------------L'histoire
et la géographie établissent que l'Algérie est une
invention récente, et elles montrent qu'aucune des conditions nécessaires
à la formation d'une littérature propre (unité de
peuplement, unité de langage, unité nationale) n'a jamais
été remplie dans ce pays.
------------Pourtant
il y a toujours eu et il y a des hommes issus de ce terroir,nourris, formés
par lui, qui ont fait, qui font acte d'écrivains, qu'ils s'expriment
ou se soient exprimés tour à tour en punique, en grec, en
latin, en arabe, en français. Il en est même qui, sans écrire,
créent une littérature de transmission orale dans les divers
dialectes berbères, de la Kabylie au Hoggar.
------------C'est
à ces écrivains, que nous appellerons toujours " algériens
" pour la commodité de l'exposé, à eux seulement
que sera consacré notre examen, sans retenir, sinon dans quelques
cas particulièrement significatifs, les écrivains "
étrangers " qui ont écrit sur l'Algérie, nous
attachant en définitive à chercher ce qu'a été
jusqu'à ce jour une littérature faite par l'Algérie,
pour découvrir au moins les traits d'un domaine algérien
de la littérature en général.
************
------------Tout
tableau littéraire de l'Algérie devrait avoir pour arrière-plan
son âge punique et carthaginois. Nous pouvons bien songer avec regret
à une littérature carthaginoise, mais nous ne la ressusciterons
pas, si tant est qu'elle ait existé. En détruisant Carthage,
les Romains ne nous ont pas laissé les moyens de vérifier
si nous avons beaucoup à regretter. Mais cela se saurait.
------------Au
demeurant Carthage fut une vulgarisatrice plutôt qu'une créatrice
de culture. Elle a diffusé l'influence hellénique ; grâce
à elle c'est le grec qui fut la langue des intellectuels nord-africains.
Le grand Massinissa, le plus berbère des dynastes, fit donner à
ses fils une éducation grecque. L'un d'eux, Micipsa, vivait entouré
de lettrés grecs. C'est en grec qu'écrivait le roi numide
Hiempsal dont Salluste a consulté les récits ; c'est en
grec que Juba II, le roi berbère de notre Cherchell algérienne,
rédigea ses nombreuses compilations, poussant même jusqu'à
étudier les causes de corruption de la langue d'Homère.
Et Plutarque n'a pas dédaigné de lui emprunter quelques
traits.
*************
------------De
même que le punique et le grec s'étaient superposés
aux idiomes berbères, le latin s'implanta en Afrique au temps d'Auguste.
Le christianisme ne devait pas tarder à l'y répandre largement.
Des Berbères romanisés ou des Romains berbérisés
vont donc apporter à la littérature latine une contribution
nouvelle, importante en qualité et en quantité.
------------Peut-on
considérer ces écrivains comme ayant constitué un
domaine proprement africain de la littérature latine ? On l'a tenté.
Ce fut la thèse de Paul Monceaux, qui voyait dans le latin écrit
par les écrivains d'Afrique des tournures si particulières
qu'il en résulterait presque une langue propre à ces Africains.
Mais cette thèse n'est plus guère admise. Il est bien malaisé,
au dire des spécialistes, de définir les africanismes de
vocabulaire et de syntaxe. Nous ne pouvons isoler que par artifice ces
écrivains de l'ensemble auquel ils participaient. Si l'on peut
parler d'un siècle de saint Augustin l'Africain, n'oublions pas
que ce fut aussi le siècle de saint Jérôme le Dalmate.
Ainsi la littérature française a-telle en même temps
Corneille, normand, et Pascal, auvergnat.
------------Il est encore plus difficile d'isoler
les " Algériens " de l'ensemble des écrivains
latins d'Afrique. Car l'Afrique romaine a englobé tout le pays,
des Syrtes à l'Atlantique, modifiant, selon les époques,
la longueur, la profondeur, l'étendue, le nom de ses diverses provinces.
Il n'y a pas de différence de nature entre l'écrivain latin
Tertullien, qui appartint à l'espace de l'actuelle Tunisie, et
l'écrivain latin saint Augustin, qui appartint à l'espace
de l'actuelle Algérie. En outre, assez nombreux sont les écrivains
dont nous savons seulement qu'ils étaient " africains "
sans plus de précision. Pour nous en tenir à notre propos,
nous ne nous étendrons ici que sur les " Algériens
" confirmés.
------------Le siècle
d'Auguste n'a guère produit que Fiorus et Manilius, dont il y a
peu à dire. C'est à partir du IIè siècle qu'on
voit les écrivains africains s'imposer dans la littérature
latine avec deux grands noms : Fronton et Apulée.
------------Fronton
est né à Cirta, notre Constantine. Mais à vrai dire
il a vécu dans tout l'empire, menant une vie comblée d'honneurs,
pour avoir été le maître à penser de deux empereurs,
dont Marc-Aurèle. Ce n'est pas un mince titre de gloire, et qui
vaut à nos yeux autant que ses Discours, ses Eloges et ses autres
traités, où ses contemporains virent d'ailleurs "
la parure de l'éloquence romaine ".
------------Apulée,
qui vivait à la même époque, est passé bien
plus brillamment à la postérité. On lit encore, on
réimprime souvent son oeuvre la plus fameuse. Il était né
à Madaure, actuellement M'daourouch, du côté de Tébessa,
qui était une cité florissante. Il y fit ses premières
études, puis à Carthage, où il enseigna ensuite la
rhétorique avant de parcourir le monde, en quête d'aventures
autant spirituelles que physiques. L'une de ces aventures lui valut un
procès en sorcellerie dont le principal avantage, pour nous, est
que notre homme se défendit lui-même en composant son apologie
qui reste un petit chef-d'uvre d'astuce et d'humour.
------------Ce
seraient aussi ses propres aventures qu'il nous aurait racontées
dans ses Métamorphoses, plus connues sous le nom
fameux de l'Ane d'or, un des très rares romans de
l'antiquité, roman fantastique et de magie, où l'on peut
voir une anticipation de cette métapsychie que notre époque
a mise à la mode. Mais ce roman nous touche bien plus encore par
le charmant épisode d'Eros et de Psyché qui y est inséré.
------------L'Ane
d'or, l'Apologie, les Florides, recueil d'anecdotes, une Doctrine
de Platon, un traité sur le Génie de Socrate,
etc... l'oeuvre d'Apulée suffit à illustrer une littérature
et un pays. On comprend que ses compatriotes, de son vivant, lui aient
élevé des statues, et que ses " descendants "
aujourd'hui se réclament encore de son exemple.
------------Bien
qu'il soit " tunisien " puisqu'il naquit, vécut et mourut
à Carthage, il faut au moins marquer ici la place historique et
chronologique du grand Tertullien, ne fût-ce que pour opposer au
païen Apulée ce fougueux docteur de l'Eglise dont Chateaubriand
a dit que " ses motifs d'éloquence
sont pria dans le cercle des vérités éternelles
". Et aussi parce qu'il y a en lui un archétype de i'Africain
violent, passionné, en perpétuel état de révolte
jusqu'à devenir une espèce d'anti-tout. En tout cas, il
est le premier grand animateur de la littérature chrétienne
d'Afrique, qui va compter tant de Pères de l'Eglise, d'apologétistes,
de polémistes, de théologiens, d'hérésiarques,
de saints et de martyrs.
------------A la même époque que Tertullien,
au début du IIè siècle, nous trouvons déjà
un document de premier ordre, qui lui a d'ailleurs été attribué
: La Passion de sainte Perpétue, dont Paul Monceaux
a pu dire que c'était " une oeuvre
charmante, pleine de grâce et de vérité, un des bijoux
de la vieille littérature chrétienne ".
Nous trouvons encore un Minucius Félix, originaire de notre Tébessa
algérienne, qui a laissé au moins le célèbre
dialogue de l'Octavius, dont un des personnages est d'ailleurs un Constantinois
et que Renan tenait pour " la perle de la
littérature apologétique ".
------------Faute
de pouvoir les annexer à l'Algérie, nous ne nous arrêterons
pas à saint Cyprien, Commodien. Arnobe, Lactance (ce prophète
de l'âge d'or), qui ont tant de titres à notre considération,
non plus qu'à ces poètes mineurs, grammairiens, versificateurs,
qui mettent Virgile en centons, tels que Sammonicus, Nemesien, Reposianus.
------------Voici
le IVè siècle, il nous faut arriver sans tarder à
ceux qui participèrent à la grande querelle, à la
fois schisme et guerre sociale, du donatisme : c'est-à-dire au
plus grand de tous les Algériens, de tous les Africains, saint
Augustin.
------------Pour
l'histoire et l'intelligence des idées, il faudrait considérer
dans le détail les innombrables polémiques qu'engendra le
donatisme, car elles constituent la toile de fond du panorama augustinien.
Finalement Augustin fit triompher l'orthodoxie catholique, mais ses adversaires
ne furent pas négligeables. Donat, le fondateur de la secte ; Parmenianus,
son successeur ; Petilianus, Gaudentius (de Timgad) se sont révélés,
non seulement des orateurs, mais des pamphlétaires de talent. Il
est vrai que l'orthodoxie avait déjà trouvé, elle
aussi, un défenseur de la classe de saint Optat, évêque
de Milève (près de Constantine), cependant qu'un Tyconius
illustrait le tiers-parti.
------------Mais
tout cela, précurseurs, partisans, adversaires, tout cela disparaît
vite à nos yeux derrière la grande figure de saint Augustin.
------------La
vie d'Augustin nous est bien connue, puisqu'il l'a lui-même racontée
dans cet immortel chef-d'uvre : les Confessions. Il
naquit en 354 à, Thagaste (notre Souk-Ahras), de parents berbères
romanisés : Monique, née chrétienne, et Patricius,
resté païen. L'influence que la mère a exercée
sur le fils est bien connue : sainte Monique a deux fois mis au monde
Augustin, l'homme et le saint.
------------Ecolier
à Madaure, étudiant à Carthage, il a mené
d'abord une vie très " mondaine ", adonné aux
plaisirs et aux passions. Puis il fut professeur, vendant son savoir dans
diverses écoles, à Carthage, à Rome, à Milan.
C'est là qu'il connut la fameuse " journée d'illumination
" qui le conduisit au baptême. Il avait trente-trois ans.
------------Devenu
prêtre, puis évêque d'Hippone (notre Bône), il
le restera jusqu'à sa mort, survenue le 28 août 430 dans
sa ville assiégée par les Vandales de Genséric.
------------Saint
Augustin a passé sa vie catholique à combattre le paganisme
et les hérésies qui foisonnaient, celles de Planés
et de Pélage, l'arianisme et le donatisme. Cette lutte lui a fait
produire une masse d'écrits polémiques, d'abondants traités,
une nombreuse correspondance. Dans toute cette littérature de circonstance
se révèle le grand écrivain que les Confessions affirment,
mais aussi le robuste penseur et l'homme d'action.
------------Ce n'est pas qu'Augustin ait été
tout d'une pièce, comme on dit. Bien au contraire. Avant même
sa conversion au catholicisme, il avait traversé une crise spirituelle
dans laquelle il avait été longuement séduit par
le manichéisme. C'est par-là qu'on peut voir qu'il incarne
de la façon la plus évidente une des constantes du génie
nord-africain : le dualisme. Tiré de part et d'autre vers ses extrêmes,
il a lutté, sa vie durant, pour résoudre ses contradictions,
allant de ce qu'on pourrait appeler un romantisme du sentiment à
un classicisme de la forme et de la pensée, cherchant à
se donner lui-même les disciplines d'une mesure humaniste qui pût
contraindre sa démesure native. Et il y est parvenu, au terme de
sa longue existence, en édifiant cette solide synthèse intellectuelle,
cette haute construction de l'esprit qu'est la Cité de Dieu, sur
les ruines de son univers : les Goths étaient entrés dans
Rome et les Vandales assiégeaient sa propre cité. Mais en
mourant saint Augustin laissait au génie de l'Afrique la pensée
la plus durable dans l'oeuvre la plus classique, qui ne devait pas cesser,
pendant des siècles et jusqu'à nos jours même, d'alimenter
la vie spirituelle de l'Occident, la philosophie chrétienne et
jusqu'à la littérature émouvante des âmes avides
de se confesser.
------------S'il
existe un exemple valable, depuis Ulysse, du dualisme :méditerranéen
surmonté par soi-même dans l'unité de i'Esprit, c'est
bien celui de saint Augustin. Et que cet exemple nous vienne d'un "
Algérien ", de ce pays toujours déchiré entre
ses tendances extrêmes, entre l'Occident et l'Orient, entre la passion
et la raison, il me semble que c'est là un phénomène
plein de conséquences et propre à nous faire méditer
sur les possibilités de l'avenir nord-africain.
***************
------------Toute
grande époque a sa décadence et ne finit pas d'un seul coup.
La littérature latine n'est pas morte avec saint Augustin et les
Africains ont continué pendent près de deux siècles
à lui fournir une contribution qui n'a pas toujours été
sans intérêt. Du vivant même d'Augustin on vit paraître
au moins deux Algériens notables : le poète Licentius, qui
était de Thagaste, comme Augustin, - et qui avait d'ailleurs été
son élève, et surtout Martianus Capella, qui était
de Madaure comme Apulée, et qui comme celui-ci nous a laissé
un roman, les Noces de Mercure et de la Philologie, dont
on pourrait dire qu'il forme une espèce d'encyclopédie allégorique.
------------Mais
déjà l'Afrique romaine était devenue vandale, au
moins par son gouvernement. A la cour des rois barbares, on menait en
fait une vie fort raffinée. Les écrivains s'y pressaient
pour célébrer, toujours en latin, la joie de vivre. Hommes
de la décadence, courtisans, poètes mineurs, il leur arrive
pourtant de ne pas manquer d'ambitions créatrices et de trouver
des traies mémorables. Tel ce Dracontius, dont un vaste poème
didactique peut faire penser à Milton ; tel ce Fulgence qui fait
penser à Dante, car lui aussi, mais huit siècles plus tôt,
il était descendu aux enfers avec Virgile pour guide. Le grand
historien Stéphane Gsell a pu dire que le dialogue de Virgile et
de l'africain Fulgence était, à l'entrée du Moyen-Age,
une sorte de lever de rideau burlesque de la Divine Comédie.
------------Après
les Vandales, les Byzantins, la reconquête de l'Afrique par les
Romains d'Orient, l'anarchie, la guerre, les insurrections : époque
peu favorable à la vie littéraire. Il en émerge pourtant
un fameux grammairien. Priscien, originaire de notre Cherchell, qui a
laissé aussi une géographie versifiée, et ce poète-lauréat,
Corippus, qui a consacré des épopées à la
louange de ses maîtres, et nommément la Johannide au
général grec Jean Troglyta.
------------Mais
le VII è siècle commence, et voici les Arabes.
Pour un assez long temps, l'Afrique du Nord, devenue le Maghreb, est entrée
dans ce que l'historien E.F. Gautier appela ses " siècles
obscurs ". Nous allons voir comment l'Algérie en est sortie.
**********************
------------L'invasion
arabe n'a pas eu pour conséquence immédiate de faire disparaître
les parlers berbères ni même le latin et le grec ; mais,
en donnant à l'Afrique du Nord, avec une nouvelle et durable religion,
de nouveaux aspects ethniques et sociaux, elle lui a peu à peu
donné aussi une langue liturgique, l'arabe du Coran, qui est devenue
pendant des siècles son urique langue de culture. Nous allons donc
voir maintenant les "écrivains algériens " participer
au vaste développement de la littérature arabe.
------------Dans
quelle mesure l'ont-ils fait ? A première vue modestement, et nous
n'en sommes pas surpris, sachent que les siècles arabes et turcs
de l'actuelle Algérie n'ont pas été, dans l'ensemble,
des siècles de grande civilisation. Une toute récente anthologie
nous donne en traduction les " plus beaux textes de la littérature
arabe ". Or, sur quelque cent-trente auteurs produits nous n'en
voyons que huit ou neuf qui soient algériens : en treize siècles,
cela peut paraître assez décevant. Mais à y regarder
de plus près on est amené à penser que les deux ou
trois grands nones donnés par l'Algérie à la littérature
arabe sont dignes des deux ou trois grands noms qu'elle a donnés
à la littérature latine, et les uns et les autres à
la littérature universelle.
------------L'Afrique
du Nord, le Maghreb désormais, a tenu une large place, pendant
les six ou sept premiers siècles de l'islam, dans la littérature
arabe, sous la forme de récits et de descriptions qu'en ont faits
les historiens. les géographes, les voyageurs, tels que FI Yacoubi,
El Bekri, Edrisi, Ez Zohri ou Ibn Batoutt, mais ceux-ci n'étaient
ni algériens ni même maghrébins, sauf le dernier,
le grand aventurier, originaire de Tanger, qui parcourut le monde. Leurs
écrits se situent entre le Xè et le XIVè siècle.
------------A
la même époque l'Algérie voit, cependant paraître
déjà plusieursécrits notables, en particulier les
chroniques ibâdites d'Ibn Rostem (début du IX'' siècle)
d'Ibn Saghir (fin du IX"), les poèmes d'Ibn Itachid (début
du XI"') qu'on a appelé " un Boileau nord-africain
", et la chronique d'Ahou Zakariya (fin du XI""') tandis
que la ville de Bougie, capitale au XIè siècle des souverains
hammadites, se révélait un centre intellectuel et artistique
très anime.
------------Mais
c'est surtout Tlemcen, à l'époque des princes mérinides
et adbelouadites, qui allait porter le flambeau de la civilisation arabe.
------------Dès
le XII" siècle. Tlemcen pouvait tirer gloire d'un grand esprit
qui fut aussi une belle âme : celui qui est resté son patron
sous le nom de Sidi Boumédine (Indiquons une fois
pour toutes que nous donnerons des noms arabes la transcription la plus
communément admise et la plus aisée pour les lecteurs non
arabisants.). Originaire de Séville, c'est en Algérie
qu'il a vécu et à Tlemcen qu'il est mort en odeur de sainteté,
laissant une haute réputation de mysticisme, qui a fait de lui
le type le plus achevé du soufisme en occident. Ses poèmes
et ses sentences, souvent ésotériques, continuent d'être
commentés de nos jours et récités dans les séances
initiatiques. Si elles développent le goût de l'ascèse,
ce n'est pas sans y mêler une douceur d'âme qu'on pourrait
dire franciscaine.
------------Au
XIIIè siècle, c'est avec Ibn Khamis, qui a été
considéré comme son plus grand poète, que la civilisation
tlemcenienne s'illustre. On lui doit des poésies profanes, des
poésies mystiques, des panégyriques et des bucoliques. Les
vicissitudes de la vie publique l'obligèrent à émigrer
en Andalousie où il mourut assassiné pendant un coup d'état.
------------Mais
le XIVè siècle paraît bien avoir été
l'époque la plus brillante de Tlemcen, si l'on en juge par le témoignage
de l'historien Yahia Ibn Khaldoun, frère du grand Ibn Khaldoun
dont nous parlerons plus loin Chroniqueur, poète, prosateur, homme
d'état, il était né à Tunis mais l'essentiel
de sa carrière aventureuse s'est déroulé à
Bougie, à Biskra, à Bône, où il a tâté
de la prison, et à Tlemcen où il est mort assassiné.
------------C'est
par lui que nous connaissons bien les fastueuses réceptions qui
se donnaient à la cour du prince-poète Abou Hammou II, où
les jeux de l'esprit et le, fleurs de rhétorique charmaient une
société exquisement policée. A la même époque,
le constantinois Ibn et Khatib décrivait, dans sa Farisiya, les
charmes analogues de la dynastie tunisienne des Hafsidea.
------------Mais
en vérité ces jolies arabesques n'iraient pas loin dans
l'ordre de la création si elles n'étaient soudain comme
effacées et recouvertes par le génie d'Ibn Khaldoun, le
grand Khaldoun, de même que nous avons vu, et pour des raisons analogues,
saint Augustin éclipser ses contemporains.
------------De
1332 à 1406 , Ibn Khaldoun a mené une vie prodigieusement
remplie. Dès l'âge de vingt ans il était dans les
fonctions publiques et il devait y parvenir aux plus hauts emplois, d'un
bout à l'autre du monde musulman, c'est-à-dire de l'Espagne
jusqu'à l'Orient, en passant par le Maroc, l'Algérie, la
Tunisie, l'Égypte. Il fut professeur, ministre, ambassadeur, agent
secret, magistrat, chancelier, chambellan, et j'en oublie. Il a servi,
non sans quelque génie de l'intrigue e!: sans quelques palinodies,
plusieurs souverains aux intérêts divergents. Il a connu
la disgrâce, l'exil, la prison. Il a été comblé
des plus grands honneurs. Il a même reçu l'accueil favorable
de célèbres potentats étrangers, tels que le chrétien
Pierre-le-Cruel ou le mongol Tamerlan.
------------Si
cette existence n'a pas toujours été édifiante au
sens moral du mot, elle lui a donné du moins les moyens d'acquérir
une expérience extrêmement riche. Il a tout vu de son temps,
et il a tout lu aussi. Puis il a médité.
----------Obligé
à faire une retraite " diplomatique ", il en a profité
pour faire une retraite spirituelle, dans un château isolé,
du côté de Tiaret, à Taourzout. Il y resta quatre
ans. Il en avait alors quarante-quatre et il était en pleine maturitéet
possession de son génie. Ayant déjà rassemblé
les matériaux de sa future Histoire des Berbères, c'est
à Taourzout qu'il en écrivit l'introduction : les
Prolégomènes.
------------Cette
longue préface est une uvre magistrale, qu'on peut dire exceptionnelle
dans la littérature arabe, et certainement digne de prendre une
place du tout premier rang dans l'histoire littéraire de l'humanité.
------------Non
seulement les Prolégomènes d'Ibn Khaldouni forment une somme
encyclopédique de toutes les connaissances du temps où ils
furent composés, mais encore, et surtout, ils sont un essai logique
de synthèse intellectuelle de ces diverses connaissances. Et si
on replace cette uvre précisément dans son époque,
on est frappé par la hardiesse et par l'originalité du système
des pensées, et par l'aspect, sinon prophétique au moins
précurseur, qu'elle ont souvent.
------------Par
sa méthode de l'histoire, par sa présentation et mise en
place des faits, par son sens critique, Ibn Klialdoun est vraiment le
premier en date des historiens arabes et sans aucun doute le plus grand,
peut-être même le seul qui réponde à une notion
scientifique de l'histoire. Par là encore, et par des vues comme
celles qu'ill a développées par exemple sur l'évolution
des sociétés humaines et des empires, avec sa " loi
des âges ", Ibn Khaldoun est un esprit qui, en plein Moyen-Age,
fait déjà penser à un Montesquieu, à un Taine,
à un Auguste Comte. Il est le plus moderne des classiques arabes
et sans doute celui dont la pensée, bien que nourrie et admirablement
formée par l'Orient, se prête avec le plus d'aisance à
l'accueil de la pensée occidentale.
------------Après
le grand Khaldoun, Tlemcen devait encore donner aux lettres arabes le
métaphysicien Senoussi, une des plus nobles figures de l'Algérie
musulmane On a dit de lui que, par ses Prolégomènes théologiques,
il était " à la théologie
ce qu'Ibn Khaldoun est à l'histoire et à la sociologie
" (Berque).
------------D'autre
part Alger peut se flatter d'avoir produit dans le même temps un
autre mystique de haute réputation, celui qui est d'ailleurs resté
son saint patron, Sidi Abderrahmane al Tsaalibi. Après avoir étudié
dans son pays puis en Orient, il se fixa de nouveau à Alger où
il enseigna. Il pratiquait " les deux voies ",
l'exotérique et l'ésotérique, tentant de concilier
le mysticisme des soufis et la Loi orthodoxe.
------------Mais
après le Moyen-Age la littérature arabe tout entière
se metà décliner. L'exploitation de l'Algérie par
les Turcs, à partir du XVIè siècle, et bien que leur
langue ne s'y soit guère implantée, ne fut pas favorable
au commerce littéraire. Les noms et les uvres remarquables
se font assez rares. On citera Makkari, l'historien des dynasties musulmanes
d'Espagne. Il était algérien par sa famille, il fut instruit
à Tlemcen, mais fit sa carrière en Orient. On citera encore
des " journaux " de voyageurs et les récits du
cheikh Bou Ras, un savant oranais. D'autre part la veine satirique et
populaire semble avoir donné des oeuvres plus originales, avec
un Ben Youcef, de Mascara ; un Benemsaïb, de Tlemcen ; un Bessouiket,
le barde du Chélif ; plus tard, un Rahmouni, de Constantine. D'ailleurs
la littérature folklorique et dialectale des Arabes d'Algérie
n'a pas encore livré ses richesses, malgré les travaux accomplis
déjà par Despaimet ou par Mustafa Lachraf.
------------Dans
les années qui ont suivi 1830, la conquête française
n'a pas donné un vrai regain à la littérature d'expression
arabe. Si l'émir Abd et Kader, ce grand guerrier, a composé
des poésies d'une belle élévation spirituelle, c'est
dans la pure tradition classique. Celles de Ben Siam, Ould Kadi, Mohammed
Kabih, Khodja Kamal ne semblent pas avoir ajouté des accents inédits
à cette tradition.
------------En
vérité il fallait attendre la " nadha ",
c'est-à-dire la "renaissance " de la culture arabe
dans le monde, qui a commencé en Egypte, s'est étendue aux
pays d'Orient et n'a gagné que très tardivement l'Algérie.
------------En
Algérie même, il n'est pas douteux que la culture arabe est
désormais en progrès marqué. Amorcé dès
1920 par l'action d'hommes politiques tels que l'émir Khaleû
et Ben Rahal, ce mouvement a été développé
par les oulémas réformistes, en tête desquels il faut
citer le cheikh Tayeb et Okbi, le savant Ben Badis et son successeur le
cheikh Brahimi.
------------Mais
il fallait d'abord organiser l'enseignement de l'arabe classique, langue
qui reste encore ignorée de la grande masse des musulmans algériens.
Les écoles, la presse, le cinéma, les cercles, les concerts,
la radio, le théâtre y contribuent chacun à sa façon.
Déjà des polémistes, des publicistes, des historiens
tels que M. Toufik et Madani, et des poètes tels que M. Mohammed
Al-Id-Hammou Ali, se sont affirmés. Celui-ci est présenté
par M. Dermenghem comme " le plus notable des poètes
Algériens d'aujourd'hui " et il ajoute
------------"
Nourri des classiques et des modernes orientaux ou américains,
il cherche moins à les imiter qu'à trouver dans la poésie
un moyen de développer sa personnalité et de l'exprimer
avec une sincérité souvent pathétique, qui frise
parfois le genre oratoire, mais est profondément humaine par ses
révoltes contre les imperfections et sa soif de connaissance, de
justice et d'amour. "
------------Mais
il semble bien que ce soit le théâtre qui, jusqu'à
nouvel ordre, ait fait preuve de la plus grande activité. Il a
d'ailleurs pour lui sa force d'expansion populaire, dans un pays où
la tradition des mimes, des conteurs et des baladins reste vivante.
------------Rachid
Ksentini fut le précurseur de ce mouvement. On l'a justement appelé
" le père du théâtre arabe en Algérie
". A la fois auteur, acteur, metteur en scène, son réel
génie comique et sa carrière traversée de vicissitudes
peuvent faire songer aux débuts de Molière. Il a un successeur
de qualité en M. Mahieddine Bachtarzi qui dirige une troupe active
et lui fournit de nombreuses pièces d'accès aisé
au
grand oublie. M. Mustafa Gribi, qui anime un autre groupe de comédiens
arabes, les oriente vers une expression plu, littéraire. Car ce
théâtre, s'il est encore tout pies de la farce, s'élève
rapidement. Et nous ne serons pas étonnés s'il nous offre
bientôt des spectacles de très haute qualité.
********************
------------Après
avoir parlé de la littérature d'expression arabe, revenons
à celle des Berbères. Ainsi que nous l'avons déjà
dit, on ne peut parler d'écrivains berbères que par artifice,
puisque leur idiome n'est pas écrit et qu'on ne connaît leurs
uvres que par la transmission orale. Mais cette littérature
existe, elle a donné lieu à de nombreux travaux de recherche,
de transcription et même d'enregistrement. L'ordre chronologique
aurait sans doute voulu qu'on en parlât d'abord. Mais il se trouve
que cette littérature anonyme se perd dans la nuit des temps traditionnels
et que ses couvres ne peuvent guère être datées. En
fait, quand elles sont datables, on constate, par les allusions à
des événements historiques, qu'elle sont récentes,
même si elles reprennent des thèmes e' motifs ancestraux,
et qu'elles se situent dans l'époque qui est contemporaine de l'installation
française en Algérie.
------------Il
en est ainsi des uvres des " trouvères" touareg,
et notamment de la fameuse Dassine. Il en est ainsi des uvres produites
par les Kabyles. Leurs contes parcourent toute la gamme de l'imagination
populaire, du magique au religieux, du merveilleux aux récits de
batailles, des énigmes amusantes aux légendes hagiographiques,
en passant par les fabliaux. On y retrouve le répertoire traditionnel
de la fable orientale et des héros familiers à tout un cycle
méditerranéen.
------------La
poésie va plus loin. C'est un chant profond. Pour la bien sentir
il fallait qu'un équivalent poétique nous en fut donné
en français par un poète capable aussi bien de l'éprouver
du dedans que de l'extérioriser dans notre langue. Ceci s'est heureusement
produit avec M. Jean et Mouhoud Amrouche et son recueil de Chants berbères
de Kabylie, ainsi qu'avec Mme Marguerite Taos qui ne sa contente pas de
traduire et adapter ces couvres, mais encore qui les chante, devant des
auditoires "occidentaux " et à la radio, selon la pure
tradition qu'elle a reçue dans sa propre famille kabyle.
------------Car
il s'agit là d'une poésie essentiellement lyrique, associée
la musique et à la danse. Le Kabyle chante tous les travaux quotidiens,
toutes les cérémonies de l'existence, les fêtes et
les pèlerinages, les berceuse de l'enfance, les jeux et les comptines,
las thrènes de la mort. Tous les thèmes de cette poésie
sont simples, vrais et humains : l'exil, la mort, Dieu, la tendresse maternelle.
Et c'est par là que cette littérature " locale"
qui ne cherchait pas à être littéraire, s'inscrit
tut naturellement dans le patrimoine rie la littérature universelle.
------------Ne
voyons pas là un paradoxe, mais en voici un vrai qui apparaît
du même coup. Les moyens modernes d'enregistrement et de diffusion
(phono, cinéma, radio) ont fait sortir cette littérature
populaire de son séculaire anonymat. Déjà bien connu
des lettrés est le nom de Si Mohand, qui aura été,
au début de ce siècle, le plus fameux des poètes
kabyles, dans le genre des " isefra ", poèmes
à déclamer. Il y a en lui un aspect très émouvant
de " poète maudit ", une espèce de Verlaine
kabyle qu'entoure désormais le halo légendaire d'un personnage
devenu sacré par ses souffrances et son talent. Le nom de Smaïl
Azikkiou est connu aussi ; ceux de MM. Ouary Malek et Noureddine se répandent
chaque jour davantage.
------------Il
serait curieux qu'à l'époque où les Kabyles ont pris
1 habitude de s'exprimer et d'écrire en français ou en arabe,
leur littérature populaire se remît à prospérer
dans leur langue natale, et peut-être même en vînt à
être écrite...
********************
------------C'est
en 1830 que l'Algérie est née comme entité administrative
et à la littérature française. A la vérité
on avait déjà parlé d'elle dans nos lettres, depuis
Rabelais, Bossuet ou Regnard... Mais l'arrivée des soldat; et des
colons devait entraîner aussi la visite d'innombrables littérateurs,
gens de lettres et vrais écrivains. On n'en finirait pas, s'il
fallait énumérer tous ceux qui sont venus voir cette terre,
y trouver des motifs de description, des sujets de récits, des
thèmes d'inspiration. Les bibliographies qu'on a tentées
à cet égard comportent des centaines de pages... La liste
va de Chateaubriand à Jean Cocteau. de Théophile Gautier
à André Gide, de Maupassant à Montherlant, en passant
par Flaubert, Alphonse Daudet, Loti, Jammes, Louys, et cent autres.
------------Mais
nous avons affirmé dès l'abord notre dessein de nous en
tenir aux " écrivains algériens". Si nous faisans
certaines exceptions, ce sera en faveur de ceux qui ont aidé les
Algériens à prendre conscience d'eux-mêmes. Et c'est
ainsi que nous citerons en tête le romantique Pétrus Borel,
le Lycanthrope, non point parce qu'il est venu terminer sa carrière
sur un obscur rond-de-cuir de Mostaganem, mais parce que ce précurseur,
dès 1845, prophétisa l'avenir littéraire d'Alger.
------------De
même, nous ne passerons pas sous silence le voyageur Fromentin.
Le premier, il a su voir les paysages, les types humains. Il a vraiment
créé l'Algérie de la littérature. Il en a
laissé une image qui ne correspond sans doute plus à la
réalité actuelle, mais qui garde en profondeur et avec le
recul nécessaire toute sa vérité. Le succès
même de ses deux célèbres livres algériens
n'a pas dû contribuer peu à faire sentir aux écrivains
locaux la dignité de la tâche qui les attendait. Louis Bertrand
au début de ce siècle, André Gide, Montherlant, Grenier,
de nos jours, auront joué chacun à leur manière un
rôle du même ordre. Sans Pépète-le-Bien-aimé
nous n'aurions peut-être pas eu Randau, et sans les
Nourritures terrestres, Camus. Autrement dit, sans une littérature
" sur" l'Algérie faite par des écrivains venus
du dehors, nous n'aurions pas eu une littérature faite "par"
l'Algérie et par ceux qui en sont les enfants, aujourd hui parfois
à la troisième génération.
------------Cette
littérature ne pouvait certes apparaître avant que le pays
eût atteint sa puberté intellectuelle et politique. Le phénomène
s'est produit vers 1898. Alors le " peuple algérien "
fait brusquement irruption dans les livres comme il descend dans la rue,
comme il monte aux tribunes parlementaires. L'Algérie est émancipée,
elle est majeure.
------------Sur
le plan littéraire cette prise de conscience est illustrée
par deux meneurs de jeu bien différents l'un de l' autre : le lettré,
le professeur qui est venu de la Métropole, avec un style, de belles
manières qui le mèneront à l'Académie, bref
Louis Bertrand - et le voyou local, le héros populaire, l'enfant
des faubourgs qui parle un argot tout neuf, bref Cagayous, qu'un
homme de Bab-el-Oued, le journaliste Musette, campe allègrement.
Louis Bertrand compose une épopée de la plèbe méditerranéenne
d'Alger dans des romans à la langue flaubertienne qui se vendent
au prix fort ; le Cagayous de Musette, vendu en brochures à
deux sous, montrait cette plèbe dans sa vie quotidienne, savoureuse,
truculente, avec ses gestes gentiment obscènes et son vocabulaire
étonnant, fait de français mêlé d'espagnol,
d'italien, de maltais, d'arabe. Il y a sans aucun doute dans Cagayous
le " produit " le plus spécifique de ce terroir, et même
s'il doit rester sans vraie postérité, comme il semble avéré,
il demeurera vivant dans le famille des types populaires. Et il aura eu
au moins le mérite de rouvrir les vannes du picaresque.
------------Ainsi
i` Algérie aura eu sa " génération de 98 ",
comme l'Espagne, mais pour d'autres raisons. L'heure des écrivains
algériens " avait sonné. Ils ont dès lors compris
que leur terre est une patrie ; ils veulent la voir du dedans, en gens
qui en sont ; ils veulent être les porte-parole d'une race nouvelle
dont ils s'assurent avec intrépidité qu'elle est vraiment
en train de se faire ; ils prétendent exprimer une âme africaine
éternelle qu'ils retrouvent chez Apulée, Tertullien, saint
Augustin, Jugurtha, Ibn Khaldoun, dont ils revendiquent l'héritage.
Enfin ils se proclament " algérianistes ", à
la suite de Robert Randau qui a écrit en 1920, dans leur manifeste,
cette phrase typique : " Nous voulons dégager
notre autonomie esthétique ".
------------Né
en Algérie, où il est mort après une longue carrière
en Afrique noire, Robert Randau s'était mis, sur le tard, à
la tête de ce mouvement. Délaissant les sujets " coloniaux
" qui avaient fait en partie sa réputation (La Ville
de cuivre, Les Terrasses de Tombouctou, etc...)
il se consacra de plus en plus à ses "romans de la patrie
algérienne " : les Colons, les Algérianistes,
Cassard le Berbère, etc... où il a campé
les types des colonisateurs conquérants. Trapu et violent, c'est
lui qui a propagé parmi ses contemporains ce goût de "
journées en force " (c'est un de ses premiers titres)
qui leur a donné un peu la brutale allure des romanciers américains.
Enfin c'est lui qui provoqua la création d'une association des
écrivains algériens, de leur revue Afrique et d'un grand
prix littéraire de l'Algérie.
------------De
1921 à 1952. les lauréats du grand prix littéraire
de l'Algérie ont été, dans l'ordre chronologique
. Ferdinand Duchérie, Maximilienne Heller, Gabriel Esquer, Louis
Lecoq, Gabriel Audisio, Albert Tristes, Charles Courtin, Robert Randau,
Charles Hagel, Jeanne Faure-Sardet, Lucienne Favre, A. Zanettaci, Claude-Maurice
Robert, Magali Boisnard, Paul Azan, Paul Achard, René Lespes, René
Janon. Mohamed Sifi, Slimane Rahmani, Marcel Emerit, Emmanuel Roblès,
Edmond Brua, Lucienne Jean-Darrouy, d'Alcantara, Zenati. Léon Lehureaux.
Saadeddine Bencheneb, Pierre Weiss, Marcel Breugnot, Henri Marchand, Mme
Canavaggia, Georges Marçais.
------------Quels
étaient donc les écrivains algériens que l'on pouvait
ranger sous cette bannière ? D'abord une équipe de romanciers
où figurent à la première place deux auteurs prématurément
disparus : Louis Lecoq et Charles Hagel: Ils avaient ensemble publié
Broumitche et le Kabyle, puis Lecoq seul Cinq dans
ton oeil, Caïn, Soleil, qui resteront
parmi les meilleurs témoignages du mouvement. A côté
d'eux, nombreux sont ceux qui ont uvré pour renouveler l'idée
qu on se faisait de leur pays et en exprimer les vérités.
Renonçant à dresser un palmarès, nous citerons des
noms tels que ceux de Robert Migot, Albert Truphémus, Lucien Pelaz,
Stephen Chaseray, Mallebay, Laurent Ropa, Jean Mélia, Ferdinand
Duchène, Charles Courtin, Paul Achard, René Janon, Henri
Marchand, et tant d'autres, sans oublier les femmes.
------------Car
les romancières furent nombreuses aussi dans ce premier âge
littéraire de l'Algérie française Il n'est pas douteux
qu'on le doit à l'exemple d'Isabelle Eberhardt, la "bonne
nomade ", dont la légende exaltante risque injustement
de faire oublier l'oeuvre. Slave islamisée, fille habillée
en garçon, vierge consumée de mysticisme et bacchante livrée
aux sensualité chaudes, orgueilleuse et misérable, Isabelle
ou Si Mahmoud, espionne ou insurgée, folle ou héroique,
Notre-Dame du Sahara chevauchant à travers les dunes pour aller
mourir noyée dans le débordement d'un oued du désert,
on a tout vu en elle, et peut-être tout cela existait-il. Mais elle
a laissé des livres : Dans l'ombre chaude de l'Islam,
Mes Journaliers, Trimardeur, qui portent témoignage
de son étrange génie.
------------Aprés
elle il faudrait citer bien d'autres romancières, telles que Maximilienne
Heller,Angèle Maraval-Berthouin, Magali Boisnard, Annette Godin,
Lucienne Jean-Darrouy, Bruno Ruby, et encore Lucienne Favre, qui, tout
en se défendant de faire uvre d'Algérienne, a donné
de nombreux ouvrages qui enrichissent singulièrement le paysage
littéraire de I'Algérie, tels que Bab-el-Oued,
Dans la Kasba, le Bain juif. Mourad,
et ce Prosper, au théâtre, qui a fait des petits
au cinéma.
------------La
poésie, il va sans dire, avait aussi, et même dès
l'abord, été secouée par l'algérianisme, mais
il faut bien avouer que ce fut sans y trouver des accents nouveaux qui
la distinguassent nettement de la plastique parnassienne et du symbolisme
qui régnait encore. Sous cette réserve, on a vu paraître
ici de nombreux poètes sensibles tels que Léo Loups, Raoul
Genella, Albert Tustes, Raoul Boggio. Claude Maurice Robert, lMarc Brimont,
etc... et parmi eux Edmond Gojon dont la mémoire reste vive. En
réalité, c'est à Jean Pommier, qui préside
depuis trente ans aux destinée de l'Association des écrivains
algériens et de la revue Afrique, qu'aurait dû
revenir l'honneur d'être en vers le prophète de l'Algérianisme.
Mais le sort a voulu que ses Poèmes pour Alger, qui
contiennent un " art poétique algérianiste ",
ne parussent qu'en 1937.
------------Quel
est bilan de l'algérianisme ? On ne peut certes pas affirmer qu'il
a réalisé son grand dessein de créer une littérature
algérienne autonome. En fait il aura, été un mouvement,
une école, qui ont déjà fait place à d'autres
mouvements, d'autres comportements, mais il les aura favorisés
à sa façon, ne fût-ce que par opposition, et en tout
état de cause, si un jour il nait de l'Algérie une branche
nouvelle au grand arbre des littératures, on ne pourra pas oublier
que ces écrivains là y auront été pour quelque
chose
------------Depuis
1935 environ une nouvelle génération d'écrivains
algériens s'est imposée à l'attention du public lettré
avec des chances diverses mais souvent éclatantes. La contribution
qu'ils apportent à la littérature est si substantielle ,
en qualité et en quantité, qu'elle mérite de se voir
consacrer une étude détaillée. Un prochain fascicule
de ces " Documents algériens " y pourvoira.
------------D'ores
, et déjà on peut dire qu'un des traits remarquables de
cette activité contemporaine est la place qu'y occupent les écrivains
d'origine arabe ou berbère s'exprimant en français, désormais
associés, et sur le même plan, à l'effort créateur
de leurs confrères d'origine européenne. Et l'on tient déjà
pour assuré que, parmi tous ces écrivains français
d'Algérie. quelle que soit leur origine, l'histoire littéraire
trouvera des noms mémorables.
Gabriel AUDISIO.
-
|