-----------------On
sait que le mot Algérie, qui sert à désigner le pays
de ce nom, est une appellation géographique qui par décision
du Ministre de la Guerre en date du 14 octobre 1839 a remplacé
l'expression peu précise de " Possessions Françaises
dans le Nord de l'Afrique ", qui elle-même avait été
substituée après la conquête d'Alger à "
Régence ou Royaume d'Alger ", appellation n'ayant plus
sa raison d'être après la disparition du gouvernement du
dey.
-----------------Cependant
le mot Algérie se trouvait déjà
dans l'oeuvre de Fontenelle (Entretiens sur la pluralité
des mondes. 1686) de même que le mot algérien
(Eloges des académiciens, 1708), où M. Maurice
Da Costa les a découverts récemment (voir Afrique, février-mars
1954). Si Fontenelle, ou un autre avant lui, a forgé le mot Algérie
suivant un système de dérivation familier à la langue
française, en prenant comme base Alger, il fallait le retentissement
de la conquête pour le lancer dans la circulation des idées
et lui donner une audience universelle.
-----------------Avant
que ce terme ait pris place dans la nomenclature géographique d'une
manière exclusive et définitive, le pays qu'il désigne
a, dans le passé, porté des appellations diverses dont l'étude
n'est pas sans présenter un intérêt géographique,
historique et linguistique évident.
******
-----------------L'Algérie
fait partie d'une contrée appelée de nos jours Afrique du
Nord et qui, dans le passé, en a porté beaucoup. Dans les
Siècles obscurs du Maghreb, E.F. Gautier dit que l'Afrique du Nord
est un pays sans nom. C'est une boutade. Il serait plus exact de dire
qu'elle en a eu trop, d'où une confusion qui déroute parfois
l'historien ou le géographe.
-----------------L'instabilité
politique du pays et l'humeur turbulente de ses habitants, au cours des
siècles passés, ne lui ont permis que tardivement d'en fixer
quelques-uns qui ont aujourd'hui une assez large audience. Citons notamment
Afrique du Nord (par opposition sans doute à Afrique du Sud) qui
a été adopté par tous les géographes français
et quelques historiens et Berbérie adopté par les historiens
et les ethnographes. La Berbérie est, évidemment, le pays
des Berbères, ethnique désignant les habitants indigènes
; nous verrons plus loin l'origine de ce mot.
-----------------Parmi
les autres noms qui ont servi à désigner l'Afrique du Nord
et qui n'ont plus cours, le plus anciennement connu est certainement Libye
ou Libya,employé par les auteurs grecs (Homère, Hésiode,
Hérodote et les géographes jusqu'à Strabon) pour
désigner l'Afrique du Nord et même le continent ou "
tierce partie du monde " distinct de l'Europe et de l'Asie.
-----------------La
Libye était à l'origine le pays des Lebous, peuplades qui
habitaient les côtes africaines entre 1'Egypte et Cyrène,
que fréquentaient les premiers navigateurs grecs. Les Lebous sont
également cités dans la Genèse sous le nom de Loubim,
qui est un pluriel, et par les textes égyptiens. D'après
Carette (Origine et migrations des principales tribus de l'Algérie,
p. 260-261) et Tissot (Géographie de la Province Romaine d'Afrique,
I, p. 388), les Lebous qui donnèrent ainsi leur nom au continent
africain sont les Louata, la grande tribu berbère originaire de
Tripolitaine et de Cyrénaïque citée par Procope et
Corripus (VI" siècle de notre ère), puis par Ibn Khaldoun
(XIV" siècle) dans son Histoire des Berbères I, p.
171 et passim, qui nous dit que les Loua formaient deux grandes familles
ethniques les Nefzaoua et les Louata, lesquels se partageaient en grand
nombre de branches. Ces tribus après avoir joué un grand
rôle au cours des siècles obscurs du Maghreb, sont rentrées
dans l'ombre avec l'avènement des Turcs, mais le nom des Louata
en tant que fractions subsiste encore en Tripolitaine, en Tunisie et en
Algérie.
*****
-----------------Cependant
le nom de Libye après s'être appliqué au continent,
se restreignait à l'Afrique du Nord, puis ne désignait plus,
à l'arrivée des Arabes, qu'une partie de la Cyrénaïque
et de la Tripolitaine ; il avait été supplanté par
le vocable Africa. Voici dans quelles conditions.
-----------------Au
cours des guerres puniques. les Romains eurent l'occasion de constater
que le territoire de Carthage s'appelait d'un terme, soit indigène
soit punique, qu'ils transcrivirent Africa et qui est parvenu jusqu'à
nous sous cette forme sans aucune altération. D'après Gsell
ce vocable désignait l'habitat des Afri, tribu berbère distincte
des Numides qui occupaient les royaumes de Massinissa et autres chefs
indigènes. D'autres historiens donnent une origine sémitique
à ce vocable. Ce qui est certain c'est que le territoire de Carthage,
qui s'étendait entre la Méditerranée et une diagonale
partant de Tabarca pour aboutir à Sfax, fut annexé à
Rome sous le nom d'Africa ; ceci démontre que le nom d'Africa qui
lui fut donné officiellement correspondait à une réalité
géographique dans l'esprit des Romains. Notons que Polybe, historien
lucide des guerres puniques, emploie uniquement le vocable Africa pour
désigner l'Afrique du Nord.
-----------------Par
un phénomène d'extension onomastique dont on a d'autres
exemples, ce nom qui répondait, à l'origine, à un
territoire modeste par ses dimensions, supplanta celui de Libye inventé
par les Grecs et s'appliqua assez vite au continent tout entier, probablement
peu de temps après la chute de Carthage. Dans le Bellum Iugurthicum,
Salluste nous dit que " dans la division
du globe terrestre, la plupart des auteurs regardent l'Afrique comme troisième
partie du monde, quelques-uns n'en comptent que deux, l'Asie et l'Europe,
et comprennent l'Afrique dans cette dernière ".
Pour P. Mela, qui écrivit vers 60 après J.-C., l'Africa
est bien un continent comme l'Europe et l'Asie auxquelles il la compare,
mais il désigne aussi sous ce nom la province romaine d'Afrique.
-----------------Bien
avant cette emprise géographique du vocable, les Romains distinguaient,
très probablement à la suite des Carthaginois, outre l'Africa,
la Numidie qui lui était limitrophe à l'Ouest et la Maurétanie
qui faisait suite à la Numidie, l'une étant habitée
par les Numides et l'autre par les Maures. Justin, abréviateur
de Trogue-Pompée, nous dit (XIX, 2, 4) que Carthage eut à
combattre sous les Magonides, au VI", siècle avant J.-C.,
des Maures et des Numides, deux peuples différents dont on ne nous
précise pas l'habitat. Mais leur localisation dans l'espace est
plus évidente dans Polybe, qui nous dit que Cirta était
la capitale de la Numidie et les Maurétaniens un peuple habitant
les côtes atlantiques.
-----------------Après
la destruction de Carthage, Scipion fit creuser un fossé frontière
appelé Tossa regia parce qu'il était contigu aux royaumes
indigènes, et dont le tracé affectait une ligne brisée,
en diagonale, partant de la Tusca (Oued El-Kébir près de
Tabarca) et aboutissant à Thenae (près de Sfax). Au delà
de ce fossé jusqu'au Muluchat flumen (Moulouia) s'étendait
la Numidie où régnaient les descendants de Massinissa, avec
Cirta pour capitale. La Maurétanie, pays sous la domination du
roi Bocchus, était comprise entre le Muluchat et l'Atlantique.
-----------------Quant
à la région méridionale en bordure du Sahara, c'était
le domaine des Gétules nomades et pillards, dont Saluste a été
le premier à nous informer.
-----------------Ainsi
environ un siècle et demi avant notre ère, la personnalité
géographique des territoires comprenant l'Algérie actuelle
était déjà distincte sous les noms de Numidie, de
Maurétanie et de Gétulie. Mais les frontières de
ces trois contrées étaient fort imprécises, sauf
à l'Est où le fossé de Scipion, comme nous l'avons
vu, délimitait le domaine de Rome.
*********
-----------------A
partir de Jules César, Rome va modifier et préciser les
limites de l'Africa, de la Numidie et de la Maurétanie sans changer
les appellations en cause qui survivent aux guerres entreprises par les
Romains pour consolider leur conquête.
-----------------Après
sa victoire de Thapsus (46 avant J.-C.) sur les Pompéiens et Juba
I, leur allié, Jules César, réorganisa et agrandit
les possessions romaines d'Afrique. Le royaume de Juba qui englobait la
Numidie au delà du fossé de Scipion fut supprimé
et constitua l'Africa Nova, tandis que l'ancienne province en deçà
du fossé prit le nom d'Africa Vetus. Sittius, aventurier au service
de César, recevait pour prix de ses services les quatre colonies
cirtéennes de Cirta, Rusicade, Chullu et Milev qui formèrent
une enclave territoriale dotée d'une sorte d'autonomie interne.
-----------------Bocchus
le Jeune qui régnait sur la Maurétanie put étendre
ses Etats, probablement jusqu'à l'Ampsaga (Oued El-Kebir).
-----------------Vingt
ans plus tard, l'Africa Nova était réunie à l'Africa
Vetus pour former la Proconsulaire (Provincia Proconsularis), qui eut
pour limite, autant qu'on puisse la suivre exactement sur le terrain,
une ligne partant de la mer au Nord-Ouest d'Hippo Regius et contournant
à l'Ouest les villes de Calama, Thubursicum Numidarum, Thagura,
Thagaste, Madauros et Theveste qui se trouvaient en Proconsulaire, de
même que les villes de la région syrtique.
-----------------La
Numidie disparut en tant qu'entité politique et forma une marche
militaire commandée par un légat de l'empereur ayant sous
ses ordres la IIIè Légion Auguste en garnison à Lambèse.
Cette province était limitée à l'Orient par la Proconsulaire
suivant le tracé susvisé, tandis que sa frontière
occidentale contiguë à la Maurétanie partait de l'embouchure
de l'Ampsaga, longeait ce flumen, contournait Cuicul à l'Ouest
et Sitifis à l'Est, passait par Zaraï et continuait vers les
confins sahariens.
-----------------Auguste
attribua toute la Maurétanie à Juba I, qui établit
sa capitale à Iol-Césarée (Cherchell) ; mais en 42,
après l'assassinat de Ptolémée, fils de Juba, la
Maurétanie fut annexée à Rome. Cette vaste contrée
forma deux provinces nouvelles séparées par la Moulouia
: la Maurétanie Césarienne ayant Iol-Césarée
pour capitale et la Maurétanie Tingitane avec Tingis pour capitale.
Ces deux provinces furent gouvernées par des procurateurs de rang
équestre dépendant de l'empereur.
-----------------Sous
le Bas-Empire, à la suite d'une réorganisation administrative
décidée par Dioclétien, la Maurétanie Césarienne
fut divisée en deux provinces : la Maurétanie Césarienne
proprement dite ayant toujours Iol-Césarée pour capitale
et la Maurétanie Sitifienne, à l'Ouest, ayant pour chef-lieu
Sitifis (Sétif). Ces deux provinces furent rattachées au
diocèse qui dépendait de la préfecture d'Italie,
tandis que la Maurétanie Tingitane (Maroc) fut rattachée
au diocèse d'Espagne.
-----------------Jusque
là, dans les derniers temps de la domination romaine, les provinces
d'Afrique eurent comme limite méridionale, en bordure du Sahara,
une ligne fortifiée allant des confins du Maroc, appelée
limes. Le limes ou Fossatum Africae était destiné à
protéger les zones de colonisation des Hauts-Plateaux et du Tell
contre les incursions des pillards.
-----------------Cette
ligne de défense établie en profondeur était constituée
par trois éléments essentiels que les explorations aériennes
du colonel Baradez ont mis en évidence : un fossé à
peu près continu épousant les particularités du terrain,
flanqué d'ouvrages militaires variés allant de la tour de
guet jusqu'au camp retranché, et un réseau routier d'ordre
stratégique et économique. Ce complexe vivant comprenait
aussi une zone de mise en valeur agricole dont les vestiges : points d'eau
aménagés, cultures en terrasses, etc., apparaissent nettement
sur les photographies aériennes et font contraste avec l'aspect
désolé de ces mêmes régions depuis l'invasion
arabe.
-----------------Le
limes africain avait donc un triple but : protéger les campagnes
et les cités septentrionales contre les déprédations
des nomades et montagnards rebelles ; sédentariser les éléments
ethniques de bonne volonté et faire vivre les défenseurs
du limes sur leurs propres fonds.
*********
------------------En
s'établissant à Carthage, en 439 de notre ère, après
une longue randonnée à travers la Maurétanie et la
Numidie soulevées sous leurs pas, les Vandales ébranlèrent
les fondements de la puissance romaine déjà minée
par les révoltes indigènes et les excès du donatisme.
A la suite d'un traité avec Théodose II et confirmé
par Valentinien III, Genséric, roi des Vandales, prit possession
de la Proconsulaire et de la Numidie, à l'exclusion des Maurétanies.
-----------------Mais
la domination romaine sur les Maurétan ies ne fut plus que nominale
et les tribus indigènes reprirent leur vie indépendante.
Le limes plia partout sous la pression des tribus chamelières qui
étaient devenues puissantes.
En 534, l'empereur Justinien, après la conquête de l'Afrique
vandale, procéda à sa réorganisation. Le diocèse
d'Afrique eut pour chef-lieu Carthage,. siège du gouvernement civil
et militaire, et comprit trois provinces consulaires : la Numidie (Est
du Constantinois), la Maurétanie Première ou Sitifien ne,
la Maurétanie seconde ou Césarienne (Algérie Centrale)
et la Sardaigne.
-----------------En
réalité, ces divisions administratives étaient théoriques
et une grande partie de l'Afrique échappait à l'autorité
de Byzance comme le prouve le tracé du limes byzantin. Celui-ci
suivait l'ancien tracé romain au Sud de la Byzocène et de
la Numidie, puis il contournait la lisière méridionale de
l'Aurès et de Tolga, atteignait le chott Ei-Hodna d'où il
bifurquait vers le Nord en direction de Bougie.
Ainsi fut abandonnée, sous la pression des tribus montagnardes
et des tribus chamelières, la plus grande partie des Maurétanies,
où seulement quelques points de la côte maritime ont gardé
trace de l'occupation byzantine.
***********
----------------Avec
l'arrivée des Arabes en Afrique du Nord et leur établissement
définitif vers 700 de notre ère, les notions des provinces
géographiques et administratives que les Romains avaient implantées
disparaissent assez rapidement, à l'exception d'Ifrîqiya,
transcription arabe du nom d'Africa, que les nouveaux conquérants
conservèrent pour désigner le territoire dépendant
de Kairouan. Officiellement celui-ci portait le nom de Amallat al-Qaïrouan
et correspondait à peu près à la Tunisie et au Constantinois
réunis.
|
|
-----------------Les
noms de Numidia et de Mauretania que l'on voit apparaître sur les
cartes anciennes ne sont plus que des traditions érudites et sont
inconnues des nouveaux maîtres, qui sont en général
des nomades complètement étrangers aux notions de territorialité
politique. Pour eux, le critérium est le domaine mouvant des terres
de parcours de la tribu.
-----------------L'Afrique
du Nord est d'une manière générale désignée
par les Arabes sous le vocable vague et imprécis d'El-Maghrib "
le pays qui est situé à l'Occident " de Damas ou de Bagdad,
siège du califat. De Kairouan, les émirs qui gouvernent au
nom du calife lancent leurs raids conquérants ou punitifs à
travers le Maghrib dont ils distinguent les régions suivant leur
éloignement de la nouvelle capitale. On connaît ainsi le Maghrib
el-Aousit " Occident central " correspondant à peu
près à l'Algérie actuelle. moins le Constantinois,
et le Maghrib el-Aqça correspondant au Maroc. La partie méridionale
désertique du Maghrib reçoit le nom adéquat de Sahara.
On distinguera par la suite le Sahel ou zone du littoral maritime et le
Tell, zone cultivable par rapport au Sahara, zone stérile.
-----------------En
pénétrant en Ifriqiya les Arabes y rencontrèrent, d'après
les historiens de la conquête, des habitants qu'ils désignent
suivant leur origine ethnique : des Roum, c'est-à-dire des
Romains (Byzantins), des Afariq ou Africains latinisés, et
des Berbères, c'est-à-dire des tribus indigènes
non romanisées que les Byzantins à la suite des Romains appelaient
Bar bari " Barbares ". Ce vocable devint sous la plume des auteurs
arabes qui n'en comprenaient pas le sens, Berbri, pluriel Beraber.
Il a reçu depuis audience universelle et a fait naître récemment
" Berbérie " dont nous avons parlé plus haut.
-----------------On
sait que les Arabes ne surent pas organiser politiquement leur conquête
dont l'unité factice, sous l'égide de l'émir de Kairouan,
s'effrita bientôt sous la poussée des tribus entraînées
par des chefs religieux hérétiques et dissidents.
-----------------Mais
les royaumes qui surgissent dans le Maghreb central, du IXè au XIIIè
siècle sont des Etats éphémères aux limites
imprécises et mouvantes royaumes de Sidjilmassa, de Tiaret, des Kotama,
d'El-Achir, d'El-Qalaa, de Bougie, de Tlemcen ont un hinterland provisoire
et revisable selon la puissance militaire ou l'influence mystique du personnage
qui en est le chef. Par ailleurs, le territoire de la tribu, son terrain
de parcours plus ou moins défini, c'est l'entité géographique
qui prédomine un peu partout et quand la tribu quitte en grande majorité
son territoire, comme ce fut le cas des Kotama au Xè siècle,
le nom sombre dans l'oubli le plus profond. Seuls sont une réalité
à peu près permanente, les noms des villes qui persistent
dans le même site.
-----------------Retenons
dans l'enchevêtrement confus des ethniques et des noms de lieux, une
appellation géographique qui aura une fortune singulière.
Elle apparaît pour la première fois chez un auteur arabe du
IXè siècle, Ibn Hawqal qui visita la cité qui en était
l'objet vers la fin dudit siècle. C'est El-Djezaïr, plus
exactement Djezair Beni Mezghanna "
les îles de la tribu des Mezghanna ". Elle venait
d'être fondée sur l'emplacement d'une ville punico-romaine
(Icosium) par le fils de Bologguîn ben Ziri, prince kabyle qui régnait
à Kairouan (974 à 984). Un auteur andalou du XIè siècle,
El-Bekri, nous dit que son port était "
très fréquenté par les marins de l'Ifrigiya, de l'Espagne
et des autres pays c'est-à-dire des nations chrétiennes.
-----------------On
sait comment la vocation maritime d'El-Djezaïr s'orienta nettement
vers la piraterie, avec la venue des réfugiés musulmans d'Espagne
et surtout la prise de possession de la ville par les corsaires turcs qui
la mirent, à partir de 1516, sous la dépendance politique
de Constantinople.
**********
-----------------Sous
la domination turque, le pays algérien prit le nom de " Régence
d'Alger ", en arabe Oualiyat el-Djezaïr,
et quand le pouvoir des deys se fût affermi de " Royaume
d'Alger ", en arabe Mamelakat el-Djezaïr.
-----------------Mais
pour les Chrétiens, d'une manière générale,
Alger était située en Barbarie, mot venu du latin de basse
époque désignant les pays africains, sans doute depuis le
Moyen Age. On distinguait les Echelles du Levant et les Echelles de Barbarie.
Le roi Charles IX établit un consul de la nation française
à Alger en 1564 ; mais trois ans auparavant des négociants
marseillais s'étaient installés sur le. côtes algériennes,
dans la région de La Calle, et y avaient fondé le Bastion
de France, en Barbarie.
-----------------Barbarie
donna naissance à son tour au vocable barbaresque, à
la fois nom et adjectif. En 1585, se constitua la Ligue des ports de
Provence contre les Barbaresques ; quant aux corsaires barbaresques
l'expression eut cours en France jusqu'à la fin de la course en
mer, entre 1820 et 1830. Barbarie eut aussi la vie dure pour désigner
les Etats d'Alger, de Tunis et de Tripoli, où l'on était
" esclave en Barbarie ".
Le Père Dan intitula son ouvrage : Histoire de la Barbarie
et de ses corsaires (1637, 2è éd. 1649), qui décrit
les Régences d'Alger et de Tunis sous les Turcs.
-----------------En
même temps qu'ils faisaient d'Alger la capitale politique et militaire
du pays algérien, les Turcs donnèrent à celui-ci
une organisation qui engloba peu à peu, tant bien que mal, plutôt
mal que bien, les futurs départements français d'Alger,
de Constantine et d'Oran. Cette organisation s'appuyait, d'après
L. Rinn, sur quatre territoires politiques et administratifs
-----------------1°
Dar Es-Soltâne ou domaine de la couronne sous la dépendance
directe du dey d'Alger et comprenant les villes d'Alger, Blida, Koléa.
Cherchell et Dellys et des districts et cantons appelés El-Watan,
sous les ordres de caïds turcs ;
-----------------2°
Beylik el-Titteri (beylik signifie " territoire gouverné par
un bey ") chef-lieu Médéa, comprenant un certain nombre
de districts et de tribus ;
-----------------3°
Beylik Ouarane, chef-lieu Oran, comprenant des groupes de tribus sous
le commandement de trois chefs : l'agha des Douaïr, l'agha des Zméla
et le khalifa Ech-Chenoy ;
-----------------4°
Beylik Qsantina, chef-lieu Constantine comprenant surtout des territoires
autour de cette ville, le reste de la province étant sous la dépendance
de puissants chefs arabes ou berbères.
-----------------Ces
provinces étaient habitées par des tribus, fractions et
groupes ethniques parmi lesquels on distinguait les rayat ou sujets et
les ahl et-makh zen ou gens du gouvernement " guerriers, apanagistes
ou fermiers " et d'autre part, les alliés et vassaux des Turcs
et les indépendants dont les territoires constitués en fiefs
plus ou moins héréditaires échappaient au contrôle
des Turcs.
-----------------En
même temps qu'ils poursuivaient leur effort d'organisation et d'emprise
fiscale, les Turcs essayaient de fixer les limites de leurs possessions
territoriales à l'Est et à l'Ouest tout comme un paysan
anatolien se précautionne contre les empiètements du voisin.
-----------------Du
côté du Maroc, ce n'était pas chose facile car ce
pays était habité par des populations guerrières
et agressives, notamment dans les parages de la Mo ulouya d'où
partaient les incursions en territoire algérien. Au cours du XVIIè
siècle les sultans alaouides repoussèrent les Turcs jusqu'à
la Tafna. Ceuxci, par la suite, reprirent une partie du terrain per du,
et la frontière devint à peu près celle que franchit
Abdelkader pour se réfugier en territoire marocain après
la prise de sa smala en 1843. Des incidents graves surgirent alors qui
mirent au premier plan la question de la frontière algéro-maro-caine.
C'est pourquoi la bataille d'Isly fut suivie du traité de Tanger
(1844) dont l'art. 5 énonçait que " la
délimitation des frontières entre l'Algérie et le
Maroc ferait l'objet d'une convention spéciale négociée
et conclue sur les lieux ".
-----------------La
dite convention spéciale, signée à Lalla-Marnia le
18 mars 1845, détermina le tracé de la frontière
là où il était possible et nécessaire de le
faire.
-----------------La
frontière partait de la mer, à l'embouchure de l'Oued Adjeroud
(Oued Kis) dont elle suivait le cours jusqu'à Ras El Aïoun
et de là se dirigeait en suivant la crête des montagnes ou
longeant les plaines jusqu'au col de Téniet El-Sassi. Dans la région
comprise entre ce col et l'oasis de Figuig, la convention n'établit
aucune limite territoriale, mais répartit les tribus et les ksours
entre le Maroc et la France. Quant à la région saharienne
située au Sud des Ksours, toute délimitation y apparaît
superflue- dit le traité, vu que c'est le désert "
inhabitable et sans eau ".
-----------------Depuis
ce traité, les choses sont restées à peu près
en l'état dans le Sud Oranais, bien que la question d'un tracé
définitif ait été examinée à plu sieurs
reprises, et encore en février 1950, par les représentants
de l'Algérie et du Maroc.
-----------------Du
côté de Tunis, il fut moins difficile d'arriver à
un accord, car on était entre Turcs d'origine ou " de profession
". Mais si les Turcs d'Alger et ceux de Tunis étaient parents
leurs bourses ne l'étaient pas. Il fallut décider jusqu'à
quelle tribu ou fraction de tribu la fiscalité respective pouvait
s'exercer.
-----------------On
en discute donc, et c'est le traité algéro-tunisien de 1614
qui délimite une frontière commune depuis le cap Roux jusqu'à
l'oued Sarrath, dans le pays des Fréchiches. Un nouveau traité
passé en 1628 confirme les limites fixées trois lustres
aupara vant, mais ne dépasse pas le territoire des Fréchiches.
La région des steppes entre Thala, Tébessa et Tozeur est
une sorte de no man's land, où les tribus échappent à
l'impôt de part et d'autre. Le souverain de Tunis, Hammouda bey
(1786-1814). profite d'une certaine carence d'Alger pour porter son autorité
plus à l'Ouest, malgré le traité de 1628 bien oublié
depuis deux siècles. Rentre ainsi en territoire tunisien une zone
fiscale qui s'étend de Kalaates-Senane jusqu'à Nefta.
-----------------Ch.
Monchicourt, dans une étude sur la frontière dont il s'agit
(Revue Africaine. 1938, p. 31 et s.) nous dit que la paix conclue en 1821
entre le bey de Tunis et le dey d'Alger, sous les auspices du sultan de
Constantinople, clôt la période des hostilités et
consacre la situation de fait " que la France
trouve et adopte lorsqu'elle conquiert Alger en 1830 et Constantine en
1837 ".
-----------------En
réalité, il fallut la création de plusieurs commissions
mixtes, dont les travaux s'échelonnèrent de 1881 à
1902, pour régler définitivement la délimitation
de la frontière algéro-tunisienne.
-----------------En
ce qui concerne les limites de leur domina. tion dans les régions
méridionales, les Turcs avaient contre eux tout l'inconnu de ces
régions dont les populations leur étaient plus ou -moins
hostiles. Ils firent des raids militaires dans quclques cités sahariennes
pour les razzier. C'est ainsi que Laghouat et Touggourt reçurent
la visite onéreuse des colonnes turques. Sur la carte du Royaume
d'Alger en 1830 publiée par L. Rinn, les régions présahariennes
sont le domaine de tribus inlépendantes ou alliées.
-----------------La
conquête de l'Algérie par les Français devait nécessairement
entraîner celle du Sahara pour assurer la sécurité
de la colonisation des régions septentrionales, que les populations
turbulentes et fanatiques du Sud pouvaient à tout moment cornprom&.tre.
C'est pourquoi fut entreprise la conquête du Sahara. Elle fut lente
et progressive et s'étendit de 1849 à 1902, date à
laquelle la période de pénétration fit place à
la période de pacification.
-----------------La
loi du 24 décembre 1902 fixe les limites de l'Algérie du
Nord et des Territoires du Sud dont elle détermine aussi l'organisation
administrative. Les Territoires du Sud qui s'étendent sur la plus
grande partie du Sahara français forment les quatre territoires
d'Aïn-Sefra, de Ghardaia, de Touggourt et des Oasis.
-----------------Cependant,
en conséquence du Statut de l'Algérie du 24 septembre 1947,
les Territoires du Sud sont supprimés et doivent être intégrés,
en tout ou en partie, dans les départements existants ou à
créer.
******
-----------------Dernière
en date des appellations successives du pays, Algérie
en s'imposant a refoulé dans le domaine de l'érudition,
celles qui l'avaient précédée dans le temps et dans
l'espace.
-----------------Les
mots Libye, Numidie, Maurétanie. Maghrib el-Aousit, El-Djezaïr,
Barbarie, Régence et Royaume d'Alger, etc., ont eu des fortunes
diverses.
-----------------Libye
désigne aujourd'hui la Tripolitaine et la Cyrénaïque
réunies. Numidie a disparu. Maurétanie (Maurétanié)
désigne une province de l'A.O.F. située au Nord du Sénégal.
Régence et Royaume d'Alger ont disparu dans l'usage courant, de
même que Barbarie qui ne semble avoir survécu que dans le
nom vulgaire du Cactus raquette ou Opuntia vulgaris (Figuier de Barbarie).
-----------------Maghrib
el-Aousit et El-Djezaïr sont encore employés en langue arabe,
mais El-Djezaïr par une évolution linguistique dont les navigateurs
chrétiens sont responsables devait se cristalliser sous une vocalisation
et une graphie nouvelles : Alger, transcription qui figure déjà
sur la carte Catalane dite de Charles V (1375), d'après R. Lespès
(L'origine du nom français d'Alger traduisant El-Djezaïr,
dans " Revue Africaine ", 1926).
-----------------Le
génie français a tiré de ce mot l'appellation géographique
Algérie dont la fortune a suivi l'organisation du pays algérien
ainsi que la pénétration de la France au Sahara. -----------------Cette
appellation s'est étendue progressivement vers le Sud.
Arthur PELLEGRIN,
Membre correspondant
de l'Académie des Sciences Coloniales.
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