Alger, Algérie : documents algériens
Série économique : artisanat
L'artisanat dans le département de Constantine et les Territoires de Touggourt et des Oasis
5 pages - n° 102 - 22 juillet 1953

-------En renouant avec 'le passé, l'artisanat s'oriente vers une résurrection des arts et des techniques.
-------Une exposition permanente s'ouvrira à Constantine dans quelques mois. Ce " catalogue " vivant permettra au public de juger qu'un article du pays peut participer activement à l'embellissement des intérieurs modernes.
-------Les recherches à venir et les nombreuses expérimentations pratiquées sur bien des points du territoires contribueront à recouvrer l'âme de cet art populaire et à maintenir l'artisan à son métier.

mise sur site le 13-06-2005
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----------Depuis le début de ce siècle, de sérieux efforts ont été engagés dans le Constantinois pour donner une vigueur nouvelle à la main-d'oeuvre artisanale et remettre en honneur ses techniques et ses traditions.
----------La richesse des arts locaux, et en particulier celle des tissages à points noués, n'échappa pas à l'initiative privée ou gouvernementale. D'heureux résultats techniques et commerciaux couronnèrent les essais entrepris ; mais, faute de temps et de moyens, un recensement systématique des ressources artisanales du pays faisait défaut. Cette tâche fut confiée, ces dernières années, au Service de l'Artisanat.
Dans le Constantinois il convenait, en premier lieu, de dresser l'inventaire du tapis à points noués, richesse primordiale de l'activité artisanale. Ce travail permit d'établir trois zones géographique de tissages, zones riches aussi d'autres techniques qui, en grande partie, restent encore à étudier :

----------La zone Nord.
----------La zone des Hauts-Plateaux.
----------La zone des Territôires de Touggourt et des Oasis.

LA ZONE NORD

----------Elle comprend : Philippeville, Constantine, Mila, Sétif, Bordq-Bou-Arréridj ( Les divisions adoptées ne répondent pas toujours nettement aux évidences géographiques. Les facteurs ethniques et l'expansion des techniques ont imposé les circonscriptions artisanales.)

TAPIS.

----------Le tapis du Guergour, fabriqué autrefois dans la région de Sétif, a pratiquement disparu du marché depuis 1920 environ. Sa zone d'expansion atteignait les marchés de Bougie, Constantine, Bordj-Bou-Arreridj et Khenchela. Seules quelques familles aisées possèdent encore avec fierté de beaux exémplaires de ce tissage polychrome d'inspiration turque. Son seul concurrent régional, le tapis des Maadid, au décor exclusivement géométrique, a subsisté et se vend sur les marchés de Bordj-Bou-Arreridj et de Sétif. Il résulte d'un artisanat masculin, familial et rural. Ce tapis a perdu ses belles qualités d'antan. C'est un article pauvre, tant par sa technique que par son décor et ses colorants. Son retour vers les bonnes traditions doit être provoqué. Dans ce but, un centre régional d'artisanat vient d'être ouvert à Bordj-Bou-Arreridj.

----------Quant au tapis du Guergour, oublié des autochtones, sa restauration est entreprise avec l'aide et le contrôle du Service de l'Artisanat dans les Centres Municipaux de Formation Artisanale de Philippeville et de Sétif, ainsi qu'à Mila. Les résultats obtenus sont encourageants. Les jeunes artisanes issues des centres de Philippeville et de Sétif s'installeront à leur compte dans les mois à venir. A Mila, une quinzaine de métiers familiaux groupant trente femmes environ permettent d'offrir à la clientèle un tapis digne de ses origines.

----------LES TISSAGES.
----------La zone Nord offre un choix varié de tissages aux types bien déterminés. Une prospection est en cours ; les résultats obtenus jusqu'ici permettent de discerner quatre catégories :

----------a) Les tissages de la vallée de la Soummam (Bougie) ; ceux de Dra Laarba semblent les plus caractéristiques. Ils sont tissés chez bon nombre de familles et vendus régulièrement sur le marché. Deux larges bandes, rouge garance, séparées par une bande centrale blanche plus étroite, sont divisées en compartiments garnis de décors géométriques. Quelques touches de jaune et de vert rompent la monotonie du ton. La gamme des couleurs est obtenue par teinture végétale. Il suffit d'adopter les dimensions aux convenances européennes pour obtenir des tentures qui rencontrent le meilleur accueil de la clientèle.

----------b) Les tissages de la Petite Kabylie (région d'El-Milia, Boulafâ). Les belles pièces d'autrefois ont totalement disparu de la région. Les tissages d'aujourd'hui bien abatardis ne conservent dans leur dé-cor que quelques motifs d'un goût discutable. L'école de filles de Djebala a tenté, non sans succès, la rénovation de cette technique. Malheureusement, depuis quelques années, cette activité est abandonnée. Dès le mois d'octobre 1953 l'enseignement de ce tissage s'inscrira au programme du Centre Municipal de Formation Artisanale de Philippeville. Il s'adapte bien au décor des appartements modernes. Un fond blanc, en forme de rectangle est encadré de rouge avec des motifs géométriques, parfois brodés ou ajourés.
----------c) Les tissages des Maadid (région de Bordj-Bou-Arréridj et M'Sila). Depuis une vingtaine d'an-nées environ l'antique tradition de ces tissages à fond rouge, décorés de grands losanges, a cédé la place à des tissus à bandes multicolores sans caractère. Quelques-unes de ces pièces se vendent sur les marchés de Bordj-Bou-Arréridj, M'Sila et Sétif.

----------La restauration de ces tissages est envisagée à Sétif au centre municipal de formation artisanale.

----------d) Plusieurs centres restent à prospecter. Les régions de la Medjana, du Guergour et d'Ighil-Ali apporteront sans doute des éléments nouveaux dans les mois à venir.

LA BRODERIE.
----------Sur le littoral constantinois, et particulièrement à Bône et Djidjelli s'exécute encore une broderie sur toile aux motifs très variés d'une polychromie puissante. La mode occidentale aurait porté un coup fatal à cette industrie si quelques écoles de l'Académie, notamment celles de Bône et Sétif, ne continuaient à enseigner cet' technique. Les Centres de Formation Artisanale de Sétif et de Philippeville forment de jeunes élè', _ brodeuses dont plusieurs sont maintenant installées à leur compte.

----------Une broderie de métal sur tulle, spécialité de Constantine, mérite une mention. Elle se porte encore en écharpe de tête, par les musulmanes. Jusqu'ici, une timide adaptation aux besoins européens a été tentée dans l'ornementation de larges rideaux, d'abat-jour, d'écharpes.

LA SPARTERIE ET LA VANNERIE.

----------Les nattes d'alfa au décor géométrique simple, à base de losanges et de triangles, et à la gamme sobre : rouge, brun noir et bistre, est une industrie féminine au Bou-Thaleb (commune mixte de Colbert). Quatre mille nattes se vendent annuellement sur le marché local. Leur réputation justifiée per-met une exportation jusqu'aux territoires sahariens (Touggourt).
----------Les douars Aïdoussa et Merouana (commune mixte du Belezma) fabriquent des nattes plus grossières à simples bandes rouges. Elles trouvent acquéreur dans tout le Belezma et sur le versant Nord des Aurès.
----------A Ighil-Ali (commune mixte d'Akbou) les Soeurs Blanches ont créé un centre important de fabrication d'articles de vannerie. Le support est en alfa et le revêtement en raphia. Le décor et la gamme des coloris sont tirés des ornements traditionnels des tissages et poteries kabyles.

LA POTERIE ET LA CERAMIQUE.

----------Une poterie utilitaire s'exécute dans les régions de Taher et d'El-Milia où cet art féminin est très vivant. Un engobe blanc couvre la surface et reçoit un décor géométrique brun-noir très discret. Par-fois la base est vernie de rouge. Les quelques essais de commercialisation permettent d'envisager l'avenir de cette industrie avec un certain optimisme.
----------La poterie de Kherata s'apparente à la précédente.
Plusieurs fractions de douars de la région de Bordj-Bou-Arréridj fabriquent une poterie au vernis résineux du type kabyle décorée de dessins géométriques brun-noir. La vente de ces poteries ne dé-passe guère le territoire de la fraction.
----------A Mi.la, un atelier de céramique produit des pièces de caractère moderne qui s'écoulent régulière-ment sur le marché.

 

LE TRAVAIL DU BOIS.
----------Quelques ateliers de Constantine fabriquent encore, sur commande, des meubles de bois tourné et sculpté. Le fini du travail et la composition sont loin des belles traditions. Un effort de restauration est entrepris dans le but d'attirer à nouveau la clientèle vers ces objets qui méritent d'être maintenus.

LE TRAVAIL DU CUIR.

----------La décadence des tanneries de Constantine s'accentue. Cinq ateliers se maintiennent péniblement. Il semble difficile d'apporter un remède à la concurrence des cuirs européens qui, semble-t-il, ont définitivement conquis la faveur de l'usager.
----------Quelques babouchiers fabriquent encore des chaussures traditionnelles ; les autres se sont transformés en revendeurs d'articles importés du Maroc. La confection des harnachements de cuir, ornés de fil d'or et d'argent, n'est plus le fait que d'un atelier.

LES BIJOUX.
----------Chaque cité de la zone Nord compte quelques ateliers de bijoutiers qui exécutent des pièces traditionnelles coulées ou filigranées. Le centre le plus important est Constantine, avec une centaine d'ateliers, dont trente-cinq environ sont spécialisés dans le bijou coulé à l'usage des femmes des campagnes rurales et t35 environ, dans le bijou filigrané et or porté par les citadines. Le maintien et la commercialisation de cette branche ne provoque aucune inquiétude d'avenir.

LE TRAVAIL DU CUIVRE.
----------A Constantine, environ 12 ateliers de chaudronnerie gardent leur importance.

----------Cinq ateliers de dinanderie gravent et cisèlent le cuivre. Le marché européen est largement ouvert à cette production ; la demande dépasse l'offre de beaucoup.

LA ZONE DES HAUTS-PLATEAUX

----------Une sérieuse prospection des Hauts-Plateaux a été menée depuis 1947 pour inventorier les différents types de tapis. Une étude des tissages ras se poursuit.

----------L'activité commerciale de l'artisanat de ces régions repose sur le tapis. Les principaux marchés sont en pays Nemouchi et Harcati qu'ils est permis de localiser entre Khenchela, Aïn oBeïda, La Meskiana et Tébessa.

KHENCHELA. - Les tapis de Babar ont remporté les plus hautes distinctions aux derniers con-cours des meilleurs artisans algériens. C'est une indus'rie masculine de semi-nomades. L'élément géométrique et floral s'allie heureusement à une polychromie chatoyante pour les tapis du type " zerbia ". Plus sobre de couleur, puisant son décor exclusivement parmi des motifs géomériques, il faut noter aussi le tapis à boucle dit " guétif ".
----------Sous l'impulsion de la commune mixte de Khenchela l'industrie du tapis de la région est en pleine prospérité.
L'industrie familiale, reprenant ici les saines traditions, permet de laver, filer et teindre les laines exclusivement aux produits végétaux du pays. Les artisans ne peuvent répondre aux nombreuses' commandes. Plusieurs jeunes gens du pays s'inscrivent auprès des maîtres artisans en qualité d'apprentis. C'est un facteur certain de promesses d'avenir.

TEBESSA. - Hormis quelques variantes, le tapis de Tébessa est semblable à celui de Khenchela.
----------Un centre de formation artisanale, géré par la commune mixte, forme des apprentis et organise des stages de perfectionnement pour artisans. Cette méthode permet d'inculquer aux jeunes élèves et aux adultes les principes de base qui doivent leur permettre de puiser avec discernement dans la richesse du passé.
----------Cette formation entreprise depuis deux ans porte des fruits. Le tapis de Tébessa s'améliore et regagne peu à peu la faveur du marché.

LA MESKIANA - AIN BEIDA. - La Meskiana et Aïn Beïda sont les centres administratifs du pays Harcati. Autrefois le tapis de cette région concurrençait dangereusement le tapis Nemouchi. Aujourd'hui, ne subsiste de son glorieux passé qu'un tapis abatardi, confectionné par quelques tisseuses. Les marchés locaux sont approvisionnés par des pièces fabriquées le plus souvent à Chéria (commune mixte de Tébessa).

LA ZONE DES TERRITOIRES DE TOUGGOURT ET DES OASIS

----------Cette zone se caractérise par ses tapis et ses tissages.
Territoire de Touggourt.
----------a) BISKRA. - Cette ville possède un ouvroir dirigé par les Soeurs Blanches. Plusieurs artisanes sont installées à domicile et livrent leur production à cette oeuvre. Le tapis fantaisie polychrome inspiré du Levant a retenu bon nombre d'années l'activité de l'ouvroir. Depuis quatre ans un effort soutenu permet d'introduire à l'ouvroir et chez les artisanes des modèles puisés dans la région. C'est ainsi que le tapis du Hodna, le tellis des Aurès, les tentures d'El-Kantara et de Tolga sont tissés par ce centre et progressivement s'imposent à la clientèle.

----------b) EL OUED. - La section artisanale de la Société Agricole de Prévoyance d'El Oued favorise la commercialisation du tapis du Souf. Il se caractérise actuellement par une gamme de teintes neutres obtenues par mélanges de laines, de poil de chameau et de poil de chèvre. C'est une industrie qui occupe une vingtaine de maîtres-artisans. Le tapis polychrome traditionnel réapparaîtra bientôt sur le marché. Cette restauration étendra les possibilités commerciales de ce tapis.
----------L'ouvroir des Soeurs Blanches s'est spécialisé dans la production de tentures de très bonne qua-lité en laine ou poil de chameau au décor de fines bandes présentant divers motifs géométriques où domine le triangle. C'est une reproduction, pratiquement sans retouche, d'un vêtement féminin de la tribu locale des Troud.

----------c) OULED DJELLAL. - Une importante production de tissages occupe deux cents femmes. Ces pièces sont apparentées aux tissages de Gafsa. Le marché européen leur est pratiquement fermé en rai-son du peu de solidité des tentures. Les remèdes envisagés seront appliqués dès que possible. Territoire des Oasis.

----------OUARGLA. - Un ouvroir important des Soeurs Blanches se livre à la production de tapis dont le décor est inspiré de motifs berbères. Ils sont généralement à fond blanc et reçoivent un décor géométrique sur l'ensemble de leur surface.
----------Divers types de tentures, inspirées des mêmes sources et de l'art soudanais complètent cette pro-duction qui rencontre le meilleur succès commercial.

CONCLUSION (1)

----------Ce rapide tableau des ressources artisanales du Constantinois permet d'affirmer que plusieurs industries traditionnelles tiennent encore une place honorable dans l'économie du pays.

----------En renouant avec 'le passé, l'artisanat s'oriente vers une résurrection des arts et des techniques.

----------Une exposition permanente s'ouvrira à Constantine dans quelques mois. Ce " catalogue " vivant permettra au public de juger qu'un article du pays peut participer activement à l'embellissement des intérieurs modernes.

----------Les recherches à venir et les nombreuses expérimentations pratiquées sur bien des points du territoires contribueront à recouvrer l'âme de cet art populaire et à maintenir l'artisan à son métier.

R. RICHE Inspecteur de l'Artisanat

(1) L'Aurès ne figure pas dans ce recensement. Ce massif, encore riche de traditions, sera étudié très prochainement.