----------Entre
Alger et Cherchell, près de Tipasa, à environ un kilomètre
du rivage, sur une hauteur surplombant la Méditerranée,
s'élève un curieux monument, communément connu sous
le nom de Tombeau de la Chrétienne, traduction littérale
du nom arabe : Kober Roumia. La hauteur de 291 mètres sur laquelle
se dresse le Tombeau fait partie d'une petite chaîne de collines
parallèle à la mer, qui sépare celle-ci de la plaine
de la Mitidja ; si bien que le monument peut se voir de plusieurs kilomètres
à la ronde.
----------C'est
un immense cylindre à facettes de 61 mètres de diamètre
et de 185 mètres de circonférence, coiffé d'un cône
à gradins. L'ensemble à 35 mètres de haut. Lorsqu'il
fut construit, le cylindre était orné de 60 colonnes engagées
d'ordre ionique ancien à chapiteauxà palmettes et à
bandeaux, et de 4 fausses portes de 6 m 20 de haut à moulures saillantes
en forme de croix ; c'est peut-être de ces croix qu'est venu le
nom indigène de Kober Roumia.
----------Le
monument est posé sur un socle de pierre carré de 63 m 90
de côté que supporte un béton de petites pierres concassées
avec, comme mortier, de la terre rouge recueillie sur les lieux.
----------La
masse du monument est formée d'un amoncellement de moellons et
de grossiers blocs de tuf recouverts de belles pierres de taille de grand
appareil qui forment 33 degrés de 60 centimètres.
On a calculé que si le Tombeau était placé sur le
place du Gouvernement à Alger, il en occuperait toute la largeur
et s'y élèverait à une hauteur égale à
celle de la colonne Vendôme à Paris.
----------Il
est possible que la plate-forme du sommet ait porté primitivement
une statue qui a disparu au cours des siècles et qui, d'après
les proportions de l'ensemble, devait avoir une dizaine de mètres
de haut.
----------Actuellement
le Tombeau de la Chrétienne, quoique consolidé et partiellement
relevé, est encore en mauvais état. Au cours des siècles,
en effet, les plombs de scellement qui retenaient les éléments
de revêtement de pierres de taille entre eux ont été
arrachés par les soldats turcs qui en firent des balles. Les pierres,
soumises aux dégradations atmosphériques jouèrent,
faisant écrouler une grande partie de la base cylindrique qui entraîna
l'affaissement des gradins. ----------De
la base, il ne reste plus guère debout qu'une partie des colonnes
et deux portes, dont une seule en bon état.
Si bien que l'aspect actuel du Tombeau de la Chrétienne, quoique
conservant une incontestable majesté, surtout vu d'une certaine
distance, ne rappelle plus que de loin ce qu'il dut être à
l'origine.
----------Encore,
faut-il rendre grâce au travail patient et méthodique de
MM. CHRISTOPHE père et fils, architectes des monuments historiques,
qui ont remis en place, autant qu'ils ont pu les retrouver, les éléments
architecturaux écroulés.
************
----------Le Tombeau
a été fouillé à plusieurs reprises, mais la
première fouille scientifique eut lieu, en 1865 et fut effectuée
par une mission française dirigée par Adrien BERBRUGGER,
premier conservateur de la Bibliothèque nationale d'Alger et créateur
du Musée des Antiquités.
----------Après
plusieurs sondages, BERBRUGGER atteignit à l'intérieur de
l'amoncellement de blocs, une longue galerie en spirale de 150 mètres
de long, 2 mètres de large et 2 m 50 de haut, partant des soubassements
de la fausse porte de l'Est.
----------On
y pénètre actuellement par cette entrée unique à
laquelle on accède par quelques marches. Cette entrée fermée
par une dalle à glissière que BERBRUGGER trouva brisée.
----------Après
un petit couloir très bas, on se trouve dans un caveau long de
5 m 29, large de 2 m 49, haut de 3 m 50, au fond duquel a été
creusée, probablement à l'époque romaine, une excavation
d'environ 7 mètres, sans doute avec l'espoir de trouver une issue
secrète accédant directement au grand caveau central. A
droite, s'ouvre une porte basse, sur le linteau de laquelle sont sculptés
un lion et une lionne : les symboles du Juba II et de son épouse
Cléopâtre Séléné, disent les partisans
du Tombeau de Juba. Par cette porte, qui était également
fermée d'une dalle, sept marches mènent à la galerie
circulaire.
----------Celle-ci
très bien conservée, pavée en losanges, à
la façon des rues de Timgad par exemple, est pourvue tous les trois
mètres de petites niches creusées en quart de sphères
et destinées sans doute à contenir des lampes à huile,
puisqu'on y remarque encore des traces de fumée.
----------La
galerie a environ 150 mètres de long, est large de 2 mètres
et haute de 2 m 40. Elle fait presque tout le tour du monument, mais,
arrivée à hauteur de son point de départ, elle décrit
un coude brusque, presque à angle droit, vers le centre.
----------Les
caveaux auxquels elle aboutit sont fermés eux aussi par des portes-dalles
qui s'ouvraient autrefois à volonté, comme dans les chapelles
des tumuli égyptiens, mais qui semblent bien étroites pour
avoir pu autrefois laisser passer des sarcophages. La première
pièce a 4 mètres de long sur 1 m 50 de large ; on y a trouvé,
au moment de l'ouverture, quelques petites perles en pierre rare et des
morceaux de bijoux en pâte de verre. Après un couloir de
3 m 40, on arrive dans la seconde pièce de 4 mètres sur
3, avec une voûte en berceau, située juste dans l'axe du
mausolée ; on y remarque trois niches destinées également
à recevoir des lampes.
----------Berbrugger
pensa que ces deux caveaux étaient les chambres sépulcrales
où avaient dû être déposés les sarcophages.
----------Mais
beaucoup de savants estiment, aujourd'hui, que ces chambres sont simplement
des chapelles où les parents et les prêtres venaient, à
certains jours anniversaires, procéder à des cérémonies
religieuses, en l'honneur des défunts, probablement inhumés
dans un caveau plus somptueux et plus vaste, ménagé sous
le sol et dont l'issue secrète a échappé jusqu'ici,
pensent-ils, à toutes les investigations.
----------L'avenir
décidera peut-être qui a raison.
Il est généralement admis que ce Tombeau fut celui de Juba
II. Rien ne permet cependant de l'affirmer ; il ne s'agit là que
d'une déduction d'historiens, combattue par d'autres déductions
d'historiens, notamment par Gsell qui pencherait plutôt pour Bocchus.
Tout ce que l'on peut approximativement affirmer, c'est qu'il a été
construit au premier siècle de l'ère chrétienne.
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QUELQUES LÉGENDES.
----------La
fille du Comte julien.
----------Evidemment,
ce monument isolé, assez étrange, situé bien en vue
près du littoral, a été signalé par de nombreux
voyageurs. Certains l'avaient vu, d'autres en avaient entendu parler.
Dans cette Afrique qui est le pays du merveilleux, il ne pouvait pas ne
pas être l'objet de nombreuses légendes.
Une des plus anciennes, à notre connaissance, est celle que rapporte
MARMOL dans sa Description générale de l'Afrique qui remonte
à 1573.
----------Le
Comte JULIEN, gouverneur de l'Andalousie au commencement du VIII"1p
siècle, pour venger un attentat du Roi RODERIK contre la vertu
de sa fille, la belle Florinde, livra aux Arabes le passage d'Afrique
en Espagne, dans l'année 711.
----------Florinde,
victime mais non complice du crime royal, fut pourtant et demeure flétrie
jusqu'à nos jours de l'épithète de " Cava ",
dérivé de l'arabe " Caaba " dont la signification
n'est que trop connue.
----------Les Espagnols,
ayant entendu les indigènes donner le nom de Kober Roumia ou monument
qui nous intéresse, ont transformé cette appellation qu'ils
ne comprenaient pas, en celle de "Cava " ou " Caaba Roumia
", et ils imaginèrent à son propos une histoire dont
la belle Florinde était l'héroïne
méprisable ; ils donnèrent même au golfe qui s'étend
sous le Tombeau le titre de " Bahia de la Mala Muyer ", "
Baie de la Mauvaise Femme ".
----------Est-il
utile de dire que cette histoire n'a aucun fondement historique puisqu'au
premier siècle de l'ère chrétienne POMPONIUS MELA
signalait déjà l'existence du Tombeau ?
----------Histoires
de trésors.
----------L'Afrique,
disions-nous plus haut, est la terre du merveilleux : les histoires de
trésors cachés dans des ruines ne s'y comptent plus.
----------Les
Constantinois, par exemple, connaissent de nombreuses traditions de richesses
enfouies dans les grottes du Rhummel, dans les Jardins de Salluste, dans
les cavernes des Bois de pins, que sais -Je !
----------Les
habitants d'El-Goléa rapportent de même une tradition selon
laquelle d'immenses trésors sont cachés sous les ruines
du vieux Ksar de Taourirt.
----------Il
en a été naturellement de même à propos du
Tombeau.
----------Le
" Kober Roumia ", disent les indigènes de la région,
contient un trésor sur lequel veille la fée Halloula.
GSELL a recueilli une version de ce légendaire selon laquelle un
berger du voisinage avait remarqué qu'une de ses vaches disparaissait
toutes les nuits ; cependant, le lendemain matin il la retrouvait au milieu
de son troupeau.
----------Un
soir il l'épia, la suivit et la vit s'enfoncer dans le monument
par une ouverture qui se referma aussitôt. Le jour suivant, il s'accrocha
à la queue de sa bête au moment où celle-ci allait
disparaître et put, ainsi, entrer avec elle. Il sortit à
l'aube, toujours cramponné à sa vache mais avec tant d'or
qu'il devint un des plus riches seigneurs du pays.
Autre légende de même inspiration : un Arabe de la Mitidja,
tombé entre les mains des Chrétiens, avait été
emmené en Europe et était devenu l'esclave d'un vieux savant
espagnol fort expert en sorcellerie.
----------Un
jour celui-ci lui rendit la liberté sous la condition qu'aussitôt
revenu chez lui, il irait au Tombeau, y allumerait un feu, et, tourné
vers l'Orient, y brûlerait un papier magique qu'il lui remit.
----------L'Algérien
obéit. A peine le papier était-il consumé qu'il vit
la muraille s'entrouvrir et livrer passage à une immense nuée
de pièces d'or qui s'envolèrent dans la direction de l'Espagne
où elles allèrent, sans aucun doute, rejoindre le sorcier.
----------Veut-on
une recette magique pour bénéficier de cet inépuisable
trésor ? Elle est tirée d'un vieux grimoire marocain :
----------"
Endroit appelé Tombeau de la Chrétienne. Si tu t'y rends,
tiens-toi debout à la tête du Tombeau faisant face au Sud
; puis regarde vers l'Est et tu verras deux pierres dressées comme
un homme debout ; par une fouille, descends entre elles, et tu y rencontreras
deux chaudrons après avoir immolé. "
*************
----------Naturellement,
les maîtres de la Régence d'Alger ne manquèrent pas
d'être impressionnés par des récits aussi merveilleux
et alléchés par les magnifiques trésors qui devaient
dormir sous cette montagne de pierres.
----------Au
l6me siècle, le Pacha SALAH REIS fit canonner le Tombeau avec l'espoir
de mettre au jour des caisses d'or et de pierreries. Mais les boulets
de ses bombardes ne réussissent qu'à ouvrir une brèche
large mais superficielle au-dessus de la fausse perte de l'Est.
----------SALAH
RETS employa alors de nombreux esclaves chrétiens à faire
une ouverture dans la muraille ; niais ses ouvriers furent mis en fuite,
disent les narrateurs populaires, par des légions de gros frelons
noirs ; probablement, interprète GSELL, s'agissait-il des moustiques
qui pullulaient dans la région avant le dessèchement du
lac Halloula.
----------Au
XVIIIè siècle, un Dey employa des travailleurs marocains
à de nouvelles fouilles, mais sans plus de succès. Ces fouilles-là,
cependant, furent plus néfastes au monument que les bombardements
de SALAH REIS, car les Marocains déchaussèrent les tenons
de plomb qui liaient les blocs pour en faire des balles. Les blocs, n'étant
plus scellés les uns aux autres, s'affaissèrent lentement
et finirent par culbuter ; si bien que, depuis cette époque, le
Tombeau s'est écroulé en partie.
**********
----------I1 y a
certainement d'autres traditions merveilleuses relatives à cet
énigmatique monument. Il serait souhaitable dans l'intérêt
du folklore et même - sait-on jamais ? - de l'histoire, qu'elles
fussent recueillies avant qu'il ne soit trop tard.
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