-------------Quand
on se penche sur les problèmes posés par les religions païennes
de l'Antiquité, on ne peut pas échapper dès l'abord
à une impression de malaise devant l'un des aspects, pour nous
le plus choquant, de ce paganisme : la multiplicité des dieux.
Varron en compte trente mille en Italie ; autant dire qu'ils sont innombrables
( Saint Augustin a raillé cette multiplicité
de dieux (De Civitate Dei, IV, 8).). Cicéron nous en avertit
d'ailleurs : " la terre est pleine de dieux
". Et devant cette surabondance, Polybe estime non sans humour que
" les Romains sont plus religieux que les
dieux eux-mêmes ".
-------------C'est
que les Romains conservaient de leur primitive histoire leurs anciens
dieux, personnifications des forces mystérieuses (numina) qui commandent
tous les actes de l'homme et toutes les manifestations de la nature (Cf.
en dernier lieu A. GRENIER, Les religions étrusque et romaine,
coll. Mana, 1948, en particulier le chapitre sur La plus ancienne religion,
pp. 81 et suiv. ; du même auteur, Numen. Observations sur l'un des
éléments primordiaux de la religion romaine, dans Latomus,
t. VI, 1947, pp. 297-308.). C'est aussi que les Anciens - et les
Romains plus encore que les Grecs --- étaient en matière
religieuse essentiellement tolérants ou plus exactement, selon
l'heureuse formule de M. Jean Bayet, " avides
à se saisir de formes divines étrangères comme supports
à une religiosité assez diffuse " (Rev.
Et. Lat., 1949, p. 367. 1). C'est enfin qu'ils n'avaient pas de
la divinité la même conception que nous qui - croyants ou
incroyants - participons de toute manière à une civilisation,
au point de vue religieux, essentiellement monothéiste. Pour nous,
Dieu ne peut être qu'un, parce qu'il est souverain; omnipotent,
parce qu'il est Infini et qu'il ne peut y avoir qu'un Infini. Pour les
Anciens, les dieux, après être restés longtemps des
forces vagues, mystérieuses, sans doute ont pris corps, se sont
en , quelque sorte personnalisés, mais ils ont toujours été
considérés comme " limités ", au moins
quant à leurs attributions et à leurs pouvoirs. L'un était
le dieu de la mer ; un autre protégeait le commerce ; tel autre
garantissait la santé, etc... C'est ainsi qu'on distinguait naturellement
des divinités importantes et des divinités secondaires.
Et, ce qui est pour nous bien étonnant, ce polythéisme n'allait
nullement à l'encontre d'une tendance profonde au monothéisme.
L'idée d' " un " dieu créateur, souverain maître,
est une idée fort ancienne, qu'on trouve déjà exprimée
par Socrate et par Platon. Cette idée sous-jacente a pu favoriser
la reconnaissance de la primauté de Zeus chez les Grecs; de Jupiter
chez les Romains. Le mouvement monothéiste en tout cas s'est précisé
surtout au III' et au IVè siècle de notre ère, sous
l'influence de doctrines philosophiques qui, tel le néoplatonisme,
n'étaient pas sans contact avec les théologies orientales.
Peu à peu s'est dégagée l'idée d'un dieu cosmique,
père de l'univers, invisible et suprême. Mais jusqu'aux derniers
temps du paganisme, à cette idée s'en rattacha une autre,
qu'a fort bien exprimée un correspondant de Saint Augustin, le
rhéteur païen Maxime de Madaure, lorsqu'il a écrit
vers 390 : " Il n'existe qu'un Dieu suprême
et unique, sans commencement et sans descendance, dont nous invoquons,
sous des vocables divers, les énergies répandues dans le
monde, parce que nous ignorons son nom véritable, et, en adressant
nos supplications séparément à ses divers membres,
nous entendons l',honorer tout entier. Grâce à l'intermédiaire
des dieux subalternes, ce Père commun et d'eux-mêmes et de
tous les mortels est honoré de mille manières par les humains,
qui restent ainsi d'accord dans leur désaccord ".
-------------Ainsi
donc, dans le paganisme antique, il y eut toujours des dieux, dont il
était utile de capter la confiance et les énergies pour
bénéficier de leur protection ; qu'ils fussent romains,
latins, italiens, étrangers même, peu importe. On retrouve
là cette " avidité " dont je parlais en commençant.
Parmi les divinités admises dans le panthéon romain, celles
qui ont rencontré le plus de faveur sont sans nul doute les divinités
orientales. Il est curieux de remarquer que tandis qu'en Gaule, en Espagne,
en Bretagne, les dieux romains remplaçaient peu à peu les
dieux locaux, au contraire les dieux de l'Asie et de l'Égypte,
loin de se laisser évincer, se répandaient dans toutes les
provinces du monde et gagnaient partout de nombreux fidèles. On
peut se demander pourquoi.
Un grand savant belge, mort en 1947, Franz Cumont, a expliqué les
raisons de ces succès dans un livre remarquable, intitulé
Les religions orientales dans le paganisme romain auquel il faut
toujours se référer. Repoussant les seules explicationséconomiques
et sociales proposées jusque là (prépondérance
industrielle et commerciale de l' Orient ; échanges humains amenant
des orientaux dans les armées, dans les ports et dans la main-d'uvre
domestique : " Qui dira, demande l'auteur,
l'influence que les femmes de chambre venues d'Antioche ou d'Alexandrie
ont acquise sur l'esprit de leur maîtresse ? "),
F. Cumont fait appel à des raisons plus profondes, à des
raisons morales et psychologiques. Si les religions orientales se sent
imposées si facilement, c'est parce qu'à une époque
de fermentation et d'inquiétude religieuse, elle, affirmaient une
nette supériorité sur la religion romaine traditionnelle
en satisfaisant à la fois les sens et les sentiments, les intelligences
et les consciences. Les sens et les sentiments, parce qu'en face de la
religion romaine froide, ritualiste, formaliste, " religion de
juristes ", a-t-on dit, les religions orientales offraient des
cérémonies somptueuses, des fêtes et des processions
éclatantes, animées par de la musique, des chants et des
danses ; elles attiraient par leurs mystères et leurs rites d'
initiation; ; elles provoquaient l'enthousiasme et menaient à l'extase,
c'est-à-dire à la contemplation de la divinité et
à l'assimilation avec elle. L'intelligence, car tandis que la religion
romaine comportait surtout la répétition ne varietur de
rites archaïques devenus inintelligibles et de formules consacrées
- n'oublions jamais que la civilisation gréco-romaine est fondée
sur la mimesis, l'imitatio pour les Grecs, l'imitation des héros,
pour les Romains, l'imitation des ancêtres, mos majorum -
en Asie et en Égypte, les prêtres étaient des savants
et les savants étaient des prêtres (l'historien Manéthon,
dont nous verrons tout à l'heure un souvenir, était à
Héliopolis prêtre d'Hélios-Sarapis). Il y avait en
Orient une " union intime de l'érudition et de la foi
" qui donnait aux croyances une illusion de " profondeur
savante " et de " certitude absolue ". Elles
satisfaisaient enfin les consciences : devant le vide laissé par
une religion et une philosophie tournées uniquement vers la morale,
les théologies orientales apportaient des réponses aux grandes
questions que se pose toute humanité consciente : le problème
du monde et le problème de l'au-delà. Les prêtres
orientaux enseignaient une doctrine cosmique ils prétendaient effacer
les souillures de l'âme par des cérémonies rituelles
et des mortifications ils assuraient l'immortalité bienheureuse
en récompense de la piété ; bref, ils livraient une
sagesse, c'est-à-dire une science dont la possession garantissait
le salut, le bonheur dans l'au-delà. N'oublions pas que les mages
de l'Orient - dont l'imagerie saint-sulpicienne a fait des personnages
polychromes et couronnés - étaient en réalité
des sages, c'est-à-dire des savants et en même temps des
prêtres, détenteurs de cette sagesse qui assure le bonheur.
Telles sent les raisons profondes du large succès remporté
dans le monde romain par les cultes orientaux.
-------------Le
premier de ces cultes qui fut adopté par les Romains vint de Pessinonte,
en Phrygie (Asie Mineure) : c'est celui de Cybèle qu'on appelle
aussi la Mater deum, la grande Mère des dieux. On la fit
venir pendant la deuxième guerre punique, c'est-à-dire dès
la fin du II' s. avant J.-C. (en 204).
-------------Ce
furent ensuite, à partir de la fin du II' s. et surtout dans les
premiers siècles de notre ère, les cultes égyptiens,
en particulier Isis et Sarapis.
-------------Puis
vinrent des dieux syriens, les Baals protecteurs des villes de Syrie,
qui déferlèrent sur le monde romain, surtout au début
du IIIè s. après J.-C. sous les règnes des Sévères,
unis à des princesses syriennes dont l'influence fut considérable.
Ces Baals ont des noms différents suivant leurs cités d'origine
: Doliché en Commagène a donné son nom à Jupiter
Dolichenus ; de Palmyre vinrent Malagbel, Iarhibol et Aglibol.
-------------De
Thrace et de Phrygie fut importé aussi Sabazius.
*********
-------------Enfin
de Perse (Une théorie récente,
défendue par M. Stig WIKANDER, Etudes sur les mystères
de Mithras, dans Arsbok, Yearbook of the New Society of Letters at Lund,
1950, pp. 5-46, insiste sur les aspects balkaniques du culte mithriaque
et lui assigne une origine thraco-illyrienne. Elle est contredite par
D. Schlumberger dans Syria, XXX, 1953, pp. 325 ss. qui penche pour l'Anatolie.
Quel que soit le pays d'origine du mithraïsme - la question est d'ailleurs
importante - les provinces danubiennes ont joué un grand rôle
dans son expansion. Si dans les ports africains de Carthage et de Rusicade
(Philippeville) la religion de Mithra a pu être importée
directement d'Orient ou indirectement par Pouzzoles et Ostie (où
l'on compte actuellement 14 mithrea), il est à, peu près
certain qu'à Lambèse, quartier-général et
camp de la 3, Légion Auguste, elle a été transmise
par les pays danubiens : cf. M. LEGLAY, Le mithraeum de Lam bèse,
dans les Comptes-Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
1954, pp. 269-278.) arriva dès le 1" s. le célèbre
Mithra, dont la religion faillit devenir officielle au III' siècle
et rencontra une telle faveur que Renan a pu écrire : " Si
le Christianisme eût été arrêté dans
sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été
mithriaste " (E. RENAN, Marc-Aurèle,
p. 579. Mais ce n'est peut-être qu'une boutade !).
-------------L'Afrique
romaine, comme les autres provinces, a été submergée
par les cultes orientaux. Comme les autres, elle a été "
entraînée dans le grand courant mystique qui recouvre tout
le monde romain du II' au IV' s. " (G.
Ch. PICARD, Les religions de l'Afrique an tique, Paris, 1954, p. 220.).
Mais l'Afrique sut garder son originalité.
-------------C'est
qu'à la différence des autres provinces occidentales, l'Afrique
avait déjà un panthéon bien organisé, solidement
établi sur la base de très vieilles traditions indigènes
(berbères), vivifiées par les apports puniques. Dès
le IX' s. avant J.-C., au moins, les Phéniciens - des orientaux
- avaient installé sur la grève de Salammbô (près
de Carthage un sanctuaire où l'on offrait des sacrifices d'enfants
à Baal. Et le culte cruel de Baal-Hammon et de sa parèdre
Tanit s'était répandu en Afrique en même temps que
se développait l'empire carthaginois, et avec d'autant plus de
faveur qu'il. correspondait bien aux traditions, aux besoins et aux aspirations
des Africains. Baal-Hammon et Tanit devinrent si bien les " dieux
de l'Afrique " que Rome jugea utile - par politique - de les conserver
en les romanisant (Baal-Hammon devint Saturne et Tanit devint Caelestis)
et en humanisant leurs rites (aux victimes humaines on substitua des animaux).
Saturne resta pendant toute la durée de la domination romaine le
premier dieu de l'Afrique, bien plus vénéré que Jupiter
ou les dieux orientaux. Mais n'oublions pas qu'il est lui-même;
sous un vocable latin, un dieu au fond très oriental. Nous y reviendrons
tout à l'heure. Cependant dès maintenant j'ai voulu souligner
cette originalité de l'Afrique qui a eu et qui a gardé ses
divinités propres. Celles qui vinrent plus tard d'Asie et d'Egypte
n'ont jamais prévalu contre elles dans les masses populaires africaines.
-------------Le
premier document à signaler dans les collections du Musée
Stéphane Gsell est d'ailleurs en rapport avec le culte de Baal-Hammon.
C'est un disque de bronze (P. WUILLEUMIER, Musée
d'Alger, supplément Collection des Musée de l'Algérie
et de la Tunisie, 1928, pp. 20-21. L'auteur y reconnaît, à
tort, une tête d'Ammon.) qui provient de Gouraya, où
il a été trouvé à proximité des tombes
puniques qui ont livré les vases, les plats et les lampes exposés
dans plusieurs vitrines. Il est assez représentatif de la religion
punique et des influences subies par la civilisation de Carthage. Sur
une face sont figurées deux têtes de béliers affrontés.
C'est sous cette forme ou bien sous celle d'un homme barbu et portant
de grosses cornes de bélier qu'était souvent représenté
Baal-Hammon, appelé parfois Hammon Corniger - sans doute sous l'influence
de l'Ammon égyptien et en mémoire d'un culte indigène
du bélier. Sur l'autre face (fig. 1) sont gravées en haut
relief deux lignes difficiles à interpréter, surtout si
on les lit normalement de gauche à droite. Si, au contraire, on
les retourne - comme s'il s'agissait d'une empreinte - on obtient deux
noms étrusques et on peut comprendre : Pompus, fils de Lartia.
Nous avons là un témoignage des contacts de civilisation
entre puniques et étrusques on en connaît bien d'autres,
comme aussi entre puniques et grecs. Ces influences contribuèrent
déjà à humaniser le culte monstrueux de Baal-Hammon
bien avant l'arrivée des Romains.
Fig. 1 Disque de bronze
-------------Ce
petit objet nous révèle ainsi les différents éléments
constitutifs de la religion africaine : son substrat indigène,
avec le culte du bélier ; les influences égyptiennes sur
la Libye (que confirment maintes gravures rupestres) ; les aspects phéniciens,
puniques avec leurs rites monstrueux ; enfin, les influences civilisatrices
venues de Grèce directement ou par le canal de l'Etrurie.
-------------Le
rapprochement de plusieurs stèles votives néo-puniques (Ces
stèles viennent d'un peu partout en Afrique : de Dellys, de Ksiba
Mraou, de Vieil-Arzeu, de Carthage même. Cf. DOUBLET, Musée
et P. WUILLEUMIER, Musée d'Alger, Supplément, pp. 21 et
ss.), c'est-à-dire de l'époque qui a suivi la prise
de Carthage par les Romains, mais où la civilisation carthaginoise
reste prédominante, permet de suivre l'évolution des formes
de figures e t des symboles et, à travers elle, les progrès
de la romanisation. Romanisation de l'art à laquelle correspond
la romanisation de la religion berbéro- punique. Avec les trois
stèles à Saturne de Sillègue (Cf,
P. WUILLEUMIER, ouv., cit., pp. 28 et ss.), près de Djemila,
l'évolution est en quelque sorte arrivée à son terme
(fig. 2). Il y a encore dans ces monuments bien des orientaux - ne serait-ce
que la superposition des registres - mais Saturne s'est maintenant substituéau
Baal carthaginois nous sommes en plein III' s. (une des stèles
est datée de 22 après J.-C.). La répartition des
scènes est presque toujours identique.
Fig. 2 : Stèles à Saturne
|
aux détails près (Voir par
exemple les stèles de Djemila : M. LEGLAY, Les stèles à
Saturne de Djémila-Cuicul, dans Libyca, I, 1953, pp. 36-76. On
pourrait comparer avec des milliers de stèles votives disséminées
sur tout le territoire tunisien et algérien, où chaque ville,
chaque bourg, chaque village avait à l'époque romaine son
ou même ses sanctuaires de Saturne.). Dans le compartiment
supérieur, c'est le dieu lui-même qui est figuré,
en buste ou installé sur un trône, quelquefois allongé
sur une sorte de sofa ; ici, il est même une fois assis à
l'amazone sur un lion ; le dieu assis sur le lion est un thème
iconographique fort ancien, puisqu'on le trouve à Chypre dès
le XV-XIV' s. avant J.-C. Quant au lion, un auteur africain du IV"
s. après J.-C., Arnobe de Sicca (Le Kef) le met en rapport avec
Frugifer, dont il serait le symbole (Adversus Nationes,
VI, 10.). Dieu frugifer, c'est bien ainsi qu'il faut interpréter
avant tout Saturne, ce vieillard digne, majestueux mais morose, abondamment
chevelu et barbu ; le senex (Saint Augustin) qui inspirait aux
anciens une terreur superstitieuse ; la tête couverte d'un voile
qu'en général il soulève d'une main comme pour mieux
entendre, il tient de l'autre la harpè, c'est-à-dire
la faucille du moissonneur et du vigneron. C'est lui qui assure de bonnes
récoltes, la fécondité des troupeaux, comme aussi
celle des familles. N'était-ce pas une des raisons pour lesquelles
à l'époque punique - quand il s'appelait Baal-Hammon - on
lui sacrifiait des enfants, les premiers-nés des familles ? Formellement
interdites par Rome, ces immolations d'enfants ont été remplacées
par des sacrifices d'agneaux, de béliers ou de taureaux. C'est
le taureau du sacrifice qui est représenté, paré
des bandelettes rituelles, dans le registre inférieur et ce sont
les dédicants que présente le compartiment intermédiaire.
Bien que ce soient des animaux qu'on sacrifie effectivement au dieu, c'est
comme si on lui offrait des victimes humaines, car ceux-là ne sont
offerts que " par substitution ", comme le prouvent les formules
des stèles découvertes en 1930 par J. et P. Alquier à
N'Gaous (dans le Constantinois) et où il est dit que l'agneau est
substitué à l'enfant anima pro anima, vita pro vita, sanguine
pro sanguine (Cf. S. GSELL, Comptes-Rendus de l'Acad. des
Inscr, et Belles Lettres, 1931, pp. 21-26 et l'étude de J. CARCOPINO,
Rome et les immolations d'enfants, dans ses Aspects mystiques de la Rome
païenne, pp. 39 es. .).
-------------L'acte
religieux conserve ainsi toute sa valeur ; l'enfant est voué au
dieu et par là son salut est assuré. Saturne n'est donc
pas seulement celui qui accorde la fertilité agraire et la fécondité
animale ou familiale ; sa religion est aussi une religion de salut. Quant
aux stèles, elles sont érigées pour attester d'une
manière publique et durable et peut-être pour rappeler à
la divinité que le ou les dédicants se sont loyalement acquittés
du sacrifice et des offrandes promis en retour du vu exaucé
ou de la grâce obtenue (V.S.L.A. - votum solvit libens animo,
disent les inscriptions). Les stèles ne veulent pas seulement commémorer
et perpétuer le souvenir d'un acte révolu, accompli une
fois pour toutes, elles rendent permanent et comme continu le geste épisodique
du sacrifice.
-------------C'est
un curieux objet que la main votive de Sabazius trouvée
à Tipasa au début de ce siècle (Voir
S. GSELL, Bull. Arch. du Comité, 1906, p. CCXXXII et pl. ; P. WUILLEUMIER,
Musée d'Alger, Supplément, p. 68). On connaît,
dispersées dans les musées du monde une quarantaine de ces
mains droites, en bronze, dont l'usage était très répandu
en Orient où cette offrande faisait partie du rituel des cultes
sémitiques. L'exemplaire de Tipasa est l'un des plus grands (fig.
3)
; c'est en tout cas le premier qu'on rencontre en Afrique.
Son intérêt vient surtout des attributs qui l'accompagnent
et qui soulignent par leur nombre la force de syncrétisme, la puissance
d'assimilation de ce dieu thraco-phrygien, dont le nom, admis comme dénomination
thrace de Dionysos, fut à l'époque hellénistique
victime d'une audacieuse opération étymologique : on l'identifia
au Iahwé Sabaoth, le dieu des armées de la Bible et il fut
dès lors considéré comme un dieu suprême, souverain,
omnipotent et bienfaisant, tellement puissant qu'il eut tendance à
absorber les autres dieux, leurs pouvoirs, leurs attributs, de là
le syncrétisme que trahit cette main.
-------------Symboles
des Sabaziastes, ces mains votives étaient montrées les
trois premiers doigts levés et les deux autres repliés,
dans le geste liturgique de la benedictio latina, emprunté à
une divinité thrace, peut-être par l'intermédiaire
du judaïsme, et conservé par les chrétiens. Elles représentaient
primitivement la main du dieu bénissant ses fidèles ; mais
plus tard - c'est le cas pour notre objet, de Tipasa - elles prirent une
valeur magique et l'on continua par conséquent d'accumuler les
animaux et les symboles pour en accroître l'efficacité(L'abondance
des attributs a fait d'abord qualifier la main votive de Tipasa de e main-panthée
v. Cette interprétation a été combattue par C. BLINKENBERG,
Darstellungen des Sabazios und Denkmaler seines Kultes, dans Arch. Studien,
Copenhague, 1904 ; elle n'est plus admise aujourd'hui. Sur Sabazius et
les monuments
de son culte, cf. M. CUMONT, Rel. orient, pp. 60 es. ; M.OESLERLEY, The
cult of Sabazios, dans The Labyrinth, 1935, pp. 115 ss ; A. BRUHL, Rev.
Archéol., 1932, I, pp. 35-43 ; tout récemment A. GARCIA
BELLIDO Una deidad oriental en la Es pana romana et culto a Sa bazios,
Revista de la Universidad de Madrid, I, 3, 1953, pp. 345-361, et D. TSONTCHEV,
Rev. Archéol., 6' sér., XLIV 1954, pp. 15-20. Sur le geste
de la benedictio latina, outre BLINKENBERG, voir H. SEYRIG, Bull. Corr.
Hell, LI, 1927, pp. 211 ss.).
(note du site: la partie gauche de la page
de la revue est effacée sur plusieurs lignes) -------------C'est
ainsi que ll'on peut voir sur le pouce une pomme de pin, symbole de fécondité
bien connu dans les religions antiques surtout orientales ; Sabazius est
d'abord un dieu de la végétation (La pomme
de pin figure quatre fois autour de Sabazius, sur le dernier monument
de son culte découvert en Bulgarie : cf. D. TSONTCHEV, Un monument
du syncrétisme religieux en Thrace, Rev. Archéol., 1954,
pp. 15-20.)...............est reprise avec les trois rameaux qui
grimpent sur l'annulaire, tandis que la presence d'un bélier sculpté
sur la paume, sous l'auriculaire, évoque un autre aspect des pouvoirs
agraires du dieu. Ainsi plantations, cultures, troupeaux sont appelés
à profiter également de la bénédiction ...............c'est
sans doute encore le même thème que rappellent et le serpent
à crête qui s'enroule sur le poignet avant de se glisser
dans le creux de la main et aussi les trois animaux - .......et lézard
qui voisinent près du pouce. On sait que le serpent est le symbole
de.....et en même temps de la fécondité et du renouvellement
(Sur le culte et le symbolisme du serpent, cf. M. LEGLAY,
Sur les dieux syriens du Janicule, dans les Met. Ec. Fr. Rome, 1948, pp.
136 ss. et notes bibliographiques. Notons que le serpent joue un rôle
rituel dans l'initiation aux mystères de Sabazius : Firmicus Maternus,
X, 32-33 (éd. HEUTEN), que la grenouille est le symbole
de l'eau et par là du renouveau de la nature, du
printemps et de la renaissance (Voir en dernier lieu W. DEONNA, L'ex-voto
de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des
grenouilles, dans Rev. Hist. Bel., 1951, et en part. les pp. 17 et 266
ss. du tome CXL, avec une abondante bibliographie. Voir aussi du même
auteur, La femme et la grenouille, dans Gazette des Beaux-Arts, 1953,
pp. 229-240.), que la tortue...accompagne parfois Aphrodite est
symbole de fécondité et représente le Ciel (La
question est discutée : cf. W. DEONNA, Aphrodite sur la tortue,
dans Rev. Hist. Bel., LXXXI, 1920 p. 112 ; F. CUMONT, Aphrodite à
la tortue de Doura-Europos, dans Monuments Piot, XXVII, 1924, pp. 1 ss
HARDENBERG, L'Antiquité classique, XV, 1946, 2 et 3.), que
le gland? enfin est un symbole du Soleil qui assure toute vie (Cf.
W. DEONNA, Rev. Et. Grecques, XXXII, 1919, pp. 140 et 145 ; Rev. Hist.
Bel., 1919, II, p. 37. C'est peut-être pour ses rapports avec le
soleil qu'il est devenu l'attribut d'Apollon : sur l'Apollon Sauroctone,
voir HOEFER, dans le Lexikon der Mythologie de ROSCHER, III, 2, col. 532
et DEONNA, art. cités.). On sait aussi que ces
animaux incarnent des forces malfaisantes et en particulier l'Envie (Le
serpent est parfois considéré comme essentiellement nuisible
: cf. E. POTTIER, dans le Dict. des Antiquités de DAREMBERG, SAGLIO,
POTTIER, II, pp. 404-414. La grenouille, après avoir été
aux temps très anciens un animal bénéfique, est devenue
maléfique et même, pour les chrétiens, diabolique
: cf. DEONNA, Rev. Hist. Bel., 1951. Il en est de même de la tortue.
Sur les valeurs différentes, voire opposées de ces animaux,
cf. DEONNA, Sauriens et batraciens, Rev. Et. Grecques, XXXII, 1919, pp.
132 ss. Mais c'est le lézard qui passe pour une incarnation particulièrement
dangereuse de l'envie : cf. Pline l'Ancien, Hist. Nat., XXX, 89. C'est
pour l'empêcher de nuire que Bacchus le tient par la patte sur une
mosaïque d'El-Djem : cf. A. MERLIN et L. POINSSOT, Deux mosaïques
de Tunisie à sujets prophylactiques, dans Mon. Piot, XXXIV, 1934,
pp. 26 ss. ; et tout récemment, A. MERLIN, Le génie au lézard
de Djemila (Cuicul), dans le Livre du Centenaire de la Société
Archéologique de Constantine, 1954, pp. 97 es.). Ce
qui n'a rien d'étonnant, étant donné l'ambiguité
des forces magiques ( P. PERDRIZET a
bien montré dans un livre intitulé Negotium perambulans
in tenebris, Publ. de la Faculté des Lettres de Strasbourg, 6,
1922, le caractère ambigu des forces magiques, les mêmes
objets ou les mêmes animaux signifiant à la fois vie et mort,
exerçant soit une influence bienfaisante soit une influence malfaisante.).
La main de Sabazius, qui primitivement bénissait ses fidèles,
par sas vertus magiques exerce maintenant son pouvoir d'une part en attirant
les bienfaits des éléments naturels sur les champs et les
troupeaux, d'autre part en éloignant de ceux-ci et des fidèles
eux--mêmes les influences mauvaises. Quant à l'aigle perché
sur un foudre au sommet des doigts, il est l'attribut bien connu de Jupiter.
Avec le buste de Mercure dressé sur l'annulaire replié,
il atteste le caractère suprême, omnipotent et cosmique du
dieu qui, non content d'assurer à ses fidèles les biens
de la terre, leur garantissait en outre le bonheur dans l'au-delà
sous la forme " d'un banquet des bienheureux dont les repas liturgiques
présageaient sur la terre les joies éternelles " (F.
CUMONT, Bel. orient., p. 61 avec fig. 3 : le paradis des mystes de Sabazius,
d'après une fresque des Catacombes de Prétextat, à
Rome.). Il y a là la double raison du succès
des sabaziastes.
-------------Deux
documents intéressent le culte - d'origine phrygienne lui aussi
- de la grande Mère des dieux : il s'agit d'une statue de Cybèle,
autre nom de la déesse. Le musée d'Alger ne possède
qu'un moulage ; l'original est au musée de Cherchel, l'antique
Caesarea, où il fut trouvé (Il
est possible que cette statue féminine représentée
assise sur un trône mérite plutôt le nom de Cérès
ou de la Terre personnifiée que celui de Cybèle, dont le
siège est habituellement flanqué de lions. Le Musée
de Cherchel contient en tout cas une statuette de Cybèle trônant
et une autre de son parèdre Attis : M. DURRY, Musée de Cherchel,
Supplément, p. 38.4). L'autre est également un moulage,
celui d'une statue G!e Galle, qui provient du même endroit (
Cf. GLAUCKLER, Musée de Cherchel, p. 141 et S. GSELL, Cherchel
antique Iol-Caesarea, réédition mise à jour de 1952,
pp. 70-72, n° 107.).
-------------La
particularité de ce culte oriental qui connut dans le monde romain
une grande fa.eur (Voir H. GRAILLOT, Le
culte de Cybèle, Mère des dieux à Rome et dans l'Empire
romain, Paris, 1912 ; F. CUMONT, Rel. orient., pp. 43 ss. Sur le culte
de Cybèle en Afrique, cf. J. TOUTAIN, Les cultes païens, II,
pp. 73 ss.)` est d'avoir pris, lors de son introduction à
Rome en 204 avant J.-C., un caractère officiel. Organisé
par le Sénat lui-même, pour des raisons, semble-t-il, plus
politiques que militaires (Cf. en dernier
lieu P. LAMBRECHTS, Cybèle, divinité étrangère
ou nationale ? dans Bull. Soc, royale belge d'Antropol. et de Préhist.,
t. LXII, 1951, pp. 44-60.), le culte de Cybèle fut reçu
à Rome comme le culte d'une divinité nationale, ancestrale
et volontiers assimilée à la 'T'erre-Mère. Son caractère
oriental ne réapparut que sous Claude et surtout sous Antonin le
Pieux ( J. CARCOPINO, La réforme
romaine du culte de Cybèle et d'Attis, dans Aspects mystiques,
pp. 49 ss. et en dernier lieu, dans un sens un peu différent, P.
LAMBRECHTS, Les fêtes " phrygiennes " de Cybèle
et d'Attis, dans Bull. Institut histor. belge de Rome, XXXVII, 1952, pp.
11-170 ; M. VAN DOREN, L'évolution des mystères phrygiens
à Rome, dans l'Antiquité classique, XXII, 1953, I, pp. 79-88.),
lorsque furent établies ies " fêtes p irygiennes "
de Cybèle et d'Attis et instituées en leur honneur des cérémonies
mystérieuses, comportant des scènes d'initiation et des
sacrifices sanglants de taureaux ou de béliers (tauroboles ou crioboles).
-------------Le
poète Prudence a laissé une description, saisissante dans
son réalisme, du sacrifice du taureau immolé sur un plancher
à claire-voie recouvrant la lasse dans laquelle est couché
le myste : " A travers les mille fentes du bois, la rosée
sanglante coule dans la fosse. L'initié présente la tête
à toutes les gouttes qui tornbent, il y expose ses vêtements
et tout son corps, qu'elles souillent. Il se renverse en arrière
pour qu'elles arrosent ses joues, ses oreilles, ses lèvres, ses
narines ; il inonde ses yeux du liquide, il n'épargne même
pas son palais, mais humecte sa langue du sang noir et le boit avidement
" ( Peristephanon, X, 1001 ss.).
Dégouttant encore, le myste se présentait à la foule
des fidèles qui le vénéraient, car ils le croyaient
purifié de toutes ses fautes et l'égal de la divinité.
Ce rite répugnant marquait une renaissance temporaire ou même
éternelle de l'âme. Celui qui s'y soumettait renaissait pour
l'éternité : in aeternuin renatus, disent les inscriptions.
-------------Les
témoignages épigraphiques qui se rapportent au culte métroaque
ne manquent pas en Afrique, où Cybèle semble avoir profité
de certaines ressemblances avec Caelestis. Elle possédait des sanctuaires
à Carthage, à Mactar, à Zama, à Dougga, à
Madaure ; en Numidie à Milev, Tipasa, .An-nouna (Thibilis), à
Constantine (Cirta), à Philippeville (Rusicade), à Djemila
(Cuicul), à Timgad, à Zana ; en Maurétanie, à
Sétif, Cherchel. Chronologiquement, ils vont de Septime Sévère
à Constantin ; mais il est probable que le culte fut introduit
en Afrique bien plus tôt, et on sait aussi qu'il était encore
pratiqué à Carthage au temps de Saint Augustin (Il
y a vu la litière de la Mère des dieux promenée à
travers la ville, le jour de la fête du Bain Cité de Dieu,
II, 4.). Toutes les inscriptions ne mentionnent pas le taurobole
( Cf. par exemple la dernière en
date des inscriptions métrosques trouvées en Afrique : Y.
ALLAIS, Djemila : une dédicace à Cybèle, dans Libyca,
II, 11" sem. 1954, p. 252.), mais certaines commémorent
ce sacrifice. La plus récente trouvée à Zana (Diana
Veteranorum) ( S. GSELL, Autel romain de
Zana (Algérie), dans C.R.A.I., 1931, pp. 251-269.) nous
apprend qu'à un moment donné du III" siècle,
une femme Hortensia Fortunata, prêtresse de Cybèle, a célébré
le sacrifice du taureau et du bélier sur l'ordre de M. Tullius
Pudens, son " père s, pour le salut d'un empereur dont le
nom a été martelé. En général, c'est
sur l'ordre de l'archigalle que le sacrifice est accompli. Tertullien
nous a décrit dans l'Apologétique une scène de ce
genre qui s'est déroulée à Rome le 24 mars 180. Au
milieu de manifestations furieuses et sanglantes, l'archigalle donnait
des ordres à la déesse pour assurer le salut de l'Empereur.
Or cet empereur Marc-Aurèle était mort depuis sept jours
en Pannonie, mais la nouvelle n'en était pas encore parvenue à
Rome ; et Tertullien se moque de l'impuissance des voeux adressés
à la Grande Mère des dieux. Le pater de l'inscription de
Zana est vraisemblablement lui-même un haut dignitaire de la confrérie
métroaque de Zana, l'équivalent de l'archigalle de Rome.
-------------Au
service de Cybèle était en effet attaché un sacerdoce
organisé comprenant en particulier les Galles, ces fameux prêtres
qui avaient fait à leur divinité le sacrifice de leur virilité
dans un élan de frénésie, d'exaltation mystique qui
intervenait au terme de cérémonies bruyantes et mouvementées,
rythmées par des chants, des cris et les sons des flûtes.
C'est le portrait d'un de ces prêtres eunuques, que représente
le moulage d'une statue de Cherchel : on remarque son visage glabre et
efféminé, sa coiffure féminine, ses insignes rituels
: la couronne de laurier rehaussée d'un médaillon, la tunique
à longues manches, les bandelettes de laine ; auprès de
lui, un autel.
-------------La
plupart des cérémonies que commémorent les textes
africains ont été célébrées pour le
salut d'un empereur et de sa famille. Le culte de Cybèle a gardé
sous l'Empire l'aspect officiel qu'il avait pris à Rome lors de
son introduction, les empereurs mettant au service de l'idée monarchique
les mystères des religions orientales. Aussi le clergé qui
les célèbre fait-il partie de l'aristocratie des cités
; et il ne semble pas que le culte métroaque ait pénétré
profondément dans les couches populaires malgré les promesses
de salut qu'il contenait. Toutes les inscriptions qui le concernent proviennent
de milieux bourgeois et de villes à statut municipal romain.
********
-------------Les
cultes égyptiens sont représentés au Musée
Stéphane Gsell par deux séries de documents l'une vient
de Lambèse où elle fut trouvée au début de
ce siècle et l'autre de Carthage, d'où elle f,Àt
rapportée par P. de Sainte-Marie en 1884.
------------De
Lambèse provient surtout un intéressant ensemble de bronze
qui a dû appartenir à un aut l isiaque (C'est
un don de F. CUMONT : cf. Bull. Arch Comité, 1905, p. CCIV ; voir
S. GSELL, Rev. Hist. Rel., 1909, p. 149. La descripton des objets a été
donnée par P. WUILLEUMIER dans Musée d'Alger, suppl., pp.
60 ss. ; de larges emprunts lui ont été faits ici. Signalons
qu'une autre partie des éléments de cet autel est restée
à Lambèse.) (fig. 4). Il comprend d'abord une plaque,
brisée en quatre morceaux, encadrée d'une moulure, et conçue
pour être fixée à quelque chose, comme l'indiquent
par derrière deux tenons. Trois figures la décorent: au
milieu le buste d'un enfant joufflu, au nez retroussé, la bouche
et les yeux souriants, la tête entourée du pschent rehaussé
d'une fleur de lotus, symbole de jeunesse et de résurrection. Dans
le bras gauche, il tient une petite massue (en général c'est
une corne d'abondance), tandis que de la main droite il fait un geste
enfantin de porter les doigts à la bouche. Tout indique qu'il s'agit
du petit Horus-Harpocrate. A sa droite, un personnage anguipède
féminin montre une " douce et belle mélancolie "
; à ses traits, à ses cheveux soutenus par deux bandeaux,
à son vêtement, on reconnaît Isis. A sa gauche, un
autre personnage, masculin cette fois, d'âge mur, frappe par son
abondante chevelure en couronne, sa moustache fournie et tombante, sa
barbe bouclée, son regard profond, sa bouche légèrement
méprisante ; à cette allure générale de majesté
empreinte malgré tout de bienveillance on reconnaît Sarapis.
C'est donc la triade égyptienne Sarapis (produit d'un syncrétisme
Osiris-Apis), Isis son épouse et Horus leur fils qui est ici figurée,
mais, on l'a remarqué déjà, très romanisée
- ils ne portent pas leurs attributs caractéristiques, ni le modius
c'est-à-dire le boisseau de Sarapis, ni le croissant, le disque
et le noeud isiaques ; seul Horus porte le pschent caractéristique.
-------------Ces
trois divinités sont accompagnées de tout un cortège
: d'abord leur fidèle serviteur, Anubis, qui porte ici non pas
la tête de chien (donnée par les Grecs), mais les oreilles
pointues et le museau proéminent du chacal, symbole funèbre
en Egypt e. Mais lui aussi est romanisé : s'il paraît porter
de la main droite la palme, emblème de 1a victoire sur la mort,
il lève de la main gauche le caducée qu'il a emprunté
à Mercure (= Hermès psychopompe) à qui il était
assimilé ; pour cette même raison, le dieu conducteur des
âmes s'est drapé dans la tunique courte et dans le grand
manteau des voyageurs. Il est flanqué de son lieutenant Thct: qui
enregistre la sentence énoncée par son maître après
la pesée de l'âme. De même qu'Isis était assimilée
à Aphrodite et Horus-Harpocrate à Eros, Thot fut assimilé
à Hermès et il apparaît précisément
ici dans une attitude qu'Hermès lui a sans doute enseignée
: assis sur un rocher, il s'y appuie de la main gauche tandis qu'il tient
sa jambe droite repliée sous la gauche. Anubis était déjà
identique à Hermès mais à un aspect seulement d'Hermès,
S.
Fig. 4 : Autel isiaque
le psychopompe, c'est-à-dire le conducteur des âmes ; Thot
représente un autre aspect d'Hermès, l'inventeur de l'écriture,
l'initiateur par excellence et c'est de cette association que va naître,
sous le patronage d'Hermès Trismégiste (le trois fois Grand),
la célèbre Gnose hermétique (Sur
l'hermétisme, on lira les savantes études du R.P. A.J. FESTUGIERE,
La Révélation d'Hermès Trismégiste, Paris,
Gabalda, 4 vols, 1940-1953.). Si Osiris est représenté
par son dévoué serviteur Anubis, le taureau Apis qui incarne
l'âme d'Osiris est lui-même présent. Gras, vigoureux,
les cornes magnifiquement dressées, il s'avance à pas lents
et majestueux. Un autre Apis, semblable, est resté à Lambèse.
Figure en outre Bès, nain trapu, bedonnant, accroupi sur ses jambes
difformes, qui symbolise la force bestiale et destructive opposée
à l'humaine et éternelle jeunesse d'Horus. Ce dieu ridicule
était apparenté à Silène, qui voisine avec
lui. Le fidèle compagnon de Bacchus le remplace ici, vêtu
d'une peau de panthère, les tempes couronnées de lierre,
la bouche entr'ouverte, le regard suppliant. Signalons encore un prêtre
égyptien sous les traits d'un jeune homme vêtu d'une tunique
légère, dont une torsade forme sur la poitrine le "
noeud isiaque ", caractéristique des prêtres et prêtresses
d'Isis. Evidemment, il n'a pas la tête rasée qui, d'après
Plutarque et Apulée, était de règle ; mais sans doute
porte-t-il au moins sur la tête la croix rituelle (
Sur les marques rituelles des prêtres d'Isis, cf W. DENNISON, Amer.
Jour. of Arch., IX, 1905, pp. I1-53 ; Fr. HAUSER, ibid, XII, 1908, pp.
56-57 ; J. BABELON, Mon. Piot, XXXVIII, 1941, 117 ss.).
|
|
-------------Les
autres objets du culte représentent des animaux : outre le taureau
Apis, c'est l'uraeus, c'està-dire le serpent sacré (aspic)
qui dresse son cou plein de colère et projette sa tête pointue
surmontée de la fleur de lotus ; c'est encore, à côté
de ce symbole de la puissance divine, le singe canocéphale (à
tête de chien) qui, accroupi à la manière de Bès,
accompagne celui-ci et avec lui devait former autour d'Isis un groupe
d'assesseurs, tel qu'on peut le voir sur un bas-relief italien bien connu
(Sur le bas-relief d'Ariccia (actuellement
au Musée National des Thermes à Rome) se trouvent représentés
dans le registre supérieur : au centre, Isis sur son trône,
flanquée de part et d'autre d'une statue accroupie de Bès,
elle-même entourée de deux cynocéphales ; puis vient,
comme les précédents installé sur un socle, le taureau
Apis. Tous - remarquons-le - ont la même attitude que nos sujets
de Lambèse.
Le bas-relief d'Ariccia est reproduit dans F. CUMONT, Relig. orient.,
pl. VIII) ; c'est enfin un chat, animal aux vertus mystiques, si
l'on en croit Plutarque. Tous ces animaux figurent généralement
dans les sanctuaires égyptiens ; leur présence à
Lambèse n'a rien que de normal, même si elle devait choquer
certains esprits. Le culte rendu aux animaux et même aux plantes
heurtait les Gréco-romains, et leurs auteurs comiques et satiristes
ironisaient à plaisir sur les adorateurs du chat, du taureau, du
crocodile, du poireau ou du lotus : " O sainte population, s'écriait
Juvénal, cnt les dieux naissent même dans ses potagers !
" (Juvénal, XV, 10.).
-------------Du
moins avaient-ils plus de respect pour Sarapis, si l'on en juge par la
fréquence et la nature même de ses représentations.
Le Musée Stéphane-Gsell possède à lui seul
trois têtes de Sarapis. L'une vient de Lambèse, les deux
autres de Carthage ; mais c'est toujours la même effigie imitée
de l'original créé, semble-t-il, par Bryaxis pour le Serapeum
d'Alexandrie (fig. 5). L'épaisse chevelure bouclée, la barbe
majestueuse, le regard empreint de tristesse et de bienveillance, et surtout
sur la tête le boisseau (modius) caractérisent les figurations
du grand dieu de l'Egypte hellénistique et du même coup symbolisent
son double pouvoir. Sarapis règne sur la terre dont il assure la
fécondité, c'est ce que rappelle le boisseau ou corbeille
vanée qu'il porte sur la tête ; en même temps il règne
sur le royaume des morts, c'est ce que signifient son air lugubre, sa
chevelure, sa barbe qui le font ressémbler de près à
Pluton, à qui il était d'ailleurs volontiers assimilé.
Etant donné sa faveur et son rang, il fut vite l'objet d'un large
syncrétisme qu'attestent 4 inscriptions ramenées de Carthage
par Ste Marie ( P. de SAINTE-MARIE, Mission
à 1005.) ; il y est vénéré tantôt
en grec, tantôt en latin comme le deux maximus, comme Neptune, comme
le grand dieu de Canope et surtout comme Zeus Hélios Sarapis. On
est bien près de la dédicace trouvée à Rome
qui l'appelle " Unique Zeus, Sarapis, Hélios, maître
invincible du monde " ( C.R.A.I.,
1919, pp. 313 ss.). De Carthage enfin provient une tête de
jeune homme à la longue chevelure, couronnée de feuilles
de chêne et de lotus et coiffée aussi d'un boisseau : on
en a fait successivement un Apollon, un Sarapis, un Héliosarapis
; on y a reconnu le célèbre favori d'Hadrien, Antinoüs
divinisé en Sarapis ; actuellement on y voit plutôt un Hermanubis
gréco-égyptien (Bibliographie
dans DOUBLET, Musée d'Alger, p. 38 et dans WUILLEUMIER, Musée
d'Alger, Supplément, pp. 52-53.).
-------------Que
ces cultes égyptiens aient été en faveur à
Carthage, port en relations constantes avec l'Orient méditerranéen
(Sur le Sarapeum de Carthage, voir A. AUDOLLENT,
Carthage romaine, pp. 238 ss.), et à Lambèse, capitale
militaire de l'Afrique, où l'on sait par une inscription qu'un
temple d'Isis et de Sarapis fut achevé par la troupe en 158 (
C.I.L., VIII, 2360 = 18100. Cf. aussi Bull. Arch. Comité, 1918,
p. CCLXIV. C'est sans doute à cette date de 158 que doivent remonter
les bronzes de l'autel isiaque. Signalons que des fouilles récentes
- encore inédites - ont révélé un temple qui
semble bien être celui d'Isis, si l'on en juge par la statue et
la tête qui ont été trouvées dans son voisinage
immédiat.), cela n'a rien d'étonnant. Mais leur succès
n'a pas été, comme on l'a trop longtemps pensé, limité
aux ports, aux centres militaires, aux villes largement ouvertes aux influences
extérieures, il s'est étendu à l'intérieur
du pays et le mysticisme isiaque n'a pas été sans prise
sur les indigènes mêmes (Contre
l'opinion de S. GSELL, Les cultes égyptiens dans le Nord-Ouest
de l'Afrique, Rev. Hist. Rel., LIX, 1909, p. 155 et Musée de Philippeville,
p. 51 et de J. TOUTAIN, Cultes païens..., II, pp. 5 ss., voir maintenant
G. Ch. PICARD, Les religions de l'Afrique antique pp. 224 ss., qui signale
en outre les découvertes récentes.). On rencontre
d'ailleurs les cultes égyptiens dans toutes les provinces romaines
d'Afrique, de la Maurétanie, où ils furent probablement
introduits autemps de Juba II et de sa femme Cléopâtre Séléné,
fille du triumvir Antoine et de la dernière reine d'Egypte Cléopâtre
VII ( Cf. S. Gsell, Rev.
Hist. Rel., 1909, pp. 149-159 et, pour un inventaire des vestiges égyptiens
à Cherchel, Hist. Anc. AI. du Nord, t. VIII, pp. 242-243. Les vestiges
égyptiens ne manquent pas non plus dans la partie occidentale de
la Maurétanie (on sait que Volubilis fut capitale de Juba, au même
titre que Caesarea J. CARCOPINO, Volubilis, regia Jubce, dans Le Maroc
Antique, p. 167) ; cf. par exemple à Volubilis même un bas-relief
d'Anubis (L. CHATELAIN, Bull. Arch. Comité, 1934, p. 173). L'influence
de la religion égyptienne sur les cultes africains est d'ailleurs
bien antérieure au règne de Juba II : cf. G. Ch. PICARD,
ouv. cit.), jusqu'en Tripolitaine, où ils connurent une
réelle fortune ()
A Sabratha, il y avait un Serapeum et un Tsiaeum : cf. G. PESCE, Il tempio
d'Iside in Sabratha, Monographie di Arch. libica, IV, Roma, 1953 - A Lepcis
Magna, une prêtresse d'Isis est connue : cf. R. BARTOCCINI, Le Terme
di Lepcis Magna, pp. 162-163.).
-------------Comment
expliquer ce succès ? Sans doute parce que les divinités
égyptiennes, qui s'adaptaient facilement aux différents
milieux, se laissèrent confondre avec les divinités africaines
les plus favorisées ; Sarapis avec Baal-Hammon - Saturne, Isis
avec Tanit-Caelestis et Cérès, la déesse des moissons
(Sur le syncrétisme
isiaque, cf. Apulée, Métamorphoses, XI, 5, 2 ss.).
Sans doute aussi faut-il rappeler la séduction extraordinaire de
leur rituel, assez bien connu grâce à un auteur africain,
Apulée de Madaure qui, initié aux mystères isiaques,
a raconté certaines cérémonies, sans en dévoiler
hélas ! les parties secrètes - les plus intéressantes.
Il faut relire les Métamorphoses et imaginer la procession qui
déroulait tous ses fastes à l'occasion par exemple de la
grande fête annuelle du Navigium Isidis. " Un groupe burlesque
de personnages travestis ouvrait le cortège, puis venaient les
femmes en robe blanche, semant des fleurs ; les sto istes, agitant les
ustensiles de toilette de la déesse; les dadophores tenant des
torches allumées ; les hymnodes dont les chants alternés
se mêlaient au son aigu des flûtes traversières et
au tintement des sistres d'airain, puis la foule pressée des initiés
et les prêtres, la tête rasée, vêtus de robe
de lin d'une blancheur éclatante et portant les images des dieux
à figure animale avec des symboles étranges, ou bien une
urne d'or contenant l'eau divine du Nil. On s'arrêtait devant des
reposoirs, où ces objets sacrés étaient offerts à
la vénération des fidèles ". Il est évident
que - comme le note F. Cumont, à qui est empruntée cette
description fondée sur Apulée - " le faste somptueux
et bizarre déployé dans ces fêtes laissait dans la
plèbe avide de spectacles une impression inoubliable " (Apulée,
Métamorphoses, XI, 8ss. Cf. F. CUMI)NT, Rel. Orient., p. 90 et
note 95, p. 243, avec la liste des documents figurés représentant
des processions isiaques.). Mais le succès des cultes égyptiens
en Afrique vient aussi des promesses d'immortalité faites aux fidèles
et des garanties données aux initiés. A sa mort, l'initié
est identifié à Sarapis, l'initiée à Isis.
C'est une assurance de salut dans l'au-delà et même de quasi-divinisation.
Se dépasser soimême, imiter les héros pendant la vie,
devenir après la mort semblables à des dieux, n'était-ce
pas là l'idéal des anciens ? (
On lira sur ce thème, du R.P. FESTUGIERE, L'idéal religieux
des Grecs et l'Evangile. Un livre du même genre sur les Romains
reste à écrire.).
-------------Aux
mêmes préoccupations de l'au-delà se rapporte la célèbre
mosaïque de Lambiridi (fig. 6), qui n'est peut-être pas sans
lien avec les sectes africaines des fidèles de Cérès
et d'Isis (Il faut se reporter
à la description et au savant commentaire de J. CARCOPINO, Sur
les traces de l'hermétisme africain, dans ses Aspects Mystiques
de la Rome païenne, pp. 207-314 et y ajouter les rapprochements séduisants
de G. Ch. PICARD, ouv. cité, pp ?28 ss.). Découverte
pendant la première guerre mondiale dans l'Aurès, à
Lambiridi (11 km au Sud de Batna), elle s'étalait dans une chambre
funéraire devant un sarcophage qui porte en grec la mention de
la défunte et de son époux survivant : " Cornelia Urbanilla
; je repose ici " sauvé" du grand péril, ayant
vécu vingt-huit ans, dix mois, douze jours et neuf heures. Tiberius
Claudius Vitalis à sa compagne". Elle contient - on le voit
- outre une faute de grammaire, une curieuse allusion à un "
grand péril" qui s'explique par l'inspiration hermétique
que M. Carcopino a pu déceler dans la mosaïque elle-même.
-------------L'hermétisme
est une doctrine enseignée par le dieu égyptien Thot que
les Grecs assimilaient à leur Hermès, d'où le nom
d'hermétisme. Dérivée du pythagorisme, enrichie d'emprunts
à plusieurs systèmes
philosophiques (stoïcisme, épicurisme), elle met en
particulière valeur le rôle d'Asklépios (Esculape)
dont le pouvoir guérisseur s'applique non seulement aux corps mais
aux âmes ; elle est elle aussi une doctrine de salut.
Fig. 6 : Mosaïque de Lambiridi
|
------------Or,
que nous montre la mosaïque ? Aux angles, quatre jeunes gens dont
le corps se termine en serpent : quatre démons anguipèdes
qui, en supportant le médaillon central, jouent le rôles
d'Atlantes. On trouve ces génies chaque fois qu'on veut insister
sur le caractère suprême, souverain d'une divinité
maîtresse du monde. Entre eux, quatre tableaux latéraux :
d'un côté des canards, de l'autre des paons autour d'un cratère.
Symbole bien connu, le cratère est le vase qui contient le breuvage
d'immortalité. En haut, un sarcophage qui renferme le corps momifié
d'Urbanilla. En bas, un navire (il en reste peu de chose), symbole du
passage dans l'au-delà. Tout cela est déjà plein
d'allusions à l'outre-tombe. Elles se précisent dans les
deux inscriptions : d'une part Euterpius que l'on peut comprendre de deux
façons, soit en trois mots Eu ter pius comme une acclamation à
la divinité, soit en un mot comme un de ces surnoms mystiques du
type Eusebius, Eutropius que portaient les membres de certaines sectes
; d'autre part on lit en grec : "Je n'étais pas, j'ai été,
je ne suis plus, peu m'importe". L'accent épicurien s'y décèle
aisément, mais aussi avec le mépris du corps, le seul souci
de l'au-delà.
-------------Le
médaillon central est évidemment le plus important. Apparemment
c'est une scène de consultation médicale. En réalité,
c'est beaucoup plus que cela. A gauche, le malade nu (ce qui permet de
reconnaître un homme, chose assez surprenante !), dans un tel état
squelettique qu'il pourrait bien être déjà mort. Quant
au médecin, qui est assis à droite, il est singulier : barbu,
drapé à la grecque dans son himation, sensiblement plus
grand que le patient, il jouit lui d'une santé resplendissante,
que souligne l'abondance de sa poitrine. Il faut remarquer ses gestes
: de la main gauche il lui tient le poignet, tandis que ses deux pieds
établissent eux aussi le contact. A l a lumière des doctrines
hermétiques, cette scène dépasse la simple consultation
médicale. C'est Asklépios, le dieu guérisseur et
sauveur, qui communique son essence divine au défunt. Et dès
lors tout s'explique : Cornelia Urbanilla, parce qu'initiée, a
franchi sans peine le cap dangereux de la mort (le " grand péril
") ; dès lors, d'avoir perdu son corps, d'être réduite
à l'état de squelette, peu lui importe, elle a même
perdu son sexe, ou plutôt elle est maintenant à la fois homme
et femme, puisqu'elle est en quelque sorte divinisée. Par là
son salut dans l'au-delà est assuré, elle peut acclamer
le dieu de l'hermétisme.
-------------Mais
il y a une difficulté. Le R.P. Festugière, spécialiste
de l'hermétisme, affirme qu'il n'y a jamais eu de sectes hermétiques.
La difficulté tombe si, avec M. Picard, on rattache Cornelia Urbanilla
et les hermétistes de Lambiridi à une confrérie démétrio-isiaque
comme il en existait beaucoup en Afrique. Le surnom mystique Euterpius
autorise, semble-t-il, ce rattachement
*************
-------------Avec
Mithra, c'est à un monde différent que l'on touche, le monde
iranien, mais ce sont au fond les mêmes préoccupations que
l'on retrouve. Dérivés du mazdéisme - religion essentiellement
dualiste fondée sur l'opposition du bien et du mal - fruit d'une
élaboration complexe qui s'est peut-être accomplie au sein
d'une Anatolie, elle-même exposée à de multiples influences
extérieures (balkaniques entre autres), les mystères de
Mithra se sont répandus dans tout le monde romain par l'intermédiaire
surtout des marchands et des soldats (Les
études fondamentales sur le culte de Mithra restent celles de F.
CUMONT, Les mystères de Mithra, Bruxelles, 1913 et Textes et Monuments
figurés relatifs aux mystères de Mithra, Bruxelles, 1896-1900.
Cf. aussi Les rel. orient., pp. 125 ss.).
-------------En
Afrique, en tout cas, les Mithraea ne se rencontrent guère que
dans les ports, dans les chefs-lieux administratifs et dans les centres
militaires (Cf. M. RANCILLAC,
L'insuccès du Mithriacisne en Afrique, dans Bull. Soc. Géog.
et Arch. d'Oran, t. 52, fasc. 198 ; 1931, pp. 221-228, confirmé
par J. CARCOPINO, C.R.A.I., 1942, p. 309. A la liste des documents mithriaques
africains établie par M. CUMONT,, il faut ajouter : en Tripolitaine,
une inscripton de Sabratha au [D(eo)] S(ancto) M(ithrae), restituée
avec hésitation par les éditeurs des Inscriptions of Roman
Tripolitania, n' 11 et plus fermement par J. GUEY, Epigraphica Tripolitana
(Rev. Et. Anc., LV, 1953, p. 336 et n. 6) ; peut-être une inscription
d'Oea = Tripoli (Inscr. Rom. Tripol., n° 239 c) - en Afrique proconsulaire,
le fragment d'un groupe de Mithra tauroctone tr)uvé à Carthage
par P. CINTAS (Bull. Arch. Comité,1946-1949, pp. 366-367) - en
Numidie, inscription et Mithraeum à Lambèse (M. LEGLAY C.R.A.I.,
1954) ; peut-être une inscription à Tiddis (A. BERTHIER,
Rev. Afr., 1945, pp. 16 ss.) mais la lecture n'est pas assurée
- en Maurétanie Tingitane, deux inscriptions de Volubilis (L. CHATELAIN,
C.R.A.I., 1919, pp. 442443 = CAGNAT, MERLIN, CHATELAIN, Inscr. Lat. d'Afrique,
numéros 611 et 612).) ; tous les dédicants sont des
esclaves orientaux, des soldats et des sous-officiers. A Lambèse
toutefois ce sont à deux reprises des légats-gouverneurs
dont l'acte confère au culte un caractère officiel.
-------------Les
documents mithriaques qu'abrite le musée Stéphane-Gsell
proviennent de Philippeville et d'Alger, deux villes-ports. Du Mithraeum
de Philippeville (Rusicade) on ne connaît pas l'édifice
lui-même mais seulement les monuments qu'on rencontre habituellement
à l'intérieur (les originaux sont au Musée de Philippeville,
Alger ne possède que des moulages) Cf.
S. GSELL, Musée de Philippeville, pp. 44 ss.). Ils ont été
retrouvés vers 1845 au Nord-Ouest de la ville, au flanc d'une colline
où sans doute était installé le sanctuaire, comme
de coutume soit souterrain, soit demi-souterrain, en souvenir et de la
légende de Mithra et du culte primitif qui se célébrait
dans des grottes sacrées, symboles du monde. Les cérémonies
religieuses étaient secrètes ; il fallait donc être
initié pour y participer. Elles comportaient des actes de valeur
hautement symbolique, dont les plus caractéristiques étaient
les festins sacrés auxquels participaient les mystes allongés
sur des banquettes latérales et dans lesquels on devait trouver
un réconfort, un stimulant moral (C'était
même une sorte de sacrement qui devait assurer aux initiés
l'immortalité. Dans les derniers Mithraea découverts (à
Doura-Europos en Syrie, à Troïa au Portugal, à Fiano-Romano
en Italie, à Santa Prisca à Rome), les images du repas mythique
de Mithra et du Soleil sont fréquentes ; l'importance des agapes
divines dans la théologie mithriaque correspond d'ailleurs à
la place occupée dans la liturgie par le banquet des mystes, qui
en est la reproduction. Saint Justin (Apol I. 66) et Tertullien (De praescr.
haeret..., 40) y ont vu une imitation diabolique de la communion chrétienne.),
les purifications répétées, sous forme d'ablutions,
par lesquelles on obtenait le pardon de ses fautes, enfin le sacrifice
du taureau, à l'image de la scène qui est représentée
sur le relief cultuel, exposé dans une niche au fond du Mithraeum.
C'est la fameuse scène de Mithra tauroctone, l'immolation du taureau
considéré comme le créateur et le rénovateur
du monde ; Mithra a terrassé l'animal, il le tient sous son genou,
lui relève la tête d'une main et de l'autre lui enfonce un
couteau dans le bas du cou. Du sang du taureau doit naître la végétation
(la queue de la victime se termine en général par des épis).
Malheureusement tous ces détails ont été détruits,
comme aussi les autres animaux en général présents
sur les reliefs : le chien qui lèche le sang au bord de la blessure
pour recevoir l'âme de l'animal, le scorpion, génie du mal,
qui s'attaque aux parties génitales pour empoisonner la source
de vie, le serpent, symbole de la terre fertilisée par le sang.
-------------En
revanche, on a retrouvé les statuettes des deux dadophores (porte-flambeaux)
qui flanquaient habituellement de part et d'autre le relief cultuel :ces
jeunes gens coiffés du bonnet phrygien sont les acolytes de Mithra
: Cautès qui tient sa torche levée est l'image du soleil
du printemps, Cautopatès qui tient sa torche abaissée, celle
du soleil affaibli de l'automne. Quant aux animaux qui les accompagnent
par groupes de deux, ils semblent bien symboliser la terre (scorpion),
l'eau (dauphin), le feu (lion) et l'air (oiseau), c'est-à-dire
les quatre éléments qui composent le monde. Une troisième
statuette représente un monstre à corps humain et à
tête de lion ; c'est le Kronos léontocéphale qui symbolise
le Temps infini qui dévore tout. Notons encore un récipient
en marbre à couvercle bombé, percé de trous et gardé
par un serpent ; sorte de ciste sacrée, il devait renfermer les
objets rituels. Et pour finir, un objet de forme cônique, comme
le précédent percé de trous et gardé par un
serpent, mais qui paraît, à cause de sa surface rugueuse
et bosselée, représenter le rocher légendaire d'où
est sorti Mithra.
-------------Par
ses purifications - sortes de baptêmes païens - par ses repas
liturgiques, par toutes ses cérémonies rituelles, la religion
de Mithra apparaît dominée par l'idée de pureté.
Et c'est en effet son trait caractéristique. Cette religion qui
tendait à une pureté parfaite, condition du salut dans l'au-delà,
était une religion d'une haute élévation morale.
-------------On
ne fera pas aux Africains l'injure de penser qu'il y a là une raison
de son insuccès. Et pourtant c'est un fait. Elle n'eut jamais comme
fidèles que les étrangers, militaires de la 3me légion
et du limes, commerçants, petites gens, esclaves des ports, tel
cet Aphrodisius esclave des Cornelii, qui de bon gré a accompli
une dédicace qui fut trouvée à Alger même (antique
Icosium) lorsqu'en 1861 on creusa, rue du Vieux-Palais, les fondations
des bâtiments de la vieille Mairie (
C.I.L. VIII, 9256.).
****************
-------------Aves
les fresques de Castellum Dimmidi, c'est la religion syrienne et
plus précisément palmyrénienne qui se trouve transportée
en Afrique. Castellum Dimmidi (Messad) est un des points avancés
du limes de Numidie, installé au Sud
de Djelfa et au Nord-Est de Laghouat, en 198 après J.-C. sous Septime
Sévère. Cette position fortifiée fut occupée
d'abord par des détachements de la 3'"e légion Auguste
envoyés de Lambèse. En 225, sous Sévère Alexandre,
elle vit son organisation bouleversée et sa garde confiée
à des
Fig. 7 : Fresque de Castellum Dimmidi
soldats amenés du fin fond oriental de la Syrie, du territoire
de Palmyre, dont les archers montés étaient spécialisés
dans la protection des vastes espaces désertiques. Le numerus Palmyrenorum
devait rester à Dimmidi jusqu'en 238... peu de temps en somme,
assez cependant pour y introduire leurs dieux et leur consacrer dans leurs
casernements une chapelle qui a été fouillée en 1939-1941
par M. Gilbert Picard, alors membre de l'Ecole Française de Rome
( G. Ch. PICARD, Castellumn Diinpcidi,
Alger, 1947, è qui est emprunté l'essentiel de la description
des fresques).
-------------Les
murs de ce sanctuaire avaient été revêtus de plaques
de plâtre décorées de fresques ; et le sable du désert
en a fort heureusement conservé des fragments qui, recueillis avec
soin, sont maintenant exposés au Musée
Gsell. L'intérêt de ces documents, à qui leur rareté
en Afrique du Nord et leur exotisme confèrent déjà
du prix, est d'autant plus grand qu'ils apparaissent comme un écho
des découvertes sensationnelles effectuées entre 1922 et
1936 à Doura-Europos sur l'Euphrate, à 225 km à l'Est
de Palmyre ( Ces fouilles
ont été conduites par une mission franco-américaine
composée de savants de l'Université de Yale, sous la direction
de M. ROSTOVTZEFF et de représentants de l'Académie des
Inscriptions et BellesLettres de Paris. Les résultats ont été
publiés d'abord par F. CUMONT, Fouilles de Doura-Europos (1922-1923),
Paris, 1926, puis en collaboration dans une collection intitulée
The excavations at Dura-Europos, Preliminary Report, 9 vols parus ; Final
Reports, 6 vols parus.). Le désert de Syrie, plus généreux
que le Sahara, a livré des panneaux entiers décorés
de peintures, dont les motifs permettent de reconstituer et d'interpréter
au moins deux scènes des fresques de Dimmidi. On voit d'une part
(fig. 7) une victoire planant, tenant à gauche une palme et à
droite probablement une couronne, qu'elle s'apprête à déposer
sur la tête d'un personnage, d'autre part (fig. 8)
Fig. 8: Fresque de Castellum Dimmidi
|
deux hommes debout autour d'un autel. Leurs traits, leurs
costumes (pantalons, tuniques, chlamydes, bottes recourbées), leur
attitude même, la forme de l'autel, rien de tout cela n'est romain,
tout au contraire oriente vers Palmyre et Doura. Et l'on reconnaît
alors dans le personnage qui, debout devant la petite Victoire, tient
une lance et un bouclier, le dieu palmyrénien Malagbel. Quant à
l'autre groupe, il figure une scène de sacrifice qui rappelle de
près le sacrifice du tribun Terentius de Doura : au centre l'autel
rond à encens (le thymiaterion) sur lequel déposent leurs
grains d'encens d'un côté un prêtre vêtu d'une
longue tunique talaire de soie et portant aux pieds les chaussons de lin
rituels des officiants syriens soucieux de préserver une pureté
que souillerait l'emploi de produits animaux et d'autre part un officier
qui doit être un centurion.
-------------Malgré
leur état fragmentaire, ces fresques sont - on le voit - infiniment
précieuses. D'abord parce que - je le rappelais tout à l'heure
- ce genre de document n'est pas monnaie courante en Afrique qui, bien
qu'ayant la réputation d'être un pays sec, a tout de même
un climat trop humide pour pouvoir conserver de fragiles peintures sur
plâtre... sauf précisément dans les zones désertiques,
à Dimmidi et à Gemellae par exemple, où le colonel
J. Baradez en a recueilli de fort beaux fragments. Ensuite parce que dans
l'histoire de l'art africain, elles occupent une sorte de position-clé.
On a maintes fois relevé dans les manifestations artistiques de
l'Afrique du III`- siècle des influences orientales, ou plus exactement
des " tendances orientalisantes ". Leur origine restait assez
diffuse. Avec les fresques de Dimmidi qui n'étaient sans doute
pas isolées en Afrique et qui représentent un apport direct
de l'Orient, on comprend mieux comment s'est faite l'orientalisation de
l'art dans ces provinces du monde romain. Enfin, au point de vue religieux,
elles montrent le fidèle attachement des soldats du numerus Palmyrenorum
à leurs dieux nationaux, attachement entretenu, il est vrai, par
des " aumôniers " de garnison qui, semble-t-il, accompagnaient
les troupes et dont notre prêtre en tunique blanche pourrait être
un exemple.
-------------De
la triade divine vénérée à Palmyre, qui rassemble
Bel-Aglibol-Iarhibol, seul larhibol, le dieu solaire paraît avoir
été importé en Afrique ; deux ex-voto lui sont dédiés
à Dimmidi, tandis qu'à Lambèse on le voit bénéficier
d'un culte organisé et d'un sacerdoce annuel (Cf.
J. CARCOPINO, Bull. Arch. Comité, 1920, pp. LXXXVIII ss.).
Bien qu'il n'appartienne pas à leur grande triade, c'est Malagbel
(envoyé de Bel?) qui paraît avoir été le dieu
favori des palmyréniens émigrés en Occident. Trois
dédicaces lui sont adressées à Dimmidi ; il est présent
à Lambèse (
C.I.L., VIII, 2634, Bull. Arch. Comité, 1920, pp. LXXXVIII-IX.)
et surtout à El-Kantara (Calceus Herculis), )ù se trouvait,
depuis les Antonins, le Quartier Général du numerus (Voir
en dernier lieu sur la date d'arrivée en Afrique des soldats palmyréniens,
la nouvelle lecture d'un texte d'El-Kantara et son interprétation
par L. LESCHI dans Libyca II, 1 sem. 1954, pp. 178 ss. Sur Malagbel à
El-Kantara : C.R.A.I. VIII, 2497 ; Rev. Aj icaine, 1931, 204 ss, n^e 8
et 9. Il y avait aussi à El
Kantara un numerus Hemesenorum qui vénérait le Deus Sol
Invictus ( Rev. Afr., 1931, pp. 197 ss., n0' 2 et 3). (60) C.I.L., 8795
- 18020 et G. Ch. PICARD, Castellum Dimmidi, pp. 186-187.). Une
inscription de Di~mmiidi (fig. 9) est au Musée S.-Gsell (60). On
peut lire, en complétant les abréviations : Deo Num(ini)
Malag(belo), pro salute d(omini) n(ostri) Imp(eratoris) Caes(aris) M(arci)
Aurel(ii) Severi Alexandri invicti pü fel(icis) aug(usti), divi m[agni
Antonini fili... Il s'agit_ donc d'une dédicace au dieu Malagbel
adressée par des soldats du n(umerus) p(almyrenorum), dont les
noms sont gravés sur les côtés du monument votif,
et datée du règne de l'empereur Caracalla (211-217) pour
le salut duquel elle a été offerte.
-------------La
faveur particulière de Malagbel auprès des soldats palmyréniens
éloignés de leur patrie s'explique sans doute par les caractéristiques
et par la nature même du dieu. Jeune, d'aspect belliqueux, personnification
du Soleil Invaincu qui, bien que subordonné au dieu suprême
Bel, maître de l'Univers et de l'Eternité, occupa dans les
doctrines orientales une place de plus en plus importante au II' et III'
s., messager de Bel, donc intermédiaire désigné entre
celui-ci et les hommes, il devenait tout naturellement le " patron
préféré des cavaliers de Palmyre et le protecteur
de leurs armes " (Ouv.
cité, p. 165.). Et ceux-ci arrivèrent même
à gagner à leur foi des indigènes - plusieurs inscriptions
le prouvent. Du moins leur prosélytisme semble-t-il s'être
limité en Afrique aux éléments militaires.
****************
-------------Quels
qu'aient été leur succès et leur aire d'expansion
dans les provinces romaines d'Afrique, qu'avec les dieux de l'Egypte ou
de l'Asie on assiste à une pénétration profonde ou
qu'avec Mithra et
Fig. 9 : Inscription de Dimmidi
les dieux de Palmyre, on ne dépasse guère les centres militaires,
au total l'introduction des cultes orientaux a eu des conséquences
importantes sur l'évolution religieuse du pays. -------------Chaque
fois qu'un monument ou une inscription livre une date, c'est à
la seconde moitié du II' s. et au III' s. de notre ère qu'on
se trouve reporté. Il devient dès lors très tentant
d'admettre avec M. Carcopino (En
conclusion d'un article intitulé Le limes de Numidie et sa garde
syrienne, dans Syria, VI, 1925, pp. 147-149.) que dans un pays
où toutes les marques de la civilisation punique n'avaient pas
disparu - n'oublions pas que Carthage a dominé l'Afrique pendant
plus de six siècles et que sa civilisation lui a survécu
- les cultes orientaux ont agi comme un " levain " et contribué
à la forte réaction punique que connut l'Afrique au III
siècle. Si l'âme berbère fut - aux époques
pré-islamiques du moins - particulièrement capable d'adaptation
(Cf. les remarques d'E.F.
GAUTIER et plus récemment de J. CARCOPINO, L'aptitude des Berbères
à la civilisation d'après l'histoire ancienne de l'Afrique
du Nord, Reale Accademia d'Italia, Atti dell'VII Convegno A. Volta, 1938,
parus en 1940.), si l'on peut à son propos parler à
juste titre de " plasticité ", il s'agit d'une plasticité
qui garde toujours quelques traces de ses sincérités successives,
d'une plasticité somme toute non seulement réceptive mais
assez conservatrice. On comprend alors que le III' s. ait été
en Afrique la grande époque du culte de Saturne et de Caelestis,
échos romanisés de Baal-Hammon punique et de sa parèdre
Tanit.
-------------Il
y a plus. On a remarqué que toutes les religions orientales qui
se sont répandues dans le monde romain contenaient des doctrines
de salut et des liturgies à mystères. Qu'une fois associées
à la religion africaine, elles aient dans ces conditions contribué
à la faire évoluer vers un mysticisme de plus en plus marqué,
organisé en collèges et professant une doctrine de salut,
cela ne paraît pas douteux (Et
a été souligné par G. Ch. PICARD, ouv. cité,
en part. pp. 220 ss.). Encore faudrait-il bien préciser
d'abord que la principale raison de leurs succès fut leur étroite
corrélation avec les tendances profondes de la vieille religion
africaine qui, bien avant l'introduction des doctrines orientales, s'efforçait
comme elles de répondre aux préoccupations spirituelles
de Fau-delà par une garantie conditionnelle de salut et comme elles
aussi tâchait de satisfaire les soucis matériels d'ici-bas
par des promesses de fertilité des champs et de fécondité
des familles et des troupeaux.
-------------Négligeant
cette plasticité " conservatrice " des berbères
et la permanence des traditions agraires et mystiques du paganisme africain,
le christianisme, dont les religions orientales ont dans une certaine
mesure préparé le triomphe, a voulu ne s'occuper que de
la " cité de Dieu ". N'y a-t-il pas là une des
raisons profondes de ses déviations - nulle part aussi abondantes
qu'en Afrique -, de son déclin et finalement de son abandon, malgré
quelques survivances locales, si total et si rapide ?
Marcel LEGLAY,
Aucien membre de l'Ecole française de Rome. Directeur-adjoint des
Antiquités de l'Algérie,
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