-------Cette
étude n'a d'autre ambition que de donner un aperçu sommaire
de la richesse toponymique de l'Algérie. et de montrer comment
les noms de lieux sont, sous leur apparence familière, les reflets
toujours vivants d'une structure géographique, historique, linguistique
et ethnographique parfois très ancienne.
-------L'objet
de la toponymie -- discipline qui relève cri grande partie de la
linguistique -- est de parvenir à l'élucidation méthodique
des noms de lieux quant à leur origine, leur signification et leur
évolution sémantique, et de satisfaire ainsi notre besoin
de connaître Ce faisant, la toponymie confère au paysage
quo nous avons sous les yeux des valeurs nouvelles et en rehausse l'éclat,
si l'on peut dire.
-------Le
nom d'Alger, par exemple, n'est pour beaucoup que le répondant
d'une grande ville moderne située au bord de la Méditerranée,
mais lorsqu'on sait que ce nom est la transcription française d'une
expression que les navigateurs et les géographes catalans avaient
contribué à répandre dès le XIV'siècle,
selon R. Lespès, et que cette expression provenait de l'arabe El-Djezaïr,
terme générique dénommant des Îlots rocheux
d'une baie très anciennement connue puisqu'elle s'appelait du temps
des Romains Icosium, nom venu du phénicien Ikosim, " l'île
des mouettes ", lorsqu'on sait toutes ces choses, l'esprit s'émerveille
qu'un simple nom, quand il est étudié de près, puisse
renfermer une telle évocation du passé.
-------Le
toponymiste travaille généralement sur des vocables qui
sont, à leur façon, des vestiges archéologiques et
qui ont subi au cours des siècles des transformations phonétiques
souvent considérables, lesquelles ont pour effet d'épaissir
le mystère des origines. Tel est le cas pour de nombreux toponymes
algériens. Le pays est, en effet, situé sur la route des
invasions et des migrations humaines et a subi des occupations successives
de longue durée qui ont marqué, chacune, de leur empreinte
le paysage géographique.
-------La
conséquence est que des superpositions et des interférences
linguistiques sont venues brouiller les pistes et rendre plus ardues les
recherches et grossir les chances d'erreur ; ce qui incite à plus
de rigueur dans la, méthode.
-------Cependant
en Algérie, la recherche toponymique bénéficie d'un
fait que nous avons déjà eu l'occasion d'énoncer
: les toponymes de l'Afrique Septentrionale, depuis la Cyrénaïque
jusqu'au Maroc, apparaissent par séries étymologiques ayant
la même signification et la même origine linguistique, ils
sont dispersés parfois sur une aire immense, avec des ramifications
qui peuvent atteindre les pays de l'Europe méridionale.
SOURCES ET DOCUMENTS.
-------Il
manque un répertoire général toponymique de l'Algérie
comme il en existe pour certains départements de la métropole,
contenant non seulement les noms des localités mais aussi les lieux
dits et les noms des sources, des puits, des rivières, des montagnes,
etc... On y suppléera par le Répertoire des Communes
et des localités d'Algérie, et surtout par la carte
de l'Algérie au 1/50.000, établie par le Service Géographique
de l'Armée, à qui a succédé l'Institut
National géographique ; chaque feuille est un bon guide
pour l'étude toponymique sur place. On y ajoutera l'Atlas
archéologique de l'Algérie de S. Gsell, qui est
un excellent instrument de travail pour la période antique comme
pour la période moderne.
-------La
Géographie de la Province Romaine d'Afrique de Ch. Tissot
est toujours utile à consulter, en corrigeant cet ouvrage par le
bon travail de P. Salama, les Voies Romaines de l'Afrique du Nord
(Alger 1951). Les noms des lieux que l'antiquité nous a légués
s'éclairent grâce à G. Mercier, la Langue libyenne
et la Toponymie antique (Journal Asiatique 1924).
-------On
trouve des indications précieuses dans la Kabylie et les
Coutumes Kabyles de Hanoteau et Letourneux (3 vol. 1873) et surtout
dans Ch. de Foucauld : Dictionnaire abrégé Touareg-Français,
Dialecte Ahaggar. publié par R. Basset (Alger
1918) et Dictionnaire Touareg-Français des Noms propres
publié par A. Basset (Paris 1940), de même que dans E. Laoust,
Contribution à une étude toponymique du Haut Atlas
(Paris 1942) qui sont trois bons livres.
-------Pour
les noms arabes, le Dictionnaire arabe-français de
Beaussier, rend de bons services, ainsi que les listes de termes géographiques
de Parmentier et de Flammand, et les notes étymologiques parues
dans le Bulletin des Etudes Arabes.
-------Nous
avons nous-même publié un Essai sur les Noms de lieux
d'Algérie et de Tunisie (Tunis 1949) qui nous a servi pour
la présente étude.
-------Ceci
dit, nous exposerons l'essentiel de la formation de la nomenclature algérienne
en choisissant des exemples caractéristiques pris dans les apports
linguistiques successifs qui ont marqué de leur sceau les sources,
les rivières, les villages, les cités.
-------Les
noms de lieux sont ici transcrits suivant leur graphie officielle assez
fautive il est vrai, mais consacrée par l'usage et familière
à tout le monde.
L'APPORT PRE-BERBERE.
-------Gsell,
Mercier et Laoust, ont relevé la correspondance de certaines formations
toponymiques d'Algérie avec celles d'Europe occidentale. Dans son
Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, T.I, p. 323326, Gsell
donne une liste de ces correspondances portant entre autres sur des noms
de cours d'eau tels que Iser et Save en Europe
et Isser et Suf en Afrique. Ce sont. à
notre avis, des coïncidences qui ne sont pas fortuites et doivent
retenir l'attention.
-------Il
n'est pas douteux que des migrations préhistoriques importantes
se sont produites de pays à pays. autour de la Méditerranée,
comme en témoigne l'aire de dispersion des industries lithiques
autour de ce bassin, industries souvent apparentées entre elles,
de même les monuments mégalithiques (dolmens, menhirs, etc...)
dont les vestiges africains sont semblables à ceux d'Europe. Il
est permis de supposer que ces faits de civilisation sont contemporains
de faits linguistiques, lesquels sont venus se fixer en Afrique du Nord
sous forme d'appellations géographiques affectant des cours d'eau,
des montagnes et même des cités, et qui se sont conservées
jusqu'à nous.
-------Parmi
les noms archaïques de l'eau courante, A. Dauzat a signalé
la racine ar qui a donné soit seule,
soit préfixée ou suffixée avec is,
autre hydronyme très ancien, des noms de nombreuses rivières
d'Europe : Ar, Aar, Aran, Arno, Aveyron., Arize, Yser, Isère, Vézère,
etc... dont les correspondants algériens sont Oued-Isser, Oued-Sarno,
etc... Une forme berbérisée : Ighzer " ruisseau, torrent,
etc... " est très répandue dans les pays de montagne.
-------Les
cours d'eau : Save, Sava, etc... d'Europe correspondent à la. forme
souf/asif d'Algérie, du Maroc et de
Tunisie : Oued-Souf, Sébaou, transcription française de
l'expression kabyle asif n savaou qui contient
deux fois suf.
-------Les
noms de Gers, Cher, Gard, Grave, etc... d'Europe peuvent être comparés
d'après E. Laoust, avec les termes Guer,
Kert, Tigri, etc... du Haut Atlas et sans doute avec l'Oued Djer
(Algérie).
-------Il
existe aussi des oronymes ou termes s'appliquant au relief que l'on retrouve
des deux côtés de la Méditerranée.
-------Le
terme magura désigne en Europe des
élévations montagneuses ; on le retrouve en Algérie
et en Tunisie sous la forme de Djebel Majour.
Près de Négrine les Romains avaient latinisé ce nom
sous la graphie AD MAIORES, qui désignait une localité sise
au pied du Djebel, ce qui a fait croire, à tort, que celui-ci avait
pris le nom romain.
-------Dans
la nomenclature européenne, A. Dauzat a mis en évidence
un radical très archaïque cucc
" mont, hauteur ". On retrouve en Afrique ce terme avec une
signification analogue " rocher à pic un peu surplombant ",
dit le Père de Foucauld. En Algérie, signalons Koukou, ancienne
capitale de la Kabylie du 16è au 17è siècle, Tkut,
Takouta, Takkout, Djebel-Takoucht, Tikiouch, " le petit piton. ",
etc... L'analogie est frappante.
-------On
pourrait facilement multiplier de tels exemples s'il en était besoin
; nous pensons que la démonstration est faite qu'il ne peut s'agir,
en l'occurence, ni de rencontres fortuites- de vocables appartenant à
des langues différentes, ni d'emprunts de faits de civilisation.
On peut emprunter, certes, des termes techniques d'outils, d'aliments,
de rites, magiques, etc... Mais on n'emprunte pas des vocables géographiques
qui sont en rapport étroit avec des faits naturels tels que la
source, la rivière, la montagne, et dont l'appellation est consécutive
à un long séjour des hommes dans le même sîte.
-------Nous
sommes persuadé que l'Algérie - tout comme la Tunisie et
le Maroc - recèle des documents linguistiques archaïques attestant
un peuplement européen très ancien du pays, et dont la mise
au jour par la toponymie est appelée à jeter les plus vives
clartés sur le passé humain de l'Afrique du Nord et les
origines des populations dites berbères.
L'APPORT LIBYCO-BERBERE.
-------Dans
Les Langues du Monde (Paris 1924), Marcel COHEN divise la famille des
langues chamito-sémitique., en quatre groupes : sémitique
(arabe, hébreu, etc...), égyptien, libyco-berbère
et couchitique.
-------Le
terme libyco-berbère employé par l'auteur nous paraît
plus exact et plus précis que celui de berbère (qui prévaut
aujourd'hui par commodité de terminologie) parce qu'il implique
l'idée d'un substratum linguistique antérieur au berbère
et que celui-ci s'est incorporé. Pourquoi et comment, c'est ce
que l'on ignore encore. En tout cas les études lexicologiques et
comparatives du berbère, bien qu'à leur début, laissent
supposer qu'un certain nombre de vocables en usage dans les dialectes
berbères actuels sont issus du fonds indo.-européen.
-------Du
point de vue ethnique, Ely Leblanc dans Histoire et Historiens d'Algérie,
pages 86-87, dit que "Les Berbères
sont le résultat fixé depuis longtemps et saisissable dans
quelques groupes bien racés, de croisements venus d'Europe et d'Asie
à des époques très différentes, le fond primitif
pouvant être attribué à des migrations préhistoriques
successives de dolichocéphales et de brachycéphales ".
-------L'aire
de dispersion des dialectes berbères ou libyco-berbères,
mesurée d'après les données de la toponymie, a été
considérable. Avant que ces dialectes fussent en concurrence avec
l'arabe dialectal, ils s'étalaient sur toute l'Afrique du Nord,
la Tripolitaine et la Cyrénaïque et une grande partie du Sahara.
-------La
nomenclature toponymique issue du berbère est d'une grande variété
de termes, lesquels se rapportent au relief, à l'eau, aux végétaux,
aux animaux, aux couleurs et manières d'être, aux ethniques.
etc... Nous les énumérons dans cet ordre.
-------ADRAR
" montagne " est l'équivalent de l'arabe : djebel il
signifie aussi "pierre ". Dans tout le pays kabyle, le Djurdjura
est appelé adrar n'jerjer " la
montagne de jerjer", mot dont la racine parait être G R "
plus grand que ".
-------AZROU,
tazerout et leurs variantes signifient " pierre, rocher, montagne
".
-------ICH
" corne " et par extension : pic, sommet, montagne, toujours
suivi d'un déterminatif ; Aourir et Taourirt " colline, monticule
" : Taourirt-Amokrane " la grande colline " ; Tamgout "
pic, sommet " Tahount grosse pierre, monticule rocheux " ; Ekadé,
pluriel ikadewen " pierre ekedi " escarpement " : tous
ces termes sont fréquemment usités en pays de montagne.
-------Plus
rare est le terme Azeiiaker " cime,
point culminant ", qui dénomme sous une forme aujourd'hui
arabisée deux montagnes dépassant 1.500 mètres situées
dans la région de Miliana : Zaccar Gharbi, et Zaccar Chergui.
-------TIZI
" col, passage, chemin " est bien connu en géographie
: Tizi-Ouzou, " le col des genêts épineux ", etc...
-------ASSAMER,
fémin. tassammert est le versant de
la montagne exposé au soleil, amalu, plur. imula. est le versant
exposé à l'ombre : termes qui justifient les noms des localités
: Amalou, Immoula, Ou" - sammeur, Tassameurt, etc...
-------Par
métaphore, les noms des certaines parties du corps humain sont
employés : Ikhif " tête " désigne une montagne,
un sommet : Ighil " bras " avec le sens de colline, crête,
chaîne, chaîne de collines est fréquent : Ighil Izân
" La crête des mouches " transcrit en français
Relizane.
-------ANGOUR.
Tangourt " nez " désigne tout relief saillant ; Imi "
bouche " et par ext. débouché d'un,vallée, d'un
chemin Ighir " épaule " " omoplate " désigne
les hauteurs, escarpements : ce terme parait . justifier, sous une forme
au féminin : Ghardaïa, prononcée par les Mozabites
: tagherdayt.
-------TIT
"oeil" et par extension " source ", comme l'arabe
". Aïn"est connu en toponymie saharienne: Tit, Tiout. Mais
nous abordons, maintenant, le domaine de l'hydronomie berbère que
nous ne pouvons qu'esquisser.
-
------Parmi les termes désignant
l'eau courante sont ceux dérivés de
la racine LL laquelle rend compte de Lilybée (Sicile) et de Volubilis
(Maroc) et en Algérie de : l'Hillil, Oued Lili, Aïn-Loulou,
Telilat, Oued-Tlelat, etc... Il est très probable que cette racine
apparaît aussi dans le nom du dieu Lilleus, honoré à
Madaure et qui devait être un génie des eaux (C.I.L. t. VIII
N° 4673, édité par Gsell). En Tunisie, nombreux Oued-Ellil.
-------AMAN
" eau" dans tous les dialectes berbères a donné
Oued Mina, Oued Ouaman, Tizi Bou Aman. et probablement Oued Athmania situé
dans le voisinage de l'ancienne localité appelée par les
Romains Turres Ameniae, expression latino-berbère.
-------TALA
" source " et ses variantes ont donné : Tala Ifacène,
Tiliouine, Tala-Ziza, Ain-Talazit, Tala n'Tajeri, etc... On note aussi
Aghbalou " source, fontaine " : Bir-Rabalou, Oued Arbalou, Arbal,
Aghbal, et par transposition Djebel Arbalou " la montagne de la source
". Agelman. Tagelmint " citerne, réservoir naturel, mare
" est fréquent.
-------La
racine NG a valeur hydronymique est très répandue Oued-Enja,
Aïn-Nougue, Lac Tonga, Ngaous, le Kef Tassenga, qui se dresse dans
un coude de l'Oued Tassenga, etc... Utul, plur. Utulen " point de
déversement. cours d'eau " est reconnaissable dans : Oued
Itel. Oued El-Metelti, Oued Timetlas, dans Muthul flumen de la guerre
de Jugurtha et dans Sufetula cité antique.
-------Le
thème verbal enfes " lancer un
liquide " qui a aussi le sens " être mouillé "
en touareg est connu dans le Haut Atlas sous la forme nfis " cours
d'eau ". Ce thème justifie en Algérie En Nefous, près
el'Er-Richa, et Enfous point d'eau entre Afla et Laghouat ; en Tunisie
: Oued Fessi et Oued Menfessi ; au Maroc : Oued Fès.
-------Le
thème belet
" avoir de l'eau " a des répondants en arabe,
en hébreu, en latin, et dans de vieux dialectes italiens ; il justifie
les noms antiques Tibuli, Thibilis Aquae Thibilitan, Bulla Regia,
Zerboule " ighzer hule " lieu de i'Aurès cité
par Procope et les nombreux Oued-Boul de Tunisie, ainsi que Sabala "
fontaine. abreuvoir ".
-
------Après l'eau, voici
les plantes dont les noms abondent en toponymie
algérienne, mais comme il existee plusieurs termes berbères
pour désigner la même plante (voir Trabut, Répertoire
des noms indigènes des plantes spontanées, cultivées
et utilisées dans le Nord de l'Afrique, Alger 1932), on
ne peut qu'avancer très prudemment dans le domaine botanique, en
relevant seulement les noms des espèces les plus connues, on citera
:
-------Azemmour"
olivier" est reconnaissable dans Azemour, Zemmour, Zemmara, Zemoura,
Tazemart,etc...
-------Tazart
" figuier, figues, sèches " est à la base des
expressions Thamourth tazart, " pays à figues "
Aïn-Tazart, Tala-n'Tazert, Aïn-Zizerine, etc...
-------Le
palmier dattier s'appelle azdad, nom d'une unité tazdayt et tazgayt,
mais ce vocable est rare en Algérie du sud et paraît avoir
été recouvert par le nom arabe du dattier nakhel et nakhela,
correspondant probablement à une espèce supérieure
en qualité.
-------lghanîm
et Aghanîm " roseaux ", désignent un certain nombre
de noms de lieux sous la forme lghanime et Tighanime. Roseaux_, collect.
se dit aussi almes et talmest, plur. tilmesîne ; à ce vocable
on rattachera : Oued Tlemcim, affluent de l'Oued Méchera et le
nom de la ville de Tlemcen.
-------Le
vocable tabegha, plur. tibaghaine " ronces " " épines
", qui croissent un peu partout dans les terrains rorailleux, sert
de déterminatif à des sources, oueds et djebels, et peut
être isolé. Nous pensons qu'il est à l'origine de
Bougie, forme francisée de l'arabe Bejaiya représentant
lui-même le berbère Begaiya, d'après Ibn Khaldoum
(Histoire des Berbères, t. II, page 51). A rapprocher
de Béja (Vaga dans l'antiquité) et Baghaï (Bagai dans
l'antiquité).
-------Edlis,
adels, adeles, est le nom du diss Ampelodesmostenax. Le mot diss vient
lui-même du berbère edlis ; ill est fréquent en toponymie
: Dellys, Cap Tedless, Ighil-Oudelès, Ighzer Boudelès, etc...
Le Djebel Bou-Ari, est la montagne de l'Alfa. Agouni Boulmou est "
le plateau de l'orme " et Oulmen " les ormes C'est peut-être
un legs du latin comme le serait Kerrouch " chêne vert ".
(lat. quercus) : Guerrouch, Taghilt Oukerrouch. Mais le chêne à
glands doux se dit aderna et thasait qu'on retrouve e n toponymie.
-------Tout comme le règne végétal,
le règne animal a fourni sa contribution. En voici quelques
exemples
-------En
berbère, le lion a plusieurs noms issus de dialectes différents
: ar, plur. iren ; aired, plur. airerien, fém. tairad, tahared
" la lionne ", auqques en touareg ; et izem en Kabylie
et au Maroc. Plusieurs toponymes en procèdent directement, souvent
par métaphore : Cap Aokas " cap du lion " mais c'est
aussi un nom d'homme au Hoggar (Ahaggar) comme il l'était dans
l'antiquité : le roi Bocchus " lion " de Maurétanie
sans doute. TIARET, Tahert " la lionne ". Oued-Ouaran était
probablement la rivière " où les lions vont boire ".
On peut supposer que ce thème est reconnaissable dans ORAN.
-------A l'opposé
du lion, voici le chacal ouchchen, fém. touchchent, rappelé
dans Ighil-Bouchen " la crête des chacals " et Foum Taoutchent
" la allée des chacals ". Aïn-Témouchent
en procède, semble-t-il.
-------Le
sanglier était jadis beaucoup plus répandu qu'aujourd'hui
dans la sylve algérienne : il a marqué de son nom beaucoup
d'endroits par lui fréquentés. En berbère ilef, plur.
ilfane ; arabe dialectal : hallouf, qui ont donné : Djebel Hallouf,
Aïn-Hallouf, Djebel Bou-Ilef, Ighil-Ilef, Oued Bou-Ilfane, etc...
-------Fiker,
ifiker, plur. Fekeren, nom du serpent et de tout reptile en général
et même de la tortue fakroun en arabe dialectal : Aïn-el-Fakroun,
Ferkane, Fekrina, etc.
-------La
perdrix : Taskourt a servi à désigner des sources et des
rivières : Hassi-Osker, Oued Oussekourt.
-------Quelques
oiseaux de proie : Ighil-Ousian " la crête du milan ",
Ach Oufalkou et Cap Falcou représentent le nom berbère du
faucon, à rapprocher du latin falco.
-------Quittons le règne animé pour
passer dans le domaine des couleurs, dont
la gamme est très restreinte mais d'un usage fréquent en
toponymie : Amelal " blanc " plur. amellalen, fem. tamallalt,
plur. timellaline. Quand il s'agit. de terrain, ces termes définissent
des endroits arides, crayeux, des pics neigeux ; quand il s'agit d'eau,
des émergences d'eau limpide et potable : Amelouline, Melilia,
Mellila, Ain-Mellila, Aïn-Melloul, Oued Mellilo, Adrar ou Melloul,
etc...
-------Ouzzaf"
être noir " et par ext. " vert foncé "
; dérivée esdif, plur. isedifen désignant un etre
humain ou un animal de couleur noire, asettaf et zettaf " noir ou
vert foncé ". Ce thème justifie les noms de Sétif.
Oued-Settafa, etc... Le dialecte zouaoua connaît mieux aberkan,
racine BRK, qui semble être à l'origine de : Oued-Barika,
Taberkant, Iberkan.
-------Azegzou
" bleu, bleu foncé " que l'on reconnaît
dans le nom du Djebel Bou Zegza.
-------La
couleur rouge Azuggagh pi. izuggaghen, fém. tazuggaht, est
aussi en rapport avec certains noms de plantes. Ce thème justifie
Zougara, Izougaghen, Tizougarine, Tagmout Zouggaghen, etc...
-------En
ce qui concerne les manières d'être :
grand, petit, etc..., le premier thème qui retient l'attention
à cause de son aire de dispersion est celui issu de la racine GR
" être grand, surpasser ", connu de la plupart des dialectes.
Il justifie Medjerda (arabisation de Bagrada), Oued Mekerra, Ougrada,
Djebel Gourou, Djebel Majour, Taourirt Amokrane, et peut-être même
Djurdjura (djebel) et Igharghar (oued), à coup sûr, en anthroponymie,
le nom de Jugurtha " le plus grand " des princes numides.
-------A l'opposé
Amezziane " petit, court ", justifie Mezzouna, Mesouna, et le
nom de Massuna, autre prince numide.
-------AMIZZAR
" être gros ", racine ZR est moins répandue en
toponymie que amezzour " être premier, ancien ", racine
ZWR, qui signifie aussi en kabyle : passer devant pour attaquer quelqu'un
Amezzarou " l'endroit où l'on attaque les voyageurs ",
Amezzouren " les coupeurs de route " ; Oued-Amizour.
-------Brillant,
ensoleillé, est rendu en toponymie par le formatif mittij issu
de itij " soleil D'où les noms de la plaine de la.Mitidja,
au S.O. d'Alger et de la Mitidja de l'Ouarsenis (cf. R. BASSET, Journal
asiatique 1890, p. 233, note 4).
-------OUFELLA
" au-dessus, en amont " est un terme géographique beaucoup
plus répandu que son opposé bouada " au-dessous, en
aval ", ces termes servent généralement de déterminatifs
: Abouda-Bouada et Abouda-Oufella.
-------A
la vie agricole et rurale on doit : Tamazirt "
champ " Timezrit ; Abrid " chemin " iger " champ ",
Talast et Tilisa " borne, séparation " ; mais surtout
des termes désignant le campement, le séjour, le bivouac,
la demeure, etc... qui abondent en toponymie algérienne. En voici
quelques exemples
-
------BEDD " se dresser,, se tenir debout "
justifie Abuda, Bouda, Badès, Sebdou. Thouda, arabisation du nom
ant. Thabudeos, Médéa, arabisat. du nom antique Lambdia.
Dans ce dernier toponyme, le préfixe lam reste obscur, on le retrouve
dans la formation d'un certain nombre de noms antiques : Lambaese, Lamasba,
Lambafundi, Lambiridi, Lamfoctense, Lampsili, Lamsortii, Lamzelli, Lemnis,
Lemellef, toutes localités situées en Numidie. Lam représente
certainement un terme générique peut-être signifiait-il
" camp, arrêt ", mais nous n'en avons pas la preuve.
-------EGGED
" sauter " et par ext. " descendre de monture ", Timmegad
" descendre habituellement ensemble " a formé des toponymes
sahariens cités par Ch. de Foucauld dans son Dictionnaire françaistouareg
des noms propres. A ce thème on peut rattacher TIMGAD, altération
de Thamugadi, Meggada.
-------ZUBBAT
" camper " ; azzabu " fait de descendre ", d'où
les noms antiques de Zabi, Zaba et sans doute Zab, Zibane, Mzab, etc...
-------ENS
" passer la nuit à, bivouaquer ", connu de tous les dialectes
est à l'origine de TENNES et probablement des Oued Nsa que les
Arabes traduisent par " la rivière des femmes ".
-------ERS
est synonyme en Kabylie de l'arabe nazala " descendre de cheval "
d'où Arres. et, semble-t-ii SERSOU.
-------AGDAL
" pâturage, campement, forteresse naturelle " qui a donné
: Aguedel, Ogdel, Gueddila, etc..
-------Un
certain nombre de vocables qui dérivent de seg " bâtir
" ezzeg, essag, essagh " habiter " désignent des
douars, villages, etc... : Tissaka, Amasag, Tamasak, Azekka, etc... A
rapprocher des noms antiques de SICCA, ZIQUA, SIAGU, et peut-être
SIGUS, avec le sens de cité fortifiée par la nature et les
hommes.
------D'autre
part, tous les noms de lieux commençant par Aït " gens
"sont des ethniques (tribus, fractions, etc...) qui se sont cristallisés
en toponymes comme les noms de lieux arabes commençant par Beni
ou Oulad. La tribu des Hawara a donné son nom au massif du Ahaggar
par dérivation photénique exposée par Ibn Khaldoun
(Histoire des Berbères, t. L p. 275-276) et Ch. de Foucauld (Dictionnaire
français-touareg).
-------On
peut rapprocher aussi Hawara de Bavares, nom d'une tribu antique. La tribu
des Zenètes (Zenata ou Zenaga) et ses fractions et branches ont
donné leur nom à Sendou, Oued-Zenati, Meknassa, Ouargla,
etc...
|
|
--------Nous
ne quitterons pas le domaine de la toponymie d'origine berbère,
sans parler du mot oasis, transcription grecque d'un mot de l'ancien égyptien
désignant " un canton fertile et peuplé dans le désert
". Ce mot que nous avons eu l'occasion d'étudier en particulier
(Origine du mot oasis dans Iba 1950, p. 265-268) nous paraît être
d'origine chamito-sémitique puisqu'on le retrouve, sous la forme
primitive ou berbérisée en des points très éloignés
de l'Egypte, comme le Sahara, le Sud Algérien, la Tripolitaine,
la Cyrénaïque, l'Ethiopie et l'Arabie. L'Arabe et le Copte
connaissent comme l'ancien Egyptien le mot waha " oasis ". Ce
vocable nous paraît justifier les noms de Ouaou El-Kebir dans le
Fezzan ; Sioua, oasis libyenne ; Oea, ancien nom de Tripoli ; Touat, groupe
d'oasis et probablement Theveste (Tebessa).
L'APPORT PHENICIEN.
-------Les
Phéniciens et leurs successeurs les Carthaginois ont non seulement
créé des comptoirs le long des côtes africaines, mais
aussi pénétré assez avant à l'intérieur
de la Berbérie, où ils ont construit des routes, creusé
des puits, exploité des fermes et créé des cités.
Cela n'a pas été sans laisser des traces linguistiques dans
le paysage ouvert à leur civilisation.
-------Ces
traces sont difficilement discernables aujourd'hui, parce que le plus
souvent, les toponymes d'origine punique ont été recouverts
par des vocables arabes à peu près identiques, du moins
par rapport à ?'hébreu traditionnel, lequel demeure le seul
moyen d'élucider les noms phéniciens ou supposés
tels.
-------Ainsi
il existe une grande analogie phonétique entre les vocables arabes
et hébreux, aïn et en (source) ; nahr et nehr (rivière)
; bir et beer (puits) ; bit et beeth (maison, village) ; kram et kerem
(figuier, jardin) : român et rîmon (grenadier) ; zitoûn
et zeit (olivier) ; ras et rush (cap), etc...
-------Compte
tenu de ces remarques préliminaires, on peut croire à une
éventuelle origine phénicienne lorsque le nom en cause est
attesté par les textes anciens, c'est-à-dire antérieurs
à l'arrivée des Arabes.
-------Rush
" cap, promontoire ", a dû être fréquemment
employé pour désigner une pointe de terre qui s'avance dans
la mer, et servant d'abri : Rusguniae (cap
Matifou) ; Rusicade (Ras Skida) ; Rusazus (Azeffoun) ; Rusuppisir
(Taksebt) ; Rusubbicari Matidiae (Mers-el-Hadjedj) ; Rusuccuru (Dellys).
Hippou. que les Grecs paraissent avoir traduit par Akra, a le sens de
cap servant d'observatoire. En passant par le latin Hippo, Hippone, et
l'italien Bona,'ce mot a été finalement transcrit en français
BONE.
-------Quelques
sémitisants rattachent le nom de Stora à celui de la déesse
Astaroth. qui dans la Palestine ancienne désignait une ville et
une montagne.
-------Djidjelli
est une forme arabisée de Igilgili, nom que nous connaissons par
les textes et l'épigraphie latine, et qui laisse transparaître,
croyons-nous, une forme berbérisée de goulgolet " crâne
" et par extension : colline, vocable auquel on rattache les noms
bibliques de Gilgal (aujourd'hui Djeldjilia) et Galgoulis (aujourd'hui
Djaldjulia) en Palestine.
-------Cantineau
et Leschi ont restitué le nom punique qui se cachait sous le latin
Icosium : c'est Ikosim l'île des mouettes ou des épines ".
On peut opter pour les mouettes, bien que l'on connaisse à l'intérieur
des terres, à 45 km à l'Est de Tébessa : Menegesem
: " le camp des épines ".
-------On
a beaucoup discuté sur l'étymologie de CIRTA (Constantine)
: tout semble indiquer que l'on est en présence d'un vocable d'origine
phénicienne : on a le choix entre une forme de qérah "
ville " eu une forme de Khereith " coupure, ravin profond ".
Le gouffre du Rummel au bord duquel Cirta est construite aurait donné
son nom à la ville, ce transfert est possible. Avant son arabisation,
l'oued Remel portait le nom de Amsaga, issu très probablement du
sémitique Oum saga " la mère des irrigations ".
-------Mdaourouch
est une forme berbérisée de Madaura issu du phénicien
mdor " habitation ". A rapprocher de Ammaedara, même vocable
précédé de l'article ha, en punique comme en hébreu.
L'APPORT LATIN.
-------Les
Romains à la faveur d'une colonisation patiente et méthodique
ont exercé en Berbérie une influence culturelle considérable
: la langue latine, on le sait, fut pendant longtemps la langue religieuse,
littéraire et commerciale des Africains. Pour autant, la romanisation
du pays ne modifia guère la toponymie africaine pour plusieurs
raisons. A l'arrivée des Romains, la toponymie était déjà
solidement fixée sous des vocables libyques, berbères et
phéniciens. Respectueux, d'autre part, des us et coutumes et des
parlers locaux, les Romains n'éprouvèrent nullement le besoin
de romaniser la nomenclature géographique, avec laquelle ils n'entrèrent
en contact qu'au fur et à mesure d'une lente progression territoriale.
En outre, l'invasion arabe a fait disparaître la plupart des termes
latins qui devaient être très usités à l'époque
romaine, comme aquae, castellum, castra. villa, campus, virus, dominus,
sanctus, etc... Reflets d'une civilisation élevée, ces termes
disparurent en même temps que les choses et les hommes qui en étaient
les supports indispensables.
-------Aussi
on ne devra pas s'étonner de ne trouver en Algérie, comme
dans les autres parties de l'Afrique du Nord, que très peu de toponymes
latins encore vivants. Citons
-------CHERCHEL
forme arabisée de Caesarea. nom donné par Juba II à
lol, sa capitale. en l'honneur de César Auguste.
-------CONSTANTINE
(Constantina) nouveau nom donné à Cirta en l'honneur de
l'empereur Constantin qui fit rebâtir la ville détruite au
cours d'une guerre civile.
-------ROUA
(Aïn), centre agricole qui portait, dans l'antiquité, le nom
de Horrae l"es greniers".
-------TIZI
KAFRIDA lieu dit sur l'emplacement des ruines du Castellum AQUA FRIGIDA
(Kafrida ré culte de l'élision de la pénultième
syllabe).
L'APPORT ARABE.
-------La
conquête par les armes du Maghreb par les Arabes a permis à
ceux-ci d'exercer une profonde influence culturelle et religieuse qui
s'est traduite par l'islamisation des populations de cette contrée
et l'artib srtion d'une grande psrtie d'entre elles. Cette influence culturelle
a eu aussi pour conséquence d'arabiser de larges pans de la nomenclature
géographique comme en témoignent les mot arabes aïn,
oued et djebel qu'on rencontre partout. L'arabisation a suivi le recul
des dialectes berbères devant l'arabe ; elle s'est accomplie soit
par substitution brutale du terme arabe ou terme berbère correspondant,
soit par appellation arabe d'un lieu non encore dénommé
ou dont le nom primitif était oublié.
-------Les
Arabes ont distingué trois zones territoriales en Algérie
: le Sahel ou région littorale, le Tell ou haut pays, région
fertile opposée au Sahara, région stérile. Ces trois
vocables arabes sont entrés dans la terminologie géographique
française. On rencontre aussi le mot bled, petit canton ou territoire
ayant les caractères géographiques précis : Bled
et Azib. Bled-Guerfa, etc... ; ce mot a aussi le sens de ville, son diminutif
a donné BLIDA.
-------Le
maître mot du relief est djebel qui désigne un mont, une
montagne ou une colline ; il est toujours accompagné d'un déterminatif,
parfois d'origine berbère : Djebel Groun, " des cornes ou
pics " Djebel Zenaga ": des Zenètes ". Qal'a "
piton rocheux, colline rocheuse, éperon, hauteur rappelant une
forteresse, etc... " explique COLEA, et EL-GOLEA.
-------Kef
: litt. paume de la main, est un pic, un sommet, etc... Kef er Rih (le
pic du vent).
-------Dra'a
" litt. bas et a ant-bra.s est une colline de forme allongée
ou le pli allongé d'une montane : Dra et Mizane, lira Kebila, etc...
-------Stah
est un petit plateau : Staouéli
: le plateau du chef ou du saint.
-------Aqba
" montée, côte, colline " et Ouqab " éminence,
rocher " sont reconnaissables dans AKBA, AKBOU.
-------CH'ABA,
Ch'abet en composition, est un ravin de montagne parfois très profond
: chabet et Akra " le ravin de L'autre monde " qui dénomme
les gorges de Kerrata, autre terme arabe (Kheratta) qui éveille
l'idée de coupure profonde.
-------KHANGUET
" défilé, passage " : Khanguet-sabath " passage
voûté ,>.
-------RAÇAF
est au propre une rangée de roches émergeant de l'eau (d'où
le franc, récif) ; mais on le rencontre aussi en zone saharienne
: Bérécof " le puits du rocher " l'étendue
des sables étant comparée à la mer.
-------ATAF
" côté, versant d'une montagne ", désigne
aussi les gens qui s'y trouvent ; d'où les Attafs, nom de tribu
et de village, El-Ateuf.
-------GUEMIR
est un tas de pierres indiquant le chemin à suivre dans la région
désertique et par ext. toute élévation rocheuse pouvant
servir de signal : GUEMAR. Une plaine inondée après les
pluies d'hiver prend le nom de Merdja, plur. Meridj, bien connu en toponymie
o Merdj et Kebir, Meridj, Meridja. etc... Une plaine fertile et par métaphore
appelée bat'en (ventre) d'où BATNA.
-------Ce
n'est là qu'un faible aperçu de la terminologie arabe du
relief qui est très variée. On rencontre une même
abondance de termes dans la nomenclature hydronymique ce qui s'explique
par l'importance exceptionnelle de l'eau en Algérie.
-------Les
noms aïn plur. aïoun ; bir plur. biar ; oued plur. oudiane,
ont formé d'innombrables noms de lieux. Ces termes au singulier
sont toujours accompagnés d'un déterminatif ; au pluriel
ils sont souvent isolés mais précédés de et
: El-Aouana, El-Biar, El-Ouedan.
-------ANCER
" fontaine ou source dans un oued " qu'on rencontre quelquefois
à l'était isolé : El-Ançor, El-Anser ; dans
le sud, le mot hassi, remplace souvent bir. Le hassi est peu profond,
le bir l'est beaucoup plus. Oglet est un puits creusé dans un lit
d'oued. Une guelta est une mare, un restant d'eau qui permet d'abreuver
les bêtes. Ghedir est un réservoir d'eau naturel à
fond imperméable qui se remplit en hiver. Çahariji est une
citerne ou un bassin et par ext.. une sebkha. Dhaya ou daia est un bas-fond
ou une mare d'eau saisonnière. Une citerne construite avec impluvium
s'appelle majel ou majen. Tous ces ternies sont entrés dans la
nomenclature : Hassi et Haouari ; El Oglet ; Guelt-Esstel ; El-Ghedir
; Zahrez (mis pour Caharij) ; Ed-Daia, Medjana, etc...
-------Une
source thermale se nomme hamma et si cette source est pourvue d'un établissement
même rudimentaire, elle prend le nom de Hammam " thermes ".
Hammam es Sekhoutine " les thermes des maudits ", allusion probable
aux pétrifications de forme étrange auxquelles ces eaux
ont donné lieu. Il existe d'ailleurs plusieurs légendes
pour les expliquer.
-------Behar
"mer" Behira "lac" sont aussi employés métaphoriquement
pour prairie fertile, plaine herbcuse, jardin. Massa est un port ou une
rade dans Mers-el-Kébir. Ras est un cap ou un promontoire et figure
à ce titre sur les cartes géographiques ; jazira est une
ile ou une presqu'île et son pluriel djezaïr est bien connu
pour être à l'origine du nom d'Alger.
-------En
quittant le domaine des généralités, on rencontre
donnant à celles-ci leur précision, la série des
déterminatifs ordinairement empruntés aux trois règnes
de la nature, aux couleurs, etc...
-------Dans
les noms de minéraux on rencontre hadjera et son collectif hadjar
: Aïn-el-Hadjar, la source des pierres. Hadjer-er-Roum désigne
des ruines romaines, qu'on appelle plus régulièrement khérib
" ruine " d'où le Kroub.
-------Mokta
et Hadid " la mine de fer " ; Oued ed-De heb et Oued et Fedda,
" la rivière de l'or " et " la rivière de
l'argent " sont des images des bienfaits de ces oueds.
-------Beaucoup
de sources et surtout de rivières aux eaux magnésiennes
sont appelées Aïn-el-Melah et Oued el-Mellah. Aïn el-Kebrit
" la source sulfureuse " a son répondant dans Aïn-Sefra
" la source jaune " ; Ghar el-Baroud " la grotte du salpètre
". La parure végétale de l'Algérie est largement
représentée dans la nomenclature toponymique : Aïn
Kerma " source des figuiers " Aïn-Zitoun " s. des
Oliviers " ; AinDefla " s. des lauriers-roses " Aïn-Diss
(s. du diss) ; Aïn-Rihana (s. des myrtes) ; Aïn-Seynour (s.
des platanes) ; Ain-Smara (s. des joncs) ; Aïn-Touta (s. des mûriers)
; Bir el-Kharouba (le puits du caroubier).
-------Djebel-el-Meddad
(la montagne des cèdres) ; El-Aricha (la treille) ; Khobbazza (les
mauves) ; Oued Chaïr (l'oued de l'orge) ; Oued Dardar (l'oued des
f rènes) ; Oued-el-Alleug (l'oued des ronces) ; Oued Ksseb (des
roseaux) ; Oued Refref (plante aquatique) ; Oum ech Chouk (l'endroit des
épines) ; Oum et Drou (l'endroit du lentisque) ; Es-Safsaf (les
peupliers) ; El-Terfesse (les truffes blanches) ; Zeboudj el-Oust (les
oleastres du mi-chemin) ; El-Tarfa (les tamarins) ; En Nakhela (les dattiers)
; El-Greier (le lieu complanté de cactus) ; El-Annaba (les jujubiers)
est le nom arabe de Bône parce qu'on y cultivait jadis cet arbuste.
-------Boufarik
: le pays du premier froment.
-------Djenane
Louz : le jardin des amandiers ; El-Senia. : le jardin potager. El-Aghouat
: LAGHOUAT : les jardins.
-------Voici
maintenant les animaux :
-------Aïn
Sehâ : la source du lion ; Koudiat en-Nemer : la colline de la panthère
; Oued Debah : oued de l'hyène ; Qfell ed Debb : le gué
de l'ours ; on sait que l'ours a vécu en Berbérie, il figure
sur les mosaïques romaines ; mais c'est aussi le surnom de l'âne.
Bou Ghezel est le lieu des gazelles ; Oued Maïz la rivière
le, chèvres : Aïn Kelba : la source de la chienne ; Bou Khennefis
est l'endroit où abondent les scarabées. D.enman et Begra
est l'enclos des vaches et Aïn Ibel : la source des chameaux.
-------Oued
et-Hoût : la rivière des poissons ; Oum et Doudd : l'endroit
des chenilles ; et enfin des oiseaux Dj-Aougueb : le pic de l'aigle ;
Aïn-Ghorab : la source des corbeaux ; Oued Djormane : l'oued des,canards
sauvages.
-------On
pourrait multiplier ces exemples d'ordre zoologique, qui sont le fait
de ruraux, pasteurs ou cultivateurs. On leur doit aussi des noms d'habitation
et de campement dont nous dirons quelques mots.
-------Le
mot bordj: maison solide et d'assez grandes dimensions, retient l'attention
; il est assez souvent employé ; citons seulement Bordj-Bou-Arreridj
: le bordj de l'homme au petit chapeau orné d'une plume d'autruche
et Bordj-Sabath : le bordj construit en voûte. Dar : maison, est
toujours suivi du nom de son propriétaire : Dar ben Abdallah, Douira
est un petit douar ou hameau ; El-Heuch : le nid, même sens ; Ei-Azib
et El-Azaba : campement de printemps et d'automne ; Ahl et. Mehal, ordinairement
suivi c+.'un nom de tribu, est un campement permanent. Qçar est
un château, un fortin, etc... toujours orthographié Ksar
et suivi du nom du propriétaire ou de la tribu Ksar Metliti, et
son pluriel : El-Ksour.
-------Fondouk
ou caravansérail est peu usité en toponymie mais soûq
marché hebdomadaire qui tient une grande place dans la vie des
ruraux est plus connu : Souk-Ahras ; Souk-El-Haad, etc...
-------Les
voies de communication figurent aussi dans la nomenclature El-Tenia le
" chemin " ; El-Oudja le sent er > ; El-Kantara " le
pont ".
-------A le
vie rurale, se rattachent quelques faits de folklore : Serdj-el-Ghoul
: la selle de l'ogre ; Djebel Sarraguya : la montagne des voleurs ; Meqsem-el-Chouagui
: le partage du butin, près de Tébessa et d'autres encore
parmi lesquels on retiendra les nombres : Seba-Chioukh : les sept vieillards
; Seba-Ragoud : les sent dormants, expression empruntée au Coran
pour caractériser les endroits très sauvages ; l'Arbatache,
multiple de sept, et surtout les expressions dérivées du
chiffre cinq : Khamsa, Khemis, Khamissa, etc... considérées
comme particulièrement bénéfiques.
-------Les
couleurs sont mises à contribution : Aïn-Beida : la source
claire ; Kef-Lakdar : la montagne verte ; El-Zerg : le bleu : Djebel Ahmara
: la montagne aux grès rouges ; etc...
-------De
même, les quatre points cardinaux interviennent souvent, vocalisé
en a ou en i : dahra-dahri : nord ; guebla-guebli sud ; cherga-chergui
: est ; gheraba-gherbi : ouest ; isolément, ces mots indiquent
des ethniques : Cheraga gens de l'Est.
-------En
toponymie africaine, les ethniques jouent un grand rôle du fait
que beaucoup de lieux ont reçu les noms des tribus ou fractions.
de tribus qui les habitent. Ces toponymes se divisent en deux séries
: ceux commençant par Beni : " fils " et ceux commençant
par Oulad " enfants ", suivis du nom de l'ancêtre éponyme.
-------Sont
également nombreux les noms de localités qui commencent
par Sidi : Monseigneur, suivis du nom du saint personnage, dont le tombeau
ou la zaouia protège la petite agglomération qui s'est formée
à son voisinage. C'est une manifestation du maraboutisme ou culte
des saints musulmans très répandue dans le Maghreb : Sidi-Okba,
Sidi-bel-Abbès.
L'APPORT TURC.
-------Bien
que la domination des Turcs ait duré trois siècles, on ne
peut pas dire que l'influence ottomane, au point de vue culturel, ait
été importante, et pour cause. Les Turcs d'Algérie
étaient pour la plupart des gens frustes, recrutés dans
les bas-fonds des ports du Levant, mêlés de quelques aventuriers
européens, rénégats venus à l'Islam par intérêt.
Cependant, à la faveur de la longue durée de leur domination
ils ont introduit cinq ou six cents mots turcs dans l'arabe dialectal
algérien. En toponymie leur apport est peu important ; à
Alger et autour d'Alger, on note, entre autres
-------L'Agha,
primitivement camp militaire commandé par un Agha ou général
en chef ; Mustapha, primitivement Dar Mustapha : maison de campagne du
Dey de ce nom ; Birmandreis,
à lire Bir Mourad Rais : puits appartenant au capitaine corsaire
Mourad ; Hussein-Dey doit son nom au dernier pacha d'Alger qui possédait
à cet endroit une maison de plaisance.
-------Rouina,
est le nom du camp où les janissaires faisaient halte pour manger
le rata appelé rouina Haouch et -Bey Brahim est la ferme
appartenant au Bey Ibrahim.
-------Dans
les départements de Constantine et d'Oran : Aïn-el-Bey et
Aïn-et-Turc, Azel-Beylik sont des endroits où les colonnes
turques bivouaquaient ou campaient. La grotte d'Ali-Bacha, près
de Bougie.
L'APPORT ESPAGNOL.
-------La
venue des Mores chassés d'Espagne par la reconquête, l'occupation
espagnole et l'immigration de la main-d'ceuvre espagnole contemporaine
ont eu pour conséquence d'introduire quelques vocables dans 1aa
nomenclature. On signalera
-------Cap
Lindless ou des Andalous, les
Tagarins, d'après A. Nettement, Histoire de la
conquête d'Alger 1867, p. 98, note 2 : " On
retrouve la trace des Mores d'Espagne à Alger dans le nom de Mur
des Tagarins, que portait la partie occidentale de l'enceinte de la ville.
Les Morisques d'Aragon se désignaient par cette dénomination
qui venait de l'ancienne division de l'Espagne, sous les califes omniades
: ElThagr : la frontière. C'était le pays conquis par les
rois d'Aragon sur les émirs de Saragosse. "
Le Bardo est une altération clé l'espagnol El Prato : jardin
clos.
-------Citons
aussi : Rio-Salado ou oued Melah (le Salsum flumen de l'itinéraire
d'Antonin), Santa-Cruz Sainte-Croix ; Miramar, contraction de Mira-el-Mar
: vue sur la mer ; Cap Cavallo : cap du cheval (italien).
L'APPORT FRANÇAIS.
-------Au
cours du XVIè siècle des Français, navigateurs et
négociants s'étaient installés dans le triangle de
LA CALLE - ILE DE LA GALITE - CAP NEGRE, en territoire algéro-tunisien
et y avaient introduit, à la faveur de leuc commerce des noms de
lieux d'origine française. C'est ainsi que prirent naissance les
noms de Bastion de France, La Calle, et ceux de Cap Rosa et Cap Roux,
qui viennent peut-être de l' arabe ras prononcé quelquefois
ros. Le nom de La Galite est un vocable très archaïque, d'origine
méditerranéenne, mais cette île fréquentée
par les pêcheurs et corailleurs provençaux, a conservé
une toponymie-presque entièrement romane.
-------En
réalité, c'est à partir de 1830 que la langue française
s'est introduite dans la nomenclature algërienne. Dès
le début, elle se manifeste avec éclat en donnant à
ce pays, qui n'en avait pour ainsi dire pas, un nom : Algérie,
qui est infiniment plus précis que le nom arabe El-Djezaïr,
terme géographique très commun s les îles ",
qui désignait à la fois les îlots de la rade, la capitale
et le pays ! ALGERIE directement formé sur ALGER dit bien ce qu'il
veut dire ; c'est un mot qui fait honneur au génie français,
tout comme le mot TUNISIE qui l'a suivi de près.
-------Le
meilleur véhicule des appellations françaises a été
d'abord l'armée, puis et surtout la colonisation agricole qui a
marqué de noms glorieux les étapes de la conquête
toponymique. A l'armée on doit : Camp-des-Chênes, Camp-des-Oliviers,
Camp-des-Zouaves, Camp-du-Maréchal, Fort-National, Fontaine du
Génie, etc...
-------Les
centres et villages créés par l'administration française
reçurent des noms empruntés au Panthéon national
ou au calendrier chrétien ; on y reconnaît plusieurs catégories
de noms propres de personnes et de lieux.
-------D'abord
des noms de militaires : Bugeaud, Aumale, Lamoricière, Lamy, Laperrine,
etc... ; de gouverneurs généraux : Chanzy, Faidherbe, Gueydon,
Jonnart, ou de hauts fonctionnaires de l'administration algérienne
: Hanoteau, Dominique-Luciani, Hardy, etc..., de religieux : Lavigerie,
Le Vacher, de Foucauld ; de savants Maillot, Pomel, Stéphane Gsell
; d'explorateurs : Brazza, Duveyrier, etc... ; d'écrivains et d'artistes
: Prévost-Paradol, Fromentin, Guillaumet, etc...
D'autres noms de grands hommes français : Bayard, Condé,
Carnot, Foch, etc..., et des noms de victoires : Fleurus, Arcole, Wagram,
Magenta, etc...
-------Les
saints chrétiens sont représentés par Saint-André,
Saint-Antoine, Saint-Charles, Saint-Eugène, Sainte-Monique, etc...
parfois de compte à demi avec des noms indigènes Saint-Cyprien
des Attafs, SaintDenis du Sig, etc...
-------Enfin,
beaucoup de toponymes français ont été déterminés
par les aspects particuliers du site qu'ils désignent : Maison-Carrée,
Chapeau-de-Gendarme, Les-Trois-Marabouts, Pont-de-l'Isser, les Lauriers-Roses,
Clairfontaine, Retour-de-la-Chasse, etc...
-------Quelques
propriétaires fonciers ou des sociétés concessionnaires
ont donné leurs noms à des vilïages : Auribeau, Barral,
Baudens, La Robertsau, Glokner, etc...
-------Ces
toponymes qui étaient au moment de leur création une nouveauté
dans le paysage algérien se sont maintenus vigoureusement et ont
été adoptés par tous les éléments de
la population. Il est bien arrivé parfois que le nom ainsi donné
se soit substitué à un vieux toponyme berbère, mais,
en général, le nom français a surgi là où
il n'y avait rien.
CONCLUSION.
-------Le
fonds toponymique de l'Algérie comprend des formations venues de
tous les points de l'horizon méditerranéen et africain.
Il apparaît d'une grande richesse bien que son inventaire soit loin
d'être achevé. A côté des noms qui ont été
élucidés (certains provisoirement), il en existe beaucoup
d'autres qui restent obscurs quant à leur origine et leur signification.
-------L'aperçu
que nous en avons donné suffira, croyons-nous, pour montrer les
services qu'on peut attendre de la toponymie pour la connaissance du pays
algérien et l'intérêt scientifique et humain qui s'attache
à l'étude des noms de lieux.
Arthur PELLEGRIN
Membre correspondant de l'Académie des
Sciences Coloniales
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