Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : mouvements de jeunesse
l'équipe théâtrale du service de l'Éducation populaire en Algérie
6 pages, 2 photos - n° 69 - 5 aout 1953

.....si modeste soit-elle, une équipe pour travailler et progresser, pour remplir une certaine mission, a besoin de moyens matériels. La demande est considérable, Ce n'est pas soixante centres qu'il faudrait visiter, mais quatre-vingt-dix, au cours de la saison 53-54, et cent vingt au cours de la saison ,suivante (notamment des centres assez éloignés comme Biskra, Touggourt, Djelfa, L aghouat, Ghardaïa, Aïn-Sefra, Colomb-Béchard, qui n'ont pas encore été visités, sans compter ceux beaucoup plus proches qui ont pour nom : Sétif, Bordj-Bou-Arréridj, Médéa, Affreville, Orléansville, Tizi-Ouzou, Relizane, SaintDenis-du-Sig, Mostaganem, etc..
mise sur site le 5-04-2005
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----------En octobre 1952, à la demande de M. Ch. Aguesse, inspecteur principal, chef du Service des Mouvements de jeunesse et d'Éducation populaire en Algérie (Direction générale de l'Éducation nationale), une équipe théâtrale était créée par Henri Cordreaux, instructeur national d'art dramatique, qui en assumait la direction, avec le concours de Jean Rodien et Jean-Pierre Ronfard, instructeurs régionaux, et d'Yvette Cordreaux, comédienne.

----------Au cours de l'année scolaire 52-53, cette petite équipe parcourait à deux reprises, avec des spectacles différents, toute l'étendue du territoire algérien, de Nemours à La Calle, d'Aflou à Batna, assurant quatre-vingt-treize représentations dans soixante villes et villages des trois départements, sans pour autant faillir aux tâches qui incombent ordinairement aux instructeurs du Service de l'Éducation populaire : direction et animation de stages de spécialité ou d'information, visites et conseils aux troupes de théâtre amateur, recherche de répertoire, réponse aux nombreuses lettres adressées par tous ceux qui s'intéressent, de façon active, aux problèmes dramatiques.

----------BUTS. -
----------Les buts poursuivis par une telle équipe sont nombreux et complexes. Ils apparurent ainsi à la fin du mois de septembre 1952 lorsque fut décidée sa création, et ils apparaissent de même après une année d'expérience bien remplie. Toutes les tâches auxquelles, dès le départ, il semblait que cette troupe aurait à faire face au cours de sa première année de travail, furent remplies (parfois hélas ! un peu hâtivement), alors que surgissaient déjà devant elle d'autres tâches auxquelles il lui faudra bien faire face dans un proche avenir.
----------1°) Troupe d'expression du service de la Culture populaire, formée en majeure partie d'instructeurs d'art dramatique, il était normal que sa ligne de conduite fut liée étroitement à celle de ce service, et qu'elle fut considérée en premier lieu comme un moyen souple, vivant et efficace d'entrer en contact avec tous ceux qui, dans les petites villes comme dans les villages les plus reculés, étaient susceptibles de devenir des animateurs d'associations locales (Foyers ruraux, Maisons de jeunes, amis des arts, etc...) et de les orienter vers les stages organisés à leur intention dans les centres éducatifs : stages de spécialité (cinéma, chant choral, art dramatique, art plastique, etc...) stages plus généraux destinés aux animateurs ruraux. Parallèlement, cette troupe itinérante était appelée à maintenir le contact avec les anciens stagiaires d'éducation populaire, à prolonger de façon particulièrement vivante l'enseignement reçu dans les stages et à leur apporter le plus souvent possible le réconfort de sa présence, ainsi que les encouragements et les conseils qui leur permettront de continuer utilement, malgré leur isolement, la tâche de pionniersà laquelle ils se sont attaqués. ----------Dans cette intention, toutes les fois qu'une troupe locale d'amateurs déjà existante ou en formation en exprimait le désir, l'Équipe théâtrale du Service de la Culture populaire s'efforçait de prolonger son séjour au delà du temps nécessaire à la présentation de son spectacle, afin de lui apporter aide et conseil ;

----------2°) Troupe itinérante, elle était destinée à affronter tous les publics d'Algérie, aussi bien celui des grandes villes que des petites villes ou des villages les plus reculés, et à l'aide de spectacles très divers, de parvenir à la connaissance aussi complète que possible de ces publics, de leurs goûts, de leurs besoins, de leurs désirs, afin de dresser peu à peu, lentement et méthodiquement, une sorte d'atlas géographique du public des trois départements. Entreprise complexe s'il en fût, en raison de l'étendue du territoire, de la diversité ethnique et linguistique de la population, de son degré d'instruction et de culture, etc... OEuvre de longue haleine qui ne pouvait être menée à bien par des enquêtes,. questionnaires ou statistiques, mais seulement par le contact vivant d'une .troupe théâtrale en représentation.

----------Après une année d'expérience, il apparut que bien des erreurs avaient été dites ou écrites à propos du public algérien par des personnes qui ne le connaissaient pas, ou le connaissaient très imparfaitement, s'étant contentées de la fréquentation de quelques grandes villes du littoral ou de quelques foyers ruraux situés à proximité de ces villes. Le public algérien n'est pas seulement celui d'Oran, d'Alger, de Constantine ou de Bône, celui de Mahelma, de Montpensier ou d'Assi-Bou-Nif, mais aussi celui de Batna, de Boghari ou de Mascara, de La Meskiana, d'Aflou ou de Nemours ; de même que le public du département de Constantine n'est pas celui du département d'Alger, ou encore moins celui du département d'Oran. Une troupe qui a pour ambition de s'adresser à tous ces publics, doit d'abord, en toute honnêteté, chercher à les connaître aussi parfaitement que possible.

----------3°) Troupe théâtrale ayant pour objet essentiel de présenter sur l'ensemble du territoire des spectacles dramatiques et d'établir par ce moyen des relations vivantes avec les différentes couches de la population, il lui fallait en premier lieu monter et exploiter de tels spectacles, et allier ainsi aux préoccupations de l'instructeur, celles du comédien. Clef de voûte de tout l'édifice, le spectacle devait être considéré à la fois comme un moyen et comme une fin en soi, et à ce double titre exiger, tant dans sa préparation que dans sa diffusion, les plus grands soins. Ce rôle de décentralisation théâtrale qui lui était ainsi dévolue dès le départ, devait apparaître peu à peu comme le plus important, la plupart des villages et des petites villes, et même quelques grandes villes de la côte, ne recevant jamais, ou que très rarement, la visite de troupes itinérantes de qualité. Mettre le public, tous les publics d'Algérie en présence du phénomène théâtral, lui faire éprouver des joies et des émotions que seul le théâtre est capable de faire naître, lui permettre de quitter de temps à autres ces salles obscures qui sont devenues son unique lieu de plaisir (et trop souvent son opium) pour le faire accéder à ce monde d e poésie, de lumière, de couleur, de forme et de son qui est celui du théâtre, un monde vivant peuplé de personnages de chair et d'os, telle était la mission qui apparaissait comme la plus urgente en même temps que la plus noble, à une époque où le terrible isolement des bourgs et des campagnes risquait d'avoir, sur le plan social, les répercussions les plus graves.

----------4") Troupe placée sous l'égide de la Direction générale de l'Education nationale, il importait que sa mission éducative ne fut jamais perdue de vue, sans pour autant céder à des préoccupations didactiques trop apparentes qui auraient risqué d'éloigner une partie importante du public. Bénéficiant d'une situation privilégiée, n'ayant pas à résoudre les redoutables problèmes financiers qui se posent ordinairement dans l'organisation des tournées à forme purement commerciale, et ne se trouvant par conséquent pas dans l'obligation de " plaire " à tout prix au public, il était de son devoir de ne faire appel qu'à des œuvres de la plus haute qualité, même si ces œuvres apparaissaient parfois comme un peu difficiles pour le public, et de révéler des auteurs, des décorateurs, des musiciens dont, sans elle, il risquait de n'avoir jamais la révélation.


----------LES MOYENS.

----------Personnel. - Au cours de l'année scolaire 1952-1953, quatre comédiens se sont partagés les énormes tâches de cette équipe théâtrale : tâches d'instructeurs, d'acteur, de débardeur, de machiniste, de menuisier, de régisseur, d'électricien, de costumier, de conducteur de camion, etc... Il y fallait des gens d'une résistance physique à toute épreuve, ayant reçu, tant sur le plan de la culture générale que sur le plan du métier de comédien, une excellente formation. Aucun d'eux, d'ailleurs, n'était novice en la matière Henri Cordreaux, depuis 1932, sans aucune interruption, s'était consacrée au théâtre, Yvette Cordreaux depuis 1944, Jean Rodien depuis 1946, et Jean-Pierre Ronfard, avec quelques arrêts dus à ses études et à ses obligations militaires, depuis 1947.

---------Matériel. - Un matériel simple, peu coûteux, de volume réduit, entièrement démontable et parfaitement adapté à son objet, permettait de s'équiper n'importe où, qu'il y ait une scène ou qu'il n'y en ait pas, que celle-ci soit une scène normale de théâtre, ou une scène improvisée avec des planchers posés sur des tables ou des fûts. Un équipement complet de projecteurs et de rhéostats assurait l'autonomie des moyens d'éclairage, et autorisait la permanence des jeux de lumière, quel que soit le lieu de représentation.

----------Transport. - Une camionnette 1.000 kg. Renault était mise à la disposition de l' " Equipe théâtrale " par le Service de l'Education populaire, pour lui permettre de transporter le matériel et le personnel d'un boutà l'autre du territoire algérien. La conduite en est assurée à tour de rôle par les comédiens.

 

----------Local. - Les répétitions, la fabrication des décors et des accessoires, le réglage des éclairages, ont lieu dans le charmant petit théâtre du Centre éducatif d'El-Riath, à 8 km. d'Alger, en plein Sahel.

----------Répertoire. - Durant la saison 1952-1953, deux spectacles ont été montés, qui se sont efforcés de concilier les buts très variés et souvent contradictoires de l'Equipe théâtrale. D'où un certain éclectisme dans le choix des pièces et des numéros, une grande diversité dans les styles et dans les genres.

----------Premier spectacle. - Prologue parade de bateleurs. Série de jeux de clowns inspirés des Parades de Thomas Gueullette (XVIII'°° siècle). " L'enfant d'éléphant " de Rudyard Kipling. Chansons folkloriques et modernes. Poèmes de Jules Lafforgue. Une scène du " Christophe Colomb " de Claudel. " Le chant d'amour et de mort du Cornette Christophe Rilke " de R.M. Rilke. " Les animaux malades de la peste ", jeu dramatique d'après La Fontaine. " L'âne et la jeune fille ". Ballet pantomine sur le concerto pour Basson de Mozart.

----------Deuxième spectacle. " Le pauvre Cagarol ", d'après des intermèdes espagnols, par J.P. Ronfard. Le tambour ", Nô japonais adapté par Paul Arnold. " Les amours de Don Perlimplin " de F.G. Lorca, adapté par Jean Camp.

----------CENTRES VISITES.

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Département d'Alger. - Alger, Berrouaghia, Boghari, Boufarik, Chabet-El-Ameur, centre éducatif d'ElRiath, Chréa, Damiette, Dra-El-Mizan, El-Affroun, Hardy, Loverdo, Mahelma, Ménerville, Miliana, Montpensier, Palestro, Rivet, St-Ferdinand, Téniet-El-Haâd, Tizi-Reniff.
----------Département d'Oran. - Aflou, Aïn-Kermess, Aïn-Témouchent, Assi-Bou-Nif, Béni-Saf, Diderot, Dombasle, Dominique-Luciani, Frenda, Guiard, Legrand, Mascara, Martimprey, Nemours, Oran, Palat, Palikao, Perrégaux, Renan, Sidi-Safi, Sidi-Bel-Abbès, Thiersville, Tiaret.
----------Département de Constantine. - Bessombourg, Bizot, Bône, Bougie, Collo, Constantine, Djidjelli, ElArrouch, Guelma, Herbillon, La Calle, La Meskiana, Oued Zenati, Philippeville, Périgotville, Renier, Souk-Ahras.

----------RELATIONS AVEC LE THEATRE AMATEUR.
----------Le problème des amateurs est d'une telle importance dans un pays où 90 % au moins de la population ne connaît le théâtre que par les représentations qu'ils lui en sont données, et où chaque année les tournées professionnelles, pour des raisons économiques, abandonnent à leur solitude de nouvelles villes, qu'il a paru nécessaire de revenir ici sur des questions effleurées précédemment.

----------L'ostracisme dont font habituellement preuve les professionnels vis-à-vis des amateurs, et qui se traduit souvent par des tracasseries de tous ordres et un mépris parfois bien injustifié, est impensable en Algérie. Le théâtre professionnel ne peut arriver à conquérir un public, souvent inculte et n'ayant aucune inquiétude de la chose théâtrale, qu'avec l'aide des amateurs. Le théâtre amateur est dans ce pays, du moins sur la plus grande partie du territoire, la base de tout l'édifice théâtral. C'est grâce à son action, au goût qu'il aura su donner au public pour les oeuvres dramatiques, que les troupes professionnelles pourront chaque année conquérir de nouvelles positions.
----------Encore faut-il que les représentations données par les troupes locales d'amateurs soient de qualité, et que le répertoire auquel elles font appel ne déçoive pas le public, ou ne déforme pas son goût. L'un des rôles essentiels de cette " équipe théâtrale " groupant des instructeurs d'art dramatique du Service de l'Education populaire est justement d'établir des relations étroites avec toutes les troupes locales, quelle que soit leur importance, pour leur apporter aide et conseils, redresser certaines erreurs et éviter certaines fautes graves. Des stages ont été organisés à El-Riath, Aïn-El-Turck, Bône et Philippeville au cours des mois de décembre 1952, janvier, mars et juin 1953, dans cette intention ; des conseils ont été apportés sur place aux troupes déjà formées ou en formation à Palat, Aflou, Béni-Saf, Tlemcen, Herbillon, SoukAhras, Constantine (troupes musulmanes), Collo, Renier, Aïn-Abid (troupe musulmane), Berrouaghia. Enfin, c'est avec une particulière attention qu'ont été suivis les efforts de quelques grandes troupes, piliers du théâtre amateur en Algérie : Théâtre de la rue d'Alger (qui a remporté en juin 1953 le premier prix du concours universitaire et amateur à Paris), " Centre culturel interfacs d'Alger ", " Compagnons du Vieux Rocher " de Constantine, " Association pour l'Education artistique de la jeunesse " d'Oran, " Association philharmonique " de Philippeville, etc...
----------L'action de l'Équipe théâtrale a été complétée très efficacement dans ce domaine par celle de Georges Robert d'Eshougues, instructeur régional d'art dramatique, temporairement affecté à la Direction départementale de l'Education populaire d'Oran, qui n'a cessé depuis 1946, tant à la tête de l'A.E.A.J., qu'au cours de nombreuses tournées à l'intérieur du département d'Oran, de batailler pour la cause du théâtre, préparant ainsi de longue date les voies à une organisation plus cohérente et plus complète. Signalons encore l'action menée à Alger pendant plusieurs années par la Compagnie d'Art dramatique qui semble maintenant s'orienter résolument vers le professionnalisme.

----------CONSIDERATIONS D'ENSEMBLE ET PROJETS D'AVENIR.
----------Le travail accompli au cours d'une première année d'expérience a été, malgré la précarité des moyens matériels, considérable et riche en promesse de toutes sortes. Peu à peu, une organisation solide s'édifie, fruit de longues et patientes recherches, résultat d'une expérience lentement acquise. De longs efforts seront encore nécessaires avant d'arriver à un résultat satisfaisant, avant que le terrain ne soit suffisamment solide pour supporter un édifice théâtral plus complet, mais qui, dans la conjoncture actuelle, risquerait d'être trop lourd. L'œuvre de décentralisation doit se faire par la base, et non par la tête, Il faut commencer par prospecter le terrain, poser des jalons, faire la connaissance de tous les publics et établir des liens étroits avec tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, apportent leur pierre, si modeste soit-elle, à l'édifice commun, allier le travail de l'instructeur à celui du comédien, du conférencier, du conseiller, de l'architecte. Alors, peut-être, naîtra un jour un grand organisme théâtral, vivant, efficace, qui sera tout autre chose qu'un rêve d'esthète, ou une machine à dévorer des millions en pure perte.
----------Mais, si modeste soit-elle, une équipe pour travailler et progresser, pour remplir une certaine mission, a besoin de moyens matériels. La demande est considérable, Ce n'est pas soixante centres qu'il faudrait visiter, mais quatre-vingt-dix, au cours de la saison 53-54, et cent vingt au cours de la saison ,suivante (notamment des centres assez éloignés comme Biskra, Touggourt, Djelfa, L aghouat, Ghardaïa.
Aïn-Sefra, Colomb-Béchard, qui n'ont pas encore été visités, sans compter ceux beaucoup plus proches qui ont pour nom : Sétif, Bordj-Bou-Arréridj, Médéa, Affreville, Orléansville, Tizi-Ouzou, Relizane, SaintDenis-du-Sig, Mostaganem, etc... etc...) ; ce n'est pas deux spectacles qu'il conviendrait de présenter en cours d'année dans chaque centre, mais trois (ainsi qu'il sera fait au cours de la saison 53-54), et, si possible, quatre ; ce n'est pas dix troupes d'amateurs qui devraient être contrôlés et encouragés, mais au moins une trentaine. Pour satisfaire à un tel programme, une nombreuse équipe serait absolument nécessaire, comme elle serait nécessaire également pour vaincre l'énorme difficulté du répertoire ; il n'existe pas, ou très peu, de pièces à quatre personnages, tout au moins de pièces répondant aux nombreuses préoccupations de la troupe. En octobre 1953, un cinquième élément sera engagé : Moussia Cardinal, licenciée en philosophie et comédienne au Centre interfacs depuis 1949. C'est très bien. Mais c'est peu de chose en regard de l'immense travail à accomplir. Deux troupes seraient indispensables pour répondre aux besoins immédiats, et permettre aux comédiens-instructeurs de n'être pas seulement des machines à donner des spectacles, mais aussi des conseillers avertis et des guides sûrs. Ce n'est qu'à ce prix que la décentralisation théâtrale ne sera pas un vain mot, mais une réalité vivante.