Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : Alger
La casbah sous les Turcs
10 pages - n°55 - 1er septembre 1951

-L'étroitesse des rues est le trait caractéristique le plus frappant ; on peut s'en rendre compte facilement en faisant une promenade dans la Casbah ; les rues les plus larges ont moins de trois mètres, certaines ruelles ont moins, d'un mètre, comme l'impasse de la Casbah, certaines parties de la rue de la Mer-Rouge, de la rue Sidi-Abdallah et on pourrait allonger la liste. Les maisons se rapprochent dès le premier étage, comme pour s'appuyer mutuellement, laissant quelquefois 10 à 20 centimètres entre elles. quelquefois se touchant laissant en dessous un passage où n'arrive ni le soleil ni la lumière.

mise sur site le 26-02-2005
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---------L'existence de cités indigènes Médina ou Casbah ( La Casbah nous permet d'étudier l'évolution du vieil Alger et de comprendre toutes ses transformations. Elle offre à l'historien et au géographe un document intéressant permettant de voir pourquoi une ancienne capitale est aujourd'hui reléguée au rang de vieux quartier dans le vieil Alger. et surtout de voir les transformations que le tempe et la vie, moderne lui ont fait subir.), dans les grandes villes d'Afrique du Nord est un fait que ne manque pas de remarquer le voyageur le moins averti des questions d'habitat dans ce pays. Ces vieilles maisons serrées les unes contre les autres comme pour mieux cacher jalousement leur secret, surpeuplées, faisant figure de vieilles reliques à côté des maisons de la ville neuve, posent de nombreux problèmes de géographie humaine. Comment, dans un cadre qui s'est difficilement maintenu à travers les siècles, des populations chaque jour davantage au contact de la vie moderne, ont-elles modifié leurs genres de vie ? Comme le vieux cadre lui-même a-t-il été transformé pour pouvoir satisfaire aux besoins nouveaux nécessités par les modifications des genres de vie et par l'augmentation de la population ?

---------L'existence d'îlots abritant une petite rade ( KHEIR ED-'DINE a fait relier les îlotsà la terre -ferme, et construire un môle qui allait protéger avec plus d efficacitéles flottilles barbaresques contre les vents. Pour rendre ce port inexpugnable, des murailles furent construites du côté de la terre et des batteries installées sur le front de mer) qui permettait à une flottille de trouver un refuge contre les vents a déterminé la fondation de la ville. Ce sont ces îlots qui ont décidé les corsaires turcs à faire d'Alger leur principal repaire, et qui lui ont donné son nom. Bologhine, fils de l'Emir Ziri le Sanhadja fonda en effet l'Alger turc, vers 950 de l'ère chrétienne, sur les restes de l'Icosium romaine, qui avait elle-même succédé à l'lcosium phénicienne.

---------D'autre part, surplombant ces îlots, deux crêtes se détachent du plateau d'El-Biar, où les terrains miocènes et pliocènes du Sahel s'adossent aux schistes et aux calcaires cristallins du massif de la Bouzaréah. La crête de 240 mètres d'altitude s'abaisse et forme deux plates-formes celle qui porte le Fort l'Empereur (216 m.) et celle qui porte la Casbah (120 m.).
---------Ilots et promontoire ont, avec le travail des hommes, fait la réputation de la place forte d'Alger.

---------Le complément ordinaire du système de défense conçu et réalisé par les turcs, est la citadelle qui se trouve au plus haut sommet du triangle formé par la ville arabe. Ce château, avec sa petite mosquée, ses beaux salons, son petit ,jardin, constituait, en même temps qu'une forteresse, un joli palais où le Dey laissant la Djenina fixa sa résidence pour échapper à la turbulence de son peuple et surtout à celle des janissaires.

---------Cette colline et les maisons qu'elle porte, vues de loin, rappellent aux uns une carrière de pierre en exploitation, aux autres un burnous de laine étendu, le capuchon en haut, sur la pente d'un coteau verdoyant. On les a aussi comparées à un vaste terrain couvert de linge blanc et à la voile d'un hunier. Elles ont toujours même aspect, le voyageur qui d'un bateau les aperçoit pour la première fois, admire toujours entre " l'indigo de la mer et le bleu du firmament, cet amas de choses éblouissantes " ( Charles DESPREZ. Alger naguère et maintenant ").

HAUTE ET BASSE VILLE.

---------Le relief et l'adaptation des hommes à la topographie du site permettaient de distinguer deux parties dans la ville limitée par les anciennes fortifications : la ville basse longeant le front de mer et occupant toute la partie plane, et la ville haute à partir des premières pentes accentuées jusqu'à la citadelle de la Casbah cette seconde zone est comprise entre les altitudes de 15 à 20 mètres et 130 mètres.

---------La ville basse était considérée comme une sorte de quartier des affaires, c'est en effet là où se trouvait la grande rue commerçante, celle qui allait de la porte Bab-el-Oued à la porte Bab-Azoun ; la proximité du port expliquait aussi l'importance du trafic dans cette zone. C'est là aussi que se trouvaient le siège des différentes administrations, la Djenina par exemple. ancien palais du Dey, et les grandes et belles demeures : Dar Aziza Bey, aujourd'hui archevêché, Dar Hassan Pacha, demeure luxueuse d'un particulier, aujourd'hui Palais d'Hiver, Dar Mustapha Pacha, devenue Bibliothèque nationale, etc... Les plus grandes et les plus belles mosquées se trouvaient aussi dans la basse ville. C'est là également qu'habitaient les raïs.
---------Centre de l'Administration, centre des affaires, centre religieux, autant de facteurs qui attestent de l'importance de cette partie de la cité.
---------La ville haute, " Le Djebel ", comme l'appelaient les musulmans, avec une masse plus compacte de maisons serrées les unes aux autres et une population plus homogène, constituait la vraie ville arabe. C'est cette ville haute restée presque intacte qui nous permettra aujourd'hui de recréer avec peu d'effort d'imagination la vie de l'Alger turc.

LA VIEILLE VILLE.

---------Nous avons vu que la fonction militaire commandait le site de la vieille ville, ce triangle formé par une colline limitée sur deux côtés par des ravins et à la base par la mer. Voyons d'abord la ville telle qu'elle a été trouvée par les Français.
---------Les maisons d'habitation et les bâtiments publics sont-ils disposés suivant un plan déterminé ? Comment à l'intérieur de l'enceinte fortifiée a-t-on tracé les rues et comment a-t-on tiré profit du site ? Il 'ne semble pas qu'il y ait eu un plan rationnel, on a construit sans aucun ordre, sans idée directrice, le plan de la cité ne s'explique que par les contraintes de la topographie. Le " Djebel " était sillonné par de nombreux ravins peu profonds et des ruisselets ; nombreux en raison de la nature du sol (schistes pourris constituant le prolongement de schistes brillants de Bouzaréa), ils étaient utilisés pour le logements des égouts. De part et d'autre de ces derniers s'édifièrent les immeubles et la distance entre les façades fut aménagée en sentiers d'accès aux portes des maisons. Les maisons sont tellement agglomérées qu'elles font ressembler la ville à. une pomme de pin bien tenue. Il y a en effet tout un dédale de rues de dimensions différentes, orientées dans toutes les directions se terminant souvent en impasse. La déclivité du terrain explique les nombreux escaliers et a rendu nécessaire la construction des quartiers du port. La ville paraît construite à l'image d'un château fort, au sommet du triangle la forteresse ou Casbah fait fonction de donjon avec place d'armes et domine la ville. Il n'y a pas de centre géométrique, le quartier maritime des affaires et de l'administration occupe la base du triangle et sur toute la surface se pressent les habitations.
---------Y avait-il de grandes artères qui trahissaient la fonction commerciale ? Elles ne pouvaient être construites que dans la partie basse de la ville, c'est là en effet où se trouvaient les deux plus grandes artères du vieil Alger : la première est celle de Souk-el-Kébir (la Strada Granda del Zocho) du plan d'Alger de l'atlas de Braun (1575), unissant les deux portes Bab-el-Oued et Bab-Azoun, c'était la rue commerçante dont la largeur était inégale et souvent rétrécie par les empiétements des boutiques ; la deuxième joignait la première à la porte de la Marine et n'avait pas même trois mètres de large. Haédo ("Topographie et histoire générale d'Alger) note que toutes les rues sont étroites, et qu'elles ne pouvaient " laisser passer qu'un cavalier et non deux de front ", sauf la rue de Sacco (Souk entre Bab-el-Oued et Bab-Azoun) ; on pourrait aussi, distinguer dans le plan de 1830 une autre artère commençant à la Porte Neuve, par laquelle les Français sont entrés, et aboutissant à la rue des Souks ; c'est la plus longue rue du vieil Alger. Certaines rues ont leurs boutiques occupées par des commerçants vendant tous le même produit ou par des artisans fabriquant le même objet et de nombreuses rues étaient connues par le nom du métier exercé par les propriétaires de boutiques, il y avait la rue des Sebbaghine (rue des Teinturiers), El-Bechmagdjia (babouchiers), de Ferraghia (fondeurs), des Ressaissia (plombiers), des Meqaissia (fabricants de bracelets) ; il y avait aussi des rues de bouchers, de marchands de légumes, de poissons. Ces rues se trouvaient surtout dans les quartiers de la basse ville. Les rues de la haute ville étant plus calmes.
---------L'étroitesse des rues est le trait caractéristique le plus frappant ; on peut s'en rendre compte facilement en faisant une promenade dans la Casbah ; les rues les plus larges ont moins de trois mètres, certaines ruelles ont moins, d'un mètre, comme l'impasse de la Casbah, certaines parties de la rue de la Mer-Rouge, de la rue Sidi-Abdallah et on pourrait allonger la liste. Les maisons se rapprochent dès le premier étage, comme pour s'appuyer mutuellement, laissant quelquefois 10 à 20 centimètres entre elles. quelquefois se touchant laissant en dessous un passage où n'arrive ni le soleil ni la lumière.
---------Les rues sont souvent couvertes sur certaines parties par un plafond. Ces plafonds sont plats, faits. de rondins de thuya ; leur hauteur est variable, certains ont trois à quatre mètres, d'autres au contraire ne permettent pas à un homme de passer, comme par exemple dans la rue Sydney-Smith où l'on est obligé de se baisser pour circuler. Quelquefois, une véritable voûte recouvre la rue ; voûte simple, parfois avec des arcs entrecroisés, véritable galerie qui porte un nom spécial, Sabath-el-Qotot (voûte des chats), Sabath-ed-Dheb (voûte de l'or), Aïn-es-Sabath (fontaine de la voûte). La plus importante qui existe actuellement est la voûte de l'or qui a les caractéristiques suivantes : 22 mètres de long sur 2 mètres à 2 m 50 de large ; le plafond fait de rondins de thuya sur lesquels reposent des roseaux, n'est pas formé d'une seule pièce, tantôt il est à une hauteur de 2 mètres, tantôt de 3 mètres ; ses murailles sont délabrées, et laissent apercevoir des briques rouges. Ce sabath est d'une très grande malpropreté, l'obscurité favorisant le dépôt des ordures et des immondices.
---------Comment expliquer l'étroitesse de ces rues et l'existence de ces sabaths ? Une première raison, la plus importante est celle de l'espace, il s'agit d'occuper tout le terrain utile qu'offre le site et, les encorbellements, tout en permettant l'existence de ruelles. D'autre part, ces rues sont : merveilleusement adaptées au climat du pays, elles sont parfaitement garanties contre les ardeurs du soleil ; leur disposition entretient à la partie inférieure des maisons un courant d'air rafraîchissant qui vient souvent de la haute mer. " Le vent du désert lui-même y perdrait de son ardeur " ( Ch. DUBOIS. - " Alger en 1861"). Les rues fort étroites et tortueuses ressemblent en cela à celles de nombreuses villes du bassin méditerranéen construites de cette façon, afin de protéger contre les rayons du soleil.
---------De nombreuses rues se terminent en cul-de-sac. En 1830, on comptait 180 rues et presque autant d'impasses ; il est rare de trouver une rue qui n'ait pas son impasse. Ces impasses ont l'avantage de n'être empruntées que par les habitants des maisons qui y sont construites, elles sont par conséquent plus tranquilles et souvent plus propres.
---------La plupart des rues ont un tracé tortueux et l'esprit humain se perd à vouloir expliquer les multiples détours qu'elles font. Il peut paraître très difficile de s'y reconnaître, mais si " toutes les routes mènent à Rome ", l'on peut dire ici que toutes les rues qui descendent mènent à la place du Gouvernement.
---------On ne risque pas de s'égarer et, si l'on tombe sur une impasse, il n'y a qu'à faire demi-tour et se remettre à descendre. Il ne faut évidemment chercher dans ces ruelles ni trottoirs ni chaussées, elles sont faites pour les piétons ; aucun attelage ne peut les emprunter, seuls quelques petits ânes, avec leur chargement de provisions, gravissent les pentes du " djebel ". Il n'y a ni places, ni jardins, ni promenades dans le vieil Alger, les espaces libres à l'extérieur de la maison sont inutiles. celui qui veut se promener n'a qu'à sortir de la ville.
---------Peut-on considérer comme des exceptions à cette absence de place publique - et encore faut-il beaucoup de bonne volonté pour baptiser place publique de petits espaces libres de 100 à 200 m2 - la place de la Djenina qui existe encore, celle du marché des esclaves, le Badestant et l'ancienne place Mahon aujourd'hui réduite de moitié par la construction d'une nouvelle voie sur l'emplacement de l'ancien quartier de la Marine ? Une autre place plus petite encore occupait l'actuelle rue du Divan, c'était la place des Caravanes. Notons que toutes ces places se trouvaient dans la partie basse de la ville et répondaient à une fonction le plus souvent commerciale. Dans la ville haute aucun espace libre ne peut être considéré comme place, il n'y a à proprement parler, que des carrefours, le plus célèbre étant sans conteste celui de la rue Kléber. Sur un banc de maçonnerie qui longe la base des murs, assis, accroupis, étendus, des musulmans se reposent là. Incomparable carrefour qui fera l'admiration de Fromentin. " C'est ici le dernier refuge de la vie arabe, le cœur du vieil Alger, et je ne connais pas de lieu de conversation plus retiré, ni plus frais, ni mieux disposé. Un coin de lumière, un endroit clos d'où la vue peut s'étendre, un séjour étroit ; avec le plaisir de respirer l'air du large et de regarder loin. Pour qu'on puise au besoin s'y passer du reste du monde, il y a là une mosquée, des barbiers et des cafés". Il y a d'autres carrefours ayant comme celui de la rue Kléber un café, comme par exemple celui des rues de la Gazelle et du Chameau ; dans celui des rues Kléber et du Lion se trouvait une ancienne forge. Les bâtisseurs de l'ancienne Casbah ont négligé les espaces libres, car la campagne s'ouvrait à quelques minutes de la ville, et nombreux étaient les habitants qui possédaient leur petit jardin ; tout Maure avait aux environs de la ville une maison de campagne dans un site admirablement choisi, avec des fleurs et de nombreux arbres fruitiers : amandiers, figuiers, et vieux cyprès. Notons aussi que l'existence des cours intérieures diminue l'importance du problème des espaces libres dans une ville arabe.
---------Ainsi la Casbah forme une masse compacte, sans plan d'ensemble ; on a construit là où il y avait un emplacement disponible. Il fallait avant tout se presser à l'abri des remparts. Les ruelles étaient seulement conçues pour permettre la circulation des piétons et des cavaliers.

L'HABITATION.

---------Il y a dans la Casbah, deux types de maisons mauresques : Ed-dar, la maison proprement dite, et la douéra, maisonnette accolée à la première, quelquefois indépendante. ---------Notons aussi que " Ed-dar " lorsqu'elle est vaste et bien construite peut constituer un véritable palais.
---------Nous trouvons aussi la maison européenne, tout étonnée d'être perchée sur les hauteurs dans les quartiers qui ne lui conviennent pas et au milieu d'une architecture qui n'est pas la sienne.
---------Haédo notait que la plupart des maisons étaient très jolies. Et parmi les détails qui l'ont frappés, il note l'existence de la cour spacieuse, décorée avec goût et ornée sur ses parois de carreaux de faïence de diverses couleurs et des corridors qui ressemblent aux cloîtres des monastères. Il remarque aussi que chaque maison a généralement son puits et souvent sa citerne. Elles sont construites avec les matériaux qui abondent dans les environs d'Alger. On utilisa le tuf pour les soubassements, et les murs furent en briques rouges séchées au soleil ou cuites. Les pierres provenant des ruines romaines de Rusgunial et parfois même de celles de Tipasa fournissaient un matériau de construction très apprécié. On faisait venir le bois nécessaire des plus proches forêts du département, celles de Cherchell, du Zaccar. Les rondins du thuya étaient particulièrement utilisés surtout pour supporter les encorbellements.
---------Les deux types de maisons n'avaient pas la même destination et répondaient à des genres de vie différents.
---------Ed-dar était essentiellement une maison bourgeoise, c'était le type le plus répandu. Elle abritait généralement une seule famille et c'est là un trait important : Les Musulmans, pour ce qui est de la vie familiale, n'aiment pas la promiscuité et ne veulent pas laisser an étranger cohabiter avec eu ; il y a donc dans ce désir à vouloir habiter seul une question d'honneur, un sentiment d'égoïsme aristocratique si l'on peut dire, et surtout le désir de ne rien laisser paraître de l'intimité familiale, surtout de l'intimité féminine. Cette coutume se retrouve d'ailleurs dans toutes les vieilles villes musulmanes où la bourgeoisie arabe a maintenu sa fortune, et dans certaines villes on considère encore aujourd'hui, tel propriétaire qui a des locataires dans sa maison, comme quelqu'un qui ne tient pas aux traditions et qui est par conséquent peu respectable.
---------Ed-diar, les plus importantes constituent de véritables palais servant de résidence au Dey, aux membres de sa famille ou même à de simples corsaires qui, après leurs longue tournée, fatigués de la course, éprouvent le besoin de se reposer dans des maisons de marbre où rien n'est négligé pour rendre le séjour délicieux. Ne citons que les principaux palais, ceux qu'on peut visiter aujourd'hui : Dar Aziza Bey, propriétéde la fille d'un Dey, femme du Bey de Constantine, palais devenu aujourd'hui archevêché, l'ancienne demeure luxueuse de Hassan Pacha, simple particulier d'El--Djezaïr, palais très restauré, qui constitue aujourd'hui le palais d'hiver ; Dar Mustapha Pacha, construite par le Dey en 1798 ; la Bibliothèque Nationale installée dans le palais construit en 1800 par le Dey Mustapha. Cette dernière demeure peut être considérée comme le modèle des palais d'Alger. Au-dessus de l'entrée il y a un auvent à tuiles vertes. La grande porte de bois massif a deux heurtoirs et une grille à travers laquelle l'on peut voir le personnage oui désire entrer. Une fois la porte franchie on entre dans un premier vestibule flanqué de deux niches : le second vestibule forme la " sqifa " proprement dite, rectangle de 8 m. x 3 m. 60 avec aux côtés des niches, des colonnades à cannelures, au fond, un portique à trois arcades. Il y a dans cette sgifa de nombreux placages de faïence.
---------La cour forme un carré de plus de 7 m. de côté avec deux étages de galeries en arcades sur chaque côté et en son milieu jaillit le classique jet d'eau.
---------L'escalier est revêtu de marbre et est bordé de plusieurs niches à arcades, il aboutit au " Foqâni " où une magnifique balustrade borde la galerie de ce premier étage. ---------Les boiseries et les portes sont magnifiques, elles furent exécutées par l'ancien amin des menuisiers, le célèbre Lablatchi.
---------Ed-dar, maison plus commune, moins richement décorée et de formes plus modestes, n'en constitue pas moins un palais en plus petit. Ces maisons sont assez répandues dans la Casbah, on peut en compter jusqu'à trois tous les cent mètres et dans l'ensemble elles ne dépassent pas les deux cents. Ainsi le long de la rue Sidi Abdallah, rue des Bouchers, (près de 60 m. de long) on en compte quatre. Voici le type de cette maison bourgeoise : du dehors, la maison se présente comme une grande masse blanchie à la chaux. De rares ouvertures, le plus souvent avec un grillage ou des barreaux, sont pratiquées dans les murs. Rien ne permet de deviner comment est organisé l'intérieur. Rien du dehors ne laisse supposer qu'il y a à l'intérieur un patio rempli de lumière --- petite cour d'un petit palais où quelquefois le classique jet d'eau laisse retomber ses gouttelettes sur un beau marbre blanc. Dans certaines maisons la grosse porte massive de bois sculpté, avec des motifs obtenus avec des sortes de pitons en cuivre. laisse seulement supposer un intérieur agréable. Deux heurtoirs, l'un pour les piétons, L'autre pour lies cavaliers, permettent aux visiteurs de s'annoncer et aux gens de l'intérieur de lui faire ouvrir la porte. Notons que le heurtoir supérieur a disparu de la plupart des portes, des maisons de la haute ville, car les cavaliers ne circulent plus. Un corridor sépare la porte d'entrée d'une autre porte, celle de la squifa. Le corridor est souvent long, tortueux, ressemblant à une véritable galerie souterraine, telle maison de la rue Porte-Neuve a, par exemple, une galerie de près d'une dizaine de mètres de long. Une demi obscurité y règne et contribue à donner à. l'étranger le sentiment de pénétrer dans une demeure mystérieuse et la conviction d'avoir affaire à un monde hermétiquement fermé. Cette croyance en un vestibule mystérieux est d'ailleurs habilement entretenue par les vieilles mères chez les enfants à qui l'on fait croire que des " Djins " sévères punissent les méchants garçons qui sortiraient de la maison sans la permission de leurs parents. Quelques vieilles y croient d'ailleurs réellement et l'on voit souvent des bouteilles remplies d'eau pure ou d'eau de mer suspendues au plafond pour éloigner le " mauvais sort. ". Il y a quelquefois dans les murs des niches aménagées en banquette où, comme dans une salle d'attente, les visiteurs attendent qu'on veuille bien les recevoir, que les femmes aient fini de mettre un peu d'ordre clans la cour et se retirent dans leurs chambres particulières. Les murs dans les maisons riches sont recouverts de faïence, de marbre ou simplement de carreaux.
---------La deuxième porte d'ailleurs sépare la Sqifa de la cour, les deux portes sont agencées de telle façon que même si elles s'ouvrent simultanément, l'intérieur de la maison reste caché aux yeux des curieux, passants, ou même visiteurs indiscrets. Cette porte a souvent un judas afin que, les femmes lorsqu'elles sont seules dans la maison, puissent facilement reconnaître si c'est bien un membre de la famille qui s'annonce.
---------Nous voilà enfin dans ce large patio, de forme carrée ou rectangulaire, où l'air et la lumière pénètre à flot.
---------Les musulmans aiment particulièrement les maisons à ciel ouvert, et ils ont conservé ce plan gréco-romain dans les régions où il y a en hiver beaucoup de neige, Médéa, Miliana par exemple ; et s'ils ne peuvent avoir beaucoup d'espace ils aiment du moins voir le bleu de la voûte céleste. La cour est de dimensions variables : 2 m. à 4 m de côté paraît être la moyenne quoiqu'il y ait des cours pouvant avoir jusqu'à 10 m. de côté.
---------Le jet d'eau classique qu'on cite toujours dans les descriptions de maisons mauresques est plus rare qu'on ne croit ; on ne le trouve que dans les maisons les plus importantes et dans la Casbah on en compte à peine une dizaine qui en sont pourvues. Le carrelage est généralement blanc dans les maisons importantes, le plus souvent en marbre reflétant la lumière et augmentant ainsi la luminosité. Tout autour il y a un couloir de 1 m., 1 m. 50 de large (shîn) véritable portique avec des arcs soutenus par des colonnades en marbre ou en pierre pouvant servir d'antichambre aux pièces du bas si l'on prend la peine d'étendre un voile sur le morceau de bois qui relie les chapiteaux. Les pièces latérales, une de chaque côté de la cour, quatre au maximum, servaient de chambres à provisions, celles à manger en général, de chambres où pouvait se faire un travail grossier quelquefois même la cuisine quand le temps ne permettait pas de la faire sous le portique. Ce sont les pièces les plus sombres. C'est dans la cour que se trouvent le puits ou la citerne, souvent les deux, cette eau n'étant pas utilisée pour la boisson mais pour les travaux ménagers.
---------A l'étage supérieur (El-Foqani) se présente sur le même plan et est ordonné de la même façon, une galerie au-dessus du shin de la cour avec des voûtes et des colonnades reliées par une balustrade, le dorboz, en bois massif richement sculpté avec aux quatre coins de petites plates-formes supportant de nombreux pots de fleurs, où le jasmin voisine avec l'oeillet et le basilic. Tout autour, comme dans la cour il y a des pièces. Il n'y a généralement pas de deuxième étage, l'on accède, immédiatement après, à la terrasse où il y a une ou deux pièces et de nombreuses petites plates-formes, dont la plus haute s'appelle " stcha " (petite terrasse). La terrasse constitue la partie la plus importante de la maison, Blanchie, tenue proprement, c'est l'endroit où l'on passe des après-midi exquis à bavarder, tricoter ou simplement regarder les flots bleus en contemplant leurs reflets et en laissant libre cours à l'imagination.
---------Les pièces portent des noms différents selon l'étage, celles du bas s'appellent biout, celles du fokani rhorfas et celles de la terrasse : menazehs.
--------Elles ont à peu près la même forme, rectangulaire, larges de 2 m. 50 à 3 mètres et longues de 7 à 10 mètres ; certaines sont plus longues. Pourquoi ces pièces ont-elles une forme rectangulaire et sont-elles souvent plusieurs fois plus longues que larges, jusqu'à 7 fois quelquefois ? Il y a en premier, le plan général de la maison qui oblige à construire des pièces tout autour de la cour, et la largeur de la pièce, à moins que la surface occupée par la maison soit considérable, ne peut pas être importante. D'autre part la longueur des rondins de thuya qui servaient à soutenir le plafond ne permettaient pas de construire des pièces ayant une largeur supérieure à 2 m. 50, 3 mètres. Le mobilier arabe, les divans, les nombreux matelas sur lesquels les Musulmans aiment s'étendre conviennent parfaitement aux dimensions de ces pièces.
---------Elles ne reçoivent la lumière, tout au moins celle du bas, que par la porte et une ou deux fenêtres donnant sur la cour ; les rhorfas peuvent en avoir une sur la rue, mais toutes les précautions sont prises pour que du dehors on ne puisse rien voir de ce qui se passe à l'intérieur : petites dimensions de la fenêtre (0 m. 50 de côté de moyenne), barreaux de fer, lattes de bois entrecroisées et rideaux arrêtent les regards indiscrets. Les menazehs sont les plus aérés. Les portes sont à deux battants et sont en bois sculpté, quelquefois une portière appelée " Khkha permet le passage sans ouvrir les deux battants. Au-dessus de la porte, deux ou trois ouvertures de forme restangulaire et surmontées d'un arc en plein cintre, permettent la circulation de l'air lorsque les portes et les fenêtres sont fermées.
---------Dans les murs sont pratiqués parfois des recoins, ces sortes de placards portent les plats, les bols et différents ustensiles de cuisine ; d'autres sont plus larges et ont à la base un bloc de maçonnerie sur lequel un simple matelas peut figurer un lit. Dans le fond de la pièce, à mi-hauteur du mur, deux ou trois poutres placées dans le sens de la largeur, permettent, avec l'aide de quelques planches, de constituer ce qu'on appelle une " sedda ", surtout dans les pièces du bas et les rhorfas. Ces seddas constituent une petite pièce surélevée où l'on met les provisions et le gros matériel ; à la rigueur, elles peuvent servir de chambrette pour enfants ou pour vieilles personnes. Dans certaines pièces une porte intérieure donne accès à une autre chambre de dimensions réduites, 2 m. sur 2 m. en moyenne et plus basse, 2 m. à 2 m. 50, qui sert soit de grenier, soit de balle pour travaux ménagers. Toutes les pièces, si elles ont la même forme, ne se ressemblent pas dans le détail, elles ont des dimensions très différentes selon l'importance de la maison. Les murs de certaines sont simples, tandis que dans d'autres, de nombreux défoncements à arcades sont ouverts à l'intérieur de:s murs et servent de recoins pour canapé, de placards, etc... Il y a dans une maison moyenne : 8 à 10 chambres ; on en trouve sur les trois côtés du carré de la cour. Le long du quatrième côté du carré se trouvent la buanderie, le puits, la citerne, etc..., ce dernier mur étant souvent commun avec la maison contiguë.
---------En pénétrant dans ces maisons, ce qui frappe le plus, contrastant avec la demi-obscurité de la rue et de la sqifa, c'est ce monde de lumière, cette impression de fraîcheur, de calme et de tranquillité, qui expliquent l'engouement des corsaires barbaresques pour ces demeures construites pour la plupart par eux.
---------A côté de cette maison bourgeoise, il y a la petite maison plus commune ; de dimensions plus modestes ; la cour a entre 4 et 5 mètres de côté. Les dimensions des chambres dont la longueur correspond souvent à la longueur du côté de la cour, sont aussi réduites ; elles sont moins hautes, les chambres du bas sont franchement obscures. Pas d'éléments décoratifs luxueux, pas de riches faïences, la cour est recouverte de simples carreaux ; un aspect très modeste, voilà leur caractéristique ; ces maisons étaient habitées par des familles de commerçants ou d'artisans qui, sans être très riches, vivaient assez dignement.
---------La douéra, par contre, est vraiment une maisonnette. La porte, de 2 mètres de haut permet à peine à un homme de franchir le seuil, un escalier étroit, sombre, où il faut plusieurs fois se baisser si l'on ne veut pas heurter le plafond, conduit à une courette dont les dimensions sont très réduites ; des cours de 2 mètres de côté ne sont pas rares ; les chambres ont souvent 3 m. sur 1 m. 50 à 2,m. Obscurité, étroitesse, voilà les deux caractéristiques de la douéra qui abritait soit une famille de serviteurs, soit des gens très pauvres.
Notons que la ville a été presque entièrement détruite par un tremblement de terre en 1716, et on peut dire qu'elle date de cette époque, et les " influences architecturales qu'elle a subies sont celles de son maître le Turc, et de son fournisseur l'Italien qui lui envoyait ses marbres, ses faïences et ses glaces (Guiauchain).
---------Il est difficile d'étudier l'habitation indigène dans la Casbah, sans parler des maisons de campagne.
---------Tout Maure possédait aux environs de la ville une maison de campagne. Dans un site admirable, au milieu de nombreux arbres fruitiers, amandiers, figuiers, surtout, et de fleurs toujours cultivées avec amour par les Maures, s'élevait le Djenane, le jardin avec des maisons construites suivant un plan très ancien légué par les Grecs et les Romains : cour intérieure entourée de portiques, sur laquelle les pièces d'habitation analogues à la maison citadine prennent air et lumière. Ces pièces ont souvent en leur milieu un avant-corps carré avec petites fenêtres sur chacun de ses trois côtés ; ces avant-corps constituent de véritables " moucharabia " avec vue sur la mer. Dans la cour on retrouve le classique jet d'eau et des parterres de fleurs où le jasmin mêle sa blancheur et son parfum délicat à l'éclat de l'oeillet et à sa suave odeur. Et c'est dans ce cadre que le Maure passait les plus belles journées de l'année, du Printemps surtout ; ne regagnant la maison citadine qu'à l'approche de la mauvaise saison ou lorsque ses occupations professionnelles l'y obligeaient. Et la maison de campagne formait un complément nécessaire à la maison citadine ; la Casbah étant la résidence d'hiver des riches Maures.

DES CARACTERES URBAINS DU VIEIL ALGER ET DE QUELQUES PROBLÈMES CONCERNANT LA VIE COMMUNAUTAIRE

---------Toute agglomération humaine suppose un minimum d'organisation, et la résolution en commun d'un certain nombre de problèmes concernant la communauté. Dans l'agglomération urbaine les problèmes sont plus nombreux, plus difficiles à résoudre que dans les agglomérations rurales ; en outre, la solution qu'ils exigent nécessite beaucoup plus de moyens. En Ifrikya, le rempart, obstacle interdisant l'accès de la ville aux ennemis possibles, est le signe qui le premier distingue l'agglomération urbaine. En Orient, et il faut considérer le vieil Alger comme une ville orientale, " une mosquée et un marché permanent, accessoirement un bain, donnent à une agglomération le caractère urbain (Despois .-"Kairouan": origine et évolution d'une ancienne capitale musulmane. ) ", et pour les temps modernes il faudrait y ajouter plusieurs cafés maures. Nous avons déjà parlé du rempart de la ville et de l'excellente position défensive qu'avait le vieil Alger. Les Mosquées y sont nombreuses. Haédo en signale une " centaine, grandes ou petites, bâties par des Maures, des Turcs ou des Rénégats, dotées de rentes plus ou moins considérables ", servant à acheter le matériel nécessaire et à entretenir le personnel religieux. La plus ancienne, la Grande Mosquée qui date du XI"" siècle et la Mosquée Ed-Djedid construite en 1660, sont les seules qui existent encore dans la ville basse et qui sont affectées au culte musulman, les autres ayant été désaffectées, ou parfois détruites du fait de percement de voies nouvelles, ou transformées en églises. Certaines par contre ont été restaurées par le Génie militaire. Ces deux mosquées sont celles qui sont actuellement les plus fréquentées, la plupart des habitants de la Casbah travaillant dans la ville européenne ont pris l'habitude de passer par la place du Gouvernement avant de regagner leur domicile ; ils préfèrent alors faire leur prière dans l'une de ces grandes mosquées. Dans la haute ville trois grandes et anciennes mosquées : celle de Sidi-Ramdane, mosquée berbère, édifiée avant l'arrivée des Turcs, la plus ancienne après la grande mosquée, Djama Safîr, fondée en 1534 par un renégat, Safîr ben Abdallah et la mosquée de Sidi Mhamed El Cherif, qui renferme la sépulture d'un saint mort en 1541, l'année de l'expédition de Charles Quint ; cette dernière, située au carrefour de la rue Kléber, ajoute avec son minaret et son silence religieux au charme de ce lieu. Outre ces importantes mosquées, il y a de petits sanctuaires : Sidi bou Guedour, la mosquée où l'on enseigne le Coran dans la rue Kléber, celle de la rue Sidi Abdallah, le marabout du cimetière Ben Ali, dans la rue N'fissa et la mosquée Sidi Abderrahmane qui avec ses nombreux mausolées, ses jardins, est l'une des plus pittoresques et des plus jolies.
---------Si ces mosquées constituaient d'importants lieux de réunion, elles ne reçoivent actuellement une grande foule de fidèles que pour la prière du Vendredi. Il y a à cela plusieurs raisons : les Musulmans qui autrefois avaient leur boutique d'artisan dans la Casbah quittaient facilement à l'heure de la prière leur échoppe pour aller à la Mosquée. Aujourd'hui la plupart travaillent en dehors de la Casbah et un patron permet difficilement à son employé de quitter deux ou trois fois par jour son travail. D'autre part, la foi n'étant pas aussi vive qu'autrefois, nombreux sont ceux qui, aux grandes réunions religieuses préfèrent les réunions du café maure ou les discussions des meetings politiques. Là aussi le temps a modifié les coutumes.
---------Alger comptait de nombreux marchés permanents ; dans une ville où l'on craignait beaucoup une attaque étrangère ou même des tribus belliqueuses, le ravitaillement a une importance primordiale. La Mitidja, le Sahel, fournissaient fruits et légumes à la capitale." La campagne qui avoisine Alger, écrit en 1831, dans son livre " Sur Alger ", Jules Marnier, s'étend sur un rayon de quatre lieues, elle est très riche et très fertile, on assure qu'il y plus de 20.000 jardins et maisons de campagne ". De plus, de nombreux bédouins, venaient vendre les produits de leur pays. D'importants marchés se tenaient au voisinage des portes Bab-Azoun et Bab-el-Oued. L'existence de nombreux souks, caractéristiques des pays d'Orient atteste de l'importance du commerce intérieur.
---------Les bains maures sont les édifices que toute ville, où habitent des familles bourgeoises doit avoir, car dans l'habitation mauresque aucune pièce n'est prévue pour servir de salle de bain. Les bains maures d'Alger ont été construits par des Pachas et des riches maures, ils étaient fréquentés par les habitants d'Alger, à l'exception des Juifs. On en trouve encore près d'une dizaine dans la haute ville, quelques-uns plus récents dans la basse ville ; l'un des plus anciens, le Hammam Sidna, rue de l'Etat-Major, est encore tel que l'a décrit Haédo. Fréquentés l'après-midi par les femmes, ils le sont le matin et le soir par les hommes.
---------L'existence d'une bourgeoisie commerçante ou artisane contribue aussi par ses mœurs citadines et raffinées à donner à la ville un caractère urbain.
---------En l'absence des promenades publiques, il fallait un lieu pour se réunir en dehors de la pieuse austérité des mosquées, et voilà pourquoi les cafés maures étaient si bien aménagés dans le vieil Alger. Situés dans la basse ville, ayant vue sur la mer, ou dans quelque carrefour comme celui de la rue Kléber, bien décorés, avec à l'entrée un pot d'oeillets et un pied de basilic, une cage où un canari fait entendre son chant, les cafés maures constituent un délicieux lieu de repos et d'oisiveté ; assis sur les banquettes qui garnissaient le pourtour du café, ou simplement étendus sur une natte, fumant le narghilé et dégustant sa tasse de café, le Maure passait là d'agréables moments.
---------L'approvisionnement en eau est le problème qui sans doute attira le plus l'attention des anciens maîtres d'Alger. Haédo note en 1580 l'existence de six fontaines dont l'eau provient d'une immense source qui prend naissance à une demi-lieue au Sud d'Alger et qui par des conduites tantôt à l'air libre passe au pied de la montagne (Fort l'Empereur) et qui, au-dessous de la Porte Neuve se divise pour alimenter les six fontaines.
---------Les Maures venus d'Espagne dotèrent la ville d'aqueducs ; les principaux, ceux qui furent trouvés par les Français en 1830 sont ceux du Hamma long de 5 km. et entrant dans la ville par le quartier Bab-Azoun, du Télemly (voir)(2 km.) commençant près de l'actuel Palais d'Eté et arrivant dans la cité par la Porte Neuve, de Birtraria venant de la vallée de Fort l'Empereur et pénétrant dans Alger du côté de Bab-el-Oued, et d'Aïn Zeboudja (fontaine de l'olivier sauvage) s'amorçant à Ben-Aknoun, arrivant en ville par les Tagarins et la Casbah.
---------A l'intérieur de la ville on comptait en 1830 près de 150 fontaines dont la plupart étaient des fondations pieuses. Scellées dans les murailles, des jarres qu'on remplissait régulièrement permettaient elles aussi aux passants de se désaltérer.
---------Les fontaines mauresques, constituaient de véritables petits monuments publics ; blanches, brodées d'arabesques, avec des panneaux de mosaïques et de faïence hispano-mauresque, surmontées souvent d'auvent sculpté à tuiles vertes. elles constituaient " pour l'Arabe une chose des plus précieuses pour laquelle il professe une sorte de culte " (Klein: Feuillets d'El djezair).
---------D'autre part, comme en cas d'attaque il était facile de couper l'eau, l'administration turque avait obligé les propriétaires de maisons à creuser un puits et construire une citerne. Et aujourd'hui presque toutes les maisons mauresques en sont munies. Cette eau ne sert d'ailleurs qu'aux usages domestiques et n'est pas utilisée pour la boisson. Il ne suffit pas de ravitailler la ville, il s'agit aussi d'assurer l'évacuation des déchets de toutes sortes. Les Turcs avaient construit des égouts : simples, fossés étroits à section rectangulaire variable de 0 m. 40 à 0m 50 de hauteur (certains cependant avaient même jusqu'à1 m. 20 de hauteur), recouverts de dalles ; l'écoulement des déchets vers la mer était favorisé par la déclivité du terrain. Ils furent certes trouvés en mauvais état mais leur existence atteste le caractère urbain du vieil Alger.
Il n'y avait pas de service de nettoiement bien organisé, devant chaque maison des auges à immondices étaient aménagées. Elles étaient recouvertes d'une voûtelette, et recevaient les détritus de la rue que chaque propriétaire était tenu de faire disparaître sous peine de bastonnade ou d'amende.
---------Alger, au temps des Turcs, n'était pas éclairée ; il était défendu de circuler après huit heures du soir. Et l'on punissait de 500 coups de bâton les délinquants. Une nouba sonnait une retraite interdisant la circulation, elle partait de l'actuelle rue Kataroudjil (de Katta Redjel, coupe-jambe).
---------Sans trop s'approfondir sur ces questions, l'on peut dire qu'El-Djezaïr depuis sa fondation a des caractères urbains certains. Ses maîtres se sont occupés de nombreux problèmes touchant à l'hygiène et à l'embellissement de la ville cl qui ne se posaient pas avec autant d'acuitédans les agglomérations rurales d'Ifrikiya.

SOCIETE ALGÉROISE EN 1830.

---------Quels sont les différents éléments qui composent la population d'Alger en 1830 ? Sans remonter aux premiers jours de la fondation de la ville, essayons de voir du moins la composition de la population avant la conquête française, lors du règne des Deys ; car c'est sous cette sorte de République militaire que s'est façonnée la société d'El-Djezaïr. Les Turcs forment une minorité qui n'est généralement que de passage dans la ville, quelques-uns seulement ont contracté des alliances avec des Maures. Ils viennent à Alger attirés par le renom et par les richesses de la ville, ils forment l'ossature de l'administration du Beylak, et en Alger, ils cherchaient surtout à faire fortune ; leurs alliances avec les Maures étaient intéressées car elles leur permettaient d'accumuler de grandes richesses, les propriétés des Maures étant inviolables. Les Koulouglis nés de ces alliances perdaient un peu de ce caractère mâle et aventurier du Turc et subissaient plus ou moins l'influence de la mollesse du Maure.
---------Les Janissaires, ramassis de toutes les races, des gens sans mœurs ni loi, formaient une classe très indisciplinée, prête à la révolte, profitant toujours des intrigues du palais pour se faire réserver la meilleure place et tirer le plus de bénéfice du trésor public.
---------Alger était une ville habitée pour les trois quarts par les Maures qui constituaient l'élément principal et le fond de la population de la ville. Ce sont à l'origine les anciens habitants de la Mauritanie sur lesquels lors de plusieurs invasions est venu se greffer le sang arabe ; Maures et Arabes firent ensemble la conquête de l'Espagne et lorsque la " Reconquista " les en délogea, ils s'installèrent clans les principales villes d'Afrique du Nord. C'est ce qui explique que la plupart des villes musulmanes d'Algérie comme Nédroma, Tlemcen, Médéa, Miliana pour ne citer que celles qui sont les plus proches de l'Andalousie, aient un cachet maure que l'on retrouve dans l'habitat, les coutumes et même le genre de vie des Maures exclus de tout emploi civil, sauf certaines exceptions dont ils bénéficiaient grâce à leur fortune, détenaient toute l'industrie locale entre leurs mains. C'est le petit peuple d'artisans, boutiquiers. c'est le tisserand qui non seulement manie l'aiguille, fait des habits aussi bien de femme que d'homme, mais qui les teint, les lave. C'est lui qui possède les secrets de la broderie. sait agencer les fils d'or et d'argent. Sans grande activité physique, assis à la turque, les pieds croisés du matin jusqu'au soir dans la boutique, il est très habile de ses doigts, sait recréer dans ses broderies, ses bijoux ou ses poteries, comme une sorte de réminiscence du luxe et de la magnificence de la lointaine Andalousie, la délicatesse d'une arabesque et la grâce d'un oiseau d'or ou d'argent. Il s'adonne aussi au commerce et c'est lui qui revend à toute la population ce dont elle a besoin ; lui seul s'adonne encore aux lettres et c'est le Maure encore qui enseigne aux enfants les secrets du Coran.
---------A côté des Maures quelques Arabes qui venaient de leurs douars où ils vivaient en plein champ sous la tente. Ils forment un violent contraste avec les Maures. L'Arabe cavalier, amoureux d'espace, portant des vêtements amples et larges, guerrier dans l'âme éprouve un certain dédain pour le Maure sédentaire, n'ayant pour horizon que la mer qui fait face à sa boutique, étriqué dans ses vêtements, mesquin dans ses coutumes. Les Arabes n'étaient pas. très nombreux dans la ville, car ne venaient que ceux qui n'avaient pu vivre dans leurs champs, ils habitaient dans des gourbis de paille, adossés aux murs de la ville, et même sous les porches des maisons.
---------Les Kabyles, comme les Arabes, étaient amenés à la ville par nécessité. Leurs montagnes n'ayant pas suffi à les nourrir. Nombreux étaient ceux qui gagnaient leur vie en se mettant au service des riches Maures ou Turcs d'Alger, en ramant sur les galères ou comme les zouaouas en servant comme soldats. Les plus heureux étaient ceux qui venaient vendre de l'huile. des figues, du charbon, des herbages. etc...
---------D'autres émigrés, venus des différents coins de l'Algérie ou même du Soudan complétaient cette population ; il y avait des juifs ; ils avaient la plupart des boutiques. vendaient de la mercerie ou d'autres petits objets qu'ils achetaient aux corsaires. De nombreux juifs étaient bijoutiers ; ils parlaient l'arabe et s'habillaient comme les Maures - la couleur noire leur était réservée -. Des juifs originaires de l'Afrique même, constituaient l'élément ancien, ils avaient adopté les mœurs et coutumes du pays et vivaient dans la servitude ; des immigrants étaient venus d'Espagne, une première fois en 1287 des Baléares, Alphonse d'Aragon ayant interdit tout autre culte catholique ; puis en 1391, conduits par le s Rabbins des juifs plus riches ayant des habitudes de commerce et d'industrie ; puis en 1492, la plus importante immigration ; par la suite les juifs arrivèrent des principaux pays de l'Europe, d'Italie surtout.
---------Les Biskris venus de leur lointaine oasis étaient surtout employés comme portefaix ou comme porteurs d'eau ; les Mozabites formaient une véritable communauté qui avait reçu des Turcs un monopole : ils étaient épiciers, marchands de tissus, tenanciers de bains maures, gargotiers.
---------Les nègres, venus du Soudan, une douzaine de mille environ, vivaient dans les différentes familles maures ; ils faisaient partie de la famille et vivaient comme domestiques ; ils étaient bien traités, pouvaient se marier, et même libres, certains n'ont pas voulu quitter leur nouvelle famille. Certains travaillaient comme hommes libres, ils étaient le plus souvent marchands de chaux et avaient des sortes d'entreprises de blanchiment.
---------Les Chrétiens étant en nombre très limité, la plupart agents consulaires ou commerciaux ; les captifs par contre étaient en grand nombre, atteignant à certaines époques jusqu'à 25.000, certains étaient dans les prisons, d'autres pouvaient circuler en ville et avaient ainsi une demi-liberté, les plus malheureux étaient ceux qui ramaient sur les galères.
---------Telle était la société algéroise avant l'entrée des Français.

Mahfoud KADDACHE