formation artisanale.
----------d)
Plusieurs centres restent à prospecter. Les
régions de la Medjana, du Guergour et d'Ighil-Ali apporteront sans
doute des éléments nouveaux dans les mois à venir.
LA BRODERIE.
----------Sur
le littoral constantinois, et particulièrement à Bône
et Djidjelli s'exécute encore une broderie sur toile aux motifs
très variés d'une polychromie puissante. La mode occidentale
aurait porté un coup fatal à cette industrie si quelques
écoles de l'Académie, notamment celles de Bône et
Sétif, ne continuaient à enseigner cet' technique. Les Centres
de Formation Artisanale de Sétif et de Philippeville forment de
jeunes élè', _ brodeuses dont plusieurs sont maintenant
installées à leur compte.
----------Une broderie
de métal sur tulle, spécialité de Constantine, mérite
une mention. Elle se porte encore en écharpe de tête, par
les musulmanes. Jusqu'ici, une timide adaptation aux besoins européens
a été tentée dans l'ornementation de larges rideaux,
d'abat-jour, d'écharpes.
LA SPARTERIE ET LA VANNERIE.
----------Les nattes
d'alfa au décor géométrique simple, à base
de losanges et de triangles, et à la gamme sobre : rouge, brun
noir et bistre, est une industrie féminine au Bou-Thaleb (commune
mixte de Colbert). Quatre mille nattes se vendent annuellement sur le
marché local. Leur réputation justifiée per-met une
exportation jusqu'aux territoires sahariens (Touggourt).
----------Les
douars Aïdoussa et Merouana (commune mixte du Belezma) fabriquent
des nattes plus grossières à simples bandes rouges. Elles
trouvent acquéreur dans tout le Belezma et sur le versant Nord
des Aurès.
----------A
Ighil-Ali (commune mixte d'Akbou) les Soeurs Blanches ont créé
un centre important de fabrication d'articles de vannerie. Le support
est en alfa et le revêtement en raphia. Le décor et la gamme
des coloris sont tirés des ornements traditionnels des tissages
et poteries kabyles.
LA POTERIE ET LA CERAMIQUE.
----------Une poterie
utilitaire s'exécute dans les régions de Taher et d'El-Milia
où cet art féminin est très vivant. Un engobe blanc
couvre la surface et reçoit un décor géométrique
brun-noir très discret. Par-fois la base est vernie de rouge. Les
quelques essais de commercialisation permettent d'envisager l'avenir de
cette industrie avec un certain optimisme.
----------La
poterie de Kherata s'apparente à la précédente.
Plusieurs fractions de douars de la région de Bordj-Bou-Arréridj
fabriquent une poterie au vernis résineux du type kabyle décorée
de dessins géométriques brun-noir. La vente de ces poteries
ne dé-passe guère le territoire de la fraction.
----------A
Mi.la, un atelier de céramique produit des pièces de caractère
moderne qui s'écoulent régulière-ment sur le marché.
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LE TRAVAIL DU BOIS.
----------Quelques
ateliers de Constantine fabriquent encore, sur commande, des meubles de
bois tourné et sculpté. Le fini du travail et la composition
sont loin des belles traditions. Un effort de restauration est entrepris
dans le but d'attirer à nouveau la clientèle vers ces objets
qui méritent d'être maintenus.
LE TRAVAIL DU CUIR.
----------La
décadence des tanneries de Constantine s'accentue. Cinq ateliers
se maintiennent péniblement. Il semble difficile d'apporter un
remède à la concurrence des cuirs européens qui,
semble-t-il, ont définitivement conquis la faveur de l'usager.
----------Quelques
babouchiers fabriquent encore des chaussures traditionnelles ; les autres
se sont transformés en revendeurs d'articles importés du
Maroc. La confection des harnachements de cuir, ornés de fil d'or
et d'argent, n'est plus le fait que d'un atelier.
LES BIJOUX.
----------Chaque
cité de la zone Nord compte quelques ateliers de bijoutiers qui
exécutent des pièces traditionnelles coulées ou filigranées.
Le centre le plus important est Constantine, avec une centaine d'ateliers,
dont trente-cinq environ sont spécialisés dans le bijou
coulé à l'usage des femmes des campagnes rurales et t35
environ, dans le bijou filigrané et or porté par les citadines.
Le maintien et la commercialisation de cette branche ne provoque aucune
inquiétude d'avenir.
LE TRAVAIL DU CUIVRE.
----------A
Constantine, environ 12 ateliers de chaudronnerie gardent leur importance.
----------Cinq ateliers
de dinanderie gravent et cisèlent le cuivre. Le marché européen
est largement ouvert à cette production ; la demande dépasse
l'offre de beaucoup.
LA ZONE DES HAUTS-PLATEAUX
----------Une sérieuse
prospection des Hauts-Plateaux a été menée depuis
1947 pour inventorier les différents types de tapis. Une étude
des tissages ras se poursuit.
----------L'activité
commerciale de l'artisanat de ces régions repose sur le tapis.
Les principaux marchés sont en pays Nemouchi et Harcati qu'ils
est permis de localiser entre Khenchela, Aïn oBeïda, La Meskiana
et Tébessa.
KHENCHELA. - Les tapis de Babar ont remporté
les plus hautes distinctions aux derniers con-cours des meilleurs artisans
algériens. C'est une indus'rie masculine de semi-nomades. L'élément
géométrique et floral s'allie heureusement à une
polychromie chatoyante pour les tapis du type " zerbia ". Plus
sobre de couleur, puisant son décor exclusivement parmi des motifs
géomériques, il faut noter aussi le tapis à boucle
dit " guétif ".
----------Sous
l'impulsion de la commune mixte de Khenchela l'industrie du tapis de la
région est en pleine prospérité.
L'industrie familiale, reprenant ici les saines traditions, permet de
laver, filer et teindre les laines exclusivement aux produits végétaux
du pays. Les artisans ne peuvent répondre aux nombreuses' commandes.
Plusieurs jeunes gens du pays s'inscrivent auprès des maîtres
artisans en qualité d'apprentis. C'est un facteur certain de promesses
d'avenir.
TEBESSA. - Hormis quelques variantes, le
tapis de Tébessa est semblable à celui de Khenchela.
----------Un
centre de formation artisanale, géré par la commune mixte,
forme des apprentis et organise des stages de perfectionnement pour artisans.
Cette méthode permet d'inculquer aux jeunes élèves
et aux adultes les principes de base qui doivent leur permettre de puiser
avec discernement dans la richesse du passé.
----------Cette
formation entreprise depuis deux ans porte des fruits. Le tapis de Tébessa
s'améliore et regagne peu à peu la faveur du marché.
LA MESKIANA - AIN BEIDA. - La Meskiana et
Aïn Beïda sont les centres administratifs du pays Harcati. Autrefois
le tapis de cette région concurrençait dangereusement le
tapis Nemouchi. Aujourd'hui, ne subsiste de son glorieux passé
qu'un tapis abatardi, confectionné par quelques tisseuses. Les
marchés locaux sont approvisionnés par des pièces
fabriquées le plus souvent à Chéria (commune mixte
de Tébessa).
LA ZONE DES TERRITOIRES
DE TOUGGOURT ET DES OASIS
----------Cette
zone se caractérise par ses tapis et ses tissages.
Territoire de Touggourt.
----------a)
BISKRA. - Cette ville possède un ouvroir
dirigé par les Soeurs Blanches. Plusieurs artisanes sont installées
à domicile et livrent leur production à cette oeuvre. Le
tapis fantaisie polychrome inspiré du Levant a retenu bon nombre
d'années l'activité de l'ouvroir. Depuis quatre ans un effort
soutenu permet d'introduire à l'ouvroir et chez les artisanes des
modèles puisés dans la région. C'est ainsi que le
tapis du Hodna, le tellis des Aurès, les tentures d'El-Kantara
et de Tolga sont tissés par ce centre et progressivement s'imposent
à la clientèle.
----------b)
EL OUED. - La section artisanale de la Société
Agricole de Prévoyance d'El Oued favorise la commercialisation
du tapis du Souf. Il se caractérise actuellement par une gamme
de teintes neutres obtenues par mélanges de laines, de poil de
chameau et de poil de chèvre. C'est une industrie qui occupe une
vingtaine de maîtres-artisans. Le tapis polychrome traditionnel
réapparaîtra bientôt sur le marché. Cette restauration
étendra les possibilités commerciales de ce tapis.
----------L'ouvroir
des Soeurs Blanches s'est spécialisé dans la production
de tentures de très bonne qua-lité en laine ou poil de chameau
au décor de fines bandes présentant divers motifs géométriques
où domine le triangle. C'est une reproduction, pratiquement sans
retouche, d'un vêtement féminin de la tribu locale des Troud.
----------c)
OULED DJELLAL. - Une importante production de tissages
occupe deux cents femmes. Ces pièces sont apparentées aux
tissages de Gafsa. Le marché européen leur est pratiquement
fermé en rai-son du peu de solidité des tentures. Les remèdes
envisagés seront appliqués dès que possible. Territoire
des Oasis.
----------OUARGLA.
- Un ouvroir important des Soeurs Blanches se livre à la production
de tapis dont le décor est inspiré de motifs berbères.
Ils sont généralement à fond blanc et reçoivent
un décor géométrique sur l'ensemble de leur surface.
----------Divers
types de tentures, inspirées des mêmes sources et de l'art
soudanais complètent cette pro-duction qui rencontre le meilleur
succès commercial.
CONCLUSION (1)
----------Ce rapide
tableau des ressources artisanales du Constantinois permet d'affirmer
que plusieurs industries traditionnelles tiennent encore une place honorable
dans l'économie du pays.
----------En renouant
avec 'le passé, l'artisanat s'oriente vers une résurrection
des arts et des techniques.
----------Une exposition
permanente s'ouvrira à Constantine dans quelques mois. Ce "
catalogue " vivant permettra au public de juger qu'un article du
pays peut participer activement à l'embellissement des intérieurs
modernes.
----------Les recherches
à venir et les nombreuses expérimentations pratiquées
sur bien des points du territoires contribueront à recouvrer l'âme
de cet art populaire et à maintenir l'artisan à son métier.
R. RICHE Inspecteur de l'Artisanat
(1) L'Aurès ne figure pas dans ce recensement.
Ce massif, encore riche de traditions, sera étudié très
prochainement.
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