LES TRANSFORMATIONS
DE LA CASBAH.
---------Le problème
de l'urbanisme s'est posé dès l'arrivée des Français
à Alger. En effet, une fois la ville occupée, il s'est agi
de loger la troupe et les différents services militaires ; il a
fallu d'autre part adopter la cité barbaresque aux exigences de
la vie européenne et surtout de la vie militaire. Il n'y avait
aucun projet concernant le sort de cette nouvelle possession, aussi aucun
plan d'aménagement ni d'utilisation de la ville ne fût-il
conçu. On s'installa au petit bonheur comme on put. Or, en 1830,
Alger n'était pas adapté à la vie européenne,
il n'y avait ni place publique, ni voie carrossable ; elle était
nettement limitée, il n'y avait pas d'espace libre à l'intérieur
de l'enceinte et par conséquent aucune possibilité de construction
nouvelle. Deux ressources s'offraient aux Français celle d'occuper
les habitations mauresques, de s'adapter à leur architecture et
celle d'en démolir quelques-unes pour construire des voies carrossables
et des places pouvant servir aux rassemblements de troupes et aux marchés.
La topographie de la ville, accidentée dans la partie Ouest, n'offrait
une zone basse légèrement plane que dans la partie Est qui,
en bordure de la mer, pouvait, grâce au voisinage du port, avoir
un plus grand intérêt économique. ---------Aussi,
c'est dans cette zone qu'il y eut le plus de transformation. On commença
par quelques démolitions entre Bab-Azoun et la Marine, ainsi
que dans la rue des Souks pour permettre aux chariots de deux ou quatre
roues (Lespes: Alger 1930-1930)
, gênés auparavant par les nombreuses boutiques, situées
de chaque côté de ces rues, de circuler, librement. La première
place qu'on aménagea fut celle de la Djenina qui, au prix de quelques
démolitions de maisons et de boutiques, devint propre au stationnement
des voitures, aux rassemblements de troupes et put même servir de
marché. A l'usage elle fut rapidement jugée insuffisante
et il y eut de nombreux projets de nouvelles places publiques.
---------Un
plan prévoyant la destruction de nombreuses maisons, d'une mosquée,
fut retenu et l'on commença l'aménagement de la place du
Gouvernement dénommée d'abord place Royale. Son plan
initial conçu dès octobre 1830 par le capitaine du Génie
Gallicé, fut modifié plusieurs
fois, et les travaux traînèrent longtemps et ne furent terminés
qu'en 1841 '(Lespes: Alger 1930-1930).
On continua le tracé des rues Bab-Azoun, Bab-el-Oued et de la
Marine qui avaient été auparavant simplement élargies.
Ces rues ne furent plus rectilignes mais formèrent des lignes brisées
et ce, vraisemblablement, pour des raisons militaires. On les aperçoit
nettement, aboutissant à la place du Gouvernement, sur le plan
d'Alger de 1839. Pour les deux premières, on construisit des rues
à arcades et on fit adopter l'établissement de galeries,
de façon à lutter contre les rayons du soleil beaucoup plus
ardents dans ces rues larges que dans les ruelles de la haute ville. Mais
ces trois rues n'arrivèrent pas à décongestionner
le quartier de la basse ville, aussi 'ouverture de deux autres rues fut
décidée : celles de Chartres et des Consuls
afin d'établir une communication entre les portes Nord et Sud au
cas où les rues Bab-Azoun et Bab-el-Oued auraient été,
pour une raison quelconque, rendues inutilisables. Elles n'eurent que
six mètres de large et ne furent pas pourvues d'arcades. Voilà
pour les voies carrossables.
---------En
ce qui concerne l'habitat, les Français logèrent dans la
haute ville, dans la plupart des maisons qui se trouvaient le long des
remparts et les maisons de la basse ville. On poursuivit l'européanisation
de la ville musulmane, et il parut alors qu'il était possible de
s'y adapter en continuant à décongestionner certains quartiers
; aménager les constructions mauresques semblait être le
meilleur programme d'utilisation de la cité. Aussi un projet d'ensemble
pour les alignements des rues fut établi par l'ingénieur
en chef Poirel en 1837. Il prévoyait
l'aménagement des rues existantes, la création des places
de Chartres et de la Pêcherie et l'élargissement de nombreuses
rues adjacentes à celles de Bab-Azoun et de Chartres. Les rues
furent élargies, elles eurent entre trois et cinq mètres,
la place de Chartres fut aménagée pour servir de marché
couvert.
---------Ainsi,
dès 1839, la partie basse de la ville tendait à disparaître,
démolitions et expropriations contribuèrent à donner
un aspect nouveau à ce quartier. L'immigration d'Européens
(surtout des Italiens et des Espagnols) fut importante. Tous les nouveaux
venus commencèrent d'abord par occuper les maisons mauresques qui
furent transformées pour répondre à des exigences
nouvelles ; les cours disparurent, certaines recouvertes d'un plafond
furent transformées en magasins, d'autres furent rétrécies
par la construction d'une aile de bàtiment. Comme les maisons mauresques
recevaient toute leur lumière de la cour, les nouvelles habitations
furent très sombres, on ouvrit de grandes et affreuses fenêtres
sans aucun style et n'ayant aucun rapport avec l'architecture mauresque
; les grandes pièces furent divisées en deux et même
trois chambres, les grandes portes remplacées par de petites ouvertures,
etc...
Ces maisons transformées devinrent bientôt des bâtisses
insalubres, sales, mal aérées et sans aucun style.
---------L'arrivé
massive d'Européens et les spéculations sur les constructions
menacèrent même le quartier de la haute ville, et de nombreuses
personnalités, civiles et militaires françaises s'en émurent,
certaines autorités allant jusqu'à interdire toute immigration
des Européens dans les quartiers musulmans.
---------Le
projet de 1845 présenté à la
commission de voirie prévoyait la construction de nombreuses voies
carrossables reliant les deux principales rampes Valée et Rovigo
qui formaient les nouvelles limites d'Alger qui, si elles avaient l'avantage
de permettre à la bosse ville de s'étendre vers le Nord
et le Sud n'offraient à la haute ville aucune possibilité
de s'agrandir. Une rue orientée Nord-Sud
devait joindre le premier tournant Rovigo aux anciens remparts de Bab-el-Oued,
une autre devait partir du troisième tournant pour aboutir
en coupant les rues Médée, Porte-Neuve, d'Anfreville,
de la Girafe, de l'empereur, Sidi-Abdallah, de la Casbah et Sidi-Ramdane,
au-dessus de l'actuel boulevard de Verdun. Une troisième,
la rue du centre, devait traverser toute la Casbah et partait de
la partie supérieure de la rue de la Lyre pour finir sur l'emplacement
actuel de la Médersa. Un boulevard devait
être aménagé sur la zone qui avait été
éventrée entre la Porte-Neuve et la Casbah. On songeait
aussi à transformer le fossé et les glacis de l'enceinte
turque en deux boulevards ; l'un au Nord,
l'autre au Sud de la ville et parallèlement à ces boulevards
une rue tout en escaliers fut prévue pour aérer la vieille
ville indigène. Cette rue, de la place Royale, devait aboutir au
boulevard de la Victoire. Tous ces projets cherchaient à décongestionner
la ville indigène, à l'aérer, à la munir de
voies carrossables, afin de la rendre plus propre à une vie européenne,
de permettre l'interpénétration des deux villes, la neuve
et l'ancienne, de favoriser les contacts entre les deux populations. Dans
le plan de la ville d'Alger par Ch. Delaroche, de
1848, on peut voir les divers projets de construction et d'alignement
selon le programme de 1846. On voit la rue Bab-Azoun, la place du Gouvernement
dénommée encore place Royale et la rue Bab-et-Oued séparer
nettement la haute ville de la basse ville reliée au port par la
rue de la Marine. La rue et la place de Chartres sont terminées.
La rue de la Lyre est déjà exécutée. La deuxième
rue Sud-Nord dénommée Montpensier avec une place est projetée
mais non exécutée. Lors de son voyage, Napoléon III
fit une enquête personnelle qui eut pour résultat d'arrêter
les démolitions de la vieille ville. Le rapport disait que la haute
ville devait rester telle quelle, attendu qu'elle est oppropriée
aux moeurs et aux habitudes des indigènes, que le percement de
grandes artères avait pour résultat de leur porter une grave
atteinte et que toutes les améliorations ne pouvaient qu'être
onéreuses à la population indigène qui n'a pas la
même manière de vivre que les Européens (Lespès).
La démolition de la haute ville s'arrêta, on ne continua
que le percement des artères déjà commencées,
c'est ainsi que la rue, de la Lyre pour laquelle les expropriations étaient
consommées fut achevée bien que son aménagement dura
plus de vingt ans et non sans avoir rencontré de nombreuses difficultés.
Le percement de cette rue amena la destruction de trois bazars, ceux d'Orléans,
de Salomon et du Divan et de nombreuses maisons ; son prolongement qui
devait la conduire jusqu'aux remparts Bab-et-Oued ne fut jamais continué,
il fut arrêté à la place de la Djenina. Quant à
la rue du Centre, dénommée rue Randon, elles fut construite
beaucoup plus rapidement, elle ne fut d'abord ouverte que jusqu'à
la synagogue, ce n'est que plus tard qu'elle fut continuée par
la rue Marengo jusqu'à la rampe Valée, traversant ainsi
toute la Casbah. La rue Montpensier qui, du troisième tournant
Marengo devait rejoindre, elle aussi, la rampe Valée, ne fut qu'amorcée
et, en 1875, on abandonna un projet qui devait amener l'expropriation
de 158 maisons mauresques et la destruction de deux mosquées, et
le rapporteur note que " traverser le haut
de la ville par une rue européenne, c'est décapiter Alger
" ( Lespès ) . On commença
à s'apercevoir qu'il est difficile de greffer une ville européenne
sur une ville musulmane, et que c'est là une grande erreur d'urbanisme.
---------Notons
aussi qu'une bonne partie des maisons se trouvant sur les abords immédiats
du front de mer furent détruites par la construction de la rue
Rempart Nord, aujourd'hui boulevard Amiral-Pierre. De nombreuses
ruelles disparurent, la rue Macaron, Bélisaire, du 14 juin,
des Lotophages, et ce n'est que grâce au Conseil municipal qu'un
îlot de maisons fut préservé de la démolition.
Maisons du vieil Alger que l'on voit encore aujourd'hui accrochées
aux rochers, dominant le mer. L'emplacement des remparts devait être
transformé en boulevards, comme cela est souvent le cas. Sur les
terrains du fossé avaient été construites de nombreuses
baraques : marchands de bric à broc, lavoirs, boutiques d'artisans,
comme en en voit aujourd'hui le long du boulevard de la Victoire ; ces
zones étaient très insalubres, et on ne tarda pas à
détruire ces baraques ; le ravin Sud, celui de Bab-Azoun, appelé
ravin du Centaure, fut le premier à être transformé
en escaliers et dénommé boulevard Gambetta ; du côté
Nord, on construisit le lycée et on aménagea un raccourci
en forme d'escalier permettant d'éviter les détours de la
route ouverte par le génie.
---------Dans
le sens Ouest-Est, la rue de la Casbah ,
parallèle à la rue Porte-Neuve fut ouverte et une série
d'escaliers relia la Casbah à la rue Bab-el-Oued. Après
1880, on construisit le prolongement de la rue Randon, qui traverse alors
toute la vieille ville dans le sens Nord-Sud. On semble revenir sur les
erreurs premières et vouloir installer la population européenne
en dehors de la ville indigène ; on prévoit la grande importance
que prendront dans l'Alger moderne les zones situées au delà
de Bab-el-Oued et surtout de Bab-Azoun. On songe déjà au
site de Mustapha. La ville neuve doit chercher de nouveaux espaces et
sortir des limites trop étroites de l'enceinte turque, les projets
d'agrandissement vont laisser en paix les mânes de la vieille ville.
Et depuis, il n'y eut plus d'ouverture de grandes artères dans
la Casbah ; on arrêta la destruction et les expropriations de maisons.
---------Le
temps seul se chargea alors de modifier l'aspect de la ville, et lorsque
une vieille maison est vaincue par lui, elle cède, lorsque ses
rondins de thuya ne veulent plus la supporter et que ses murs se lézardent
: on l'achève, et comblent y en aura-t-il qui résisteront
à la vieillesse ? Dans la basse ville, tout l'ancien quartier de
le Marine à l'Est de la rue Bab-et-Oued, est aujourd'hui détruit.
C'est dans cette zone que les maisons mauresques avaient subi le plus
de transformations.
---------De
nombreuses avaient été remplacées par des maisons
européennes de rapport. Il ne reste que quelques maisons mauresques
en bordure de la rue de la Marine, de la rue Bab-el-Oued et du boulevard
Anatole-France, et l'îlot de maisons qui est compris entre le boulevard
et le front de mer. De nombreuses rues pittoresques ont dispcru : la rue
des Trois-Couleurs, véritable bas-fond de "ancien Alger, la
rue Philippe, le marché de l'Ancienne Préfecture, les r,..ornbreux
passages voûtés et obscurs, la maison de Sidi-Abderrahmane,
patron d'Alger, et de nombreux autres souvenirs. A leur place, s'élèveront
bientôt des hôtels et des maisons luxueuses qui borderont
une grande avenue.
---------Après
l'élargissement de la rue des Souks, de la rue de la Marine, l'aménagement
de la place du Gouvernement et "des rues Bob-Azoun et Bab-et-Oued,
le percement de la rue de Chartres et la création de la place qui
porte le même nom, on a fait subir à la ville à partir
de 1846 des modifications profondes : on élargit la rue de la Lyre
(1859-1862), on perce la rue Randon (1865-1892), on ouvre le boulevard
Gambetta (18701892). La construction du boulevard de la République
va surélever le niveau de la basse ville qui, au lieu de baigner
son pied dans la mer, va dominer du haut du boulevard. A l'intérieur,
de nombreuses rues furent élargies, les ravins furent comblés,
les fortifications détruites 1896-1898), les portes mêmes
disparurent. Après la disparition de l'ancien quartier de la Marine
et de la Préfecture, seule la haute ville est encore assez intacte,
mais le temps commence déjà à menacer les plus vieilles
maisons et si de nombreuses, se soutenant les unes aux autres, semblent
lui résister, plusieurs ne tiennent que grâce à des
béquilles de madriers.
ASPECT DE LA CASBAH.
---------Quel est
après ces altérations et ces démolitions successives
l'aspect actuel de la ville ?
---------La
Casbah ne forme plus une masse compacte, le triangle décrit par
les voyageurs et les visiteurs d'Alger n'est plus aussi impénétrable
; en dehors des ruelles en dédale formant un labyrinthe, des grandes
voies permettent de la traverser complètement. Dans le sens Ouest-Est,
la déclivité du terrain ne permet pas la circulation des
voitures et les grandes rues qui ont cette orientation sont construites
en escaliers et petits paliers de deux à trois mètres séparés
par une marche. C'est le cas de la rue de la Casbah et de la rue Porte-Neuve.
La rue de la Casbah est la plus longue avec plus de cinq ' ents mètres
de long et mesurant de trois à cinq mètres de large. C'est
une avenue comparée à la rue de la Mer Rouge qui a 200 mètres
de long et moins de 1 m 50 de large. Elle est bordée de maisons
européennes dans la partie la plus haute près du boulevard
de la Victoire et dans la partie inférieure près de Bab-el-Oued.
La corstruction des maisons européennes s'explique par le voisinage
de la citadelle, alors centre militaire important et par celui de la rue
commerçante de Bab-el-Oued. Actuellement, la plupart des anciens
locataires européens les ont abandonnées ; elles sont occupées
dans la partie haute notamment par des chaouias et des personnes vivant
seules et ne pouvant louer une chambre que dans les maisons européennes.
Les maisons de la partie inférieure sont occupées par des
familles musulmanes qui n'ont pas pu se loger avant-guerre dans les maisons
de la Casbah, et qui, à contre-cceur, ont du accepter ces demeures.
La rue Porte-Neuve (300 mètres de long) a été élargie
dans la partie centrale entre l'embranchement de la rue d'Anfreville et
celui de la rue Randon (100 mètres). Dans cette partie on a construit
aussi des maisons européennes, certaines entièrement occupées
par des familles m. sulmanes, d'autres par des célibataires. La
rue de la Casbah et ia rue Porte-Neuve furent utilisées au temps
de 'eur élargissement pour les communications entre la citadelle
et la Casbah ; elles étaient surtout fréquentées
par des Européens qui s'orientaient difficilement dans les autres
ruelles de la Casbah. Comme voies de circulation elles ont, la première
surtout, perdu de leur importance ; .le trolleybus mettant facilement
la place du Gouvernement en communication avec le quartier Bab-Djedid.
La rue Porte-Neuve, beaucoup plus centrale que la rue de la Casbah, a
conservé, elle, une certaine animation, elle est empruntée
par tous ceux qui habitent les nombreuses ruelles qui y sont adjacentes.
---------Dans
le sens Nord-Sud, une grande voie, la rue Randon prolongée par
la rue Marengo est la rue où lo circulation est la plus intense
; longue de plus de 700 mètres et large de 6 mètres, elle
est la seule voie carrossable qui traverse entièrement la Casbah
; il serait plus juste de dire qu'elle en est la limite inférieure
actuelle. Un grand nombre de voitures l'empruntent : camions transportant
les légumes et les fruits des Halles au marché Randon et
toutes voitures assurant le ravitaillement des populations de la Casbah
ou travaillant à leur service. Cette voie est bordée par
des maisons européennes presque entièrement occupées
par des familles juives. Comme nous le verrons plus loin, c'est la rue
la plus commerçante de ce quartier. Partant de la place de la Lyre,
la rue qui porte le même nom est aussi une voie carrossable, nous
avons déjà vu que son prolongement, la rue Bruce, a été
à peine amorcé. Le rue de la Lyre bordée de galeries
à arcades et d'immeubles européens, occupés encore
par des populations européennes n'a pas détourné
une partie du trafic de la rue Bob-Azoun. Elle joue cependant un grand
rôle dans l'activité commerciale.
---------De
magnifiques boulevards à l'emplacement des anciennes fortifications
favorisent les communications entre lo Casbah et les quartiers voisins.
La superficie occupée par la Casbah a considérablement diminué.
Dans la partie la plus élevée se trouve le dernier réduit
de la vieille cité.
---------Ce
quartier peut être limité par la rue de la Casbah au Nord,
le boulevard de la Victoire à l'Ouest, la rue Rempart-Médée
et la rue du Centaure au Sud, la rue Randon et la rue Marengo à
l'Est. Cette zone ainsi délimitée peut être considérée
comme le centre de la Casbah ayant tous les caractères du vieil
Alger ; aucune démolition systématique dans ce quartier.
Rien n'a été modifié, on retrouve encore les ruelles
étroites, les nombreux passages voûtés et les "
sabbats ". La circulation n'est possible qu'aux piétons, les
rues élargies, les voies carrossables traversant la Casbah se trouvent
à la périphérie de cette zone, ce sont les rues que
nous lui avons données comme limites. La rue Montpensier qui devait
traverser cette zone n'a pas été continuée. A l'intérieur
de cette grande zone toutes les maisons sont des maisons mauresques, il
n'y a même pas une dizaine de constructions européennes.
---------Une
deuxième zone, tout en ayant été altérée
Ides rues ont été transformées, élargies,
de nouvelles ouvertes, des nombreuses maisons mauresques détruites
et remplacées par des constructions européennesl, n'en a
pas moins conservé les caractères de la vieille ville. C'est
la zone de contact avec la ville et les quartiers européens. C'est
la partie qui est sur le pourtour de lo premi.re à l'Est et au
Sud. Elle est limitée par la rue du Rempart Médée
prolongée par la rue du Centaure au Sud, la rue de la Lyre, la
rue Bruce, une partie de la rue de la Casbah et la rue du Lokdor à
l'Est et au Nord. C'est un quartier mixte, cependant les maisons mauresques
sont en plus grand nombre, surtout au Nord de la rue Porte-Neuve. Il n'y
a de maisons européennes que dans le triangle compris entre les
rues de la Lyre, Randon et Porte-Neuve. A part les larges rues qui en
font le tour, aucune ruelle ne peut être utilisée comme voie
carrossable, exception faite pour la rue du Divan, et la rue Boutin que
les voitures peuvent remonter, les marches d'escaliers ayant été
supprimées. En général, les ruelles ne sont pas aussi
enchevêtrées que dans la première zone ; de nombreuses
voies orientées Est-Ouest mettent en communication les rues Randon
et Marengo avec la rue Bruce et la rue de la Lyre, et comme il y a une
différence de niveau important (nulle à la place de la Lyre,
20 mètres au centre et 40 à 50 mètres à la
fin de la rue Marengo). La plupart de ces ruelles sont construites en
escaliers ; rue d'Oran, rue Porte-Neuve, rue Benachère, rue du
Divan, rue Salluste; rue de Toulon, etc... Certaines ne comprennent que
des marches comme la rue des Gétules par exemple. D'autres ruelles
orientées Nord-Sud coupent les premières, elles sont moins
régulières et souvent terminées en impasse. Certaines
sont encore très étroites, on compte un " sabbat "
assez important de près de 20 mètres de long, les autres,
au contraire, ont été élargies par de nombreuses
destructions, aménagement du marché Rondon ; dégagement
de la Cathédrale, etc... Ici la population n'est pas composée
uniquement de musulmans ; des juifs_, quelques étrangers habitent
encore les maisons européennes. Les Européens ne se groupent
pas par nationaliié dons cette zone, ce sont pour la plupart des
gens de condition très moyenne, et qui n'ont pas pu émigrer
vers les nouveaux quartiers plus riches. Au bas de cette deuxième
zone, à l'Est de la rue de la Lyre, et de la rue Bruce, se trouve
ce qu'on pourrait appeler la vieille ville transformée où
les démolitions de maisons mauresques ont été les
plus importantes. Il y a de nombreuses voies carrossables, rue de Chartres,
Bab-Azoun, et quelques rues transversales reliant ces voies comme la rue
Nemours, lo rue Palma, etc... On y compte beaucoup plus de maisons européennes
que de maisons mauresques.
---------La
population musulmane qui, par suite des nécessités de l'urbanisme,
ou pour éviter le voisinage de familles non musulmanes vivant selon
des coutumes différentes, avait préféré peu
à peu abandonner cette zone ne l'a pas encore réoccupée.
Dans la partie Est, en bordure de la mer, entre la place du Gouvernement
et le square Bresson, se trouve une zone qui n'a aucun des caractères
de la ville arabe, les rues sont droites, coupées à angle
droit, la plupart sont longues et accessibles aux voitures ; toutes les
maisons sont de style français et entièrement occupées
par des Européens. Nous avons vu qu'au Nord de la place du Gouvernement,
tout le quartier de la Marine et de l'Ancienne Préfecture a été
rasé, il ne subsiste que quelques vieilles maisons européennes
le long de la rue de la Marine et du boulevard de la République.Un
îlot de belles maisons mauresques a été lui aussi
préservé, c'est celui que nous avons vu compris entre le
boulevard et le parapet.
---------Ainsi
donc, telle une peau de chagrin, la superficie occupée par la Casbah
diminue chaque jour, après la pioche du démolisseur, le
temps a commencé son oeuvre destructrice et, maison par maison,
le vieil Alger disparaît. ---------Après
s'être étendue sur 50 hectares, la vieille ville n'occupe
plus que 18 hectares (superficie du 2"' arrondissement), encore faut-il
comprendre dans ce chiffre les nombreuses maisons européennes qui
furent construites dans la Casbah. Tout se transforme et ici comme ailleurs
le nouveau chasse impitoyablement l'ancien. En d, paraissant, notre vieil
Alger devient un souvenir et " ce souvenir idéalisé
par les regrets qui font les légendes poétiques sera peut-être
plus beau que ne fut la réalité ". (
Guiauchain : el Djezair-1905) .
LA MODERNISATION DE
LA VILLE HAUTE.
---------L'accroissement
de la population, le contact avec la ville européenne, le désir
d'adopter ce qui, chez les Européens, rend la vie plus facile,
le progrès, ont fait que l'ancienne ville a perfectionné
ses moyens de ravitaillement, son alimentation en eau, le nettoiement
de ses rues et son éclairage.
---------De
nombreux sondages furent pratiqués dans les environs d'Alger. On
améliora les aqueducs d'Aïn-Zeboudja, du Télemly, du
Hamma. L'important réservoir de 10.500 mètres-cubes à
la porte du Sahel, celui de Kouba, du Télemly, fournissent l'eau
à la haute ville.
---------La
Casbah est ravitaillée en fruits et légumes par le marché
Randon, qui est un des plus vieux marchés de la ville. Il est actuellement
couvert. La foule qui s'y presse, le tumulte qui résulte des cris
poussés par les marchands vantant leur marchandise, parfois en
vers, donnent à ce marché un cachet oriental. Non moins
pittoresque sont les marchands ambulants qui n'ayant pas d'emplacement
s'installent où ils peuvent au voisinage du marché, deux
ou trois caisses sur lesquelles sont posées quelques cageots de
légumes ou de fruits. Ces emplacements en plein vent, sont si serrés
les uns contre les autres qu'à part un petit passage devant les
portes des maisons ou des magasins, toute la superficie des trottoirs
en est couverte. Et ceux qui n'ont pu s'y installer, se placent carrément
sur le bord de la chaussée, ce qui fait qu'il est non seulement
difficile aux voitures mais aussi aux piétons de circuler.
---------De
nombreuses fontaines publiques ont été construites dans
la Casbah et si elles ont presque entièrement disparu dans la basse
ville où on n'en compte que quelques-unes (car la plupart des maisons
européennes ont des concessions d'eau), elles sont encore en grand
nombre dans la haute ville où elles ne sont éloignées
que de 200 à 300 mètres les unes des autres. Beaucoup de
maisons mauresques ne sont -pas encore pourvues d'eau, et les locataires
sont obligés d'avoir recours au porteur d'eau. Les porteurs se
font payer 5 francs la cruche de 15 à 20 litres, au mois ils font
un prix intéressant. Bien que l'eau de la fontaine publique ne
soit utilisée que' pour la boisson et la cuisine, la dépense
mensuelle pour une famille constitue une somme assez importante ; aussi
les pauvres préfèrent-ils chercher eux-mêmes leur
eau.
---------Les
nombreux égoûts de l'ancienne ville ont été
réparés, certains remplacés par d'autres de plus
grande section, surtout dans les larges rues qui ont été
percées ; mais leur tracé est encore celui de la ville turque
; il n'y a que quelques grands collecteurs qui ont été construits
entre le môle Kheir-ed-Dine et la porte Bab-Azoun, au delà
des zones occupées par les bassins maritimes. La ville est lavée
chaque matin avec l'eau de mer et les ordures enlevées par un service
de nettoiement assez original ; leur enlèvement se fait dans les
chouans portés par des ânes, les voitures ne pouvant pas
circuler dans la Casbah. Le spectacle des ânes chargés d'ordures,
circulant dans ces ruelles est un de ceux qui dureront probablement tant
que durera la vieille ville.
---------L'électricité
a pénétré dans la ville arabe, et avec elle de nombreuses
autres commodités comme la T.S.F. Toutes les rues sont éclairées
et la lampe électrique a remplacé le bec de gaz, aussi la
circulation se fait-elle la nuit avec beaucoup plus de sécurité.
De nombreux propriétaires ont installé l'électricité
dons leur maison, surtout ces dernières années où
le rationnement des carburants a rendu très difficile le problème
de l'éclairage. Il n'y a généralement
qu'un seul compteur électrique par immeuble. L'installation est
faite par le propriétaire, celui-ci accorde, s'il le veut, la lumière
à ses locataires. Très peu de maisons mauresques ont le
gaz, la cuisine se fait encore soit au kanoun avec du charbon de bois,
soit au fourneau à pétrole.
---------C'est
surtout la modicité des moyens pécuniaires qui empêche
l'électrification de toutes les maisons mauresques et l'installation
de l'eau courante. Les propriétaires des maisons modestes hésitent
à engager de gros frais ; les locataires hésitent à
faire ces dépenses et lorsqu'ils veulent se cotiser pour entreprendre
en commun quelques améliorations il y en a toujours qui refusent.
LES HOMMES
LA SURPOPULATION.
---------L'entassement
des maisons et l'absence d'espace libre constituent une sorte de prédisposition
de la ville aux fortes densités de la population. Les passages
ouverts, les encorbellements qui permettent d'utiliser pour la construction
des pièces une plus grande superficie aggravent encore cette prédisposition.
Si l'on ajoute à cela le développement considérable
de la population on peut avoir une idée des densités dans
la Casbah.
---------La
superficie du 2" arrondissement est de 44 hectares 10, mais il faut
remarquer que les terrains militaires occupent une zone très importante
et que la partie qui correspond à l'ancien quartier turc et à
l'agglomération bâtie n'occupe qu'une superficie de 18 hectares.
Nous avons alors les densités suivantes
---------1881
: 1.436 habitants à l'hectare.
---------1921
: 2.028 -
---------1926
: 2.255 -
---------1931
: 2.819 -
---------Et
pour 1947, la densité est certainement supérieure à
3.000 (entre 3.000 et 3.500 à l'hectare) . Ce sont là des
chiffres énormes, difficiles à concevoir.
---------En
tenant compte du nombre de pièces habitables dans le 2' arrondissement,
on peut dire qu'actuellement il y a une moyenne de 4 personnes par pièce
habitable. Ces chiffres ne doivent pas nous étonner. Dans les maisons
européennes de la rue de la Casbah, les moyennes de 8 par pièce
ne sont pas très rares ; il y a des familles de 14 membres et même
plus qui vivent dans une seule pièce. Ce sont des chiffres qui
peuvent paraître exagérés pour un profane, mais qui
ne font que traduire la réalité.
---------Voici
un exemple précis
---------Prenons
une maison moyenne, la maison de Oulid l'Agha, dont les propriétaires
sont de vieux algérois. Cette maison a 7 pièces habitables,
une ancienne cuisine utilisée comme chambre et un bartoz (chambrette
le long des escaliers) qui servait de débarras et qui aujourd'hui
est converti en chambre. 9 familles habitent là ; 7, dans les sept
pièces habitables, une dans la cuisine de la cour, une dans le
" bartoz ", en tout 28 personnes ; ce qui nous fait une moyenne
de 4 personnes par pièce habitable. Notons que le " bartoz
" qui abrite actuellement deux personnes en logeait 11 il y a cinq
ans. La famille du propriétaire qui comprend 5 personnes dispose
de deux pièces.
---------En
général, on s'installe toujours dans une maison où
l'on a des connaissances, parents ou compatriotes , certaines maisons
sont entièrement peuplées de gens du même pays, l'une
sera appelée " Dar EI-Qbâyel " (maison des
Kabyles) , l'autre " Dar Es-Souriyin " (maison des gens
d'Aumale) ou " Dar Et-Tablatiyin " (maison des gens de
Tablat). Les nouveaux venus ne se sentent nullement dépaysés
ainsi et dans la maison urbaine, ils mèneront la même vie
qu'au douar et conserveront toutes leurs coutumes sans crainte d'être
ridiculisés par les citadins algérois. Les Musulmans n'aiment
pas les appartements à l'européenne où chaque famille
vit isolément ; les Femmes les appellent des prisons ; et à
loyer identique, avant-guerre, les Musulmans qui avaient le choix préféraient
une chambre dans une maison mauresque à un appartement dans une
des maisons européennes des rues Randon, de la Casbah, de la Lyre,
etc...
|
|
----------La Casbah
réalise actuellement un type net de surpeuplement ; on n'y trouve
actuellement aucun logement disponible ; la clé d'une pièce
s'est payée en 1948 jusqu'à 80.000 francs. Est-ce à
dire que la population de
la ville ait atteint son maximum de densité ? Si l'on considère
la possibilité de son augmentation par l'arrivée de nouveaux
immigrants de l'intérieur, l'on peut répondre par la négative,
car il n'y a pas de logement libre et ii ne peut y avoir de constructions
nouvelles. La population dépendra surtout du rapport des taux de
natalité et de mortalité, or depuis 1927 il y a excédent
des naissances sur les décès. La population s'accroît
et dans l'ensemble les fils restent avec leurs parents. Ils naissent dans
la Casbah, s'y marient et y meurent.
--------La
conséquence de cet état de choses est l'insalubrité
de la Casbah ; dans une maison destinée à une famille vivent
actuellement 15 à 20 personnes. Cet entassement s'est fait au détriment
de l'hygiène de la ville et de la santé de ses habitants.
La mortalité générale est encore très forte
: 352 pour 10.000 en 1921 contre 183 pour la population totale, et 274
pour la population indigène. Cet indice n'a cessé de s'améliorer
pour atteindre 255 en 1936. La tuberculose, maladie des taudis, a depuis
longtemps fait son apparition dans la Casbah (la mortalité par
tuberculose était de 1 1 9 en 1949 pour 64.000 habitants), et en
1932 le docteur Lemaire notait que si " la réceptivité
" de l'indigène musulman ne fait aujourd'hui plus aucun doute,
et si la tuberculose fait de tels ravages dans les grandes villes. c'est
qu'on y constate un encombrement et un surpeuplement incompatibles avec
une vie salubre. Cet aspect de la démographie de la Casbah contribue
à accentuer le caractère prolétarien de ce quartier.
---------Le
surpeuplement pose de nombreux problèmes aie point de vue social
et au point de vue sanitaire. On a construit des habitations à
bon marché, il y en a tout un groupe au boulevard de Verdun, mais
elles sont nettement insuffisantes. La destruction du vieux quartier de
la Marine a amené un déplacement important de la population
du 1"' arrondissement vers le Champ de Manceuvres et Belcourt. Les
nombreux ouvriers agricoles qui ne trouvent pas à se loger dans
la Casbah, ni même dans les autres quartiers indigènes, incapables
de se payer un appartement, ont édifié des bidons-villes
dans les terrains vagues qui se trouvent à la limite de la ville.
C'est ainsi qu'à l'Ouest et au Nord-Ouest de la Casbah, il y encore
des gourbis, faits de toutes sortes de matériaux : roseaux, plaques
de zinc, vieux bidons, etc... Les plus proches de la Casbah se pressent
autour des remparts de l'ancienne forteresse ; les plus nombreux, près
du cimetière d'El-Kettar, forment un véritable village de
gourbis qui mériterait une étude à part. Les loyers
étaient de 50 à 100 francs pour ces misérables baraques
'juin 1941) et actuellement ils ont atteint le double si ce n'est le triple.
Un recensement de mars 1941 a donné 395 gourbis habités
par 1.259 familles groupant 4.805 personnes. Ce qui fait plus de 10 personnes
par baraque. Depuis, la population s'est encore augmentée ; les
zones qui intéressent la Casbah sont celles d'ElKettar et de l'ancien
fort turc. La grande partie de leurs habitants : chiffonniers, charbonniers,
contribuent encore à accentuer l'aspect rural de cette partie de
la vieille cité ; c'est là que s'abrite la population flottante
qu'il est très difficile d'estimer.
---------Si
l'on veut éviter que la Casbah devienne un foyer endémique
de maladies contagieuses, et ses habitations des taudis infectes, elle
doit être d'abord décongestionnée. L'importance du
problème n'a pas échappée aux autorités administratives,
mais jusqu'ici l'insuffisance des crédits n'a pas permis de remédier
assez efficacement au mal.
---------Les
baraques américaines qu'on a construites à la nouvelle cité
des Quatre-Canons, les rhorfas aménagées aux Tagarins
qui tiennent compte des moeurs musulmanes et dont le prix de
revient n'est pas très élevé peuvent si elles sont
multipliées contribuer à décongestionner la Casbah.
LA SOCIETE MUSULMANE QUI VIT ACTUELLEMENT DANS
LA CASBAH.
---------Les modifications
de la société musulmane algéroise ont un grand intérêt
pour l'évolution de la vieille cité. Comment les nouvelles
conditions économiques et politiques ont-elles modifié la
structure de cette société ? Estce qui les différents
éléments ethniques continuent à se grouper par quartiers
? Est-ce qu'ils continuent à exercer les mêmes métiers
? Autrement dit, retrouve-t-on encore les caractéristiques de la
cité orientale type ?
---------Commençons
par le vieux fond qui constituait l'élément essentiel de
la société d'avant 1830. Le vieux type maure ne se
retrouve que dans quelques familles. La plupart des propriétaires
actuels de vieilles maisons bourgeoises sont d'origine maure ; certains
artisans, très rares aujourd'hui, le sont également : ils
ont conservé la tradition de certains métiers, ils savent
préparer la laine, teindre, coudre, ils sont tailleurs, cordonniers,
travaillent le cuir, le cuivre. Ils font des broderies d'or sur les velours
des vestes, le cuir des harnachements, ils sont aussi de très habiles
passementiers. lis sont actuellement noyés dans la masse et il
est difficile de les reconnaître au premier abord. Le nom patronymique
nous renseigne dans certains cas, comme par exemple : Bachtarzi, Bachtoubdji,
Damardji, encore faut-il s'en méfier ; le costume n'a été
conservé que par les gens âgés et actuellement il
est assez rare de voir une personne portant le vieux costume maure, le
sarouel aux nombreux plis avec le " hzem " (ceinture
de soie richement brodée), le gilet artistiquement brodé,
la veste large passementée et la " arakiya " autour
de la chéchia ; il ne reste plus que le type physique : un visage
imberbe, des formes rondes, de beaux traits un peu mous, rien de fort
ni de résolu, une beauté incertaine et jamais virile (Fromentin)
; ajoutons à cela un corps lourd et le teint brun, nous avons le
type maure. Mais si au physique il n'a pas la virilité des autres
éléments, il leur a imposé ses coutumes de citadins,
qui constituent pour ces Arabes venus de leurs douars et ces Kabyles venus
de leurs montagnes une précieuse marque de vieille civilisation.
Tous ont cherché à l'imiter, dans son ameublement, comme
dans ses formules de politesse, ou s'olambiquent les tournures fleuries
de la politesse orientale. Ils ont même adopté sa cuisine,
ses multiples plats et sa pâtisserie dont le seul vocabulaire peut
constituer un véritable lexique. C'est en somme l'élément
le plus raffiné.
---------Dans
la Casbah les familles maures sont dispersées. On peut dans n'importe
quelle rue trouver une ou deux maisons dont le propriétaire est
d'origine maure, généralement ces maisons ont un nom :
Dar Et-Tebib (la maison du docteur à la rue Sidi-Abdallah),
celui du métier exercé par la famille ou bien Dar Ouled
Brahim à la rue Pompée, Dar Oulid l'Agha à
la rue de la Grue, celui de la famille.
LES KABYLES.
---------Il est
souvent difficile au recenseur de faire la distinction entre Kabyles et
Arabes. L'on peut affirmer, sans se tromper, que tous ceux qui ont gardé
des attaches avec le pays natal, la Grande et la Petite Kabylie, même
s'ils sont apparamment très arabisés, sont restés
foncièrement Kabyles. Les noms nous renseignent à ce sujet
: tous ceux précédés de " Aït "
signifient : fils de, équivalent de " ben " en
arabe, ou de la préposition " N' " indiquent une
origine kabyle. Les noms comme " Moh ", Mohand, Mouhouche,
déformation de Mohamed, ou bien Arski, Tassadit, sont spécifiquement
kabyles. Les Arabes ne les choisissent jamais, surtout les premiers qui
pourraient être considéré par les Arabes comme un
blasphème contre le nom du Prophète. Le Berbère est
la langue d'un grand nombre de Kabyles. S'il y a quelques Arabes qui,
par suite de lo fréquentation avec les Kabyles, la parlent, ils
ne l'emploient pas couramment. De nombreux Kabyles, cependant, parlent
l'arabe et certains ignorent complètement leur longue maternelle.
Ces trois élément origine, nom, langue parlée, sont
les trois indices qui permettent de déceler dans la Casbah les
Kabyles. Si l'on pousse plus loin l'enquête et s'ils sont en confiance,
les habitants d'origine kabyle, même si celle-ci remonte très
loin, la reconnaissent et l'affirment avec même une certaine fierté,
car si les éléments kabyles étaient mal vus au début
par la population maure ou arabe, par leur travail et la position sociale
qu'ils ont réussi à occuper,ils ont aujourd'hui pris corps
dans la société algéroise et y tiennent un bon rang
sinon le premier.
---------Au
début ils venaient s'employer chez les riches amilles d'Alger ou
vendre les produits de leurs montagnes : figues, huiles, quelquefois miel.
" Figue ", " huile ", avaient d'ailleurs un sens péjoratif
dans l'ancienne société algéroise et désignaient
le Kabyle. Ils s'approvisionnaient à leur tour en céréales,
tissus et objets divers qu'ils revendaient à leurs compatriotes
en Kabylie. Ils étaient aussi employés dans les petites
entreprises, chantiers de terrassement, constructions.
C'est surtout dans la première moitié du XX'"' siècle
que les Kabyles sont devenus l'élément le plus important
de la population musulmane de la Casbah ; alors que jusqu'au début
du XX"" siècle ils n'y étaient qu'en petit nombre
- ils constituaient le 1/12 de la population -. En 1936, le 1/3 des habitants
de la Casbah étaient Kabyles (21.509 sur 75.876 musulmans).
---------Le
nombre de Kabyles descendus de la montagne est en relation avec le travail
dans les grandes villes et le travail en France. C'est après la
guerre que ces montagnards, surtout ceux qui traversèrent la mer,
prirent l'habitude de la vie en ville. Le bled commença à
ne leur dire plus rien et tous ceux qui purent se fixer en France, essayèrent
de mener la même vie en Alger. La loi d'attraction joua alors. Chaque
Kabyle fut rejoint par son père, son cousin, et souvent même
toute la famille quitta le douar pour aller s'installer définitivement
en ville.
---------Ils
commencèrent littéralement à envahir la Casbah. Ceux
qui avaient réalisé quelques économies achetèrent
alors une petite " douéra ". Les familles maures et arabes
s'appauvrissaient, n'ayant plus ni esclaves ni domestiques, elles n'avaient
plus besoin de leur douéra pour loger leur personnel. Elles furent
obligées de la vendre aux Kabyles nouveaux enrichis. Ceux qui ne
pouvaient pas en acheter une louèrent des chambres. Ils commencèrent
d'abord par louer les " biout ", c'est-à-dire les chambres
de la cour. Dans beaucoup de maisons aujourd'hui encore le " fokoni
" est occupé par les fcmilles arabes ou maures et celles
du bas par des Kabyles. On peut délimiter actuellement la zone
où les familles kabyles constituent l'élément majoritaire.
Lespès a déjà signalé les rues d'Annibal,
de l'Atlas, de la Bombe, Gariba, de la Gazelle, des Janissaires, Marmot,
des Pithyeuses, des Sarrazins, de Thèbes, de Tombouctou, des Vandales...
Le recensement de 1926 fait ressortir de nouvelles conquêtes, rue
des Abencerrages, Ben-Ali, impasse du Palmier, rue Sidi-Ramdane et des
Zouaves. En gros, les Kabyles se sont installés dans la partie
supérieure de la Casbah : Bab-Edjedid, le quartier de la Norte-Neuve,
l'actuel boulevard de la Victoire est synonyme de quartier kabyle chez
les habitants de la vieille ville.
---------Peu
nombreux sont cependant les Kabyles définitivement fixés
à Alger qui ont perdu toute 'attache avec le pays natal. La plupart
ont conservé des liens avec leur bled, certains y ont conservé
leurs maisons, leurs terres et. chaque année, avec les leurs, quand
les revenus sont suffisants, ils retournent vers le mois de juillet ou
d'août, lorsqu'arrive l'époque des figues, pour y passer
quelques jours de vacances faire leurs comptes, partager les récoltes
et ramener à Alger leurs provisions d'huile et de figues. Parfois
une partie de la famille s'est fixée à Alger, le mari et
la femme, les parents restant au pays. Ces derniers viennent passer quelques
mois chez leurs enfants à Alger et dès le commencement de
l'été ils repartent tous ensemble au bled. Il est à
noter que le temps passé nu pays était plus important il
y a quelques années lors de la période de prospérité,
de 1920 à 1930 par exemple. La durée de ces vacances varie
aussi avec la profession du chef de famille, ceux qui sont leur propre
patron, épiciers, marchands de légumes ou ceux employés
à la tâche, dès juin vont s'occuper de leurs terres,
se retransforment en paysan. Actuellement surtout pour les ouvriers et
employés on ne reste au bled que pendant une courte période
celle des congés payés, deux semaines en moyenne. Tous ceux
qui habitent la Casbah, en tant que locataires d'une chambre ou d'une
maison mauresque, sont mariés ; le célibataire ne pouvant
pas habiter dons une maison sans qu'il y ait une femme avec lui, son épouse.
Lorsqu'il a perdu celle-ci par suite d'un décès ou d'un
divorce, alors qu'il était déjà locataire, il peut
continuer à occuper sa chambre mais avec sa vieille mère
ou à défaut une vieille parente. C'est pour cela qu'on peut
dire que tous ceux qui habitent les maisons de la Casbah sont définitivement
installés en Alger. Ceux qui ne viennent que temporairement, les
célibataires qui fuient les douars pour connaître la vie
facile des villes, n'habitent pas dans les maisons mauresques. Ils occupent
soit des chambres dans les quartiers populaires européens d'Alger,
soit dans les maisons européennes que l'on trouve dans certaines
rues de la Casbah. Les plus pauvres ou les tout petits commerçants
habitent dans les magasins ; c'est ainsi que certains magasins de la rue
Porte-Neuve par exemple servent de dortoirs à de nombreux Kabyles
; d'autres passent la nuit dans les bains maures, pour une modique somme.
Ceux qui ont laissé leur famille au bled vont la visiter régulièrement
et s'ils ne le peuvent pas lui en voient chaque mois une certaine somme
d'argent. Il n'y a que les " mauvais fils " qui perdent tout
contact avec le village de la montagne natale, et nombreux sont ceux qui
rêvent une fois fortune faite, d'aller y mourir.
---------Au
point de vue social on peut distinguer le Kabyle qui s'est adapté
au milieu algérois " El Metbaled " celui qui en
quelque sorte s'est assimilié et celui qui a conservé son
costume, ses mceurs, et qui continue à vivre comme le Kabyle de
la montagne. Le premier en général est aisé, il est
soit commerçant important, soit petit fonctionnaire, soit employé
; il a un revenu régulier, il porte un beau costume maure ou, s'il
appartient à la nouvelle génération, un costume européen,
sa femme a abandonné la djellaba kabyle et porte le sarrouel mauresque,
Ici robe européenne, coupe ses cheveux, elle a épousé
les coutumes des Maures et des Arabes ; elle sort voilée avec la
voilette typiquement algéroise.
---------Ceux
auxquels les revenus ne permettent pas de mener une vie " algéroise
" continuent à mener dans la Casbah la même vie que
dans les douars. Ils sont psychologiquement assez dépaysés
; le milieu moral, familial de la Casbah n'étant pas le même
que celui du bled. Le montagnard habitué à un climat rude
a, quoique serré dans son village, du moins le grand air. Dans
la Casbah, entassés avec plusieurs familles dont certaines ne comprennent
pas leurs coutumes, employés dans les gros travaux puisqu'ils n'ont
en général pas de métier entre les mains, ces Kabyles
constituent bien souvent un véritable prolétariat rural
transplanté dans la Casbah. Eux, conservent jalousement leurs coutumes.
Ils s'habillent (surtout leurs femmes) comme dans leur douar. Leurs fêtes
sc célèbrent encore à la mode kabyle. L'attachement
aux moeurs et coutumes kabyles est d'autant plus solide que les familles
vivent repliées sur elles-mêmes, sans contact avec des familles
arabes. Certaines maisons de la Casbah ressemblent à de véritables
agglomérations kabyles. Avec leurs coutumes particulières
les originaires d'un même village préfèrent rester
groupés dans la même demeure.
---------Aujourd'hui
les Kabyles forment la grosse majorité des habitants de la Casbah.
Actuellement il semble que l'émigration définitive des Kabyles
vers Alger soit arrêtée, il n'y a plus de logement disponible
dans ces quartiers. Ne peuvent s'y installer que ceux dont un membre de
leur famille s'y est déjà fixé. D'autre part,
les Kabyles ne trouvent que difficilement un emploi à Alger. Ils
préfèrent aller en France, c'est ainsi qu'en 1938 sur 80.000
Nord-Africains qui ont quitté l'Algérie pour lo Fronce il
y eut près de 60.000 Kabyles.
LES MOZABITES,
---------C'est
le " berrani " qui se reconnaît le plus facilement.
Au physique, il est en général assez gras, lourd ; il a
conservé sa langue, un berbère assez différent de
celui des Kabyles, et son costumes, très remarquable par l'ampleur
des plis du " sarrouel bouffant ".
---------Comme
pour les Kabyles, et pour les mêmes raisons, le nombre de Mozabites,
à partir de 1830, est devenu de plus en plus important jusqu'en
1845. Il a diminué à partir de 1849. Dans la seconde moitié
du XIX"'" siècle le nombre de Mozabites a progressé
lentement, en 1921, il y avait 367 commerçants mozabites, en 1931,
le répertoire statistique nous donne le chiffre de 2.082. Il semble
que ce chiffre se soit maintenu ; la dernière guerre et les bouleversements
qui l'ont accompagnée ne semblent pas avoir touché cette
population, la plupart des Mozabites étant commerçants et
ayant leurs boutiques, épiceries, boucheries, magasins de tissus
ou une gérance de bain maure. Notons, d'outre part, qu'il n'y a
que des hommes mozabites à Alger. Le rigorisme des moeurs ibadites
interdit aux femmes de quitter le Mzab et l'on peut affirmer qu'aucun
habitant de la Casbah ne peut se vanter d'avoir vu une femme mozabite.
En règle générale, il n'y a pas de mozabite qui habite
une maison mauresque dans la Casbah ; ceux qui y ont leurs magasins logent
dons leurs arrières boutiques. En 1925, l'on notait que la grosse
majorité des 2.000 Mozabites habitait le 2" arrondissement,
aujourd'hui, il n'y a dans cet arrondissement qu'une faible partie des
Mozabites fixés à Alger. La plupart des Mozabites épiciers
de la Casbah ont changé de quartier ; dès qu'une petite
fortune est amassée le Mozabite de la Casbah ouvre un grand magasin
dans les riches quartiers européens où le terme " Moutchou
" a longtemps désigné l'épicier mozabite. Ceux
qui tiennent les magasins de tissus de Ia rue de la Lyre ou les boucheries
de la rue de Chartres sont restés dans ces rues.
LES BISKRIS.
---------Biskri
dans la Casbah est synonyme de Moul-et-Maa Maitre de l'eau c'est-à-dire
porteur d'eau. ils sont très connus de la population musulmane
d'Alger, ils ont eux aussi été attirés par la grande
ville et venus de leur lointaine oasis du département de Constantine,
ils ont formé un groupe assez important.
---------Les
Biskris, emmenant avec eux leurs femmes, ont pu se loger dans la Casbah
; ils habitaient de préférence dons l'ancien quartier de
la Marine, autour de l'ancienne préfecture d'Alger, près
du port où certains trouvaient à s'employer. Ce quartier
ayant été détruit, de nombreuses familles ont été
recasées dans les H.B.M. du
Ruisseau et du Champ-de-Manoeuvre.
Ces dernières années, l'organisation des expéditions
de dattes vers la Métropole, a amené de nombreux commerçants
biskris à s'installer dans les ruelles limitrophes de la Casbah,
le bas de la rue Médée et à côté du
marché de la Lyre. Avec ces commerçants viennent de nombreux
Biskris servant de commis et qui logent dons les magasins. Beaucoup de
jeunes s'emploient aussi comme manoeuvres, garçons chargés
de décharger et débaler les marchandises des grossistes
ce la rue de la Lyre et de la rue de Chartres. Ils ont abandonné
leur ancien métier de porteur d'eau, devenu peu lucratif par suite
de l'installation de l'eau courante dans la Casbah. Seuls exercent encore
cette profession quelques vieux travailleurs en chômage.
LES LAGHOUATIS.
---------Employés
au début de la conquête dans les marchés à
huile et les marchés de bêtes de somme, ils formaient le
cinquième des Biskris (parmi lesquels on les confondait) installés
à Alger, et aujourd'hui un groupe peu nombreux qui se trouve noyé
dans le reste de la population.
LES NEGRES.
---------Les
Nègres ont presque disparu de la société algéroise,
alors qu'ils constituaient une minorité assez active dans le vieil
Alger. On voit actuellement quelques nègres s'employant encore
comme blanchisseurs, marchands de chaux ou manuvres ; héritiers
des traditions de ces corporations.
---------Vers
1830, on comptait encore quelques nègres descendants d'esclaves
libérés. lis étaient traités avec douceur
et considérés comme faisant partie de la famille. L'esclavage
ayant été aboli. aucun lien ne les obligeait ô rester
dons les familles de leurs anciens maîtres, la plupart préfèrent
cependant ne pas les quitter. Mais ces dernières années
le nombre de nègres a considérablement diminué :
l'immigration a cessé et il n'y a pour ainsi dire plus de famille
maure qui ait des nègres domestiques. On ne voit plus guère
non plus comme vers 1830 les orchestres " Bambaras "
défiler dans les ruelles de la Casbah, à l'occasion des
fêtes musulmanes ou des fêtes spécifiquement nègres.
La disparition de cette race, comme habitants de la ville, est un fait
très important dans l'évolution de la société
algéroise.
---------Les
autres Arabes que l'on trouve dans la Casbah sont originaires des différentes
villes du département d'Alger, ils forment deux grandes catégories,
ceux originaires des anciennes villes musulmanes
comme Miliana, et ceux originaires d'Aumale,
Aïn-Bessem, Tablat, Sidi-Aïssa, L'Arba.
---------Les
premiers, en général plus aisés, ayant un métier,
ceux de Médéa par exemple, excellent dans la cordonnerie,
la maroquinerie, nous les retrouvons installés dans le bas de la
rue Médée. Ils s'installent à Alger, comme petits
patrons, ou comme ouvriers dans de petites entreprises dirigées
par leurs compatriotes ; ils ont une position sociale assez élevée
dans la Casbah et habitent souvent de belles maisons. Ils se sont assimilés
aux Algérois, étant pour la plupart d'origine maure, rien
dans leur physique, leur langue, leurs habitudes ne les différencient
d'ailleurs des membres des plus vieilles familles algéroises. Les
seconds ont été amenés par la misère à
Alger. Ce sont de, montagnards qui n'ont aucune spécialité
et qui cherchent simplement à s'employer comme manoeuvres. Les
plus nomreux sont ceux de Tablat, Palestro, Aumale,
Aïn -Bessem, où les grandes tribus des Beni-Sliman, des BeniZghim
constituent les groupes les plus importants. Ceux d'Orléansville,
trouvant à s'employer dans leur arrondissement, sont beaucoup moins
nombreux. Ces immigrants arabes, comme l'élément kabyle,
constitutent un prolétariat rural installé dans une ville
où i'ls sont d'ailleurs dépaysés professionnellement
et psychologiquement. Ils se reconnaissent facilement à leur accent
rude ( Ce sont les hommes de "galak",
ils prononcent G la lettre Q. Les Algérois par contre forment les
hommes de "kalak")) .
---------Leurs
femmes portent de nombreux tatouages, des croix sur le front et des dessins
géométriques sur l'avant-bras. Ils ont gardé le costume
arabe, les hommes portent encore le sarouel, la gandourah et le turban
blanc simple et ne ressemblant pas à !'élégant turban
maure ; les femmes beaucoup plus en contact avec les autres musulmanes
ont modifié leur costume. C'est grâce surtout à leurs
femmes que ces Arabes abandonnent peu à peu leurs costumes pour
épouser celles des vieilles familles algéroises ; mais il
leur manque encore cet esprit et cette finesse que donnent le ton et le
bon goût algérois, tels que les ont fixés les traditions
mauresques.
---------Il
y a encore quelques minorités qui se groupent à Alger, comme
les Djidjelliens que l'on trouve aux halles,
mais la plupart se sont enrichis et n'habitent plus la Casbah, seuls les
petits marchands ambulants que l'on rencontre rue Randon, rue de la Lyre
et rue de Chartres y habitent, mais cet élément est mobile
; une fois un pécule amassé ils retournent au bled, et comme
ce sont des célibataires, ils n'habitent pas dans les maisons mauresques
; ils passent la nuit dans des magasins, les plus aisés dans les
bains maures. La zone où ils sont en grand nombre se trouve au
milieu de la rue Porte-Neuve, à côté de la rue des
Dattes, où il y a des cafés maures de nombreux magasins
et de nombreuses gargottes fréquentées surtout par eux.
---------Une
autre minorité, les Abbasiya, originaires
de la Petite Kabylie, tiennent au début de la rue Randon des magasins
où ils fabriquent des burnous et des haïks, la plupart sont
célibataires et logent dans leurs magasins.
---------Le
recensement de 1936 donne 751 Musulmans étrangers, soit 309 d'origines
marocaine, 193 d'origines tunisienne et 240 d'autres pays. Les Marocains,
pour la plupart manoeuvres dans les chantiers de construction, habitent
sur les lieux de leur travail ; quant aux Tunisiens, presque tous marchands
de beignets, et célibataires, ils vivent dans leur arrière
boutique.
---------Ainsi,
depuis la conquête de l'Algérie, la société
algéroise de la Casbah s'est complètement transformée,
certains éléments comme les Turcs, les Koulouglis, les Nègres
ont presque complètement disparu, d'autres comme les Maures ont
été obligés souvent d'émigrer à l'étranger
soit de quitter la Casbah pour d'autres quartiers : Saint-Eugène,
le Hamma, Kouba.
---------La
population musulmane de la Casbah est aujourd'hui composé d'éléments
étrangers à la ville, des Kabyles, des Arabes attirés
par la vie plus facile de la capitale et, qui n'ayant pas encore le sens
de la vie urbaine, ont transformé la ville arabe en un refuge de
prolétaires ruraux.
CONCLUSION.
---------L'Alger
des Turcs depuis 1830 n'a donc cessé de se modifier, telle est
la conclusion qui se dégage de notre étude. Après
avoir été !a capitale de l'Etat créé par les
Corsaires venus du Levant, après avoir été le centre
administratif de la Régence, l'ancienne El-Bafidja est réduite
actuellement à n'être que le vieux portier indigène
du grand Alger moderne.
---------Alors
qu'il s'étendait de la forteresse de la Casbah à la mer,
aujourd'hui le grand triangle a perdu sa base. Toutes les maisons, tous
les vieux magasins de la zone où s'affairaient les vieux corsaires,
les marchands des Souks, ont été remplacés par des
maisons et des magasins européens. Seules la Grande Mosquée
et la mosquée de la Pêcherie sont restées debout,
séparées de la ville arabe par les nouvelles constructions
et ne semblent plus comprendre leur isolement. Le deuxième arrondissement
a encore concervé ses rues et ses maisons et il est le dernier
refuge où se pressent des populations composées presque
uniquement de Musulmans. ---------Ainsi
l'Alger musulman se rétrécit chaque jour davantage. Il achève
actuellement de s'en aller morceau par morceau : une maison mauresque
sera peut-être dans quelques dizaines d'années une curiosité
rare en Alger.
---------La
haute ville constituait la résidence d'hiver des Maures, qui, en
été, allaient sur les hauteurs du Sahel goûter aux
plaisirs de la compagne. Aujourd'hui, les Maures aux habitudes bien citadines
ont été remplacés par des gens venus du " bled
". Cette population allogène a achevé de transformer
la Casbah qui a perdu ses anciens caractères urbains et ses vieilles
habitudes bourgeoises. Elle est souvent devenue " un bled "
où l'on retrouve même dans certaines de ses maisons de véritables
douars ; de nombreuses habitations urbaines sont peuplées aujourd'hui
de gens venus de l'intérieur qui, dans l'ensemble, ont conservé
leur façon de vivre rurale.
---------Ville
de résidence, la Casbah est devenue un quartier où les populations
s'entassent en dépit des règles les plus élémentaires
de l'hygiène publique.
---------Ville
dont les habitants, commerçants ou artisans vivaient honorablement
et à certaines époques dans un luxes tout oriental, la Casbah
abrite actuellement une grande majorité d'hommes de peine sans
aucune spécialité, employés comme manoeuvres dans
de durs métiers ou dans ceux ne nécessitant aucun apprentissage.
La majeure partie de cette population travaille en dehors de la Casbah
où elle habite.
---------Surpeuplé
ce quartier pose l'un des problèmes démographiques les plus
urgents à résoudre. Il s'agit d'abord d'arrêter l'immigration,
non par des arrêtés d'interdiction, mais en apportant une
solution à la désertion des campognes, ici beaucoup plus
sensible qu'en France, en rendant aux ruraux la vie plus facile. Il faut
aussi décongestionner la ville arabe en entreprenant une politique
de construction d'habitation bon marché qui seule pourra apporter
une solution à ce problème.
---------La
Casbah, maison par maison s'en va, mais les hommes, famille par famille,
s'y entassent encore.
---------Tôt
ou tard elle finira peut-être par disparaître, comme cela
a été le cas pour le quartier de la Marine. Il ne s'agit
pas de regretter ce qui a été une splendeur dans le passé,
car tout change, tout se transforme, mais de chercher des solutions d'urbanisme
qui soient dignes de l'Alger moderne.
Mahfoud KADDACHE
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