LE QUARTIER D'ISLY.
----------Nous possédons
sur El-Djezaïr, la cité barbaresque, des documents iconographiques
publiés à diverses époques ; ils sont souvent fantaisistes,
mais ne sont pas dépourvus d'intérêt, ni même
parfois d'utilité historique.
----------Plus
près de nous, la gravure, la peinture et même la photographie
à ses débuts nous ont transmis, avec plus de précision,
les images de ce que furent en 1830, avant les regrettables destructions
nécessitées par l'adaptation à l'européenne
de la ville, les rues Bab-Azoun, Bab-El-Oued, de la Marine, la place du
Gouvernement (elle fut au début Place Royale), et tous les quartiers
voisins; nous pouvons donc aujourd'hui retrouver l'aspect de ces parties
disparues de notre cité et des curieux monuments, hélas
anéantis par l'activité trop hâtive des démolisseurs
; coins d'un passé aboli, d'un charme spécial, qui excitèrent
la curiosité et l'admiration non seulement des premiers arrivés
mais aussi des visiteurs des premières années, attirés
par l'antique réputation d'Alger, coins délicieux auxquels
se sont Substitués malheureusement les tristes constructions des
temps modernes
----------On
peut retrouver, dans maintes vues, ce que furent, notamment le square
et la place Bresson, nous pouvons retrouver également le développement
des anciens remparts turcs, avec leurs bastions et leurs épaisses
murailles hérissées de merlons avec leurs deux portes principales
: Bab el Oued etBab-Azoun, cette dernière lugubrement célèbre
par les sinistres crochets "les ganches" sur lesquels on précipitait
les condamnés - ils y restaient accrochés jusqu'à
ce que mort s'en suive.
----------Mais
sur le quartier d'Isly, sur cet endroit devenu le centre de l' Alger moderne,
c'est à dire celui qui s'étend s'étend de la place
Bugeaud aux Facultés, y comprise la partie qui domine le Palais
Universitaire et qu'on appelait " Le village d'Isly ". (nous
en parlerons plus loin) sur cette partie donc, nous sommes peu renseignés,
il faut dire qu'elle fut longtemps la campagne isolée, la brousse
où l'on osait à peine s'aventurer sans risques de toute
sorte, aussi était-on peu tenté de la peindre, de la dessiner
ou de la photographier; c'est peut-être ce qui motive la pénurie
de documents. Il n'y a, croyons-nous, que de rares prises de vues photographiques
éparses dans des publications, revues ou magazines illustrés
permettant de nous rendre compte de ce que furent autrefois les rues d'Isly,
Michelet et leurs alentours
----------Dans
ces temps là deux communes autonomes existaient côte à
côte: Alger et Mustapha. La limite de l'agglomération algéroise
s'arrêtait à l'angle des "Ecoles Supérieures
" et du "chemin Pasteur " devenu la rue Lys du Pac ; au-delà
c'était Mustapha (les vieux algériens prononçaient
Moustapha), Cette commune se divisait en deux parties : tout d'abord Mustapha
Supérieur où se trouvait comme aujourd'hui le palais d'Eté
du Gouverneur Général et où s'élevaient de
somptueuses villas entourées de jardins parfumés; là,
vivait une sorte d'aristocratie composée d'opulents propriétaires
et, pendant la saison d'hiver, des étrangers, dont certains étaient
notoires. Au-dessous c'était Mustapha Inférieur, quartier
modeste allant de l'Agha au Ruisseau avec le Champ-de-Manoeuvres et le
quartier de Belcourt. La colline qui domine cette région, n'était
pas encore bâtie et la fameuse grotte de Cervantés se trouvait
comme jadis perdue parmi les lentisques, la broussaille et les oliviers
----------Essayons
de faire revivre ce quartier d'Isly tel que nous l'avons connu et comme
le connurent ceux qui vécurent avant nous.
----------De nos
jours, tout a totalement changé. Il ne reste rien de ce qu'a vu
notre jeunesse, mais le souvenir en est vivace dans la mémoire
de quelques anciens dont le nombre se raréfie d'année en
année.
----------Nous aidant
de nos seuls souvenirs personnels, nous convions le lecteur à nous
suivre dans une promenade dans un monde disparu.
----------Nous allons
partir de la limite des deux communes voisines, c'est-à-dire des
Facultés ou du Lycée de Jeunes Filles ; de là, nous
suivrons la rue d'Isly jusqu'à la place Bugeaud. Dans ce parcours
nous constaterons combien le changement a été total.
----------A
notre gauche se trouve le Parc d'Isly, appelé parfois le Square
d'Isly. Il s'étendait du Lycée Delacroix jusqu'à
l'immeuble où existe aujourd'hui une succursale de la Cie Algérienne
et où, naguère, était l'hôtel Excelsior qui
eut, dès sa fondation, en fin 1904, une très grande vogue.
----------Le
Parc d'Isly fut un lieu de repos et de distractions familiales ; sous
ses ombrages aux odeurs balsamiques, on se réunissait, on jouait
au croquet ; les pensionnaires du Lycée, le jeudi, y venaient en
promenade et s'y livraient à d'interminables parties de "
barres" jeu scolaire désuet, oublié, inconnu même
des générations sportives contemporaines. En profondeur,
le jardin allait à peu près jusqu'à la rue Berthezène,
après c'était un fouillis d'épaisses végétations
: arbres divers, buissons touffus qui escaladaient la pente d'un coteau
pour s'arrêter au Télemly (l'admirable promenade disparue),
là où est l'actuelle rue de l'Estonie. ----------Dans
ces fourrés, à la saison nous allions cueillir des fleurs
de cyclamens. Où débute maintenant la rue Zola, se dressait
une fontaine, la plupart du temps à sec ; elle avait autrefois
orné la place de Chartres avant d'être transportée
et reconstruite en ce lieu. En 1903, on la déplaça de nouveau
pour la remonter au square Nelson ; elle y est toujours dans la partie
réservée à un jardin d'enfants.
----------Une
barrière de bois en retrait, le long de la rue d'Isly, séparait
le Parc d'un large trottoir garni d'arbres et de bancs où de vieilles
darnes, de paisibles retraités, venaient se reposer, deviser et,
en hiver, prendre le soleil ; cet endroit s'appelait " les bancs",
quand on se donnait rendez-vous " aux bancs", chacun savait
sans hésitation où il fallait aller.
----------En
1902, au Parc d'Isly que déjà menaçait une destruction
prochaine, s'installait un village d'authentiques esquimaux; on le visitait
comme une attraction d'exposition.. Il était établi sur
l'emplacement du Lycée Delacroix en bordure du chemin Pasteur.
Un de ses hôtes atteint de fièvre typhoïde mourut à
l'hôpital de Mustapha ; il s'appelait Maruspeleck. C'était
le 5ème décès qui se produisait dans la tribu depuis
son départ des régions nordiques.
----------Au
mois de mai de la même année on essaya de créer sous
les derniers arbres encore debout un café concert en plein air;
ce fut Provost le fondateur et directeur du Casino de la rue d'Isly qui
eut l'idée de cette organisation en vue de spectacles pour l'été.
On y servait, avant la représentation, des dîners par petites
tables éclairées par des photophores; sous les arbres, l'aspect,
le soir, était charmant. La conception était heureuse, mais
l'établissement n'eut qu'une existence éphémère.
Dès le début on y eut froid, la saison ayant été
tardive cette année-là, le public en oublia le chemin, s'en
désintéressa et il disparut comme le parc lui-même
peu après. Ce café concert avait été baptisé
les " Ambassadeurs " ou l'Eldorado, je ne sais pas au juste.
----------Il
me revient en mémoire qu'en 1898, lors des malencontreux troubles
anti-juifs fomentés par Max Régis et qui bouleversèrent
Alger, les étudiants pour protester contre la nomination et la
présence à l'Ecole de Droit du professeur Levy, se mirent
en grève et un beau jour, après toutes sortes de manifestations,
se réunirent au Parc d'lsly , en un pique-nique joyeux et bruyant
; des chansons furent composées sur ce sujet.
----------Sur
une partie des terrains fut édifié le bâtiment de
la Ligue e l'Enseignement inauguré en avril 1903 par le Président
Louhet. " LA LIGUE " devint le Lycée Delacroix.
-
---------De l'autre côté de la rue
d'Isly, à droite, en suivant le même chemin, nous rencontrons
un autre jardin faisant pendant à celui que nous venons de décrire,
c'est le parc du Club Gymnastique tout enclos de barrières de bois.
En été, on y donnait des fêtes de jour et de nuit;
on dansait sous les arbres qui, pendant la période chaude exhalaient
une délicieuse odeur de résine; que de joyeuses et jolies
filles, aujourd'hui vieilles grands-mères, et arrières grands-mères
y venaient danser des valses, des polkas, des scottishs, des quadrilles
endiablés et l'ostendaise; de cette danse
il me reste à peine le souvenir, je l'ai pratiquée, mais
je serai incapable actuellement d'en retrouver le pas ni même la
musique.
----------Ce
parc allait approximativement de la rue Charras au boulevard Laferrière
; en contrebas il était longé par ce qui est maintenant
la partie gauche du boulevard Baudin, de la rue Rameau au square Laferrière
; et ainsi nous parvenons à la porte d'Isly et aux remparts ; jusqu'ici
nous étions " extra muros ". .
----------Ne
franchissons pas encore la porte : arrêtons-nous un instant pour
la regarder - on ne peut dire l'admirer - car, en vérité,
elle n'avait rien d'artistique.
L'ancienne porte d'Isly vers 1905
(Au fond à droite amorce de l'actuelle rampe Bugeaud)
----------Elle
était incluse dans les remparts construits au cours des années
1842-1845 ; ces ouvrages devaient protéger l'extension de la nouvelle
ville au delà des anciennes murailles turques. De ce côté,
la blancheur grisâtre du monument ressortait entre la verdure des
gazons et des broussailles qui poussaient librement sur les glacis qui
l'enserraient. On avait cherché à lui donner du côté
qui regardait Mustapha (c'était par là qu'on entrait en
ville) une apparence monumentale. Un profond fossé la séparait
du reste de la chaussée ; un pont-levis soutenu par de gros piliers
en maçonnerie rétablissait la communication ; on racontait
qu'en cas d'alerte, il pouvait être relevé. Cela était-il
possible, je ne sais, ce qu'il y a de certain c'est qu'il était
solidement établi comme un pont tout court. De lourds vantaux doublés
de fer hérissés d'énormes clous à tête
ronde, pouvaient clore les deux voûtes de la porte. Que de fois
les étudiants en liesse s'amusaient au milieu de la nuit à
les fermer ce qui provoquait les
imprécations véhémentes des maraîchers qui
attendaient avec la file de leurs charrettes l'heure permise (trois heures
du matin) pour entrer en ville et gagner les Halles centrales qui, en
ce temps là, étaient au marché de la Lyre.
----------Pour donner
à cette porte un imposant aspect on l'avait dotée de colonnes
accouplées surmontées de pauvres chapiteaux et soutenant
une corniche qui n'était pas dépourvue d'élégance.
Lors de sa démolition, les colonnes furent transportées
au square Nelson où elles se dressent formant une sorte de pergola
qu'agrémentent des guirlandes pourprées de bougainvilliers.
Entre les deux colonnes médianes, se remarquait un écriteau
portant en grandes lettres noires : "Défense de trotter
sur les ponts levis ". Cette prohibition fut-elle toujours
observée ? Il me semble bien que non, j'ai le souvenir d'un formidable
bruit de ferraille, de frémissement, quand passaient de lourds
véhicules, notamment les omnibus - Place du Gouvernement-Plateau
Saulières " (0 fr 10 le parcours).
----------Rappelons
que la porte d'Isly fut édifiée en 1850, et démolie
en 1905. Rappelons aussi que les habitants d'Alger-Mustapha la désignaient
par un pluriel, ils disaient "les portes " sans doute parce
qu'il y avait deux voûtes, l'une cour l'aller, l'autre pour le retour
----------Franchissons
"les portes" , passons sous ces voûtes si redoutées
de ceux qui avaient leur logis à Mustapha et qui devaient le regagner
la nuit; cette crainte était justifiée, car jusqu aux "Ecoles
Superieures " l'endroit était complètement isolé,
mal éclairé, dépourvu de bâtiments, propice,
grâce aux fourrés du parc d'Isly , aux embuscades et aux
attaques des rôdeurs.
----------Nous
voilà en ville, "intra-muros", à l'intérieur
de cette ceinture de murailles dans laquelle Alger étouffait, dont
elle a eu beaucoup de mal à se libérer , elle était
devenue inutile puisque elle ne protégeait pas la populeuse agglomération
mustaphéenne déjà presque aussi importante que celle
d Alger,
----------On
mit des années à comprendre qu'il fallait la démolir,
mais cette entreprise n'était pas permise sans restrictions (la
démolition fut commencée en 1895), il fallait "qu'une
grille destinée à abriter la défense en cas d'attaque,
separât la ville ancienne des nouveaux quartiers (Randan).
----------Ah, cette
grille ` à quelles plaisanteries, â quels sarcasmes et impitoyables
critiques n a-t-elle pas donné lieu? Elle avait été
établie sur un socle de solide maçonnerie d'environ 0 m.
75 à 1 m de hauteur, d'où elle dressait ses barreaux terminés
d'une façon 'menaçante en pointes de lances ; l'ensemble
pouvait avoir 2 mètres à 2 m. 50 de haut. S'agissait-il
d'un essai, ou était-ce la réalisation d'une moderne conception
de la défense des places ? On l'ignore. Un beau matin, on fut surpris
de voir appliquées contre les barreaux d'épaisses plaques
de tôle percées de meurtrières et hérissées
du côté de Mustapha de longues piques acérées
pareilles à des baïonnettes, étrange dispositif qui
devait en cas d'assaut embrocher les assaillants; ce bizarre agencement
ne dura pas longtemps, on le fit vite disparaître.
----------Après
tant d'années, on peut se demander qui avait conçu celte
réalisation baroque, heureusement le ridicule tue le et il a tué
la grille Elle disparut; elle aurait coûté, disait-on, très
cher: elle fut vendue plus tard, pour un prix modique à un propriétaire
du Sahel qui, avec ses restes a, parait-il, entoure et clôturé
son domaine,
----------Cependant
pour édifier ces grilles ( il en existait une semblable du côté
de la porte Bab el Oued) il avait fallu ménager un large espace
qui est devenu au nord le boulevard Guillemin-Farre et au Sud le boulevard
Laferrière-Foch Sans elles, nous étions, peut-être
menacés d'une mesquine avenue comme hélas on en a réalisé
en maints endroits de l'Alger moderne . A ce point de vue, elles ont servi
à quelque chose
----------Après
ce souvenir donné à ces ouvrages militaires qui firent la
joie des habitants des deux communes, revenons au point où nous
nous sommes arrêtés une fois dépassée la porte
d'Isly ; de ce côté, rien de remarquable. c'étaient
deux voûtes de fortification toutes simples sans aucune ornementation
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-----------Devant
nous s'ouvre la rue d'Isly, à cette époque bordée
de hauts caroubiers infiniment plus ornementaux et pittoresques que les
ficus " en zinc" raides et sans grâce qui les ont remplacés.
---------A
notre gauche, nous remarquons un glacis à base maçonnée
à hauteur d'homme et planté dans sa partie supérieure
de maigres eucalyptus, ce glacis rejoignait celui qui, de ce côté,
s'appuyait à la porte. Il limitait en arrière une montée
qui conduisait au commencement du Télemly. Parfois, sur le rebord
de la portion maçonnée, comme en une sorte de margelle,
de vieux arabes. des négresses installaient les petits tas de mandarines,
de figues ou de dattes qu ils offraient aux passants moyennant un sou,
----------De
l'autre côté limitant cette montée, à droite
(c'est actuellement l'avenue Pasteur) se trouvait la maison Alcay. Elle
fut construite entre 1875 et 1876, je crois, peut-être le fut-elle
antérieurement. Pendant longtemps, isolée, elle a été
là l'unique immeuble édifié avec une certaine recherche
; en ces dernières années il a été surélevé
de plusieurs étages.
----------Nous voyons
à droite une placette ombragée de micocouliers dont tout
un côté est bordé d'édifices. D'abord un bâtiment
massif, sans caractère, c'était un corps de garde, je n'y
vis jamais de soldats, mais on affirmait qu'il y en eut autrefois. Il
n'avait qu'un rez-de-chaussée à arcades, il formait l'angle
de la placette et d'un court chemin en pente qui descendait vers la rue
de Constantine, en face de l'esplanade disparue où était
le Conseil de Guerre - il y est toujours, mais autour de lui tout s'est
modifié. En ce point la chaussée passait à travers
un passage ménagé entre les remparts, passage qu'on qualifiait
du nom de a Porte de Constantine ..
----------Faisant
suite à ce corps de garde, se trouvait un monument religieux, l'Eglise
Anglicane, dont l'aspect élégant et charmant agrémentait
ce coin et corrigeait ce que la bâtisse militaire voisine avait
de rébarbatif et de laid. Elle était au début de
ce qui plus tard sera le boulevard Bugeaud et s'édifiait sur une
sorte de falaise dominant la rue de Constantine, au-dessus de laquelle
une rotonde percée dde petites fenêtres formait intérieurement
le salon du desservant.
----------Ce temple
fut bâti en 1870 et consacré en 1871 par l'évêque
de Gibraltar.
----------Il
avait été conçu dans le style anglo-saxon, commun
en Angleterre à beaucoup d'églises Protestantes.
----------Elle
faisait bonne figure avec son toit pointu garni de tuiles roses surmonté
d une croix de belle apparence ; une large ouverture arrondie, garnie
d'un vitrail, parait sa façade tournée vers la placette,
tandis qu'une petite construction du même style que l'ensemble,
s'appuyait en saillie sur la façade de l'édifice. Elle aussi
était surmontée d'une croix pareille, mais de moindre dimension,
à celle qui domine le toit. Au milieu était percée
une petite ouverture de forme romane, comme celles qui, plus grandes,
s ouvraient de chaque côté de cette avancée, qui faisait
penser au mirab d'une mosquée
----------On admirait
à l'intérieur de beaux vitraux fabriques en Grange-Bretagne
et des plaques de beaux marbres sur lesquelles étaient gravés
les noms des sujets britanniques décédés à
Alger et les dates de faits historiques dont certains remontaient à
1550.
----------L'Hôtel
des Postes occupe le terrain compris entre le corps de garde et le fosse
comble. Son annexe s'élève sur l'emplacement de l'Eglise
anglicane et de son jardinet. Mais où placer la Porte d'Isly ,
au milieu de tous ces édifices modernes ? C'est difficile de le
faire avec exactitude, peut-être pourrait, on la situer à
l'endroit où se trouvent les barrières des T.A.
----------Obliquons
à gauche,nous nous retrouvons en face de la perspective de la rue
d'Isly et tout au fond la silhouette de la statue du Maréchal Bugeaud.
D'un côté, à gauche il y a la Maison Alcay deja mentionnée,
et, à droite, un terrain vague, puis une maisonnette à un
étage qu'il serait trop pompeux de décorer du nom de villa
; l'autorité militaire la louait pour un modique loyer à
des ménages d'officiers un peu plus loin venait le quartier du
Train qui occupait un vaste espace ; enfin, à l'angle de la rue
Tivoli (Maréchal Bosquet aujourd'hui), on trouvait un modeste rez-de-chaussée,
muni de vitrines ; il servait de magasin d'exposition à un entrepreneur
très connu à l'époque, Hippolyte Martel. Là
étaient mis en montre des ornements de jardins, jets d'eau à
une ou plusieurs vasques en fonte, des statues représentant des
éphèbes montés sur une colonnette, portant une torche
ou tout autre objet qu'on adaptait à l'éclairage au gaz.
Ces statues d'un mauvais goût ingénu étaient destinées
(je ne puis vraiment dire à orner) à supporter l'appareil
d'éclairage donnant la lumière dans les vestibules d'entrée
des maisons, au bas des escaliers ; il en existe encore quelques spécimens
dans de vieilles demeures, mais on les a adaptés à l'électricité,
ce qui ne les a pas embellies.
----------Un
admirable et vigoureux bougainvillier, aux éclatantes bractées,
parait cette pauvre construction qui, sans lui, aurait été
sans aucun caractère.
----------Après
la rue de Tivoli venait un immeuble à un seul étage qui
tenait un long côté de l'artère jusqu'à un
petit hôtel particulier ; il fut habité par des notabilités
de l'époque ; il formait l'angle de la place d'Isly ou Bugeaud,
on disait l'un ou l'autre. Ces deux constructions ont été
remplacées par l'immeuble du "Bon Marché " de
Paris.
----------Nous
voici sur la place au milieu de laquelle s'érige depuis le 15 août
1852 l'édifice de l'illustre Maréchal Bugeaud et que nous
apercevions depuis la porte dans tout l'alignement de la rue d'Isly. Cette
statue est l'oeuvre d'un sculpteur renommé, Dumont ; la même
existe à Périgueux, ville natale du célèbre
soldat.
----------La
statue de Bugeaud a été déplacée il y a quelques
années et mise sur le côté, au bas de la rue du Marché.
La place Bugeaud en 1925
----------Sur cette
place, exactement à l'endroit qui se trouve en face de 1a brasserie"Novelty",
était un marché pauvre, pauvre, quoique fréquenté
et animé. En ce temps lointain, il n'y avait pas de jardinet, mais
seulement des arbres sans parterres fleuris ; là, chaque jour,
se dressaient des séries de petites tables protégées
par une sorte de dais et sur lesquelles des marchands disposaient, les
offrant à la vente, de petits tas de fruits: mandarines, oranges,
dattes, figues sèches, le tout à un ou deux sous. Des négresses
drapées d'une étoffe bleue à larges bandes ocre dans
le bas, vendaient dans des paniers plats en vannerie des pains ronds parsemés
en leur centre de graines de sésame noircies par la cuisson au
four, ou bien encore des sardines enrobées dans de la farine, frites
trois par trois, qu'elles disposaient dans leurs paniers tout imprégnés
d'huile. Accroupies devant leurs marchandises, elles attendaient patiemment
le chaland, abritées du soleil ou d'une ondée par un vieux
parapluie. Ah ! ce marché de la Place Bugeaud, comme il occupe
le souvenir de nos années d'écolier où nous achetions
des fruits que nous mangions en allant au Lycée ou en en revenant.
----------Après
la Place Bugeaud, la rue d'Isly, dans la portion allant vers le square
Bresson, était bordée de maisons qui ont toutes été
remplacées par des immeubles modernes ; à signaler qu'à
l'endroit où se trouvait naguère encore le charmant théâtre
de l'Alhambra, existait un caravansérail où se logeaient
les convois venant du Sud.
----------D'ailleurs
la rue d'Isly, comme nous allons le voir, était l'endroit où
se groupaient les caravansérails ou fondoucks, primitives hôtelleries
pour les hommes et les animaux qui arrivaient des oasis et des régions
sahariennes.
----------L'immeuble
où se trouve la brasserie Novelty (angle rue d'Isly et place Bugeaud)
a remplacé un élégant hôtel particulier qu'habitèrent
les intendants généraux et où se donnèrent
de brillantes réceptions.
La place Bugeaud en 1953
----------Revenons
sur nos pas et longeons le côté droit de la rue allant vers
la porte où sont actuellement l'hôtel du Corps d'Armée
et le Mont de Piété. En 1890, la Maison Begeay, celle qui
avec le quartier du XIXèCorps d'Armée constitue toute une
partie de la place, m'existait pas (elle fut bâtie entre 1891 et
1892). A sa place était une construction rudimentaire derrière
laquelle il y avait un caravansérail ; en bordure de la rue d'Isly
se trouvait un café maure dont les consommateurs accroupis sur
le trottoir se livraient des heures durant aux difficiles combinaisons
du jeu de dames ou d'échecs.
----------Sur
l'emplacement du n" 39 de la rue d'Isly, existait un fondouk extrêmement
fréquenté; on y voyait toujours une foule affairée,
bruyante, vociférante, pendant que se déchargeaient les
ballots. Au coin des rues d'Isly et Négrier qu'on a baptisée
du nom de Varenne, était un petit poste de pompiers. On pénétrait
dans le fondouk; on se trouvait dans une vaste cour encombrée d'animaux
au repos et de colis; dans le fond du rez-de-chaussée, des écuries
et au-dessus un étage parcouru par une galerie sur laquelle s'ouvrait
des chambres où s'abritaient les caravaniers. C'est là,
qu'en 1894 j'allai quérir quatre chameaux pour un char de Touareg
que nous fîmes,- jeunes rhétoriciens, -à l'occasion
d'une bataille de fleurs ; il eut beaucoup de succès : les chameliers
qui cheminaient sur leursbetes, de chaque coté du char étaient
comme nous costumés en targui. Il fut gratifié d'un prix
d'honneur
----------Plus
loin, un autre fondouk, presque en face de l'immeuble où est actuellement
la bijouterie Bielle, dont la cour était précédée
d'une petite maison à un seul étage, pompeusement appelé
comme l'indiquait une enseigne peinte sur le mur : Hôtel du Boulage
; il devait sans doute loger les charretiers venant de Boghari ou de Laghouat.
Vers 1887 ou 1888 au bas de cette maison se trouvait un sellier dont le
magasin pourvu d'une vitrine en bordure de la rue d'Isly, offrait aux
regards des passants un cheval en bois peint, paré de harnais élégants,
spécimens de l'art et de l'industrie du tenancier. A la suite venait
une maison très simple à 3 ou 4 étages où
se trouvait l'Intendance militaire. Elle est restée longtemps debout.
Nous voici à la fin de notre promenade rétrospective puisque
nous nous retrouvons au bas de la maison Alcay et devant la porte d'Isly,
----------Et
voilà, rapidement et peut-être maladroitement esquissé
l'ancien aspect du quartier d'Isly ; il est toujours difficile de situer
avec exactitude, au milieu des bouleversements et des changements modernes,
l'emplacement de ce qui existait antérieurement. Ce quartier est
devenu aujourd'hui le plus luxueux de la cité c'est là,
qu'avant les dernières guerres, la jeunesse algéroise avait
coutume de faire "son persil" : le matin de 11 h. à 12
h., et le soir de 18 h. à 19 h. Cette promenade qui avait été
précédée pendant de longues années par la
flânerie sous les Arcades Bab-Azoun a cessé maintenant. La
vie trépidante, difficile du présent ne permet plus les
causeries ambulatoires, les plaisanteries innocentes ; les affaires, les
préoccupations, ont fait oublier et périmer la jeune gaietéde
naguère.
----------En
terminant ce récit, il me reste à dire un mot du "Village
d'Isly". Il était situé au-dessus des Facultés.
Il était charmant, composé de jolies villas délicieusement
agrémentées de jardins. Dominant la rue de Mulhouse, s'élevait
la "Villa Sintès", parée d'un crépi rouge
elle se dressait au milieu des vieux oliviers entourée de massifs
débordant de verdure et de fleurs. Longtemps elle fut une pension
de famille recherchée des hiverneurs pour sa situation, son calme
et la vue splendide qu'on y avait sur la baie et les montagnes de Kabylie.
C'est là que, dans une retraite absolue, s'était réfugié
dans les années 1886 et 1888 Saint-Saëns, fuyant la popularité
et la curiosité de la foule ; il s'était dissimulé
sous le pseudonyme de Charles Sannois. Ce séjour avait précédé
celui qu'il fit plus tard à la Pointe-Pescade, dans une maisonnette
de style arabe qui appartenait à Madame Laperlier.
----------Tout
cela a bien changé ! Ce que l'on fait de nos jours est certes conforme
au progrès, il faut le reconnaître, mais " les anciens"
ne peuvent évoquer, sans le regretter, le pittoresque d'antan ;
car le cadre de leur jeunesse ne fut pas le "VIEIL ALGER ",
mais le "BEL ALGER"
(A suivre)
Dr GAUTHIER Président du Comité
du Vieil Alger
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