| LE QUARTIER D'ISLY. ----------Nous possédons 
        sur El-Djezaïr, la cité barbaresque, des documents iconographiques 
        publiés à diverses époques ; ils sont souvent fantaisistes, 
        mais ne sont pas dépourvus d'intérêt, ni même 
        parfois d'utilité historique.----------Plus 
        près de nous, la gravure, la peinture et même la photographie 
        à ses débuts nous ont transmis, avec plus de précision, 
        les images de ce que furent en 1830, avant les regrettables destructions 
        nécessitées par l'adaptation à l'européenne 
        de la ville, les rues Bab-Azoun, Bab-El-Oued, de la Marine, la place du 
        Gouvernement (elle fut au début Place Royale), et tous les quartiers 
        voisins; nous pouvons donc aujourd'hui retrouver l'aspect de ces parties 
        disparues de notre cité et des curieux monuments, hélas 
        anéantis par l'activité trop hâtive des démolisseurs 
        ; coins d'un passé aboli, d'un charme spécial, qui excitèrent 
        la curiosité et l'admiration non seulement des premiers arrivés 
        mais aussi des visiteurs des premières années, attirés 
        par l'antique réputation d'Alger, coins délicieux auxquels 
        se sont Substitués malheureusement les tristes constructions des 
        temps modernes
 ----------On 
        peut retrouver, dans maintes vues, ce que furent, notamment le square 
        et la place Bresson, nous pouvons retrouver également le développement 
        des anciens remparts turcs, avec leurs bastions et leurs épaisses 
        murailles hérissées de merlons avec leurs deux portes principales 
        : Bab el Oued etBab-Azoun, cette dernière lugubrement célèbre 
        par les sinistres crochets "les ganches" sur lesquels on précipitait 
        les condamnés - ils y restaient accrochés jusqu'à 
        ce que mort s'en suive.
 ----------Mais 
        sur le quartier d'Isly, sur cet endroit devenu le centre de l' Alger moderne, 
        c'est à dire celui qui s'étend s'étend de la place 
        Bugeaud aux Facultés, y comprise la partie qui domine le Palais 
        Universitaire et qu'on appelait " Le village d'Isly ". (nous 
        en parlerons plus loin) sur cette partie donc, nous sommes peu renseignés, 
        il faut dire qu'elle fut longtemps la campagne isolée, la brousse 
        où l'on osait à peine s'aventurer sans risques de toute 
        sorte, aussi était-on peu tenté de la peindre, de la dessiner 
        ou de la photographier; c'est peut-être ce qui motive la pénurie 
        de documents. Il n'y a, croyons-nous, que de rares prises de vues photographiques 
        éparses dans des publications, revues ou magazines illustrés 
        permettant de nous rendre compte de ce que furent autrefois les rues d'Isly, 
        Michelet et leurs alentours
 ----------Dans 
        ces temps là deux communes autonomes existaient côte à 
        côte: Alger et Mustapha. La limite de l'agglomération algéroise 
        s'arrêtait à l'angle des "Ecoles Supérieures 
        " et du "chemin Pasteur " devenu la rue Lys du Pac ; au-delà 
        c'était Mustapha (les vieux algériens prononçaient 
        Moustapha), Cette commune se divisait en deux parties : tout d'abord Mustapha 
        Supérieur où se trouvait comme aujourd'hui le palais d'Eté 
        du Gouverneur Général et où s'élevaient de 
        somptueuses villas entourées de jardins parfumés; là, 
        vivait une sorte d'aristocratie composée d'opulents propriétaires 
        et, pendant la saison d'hiver, des étrangers, dont certains étaient 
        notoires. Au-dessous c'était Mustapha Inférieur, quartier 
        modeste allant de l'Agha au Ruisseau avec le Champ-de-Manoeuvres et le 
        quartier de Belcourt. La colline qui domine cette région, n'était 
        pas encore bâtie et la fameuse grotte de Cervantés se trouvait 
        comme jadis perdue parmi les lentisques, la broussaille et les oliviers
 ----------Essayons 
        de faire revivre ce quartier d'Isly tel que nous l'avons connu et comme 
        le connurent ceux qui vécurent avant nous.
 ----------De nos 
        jours, tout a totalement changé. Il ne reste rien de ce qu'a vu 
        notre jeunesse, mais le souvenir en est vivace dans la mémoire 
        de quelques anciens dont le nombre se raréfie d'année en 
        année. ----------Nous aidant 
        de nos seuls souvenirs personnels, nous convions le lecteur à nous 
        suivre dans une promenade dans un monde disparu. ----------Nous allons 
        partir de la limite des deux communes voisines, c'est-à-dire des 
        Facultés ou du Lycée de Jeunes Filles ; de là, nous 
        suivrons la rue d'Isly jusqu'à la place Bugeaud. Dans ce parcours 
        nous constaterons combien le changement a été total. ----------A 
        notre gauche se trouve le Parc d'Isly, appelé parfois le Square 
        d'Isly. Il s'étendait du Lycée Delacroix jusqu'à 
        l'immeuble où existe aujourd'hui une succursale de la Cie Algérienne 
        et où, naguère, était l'hôtel Excelsior qui 
        eut, dès sa fondation, en fin 1904, une très grande vogue.----------Le 
        Parc d'Isly fut un lieu de repos et de distractions familiales ; sous 
        ses ombrages aux odeurs balsamiques, on se réunissait, on jouait 
        au croquet ; les pensionnaires du Lycée, le jeudi, y venaient en 
        promenade et s'y livraient à d'interminables parties de " 
        barres" jeu scolaire désuet, oublié, inconnu même 
        des générations sportives contemporaines. En profondeur, 
        le jardin allait à peu près jusqu'à la rue Berthezène, 
        après c'était un fouillis d'épaisses végétations 
        : arbres divers, buissons touffus qui escaladaient la pente d'un coteau 
        pour s'arrêter au Télemly (l'admirable promenade disparue), 
        là où est l'actuelle rue de l'Estonie. ----------Dans 
        ces fourrés, à la saison nous allions cueillir des fleurs 
        de cyclamens. Où débute maintenant la rue Zola, se dressait 
        une fontaine, la plupart du temps à sec ; elle avait autrefois 
        orné la place de Chartres avant d'être transportée 
        et reconstruite en ce lieu. En 1903, on la déplaça de nouveau 
        pour la remonter au square Nelson ; elle y est toujours dans la partie 
        réservée à un jardin d'enfants.
 ----------Une 
        barrière de bois en retrait, le long de la rue d'Isly, séparait 
        le Parc d'un large trottoir garni d'arbres et de bancs où de vieilles 
        darnes, de paisibles retraités, venaient se reposer, deviser et, 
        en hiver, prendre le soleil ; cet endroit s'appelait " les bancs", 
        quand on se donnait rendez-vous " aux bancs", chacun savait 
        sans hésitation où il fallait aller.
 ----------En 
        1902, au Parc d'Isly que déjà menaçait une destruction 
        prochaine, s'installait un village d'authentiques esquimaux; on le visitait 
        comme une attraction d'exposition.. Il était établi sur 
        l'emplacement du Lycée Delacroix en bordure du chemin Pasteur. 
        Un de ses hôtes atteint de fièvre typhoïde mourut à 
        l'hôpital de Mustapha ; il s'appelait Maruspeleck. C'était 
        le 5ème décès qui se produisait dans la tribu depuis 
        son départ des régions nordiques.
 ----------Au 
        mois de mai de la même année on essaya de créer sous 
        les derniers arbres encore debout un café concert en plein air; 
        ce fut Provost le fondateur et directeur du Casino de la rue d'Isly qui 
        eut l'idée de cette organisation en vue de spectacles pour l'été. 
        On y servait, avant la représentation, des dîners par petites 
        tables éclairées par des photophores; sous les arbres, l'aspect, 
        le soir, était charmant. La conception était heureuse, mais 
        l'établissement n'eut qu'une existence éphémère. 
        Dès le début on y eut froid, la saison ayant été 
        tardive cette année-là, le public en oublia le chemin, s'en 
        désintéressa et il disparut comme le parc lui-même 
        peu après. Ce café concert avait été baptisé 
        les " Ambassadeurs " ou l'Eldorado, je ne sais pas au juste.
 ----------Il 
        me revient en mémoire qu'en 1898, lors des malencontreux troubles 
        anti-juifs fomentés par Max Régis et qui bouleversèrent 
        Alger, les étudiants pour protester contre la nomination et la 
        présence à l'Ecole de Droit du professeur Levy, se mirent 
        en grève et un beau jour, après toutes sortes de manifestations, 
        se réunirent au Parc d'lsly , en un pique-nique joyeux et bruyant 
        ; des chansons furent composées sur ce sujet.
 ----------Sur 
        une partie des terrains fut édifié le bâtiment de 
        la Ligue e l'Enseignement inauguré en avril 1903 par le Président 
        Louhet. " LA LIGUE " devint le Lycée Delacroix.
 -
 ---------De l'autre côté de la rue 
        d'Isly, à droite, en suivant le même chemin, nous rencontrons 
        un autre jardin faisant pendant à celui que nous venons de décrire, 
        c'est le parc du Club Gymnastique tout enclos de barrières de bois. 
        En été, on y donnait des fêtes de jour et de nuit; 
        on dansait sous les arbres qui, pendant la période chaude exhalaient 
        une délicieuse odeur de résine; que de joyeuses et jolies 
        filles, aujourd'hui vieilles grands-mères, et arrières grands-mères 
        y venaient danser des valses, des polkas, des scottishs, des quadrilles 
        endiablés et l'ostendaise; de cette danse 
        il me reste à peine le souvenir, je l'ai pratiquée, mais 
        je serai incapable actuellement d'en retrouver le pas ni même la 
        musique.
 ----------Ce 
        parc allait approximativement de la rue Charras au boulevard Laferrière 
        ; en contrebas il était longé par ce qui est maintenant 
        la partie gauche du boulevard Baudin, de la rue Rameau au square Laferrière 
        ; et ainsi nous parvenons à la porte d'Isly et aux remparts ; jusqu'ici 
        nous étions " extra muros ". .
 ----------Ne 
        franchissons pas encore la porte : arrêtons-nous un instant pour 
        la regarder - on ne peut dire l'admirer - car, en vérité, 
        elle n'avait rien d'artistique.
 
  L'ancienne porte d'Isly vers 1905
 (Au fond à droite amorce de l'actuelle rampe Bugeaud)
 ----------Elle 
        était incluse dans les remparts construits au cours des années 
        1842-1845 ; ces ouvrages devaient protéger l'extension de la nouvelle 
        ville au delà des anciennes murailles turques. De ce côté, 
        la blancheur grisâtre du monument ressortait entre la verdure des 
        gazons et des broussailles qui poussaient librement sur les glacis qui 
        l'enserraient. On avait cherché à lui donner du côté 
        qui regardait Mustapha (c'était par là qu'on entrait en 
        ville) une apparence monumentale. Un profond fossé la séparait 
        du reste de la chaussée ; un pont-levis soutenu par de gros piliers 
        en maçonnerie rétablissait la communication ; on racontait 
        qu'en cas d'alerte, il pouvait être relevé. Cela était-il 
        possible, je ne sais, ce qu'il y a de certain c'est qu'il était 
        solidement établi comme un pont tout court. De lourds vantaux doublés 
        de fer hérissés d'énormes clous à tête 
        ronde, pouvaient clore les deux voûtes de la porte. Que de fois 
        les étudiants en liesse s'amusaient au milieu de la nuit à 
        les fermer ce qui provoquait lesimprécations véhémentes des maraîchers qui 
        attendaient avec la file de leurs charrettes l'heure permise (trois heures 
        du matin) pour entrer en ville et gagner les Halles centrales qui, en 
        ce temps là, étaient au marché de la Lyre.
 ----------Pour donner 
        à cette porte un imposant aspect on l'avait dotée de colonnes 
        accouplées surmontées de pauvres chapiteaux et soutenant 
        une corniche qui n'était pas dépourvue d'élégance. 
        Lors de sa démolition, les colonnes furent transportées 
        au square Nelson où elles se dressent formant une sorte de pergola 
        qu'agrémentent des guirlandes pourprées de bougainvilliers. 
        Entre les deux colonnes médianes, se remarquait un écriteau 
        portant en grandes lettres noires : "Défense de trotter 
        sur les ponts levis ". Cette prohibition fut-elle toujours 
        observée ? Il me semble bien que non, j'ai le souvenir d'un formidable 
        bruit de ferraille, de frémissement, quand passaient de lourds 
        véhicules, notamment les omnibus - Place du Gouvernement-Plateau 
        Saulières " (0 fr 10 le parcours).----------Rappelons 
        que la porte d'Isly fut édifiée en 1850, et démolie 
        en 1905. Rappelons aussi que les habitants d'Alger-Mustapha la désignaient 
        par un pluriel, ils disaient "les portes " sans doute parce 
        qu'il y avait deux voûtes, l'une cour l'aller, l'autre pour le retour
 ----------Franchissons 
        "les portes" , passons sous ces voûtes si redoutées 
        de ceux qui avaient leur logis à Mustapha et qui devaient le regagner 
        la nuit; cette crainte était justifiée, car jusqu aux "Ecoles 
        Superieures " l'endroit était complètement isolé, 
        mal éclairé, dépourvu de bâtiments, propice, 
        grâce aux fourrés du parc d'Isly , aux embuscades et aux 
        attaques des rôdeurs.
 ----------Nous 
        voilà en ville, "intra-muros", à l'intérieur 
        de cette ceinture de murailles dans laquelle Alger étouffait, dont 
        elle a eu beaucoup de mal à se libérer , elle était 
        devenue inutile puisque elle ne protégeait pas la populeuse agglomération 
        mustaphéenne déjà presque aussi importante que celle 
        d Alger,
 ----------On  
        mit des années à comprendre qu'il fallait la démolir, 
        mais cette entreprise n'était pas permise sans restrictions (la 
        démolition fut commencée en 1895), il fallait "qu'une 
        grille destinée à abriter la défense en cas d'attaque, 
        separât la ville ancienne des nouveaux quartiers (Randan). ----------Ah, cette 
        grille ` à quelles plaisanteries, â quels sarcasmes et impitoyables 
        critiques n a-t-elle pas donné lieu? Elle avait été 
        établie sur un socle de solide maçonnerie d'environ 0 m. 
        75 à 1 m de hauteur, d'où elle dressait ses barreaux terminés 
        d'une façon 'menaçante en pointes de lances ; l'ensemble 
        pouvait avoir 2 mètres à 2 m. 50 de haut. S'agissait-il 
        d'un essai, ou était-ce la réalisation d'une moderne conception 
        de la défense des places ? On l'ignore. Un beau matin, on fut surpris 
        de voir appliquées contre les barreaux d'épaisses plaques 
        de tôle percées de meurtrières et hérissées 
        du côté de Mustapha de longues piques acérées 
        pareilles à des baïonnettes, étrange dispositif qui 
        devait en cas d'assaut embrocher les assaillants; ce bizarre agencement 
        ne dura pas longtemps, on le fit vite disparaître. ----------Après 
        tant d'années, on peut se demander qui avait conçu celte 
        réalisation baroque, heureusement le ridicule tue le et il a tué 
        la grille Elle disparut; elle aurait coûté, disait-on, très 
        cher: elle fut vendue plus tard, pour un prix modique à un propriétaire 
        du Sahel qui, avec ses restes a, parait-il, entoure et clôturé 
        son domaine, ----------Cependant 
        pour édifier ces grilles ( il en existait une semblable du côté 
        de la porte Bab el Oued) il avait fallu ménager un large espace 
        qui est devenu au nord le boulevard Guillemin-Farre et au Sud le boulevard 
        Laferrière-Foch Sans elles, nous étions, peut-être 
        menacés d'une mesquine avenue comme hélas on en a réalisé 
        en maints endroits de l'Alger moderne . A ce point de vue, elles ont servi 
        à quelque chose ----------Après 
        ce souvenir donné à ces ouvrages militaires qui firent la 
        joie des habitants des deux communes, revenons au point où nous 
        nous sommes arrêtés une fois dépassée la porte 
        d'Isly ; de ce côté, rien de remarquable. c'étaient 
        deux voûtes de fortification toutes simples sans aucune ornementation |  | -----------Devant 
        nous s'ouvre la rue d'Isly, à cette époque bordée 
        de hauts caroubiers infiniment plus ornementaux et pittoresques que les 
        ficus " en zinc" raides et sans grâce qui les ont remplacés.---------A 
        notre gauche, nous remarquons un glacis à base maçonnée 
        à hauteur d'homme et planté dans sa partie supérieure 
        de maigres eucalyptus, ce glacis rejoignait celui qui, de ce côté, 
        s'appuyait à la porte. Il limitait en arrière une montée 
        qui conduisait au commencement du Télemly. Parfois, sur le rebord 
        de la portion maçonnée, comme en une sorte de margelle, 
        de vieux arabes. des négresses installaient les petits tas de mandarines, 
        de figues ou de dattes qu ils offraient aux passants moyennant un sou,
 
 ----------De 
        l'autre côté limitant cette montée, à droite 
        (c'est actuellement l'avenue Pasteur) se trouvait la maison Alcay. Elle 
        fut construite entre 1875 et 1876, je crois, peut-être le fut-elle 
        antérieurement. Pendant longtemps, isolée, elle a été 
        là l'unique immeuble édifié avec une certaine recherche 
        ; en ces dernières années il a été surélevé 
        de plusieurs étages.
 ----------Nous voyons 
        à droite une placette ombragée de micocouliers dont tout 
        un côté est bordé d'édifices. D'abord un bâtiment 
        massif, sans caractère, c'était un corps de garde, je n'y 
        vis jamais de soldats, mais on affirmait qu'il y en eut autrefois. Il 
        n'avait qu'un rez-de-chaussée à arcades, il formait l'angle 
        de la placette et d'un court chemin en pente qui descendait vers la rue 
        de Constantine, en face de l'esplanade disparue où était 
        le Conseil de Guerre - il y est toujours, mais autour de lui tout s'est 
        modifié. En ce point la chaussée passait à travers 
        un passage ménagé entre les remparts, passage qu'on qualifiait 
        du nom de a Porte de Constantine ..
       ----------Faisant 
        suite à ce corps de garde, se trouvait un monument religieux, l'Eglise 
        Anglicane, dont l'aspect élégant et charmant agrémentait 
        ce coin et corrigeait ce que la bâtisse militaire voisine avait 
        de rébarbatif et de laid. Elle était au début de 
        ce qui plus tard sera le boulevard Bugeaud et s'édifiait sur une 
        sorte de falaise dominant la rue de Constantine, au-dessus de laquelle 
        une rotonde percée dde petites fenêtres formait intérieurement 
        le salon du desservant. ----------Ce temple 
        fut bâti en 1870 et consacré en 1871 par l'évêque 
        de Gibraltar.----------Il 
        avait été conçu dans le style anglo-saxon, commun 
        en Angleterre à beaucoup d'églises Protestantes.
 ----------Elle 
        faisait bonne figure avec son toit pointu garni de tuiles roses surmonté 
        d une croix de belle apparence ; une large ouverture arrondie, garnie 
        d'un vitrail, parait sa façade tournée vers la placette, 
        tandis qu'une petite construction du même style que l'ensemble, 
        s'appuyait en saillie sur la façade de l'édifice. Elle aussi 
        était surmontée d'une croix pareille, mais de moindre dimension, 
        à celle qui domine le toit. Au milieu était percée 
        une petite ouverture de forme romane, comme celles qui, plus grandes, 
        s ouvraient de chaque côté de cette avancée, qui faisait 
        penser au mirab d'une mosquée
 ----------On admirait 
        à l'intérieur de beaux vitraux fabriques en Grange-Bretagne 
        et des plaques de beaux marbres sur lesquelles étaient gravés 
        les noms des sujets britanniques décédés à 
        Alger et les dates de faits historiques dont certains remontaient à 
        1550. ----------L'Hôtel 
        des Postes occupe le terrain compris entre le corps de garde et le fosse 
        comble. Son annexe s'élève sur l'emplacement de l'Eglise 
        anglicane et de son jardinet. Mais où placer la Porte d'Isly , 
        au milieu de tous ces édifices modernes ? C'est difficile de le 
        faire avec exactitude, peut-être pourrait, on la situer à 
        l'endroit où se trouvent les barrières des T.A. ----------Obliquons 
        à gauche,nous nous retrouvons en face de la perspective de la rue 
        d'Isly et tout au fond la silhouette de la statue du Maréchal Bugeaud. 
        D'un côté, à gauche il y a la Maison Alcay deja mentionnée, 
        et, à droite, un terrain vague, puis une maisonnette à un 
        étage qu'il serait trop pompeux de décorer du nom de villa 
        ; l'autorité militaire la louait pour un modique loyer à 
        des ménages d'officiers un peu plus loin venait le quartier du 
        Train qui occupait un vaste espace ; enfin, à l'angle de la rue 
        Tivoli (Maréchal Bosquet aujourd'hui), on trouvait un modeste rez-de-chaussée, 
        muni de vitrines ; il servait de magasin d'exposition à un entrepreneur 
        très connu à l'époque, Hippolyte Martel. Là 
        étaient mis en montre des ornements de jardins, jets d'eau à 
        une ou plusieurs vasques en fonte, des statues représentant des 
        éphèbes montés sur une colonnette, portant une torche 
        ou tout autre objet qu'on adaptait à l'éclairage au gaz. 
        Ces statues d'un mauvais goût ingénu étaient destinées 
        (je ne puis vraiment dire à orner) à supporter l'appareil 
        d'éclairage donnant la lumière dans les vestibules d'entrée 
        des maisons, au bas des escaliers ; il en existe encore quelques spécimens 
        dans de vieilles demeures, mais on les a adaptés à l'électricité, 
        ce qui ne les a pas embellies.----------Un 
        admirable et vigoureux bougainvillier, aux éclatantes bractées, 
        parait cette pauvre construction qui, sans lui, aurait été 
        sans aucun caractère.
 ----------Après 
        la rue de Tivoli venait un immeuble à un seul étage qui 
        tenait un long côté de l'artère jusqu'à un 
        petit hôtel particulier ; il fut habité par des notabilités 
        de l'époque ; il formait l'angle de la place d'Isly ou Bugeaud, 
        on disait l'un ou l'autre. Ces deux constructions ont été 
        remplacées par l'immeuble du "Bon Marché " de 
        Paris.----------Nous 
        voici sur la place au milieu de laquelle s'érige depuis le 15 août 
        1852 l'édifice de l'illustre Maréchal Bugeaud et que nous 
        apercevions depuis la porte dans tout l'alignement de la rue d'Isly. Cette 
        statue est l'oeuvre d'un sculpteur renommé, Dumont ; la même 
        existe à Périgueux, ville natale du célèbre 
        soldat.
 ----------La 
        statue de Bugeaud a été déplacée il y a quelques 
        années et mise sur le côté, au bas de la rue du Marché.
  La place Bugeaud en 1925
 ----------Sur cette 
        place, exactement à l'endroit qui se trouve en face de 1a brasserie"Novelty", 
        était un marché pauvre, pauvre, quoique fréquenté 
        et animé. En ce temps lointain, il n'y avait pas de jardinet, mais 
        seulement des arbres sans parterres fleuris ; là, chaque jour, 
        se dressaient des séries de petites tables protégées 
        par une sorte de dais et sur lesquelles des marchands disposaient, les 
        offrant à la vente, de petits tas de fruits: mandarines, oranges, 
        dattes, figues sèches, le tout à un ou deux sous. Des négresses 
        drapées d'une étoffe bleue à larges bandes ocre dans 
        le bas, vendaient dans des paniers plats en vannerie des pains ronds parsemés 
        en leur centre de graines de sésame noircies par la cuisson au 
        four, ou bien encore des sardines enrobées dans de la farine, frites 
        trois par trois, qu'elles disposaient dans leurs paniers tout imprégnés 
        d'huile. Accroupies devant leurs marchandises, elles attendaient patiemment 
        le chaland, abritées du soleil ou d'une ondée par un vieux 
        parapluie. Ah ! ce marché de la Place Bugeaud, comme il occupe 
        le souvenir de nos années d'écolier où nous achetions 
        des fruits que nous mangions en allant au Lycée ou en en revenant.----------Après 
        la Place Bugeaud, la rue d'Isly, dans la portion allant vers le square 
        Bresson, était bordée de maisons qui ont toutes été 
        remplacées par des immeubles modernes ; à signaler qu'à 
        l'endroit où se trouvait naguère encore le charmant théâtre 
        de l'Alhambra, existait un caravansérail où se logeaient 
        les convois venant du Sud.
 ----------D'ailleurs 
        la rue d'Isly, comme nous allons le voir, était l'endroit où 
        se groupaient les caravansérails ou fondoucks, primitives hôtelleries 
        pour les hommes et les animaux qui arrivaient des oasis et des régions 
        sahariennes.
 ----------L'immeuble 
        où se trouve la brasserie Novelty (angle rue d'Isly et place Bugeaud) 
        a remplacé un élégant hôtel particulier qu'habitèrent 
        les intendants généraux et où se donnèrent 
        de brillantes réceptions.
  La place Bugeaud en 1953
 ----------Revenons 
        sur nos pas et longeons le côté droit de la rue allant vers 
        la porte où sont actuellement l'hôtel du Corps d'Armée 
        et le Mont de Piété. En 1890, la Maison Begeay, celle qui 
        avec le quartier du XIXèCorps d'Armée constitue toute une 
        partie de la place, m'existait pas (elle fut bâtie entre 1891 et 
        1892). A sa place était une construction rudimentaire derrière 
        laquelle il y avait un caravansérail ; en bordure de la rue d'Isly 
        se trouvait un café maure dont les consommateurs accroupis sur 
        le trottoir se livraient des heures durant aux difficiles combinaisons 
        du jeu de dames ou d'échecs.----------Sur 
        l'emplacement du n" 39 de la rue d'Isly, existait un fondouk extrêmement 
        fréquenté; on y voyait toujours une foule affairée, 
        bruyante, vociférante, pendant que se déchargeaient les 
        ballots. Au coin des rues d'Isly et Négrier qu'on a baptisée 
        du nom de Varenne, était un petit poste de pompiers. On pénétrait 
        dans le fondouk; on se trouvait dans une vaste cour encombrée d'animaux 
        au repos et de colis; dans le fond du rez-de-chaussée, des écuries 
        et au-dessus un étage parcouru par une galerie sur laquelle s'ouvrait 
        des chambres où s'abritaient les caravaniers. C'est là, 
        qu'en 1894 j'allai quérir quatre chameaux pour un char de Touareg 
        que nous fîmes,- jeunes rhétoriciens, -à l'occasion 
        d'une bataille de fleurs ; il eut beaucoup de succès : les chameliers 
        qui cheminaient sur leursbetes, de chaque coté du char étaient 
        comme nous costumés en targui. Il fut gratifié d'un prix 
        d'honneur
 ----------Plus 
        loin, un autre fondouk, presque en face de l'immeuble où est actuellement 
        la bijouterie Bielle, dont la cour était précédée 
        d'une petite maison à un seul étage, pompeusement appelé 
        comme l'indiquait une enseigne peinte sur le mur : Hôtel du Boulage 
        ; il devait sans doute loger les charretiers venant de Boghari ou de Laghouat. 
        Vers 1887 ou 1888 au bas de cette maison se trouvait un sellier dont le 
        magasin pourvu d'une vitrine en bordure de la rue d'Isly, offrait aux 
        regards des passants un cheval en bois peint, paré de harnais élégants, 
        spécimens de l'art et de l'industrie du tenancier. A la suite venait 
        une maison très simple à 3 ou 4 étages où 
        se trouvait l'Intendance militaire. Elle est restée longtemps debout. 
        Nous voici à la fin de notre promenade rétrospective puisque 
        nous nous retrouvons au bas de la maison Alcay et devant la porte d'Isly,
 ----------Et 
        voilà, rapidement et peut-être maladroitement esquissé 
        l'ancien aspect du quartier d'Isly ; il est toujours difficile de situer 
        avec exactitude, au milieu des bouleversements et des changements modernes, 
        l'emplacement de ce qui existait antérieurement. Ce quartier est 
        devenu aujourd'hui le plus luxueux de la cité c'est là, 
        qu'avant les dernières guerres, la jeunesse algéroise avait 
        coutume de faire "son persil" : le matin de 11 h. à 12 
        h., et le soir de 18 h. à 19 h. Cette promenade qui avait été 
        précédée pendant de longues années par la 
        flânerie sous les Arcades Bab-Azoun a cessé maintenant. La 
        vie trépidante, difficile du présent ne permet plus les 
        causeries ambulatoires, les plaisanteries innocentes ; les affaires, les 
        préoccupations, ont fait oublier et périmer la jeune gaietéde 
        naguère.
 ----------En 
        terminant ce récit, il me reste à dire un mot du "Village 
        d'Isly". Il était situé au-dessus des Facultés. 
        Il était charmant, composé de jolies villas délicieusement 
        agrémentées de jardins. Dominant la rue de Mulhouse, s'élevait 
        la "Villa Sintès", parée d'un crépi rouge 
        elle se dressait au milieu des vieux oliviers entourée de massifs 
        débordant de verdure et de fleurs. Longtemps elle fut une pension 
        de famille recherchée des hiverneurs pour sa situation, son calme 
        et la vue splendide qu'on y avait sur la baie et les montagnes de Kabylie. 
        C'est là que, dans une retraite absolue, s'était réfugié 
        dans les années 1886 et 1888 Saint-Saëns, fuyant la popularité 
        et la curiosité de la foule ; il s'était dissimulé 
        sous le pseudonyme de Charles Sannois. Ce séjour avait précédé 
        celui qu'il fit plus tard à la Pointe-Pescade, dans une maisonnette 
        de style arabe qui appartenait à Madame Laperlier.
 ----------Tout 
        cela a bien changé ! Ce que l'on fait de nos jours est certes conforme 
        au progrès, il faut le reconnaître, mais " les anciens" 
        ne peuvent évoquer, sans le regretter, le pittoresque d'antan ; 
        car le cadre de leur jeunesse ne fut pas le "VIEIL ALGER ", 
        mais le "BEL ALGER"
 (A suivre)
 Dr GAUTHIER Président du Comité 
        du Vieil Alger
 
  
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