---------L'existence
de cités indigènes Médina ou Casbah (
La Casbah nous permet d'étudier l'évolution du vieil Alger
et de comprendre toutes ses transformations. Elle offre à l'historien
et au géographe un document intéressant permettant de voir
pourquoi une ancienne capitale est aujourd'hui reléguée au
rang de vieux quartier dans le vieil Alger. et surtout de voir les transformations
que le tempe et la vie, moderne lui ont fait subir.), dans les grandes
villes d'Afrique du Nord est un fait que ne manque pas de remarquer le voyageur
le moins averti des questions d'habitat dans ce pays. Ces vieilles maisons
serrées les unes contre les autres comme pour mieux cacher jalousement
leur secret, surpeuplées, faisant figure de vieilles reliques à
côté des maisons de la ville neuve, posent de nombreux problèmes
de géographie humaine. Comment, dans un cadre qui s'est difficilement
maintenu à travers les siècles, des populations chaque jour
davantage au contact de la vie moderne, ont-elles modifié leurs genres
de vie ? Comme le vieux cadre lui-même a-t-il été transformé
pour pouvoir satisfaire aux besoins nouveaux nécessités par
les modifications des genres de vie et par l'augmentation de la population
?
---------L'existence
d'îlots abritant une petite rade ( KHEIR
ED-'DINE a fait relier les îlotsà la terre -ferme, et construire
un môle qui allait protéger avec plus d efficacitéles
flottilles barbaresques contre les vents. Pour rendre ce port inexpugnable,
des murailles furent construites du côté de la terre et des
batteries installées sur le front de mer) qui permettait
à une flottille de trouver un refuge contre les vents a déterminé
la fondation de la ville. Ce sont ces îlots qui ont décidé
les corsaires turcs à faire d'Alger leur principal repaire, et
qui lui ont donné son nom. Bologhine, fils de l'Emir Ziri le Sanhadja
fonda en effet l'Alger turc, vers 950 de l'ère chrétienne,
sur les restes de l'Icosium romaine, qui avait elle-même succédé
à l'lcosium phénicienne.
---------D'autre
part, surplombant ces îlots, deux crêtes se détachent
du plateau d'El-Biar, où les terrains miocènes et pliocènes
du Sahel s'adossent aux schistes et aux calcaires cristallins du massif
de la Bouzaréah. La crête de 240 mètres d'altitude
s'abaisse et forme deux plates-formes celle qui porte le Fort l'Empereur
(216 m.) et celle qui porte la Casbah (120 m.).
---------Ilots
et promontoire ont, avec le travail des hommes, fait la réputation
de la place forte d'Alger.
---------Le complément
ordinaire du système de défense conçu et réalisé
par les turcs, est la citadelle qui se trouve au plus haut sommet du triangle
formé par la ville arabe. Ce château, avec sa petite mosquée,
ses beaux salons, son petit ,jardin, constituait, en même temps
qu'une forteresse, un joli palais où le Dey laissant la Djenina
fixa sa résidence pour échapper à la turbulence de
son peuple et surtout à celle des janissaires.
---------Cette colline
et les maisons qu'elle porte, vues de loin, rappellent aux uns une carrière
de pierre en exploitation, aux autres un burnous de laine étendu,
le capuchon en haut, sur la pente d'un coteau verdoyant. On les a aussi
comparées à un vaste terrain couvert de linge blanc et à
la voile d'un hunier. Elles ont toujours même aspect, le voyageur
qui d'un bateau les aperçoit pour la première fois, admire
toujours entre " l'indigo de la mer et le
bleu du firmament, cet amas de choses éblouissantes
" ( Charles DESPREZ. Alger naguère
et maintenant ").
HAUTE ET BASSE VILLE.
---------Le relief
et l'adaptation des hommes à la topographie du site permettaient
de distinguer deux parties dans la ville limitée par les anciennes
fortifications : la ville basse longeant le front de mer et occupant toute
la partie plane, et la ville haute à partir des premières
pentes accentuées jusqu'à la citadelle de la Casbah cette
seconde zone est comprise entre les altitudes de 15 à 20 mètres
et 130 mètres.
---------La
ville basse était considérée comme une
sorte de quartier des affaires, c'est en effet là où se
trouvait la grande rue commerçante, celle qui allait de la porte
Bab-el-Oued à la porte Bab-Azoun ; la proximité du port
expliquait aussi l'importance du trafic dans cette zone. C'est là
aussi que se trouvaient le siège des différentes administrations,
la Djenina par exemple. ancien palais du Dey, et les grandes et belles
demeures : Dar Aziza Bey, aujourd'hui archevêché, Dar Hassan
Pacha, demeure luxueuse d'un particulier, aujourd'hui Palais d'Hiver,
Dar Mustapha Pacha, devenue Bibliothèque nationale, etc... Les
plus grandes et les plus belles mosquées se trouvaient aussi dans
la basse ville. C'est là également qu'habitaient les raïs.
---------Centre
de l'Administration, centre des affaires, centre religieux, autant de
facteurs qui attestent de l'importance de cette partie de la cité.
---------La
ville haute, " Le
Djebel ", comme l'appelaient les musulmans, avec une masse plus compacte
de maisons serrées les unes aux autres et une population plus homogène,
constituait la vraie ville arabe. C'est cette ville haute restée
presque intacte qui nous permettra aujourd'hui de recréer avec
peu d'effort d'imagination la vie de l'Alger turc.
LA VIEILLE VILLE.
---------Nous avons
vu que la fonction militaire commandait le site de la vieille ville, ce
triangle formé par une colline limitée sur deux côtés
par des ravins et à la base par la mer. Voyons d'abord la ville
telle qu'elle a été trouvée par les Français.
---------Les
maisons d'habitation et les bâtiments publics sont-ils disposés
suivant un plan déterminé ? Comment à l'intérieur
de l'enceinte fortifiée a-t-on tracé les rues et comment
a-t-on tiré profit du site ? Il 'ne semble pas qu'il y ait eu un
plan rationnel, on a construit sans aucun ordre, sans idée directrice,
le plan de la cité ne s'explique que par les contraintes de la
topographie. Le " Djebel " était sillonné par
de nombreux ravins peu profonds et des ruisselets ; nombreux en raison
de la nature du sol (schistes pourris constituant le prolongement de schistes
brillants de Bouzaréa), ils étaient utilisés pour
le logements des égouts. De part et d'autre de ces derniers s'édifièrent
les immeubles et la distance entre les façades fut aménagée
en sentiers d'accès aux portes des maisons. Les maisons sont tellement
agglomérées qu'elles font ressembler la ville à.
une pomme de pin bien tenue. Il y a en effet tout un dédale de
rues de dimensions différentes, orientées dans toutes les
directions se terminant souvent en impasse. La déclivité
du terrain explique les nombreux escaliers et a rendu nécessaire
la construction des quartiers du port. La ville paraît construite
à l'image d'un château fort, au sommet du triangle la forteresse
ou Casbah fait fonction de donjon avec place d'armes et domine la ville.
Il n'y a pas de centre géométrique, le quartier maritime
des affaires et de l'administration occupe la base du triangle et sur
toute la surface se pressent les habitations.
---------Y
avait-il de grandes artères qui trahissaient la fonction commerciale
? Elles ne pouvaient être construites que dans la partie basse de
la ville, c'est là en effet où se trouvaient les deux plus
grandes artères du vieil Alger : la première est celle
de Souk-el-Kébir (la Strada Granda del Zocho) du plan
d'Alger de l'atlas de Braun (1575), unissant les deux portes Bab-el-Oued
et Bab-Azoun, c'était la rue commerçante dont la largeur
était inégale et souvent rétrécie par les
empiétements des boutiques ; la deuxième joignait la première
à la porte de la Marine et n'avait pas même trois mètres
de large. Haédo ("Topographie
et histoire générale d'Alger) note que toutes les
rues sont étroites, et qu'elles ne pouvaient "
laisser passer qu'un cavalier et non deux de front ",
sauf la rue de Sacco (Souk entre Bab-el-Oued et Bab-Azoun) ; on
pourrait aussi, distinguer dans le plan de 1830 une autre artère
commençant à la Porte Neuve, par laquelle les Français
sont entrés, et aboutissant à la rue des Souks ; c'est la
plus longue rue du vieil Alger. Certaines rues ont leurs boutiques occupées
par des commerçants vendant tous le même produit ou par des
artisans fabriquant le même objet et de nombreuses rues étaient
connues par le nom du métier exercé par les propriétaires
de boutiques, il y avait la rue des Sebbaghine (rue des Teinturiers),
El-Bechmagdjia (babouchiers), de Ferraghia (fondeurs), des
Ressaissia (plombiers), des Meqaissia (fabricants de bracelets)
; il y avait aussi des rues de bouchers, de marchands de légumes,
de poissons. Ces rues se trouvaient surtout dans les quartiers de la basse
ville. Les rues de la haute ville étant plus calmes.
---------L'étroitesse
des rues est le trait caractéristique le plus frappant ; on peut
s'en rendre compte facilement en faisant une promenade dans la Casbah
; les rues les plus larges ont moins de trois mètres, certaines
ruelles ont moins, d'un mètre, comme l'impasse de la Casbah,
certaines parties de la rue de la Mer-Rouge, de la rue Sidi-Abdallah
et on pourrait allonger la liste. Les maisons se rapprochent dès
le premier étage, comme pour s'appuyer mutuellement, laissant quelquefois
10 à 20 centimètres entre elles. quelquefois se touchant
laissant en dessous un passage où n'arrive ni le soleil ni la lumière.
---------Les
rues sont souvent couvertes sur certaines parties par un plafond. Ces
plafonds sont plats, faits. de rondins de thuya ; leur hauteur est variable,
certains ont trois à quatre mètres, d'autres au contraire
ne permettent pas à un homme de passer, comme par exemple dans
la rue Sydney-Smith où l'on est obligé de se baisser
pour circuler. Quelquefois, une véritable voûte recouvre
la rue ; voûte simple, parfois avec des arcs entrecroisés,
véritable galerie qui porte un nom spécial,
Sabath-el-Qotot (voûte des chats), Sabath-ed-Dheb
(voûte de l'or), Aïn-es-Sabath (fontaine
de la voûte). La plus importante qui existe actuellement est la
voûte de l'or qui a les caractéristiques suivantes : 22 mètres
de long sur 2 mètres à 2 m 50 de large ; le plafond fait
de rondins de thuya sur lesquels reposent des roseaux, n'est pas formé
d'une seule pièce, tantôt il est à une hauteur de
2 mètres, tantôt de 3 mètres ; ses murailles sont
délabrées, et laissent apercevoir des briques rouges. Ce
sabath est d'une très grande malpropreté, l'obscurité
favorisant le dépôt des ordures et des immondices.
---------Comment
expliquer l'étroitesse de ces rues et l'existence de ces sabaths
? Une première raison, la plus importante est celle de l'espace,
il s'agit d'occuper tout le terrain utile qu'offre le site et, les encorbellements,
tout en permettant l'existence de ruelles. D'autre part, ces rues sont
: merveilleusement adaptées au climat du pays, elles sont parfaitement
garanties contre les ardeurs du soleil ; leur disposition entretient à
la partie inférieure des maisons un courant d'air rafraîchissant
qui vient souvent de la haute mer. " Le
vent du désert lui-même y perdrait de son ardeur
" ( Ch. DUBOIS. - " Alger en
1861"). Les rues fort étroites et tortueuses ressemblent
en cela à celles de nombreuses villes du bassin méditerranéen
construites de cette façon, afin de protéger contre les
rayons du soleil.
---------De
nombreuses rues se terminent en cul-de-sac. En 1830, on comptait 180 rues
et presque autant d'impasses ; il est rare de trouver une rue qui n'ait
pas son impasse. Ces impasses ont l'avantage de n'être empruntées
que par les habitants des maisons qui y sont construites, elles sont par
conséquent plus tranquilles et souvent plus propres.
---------La
plupart des rues ont un tracé tortueux et l'esprit humain se perd
à vouloir expliquer les multiples détours qu'elles font.
Il peut paraître très difficile de s'y reconnaître,
mais si " toutes les routes mènent à Rome ",
l'on peut dire ici que toutes les rues qui descendent mènent à
la place
du Gouvernement.
---------On
ne risque pas de s'égarer et, si l'on tombe sur une impasse, il
n'y a qu'à faire demi-tour et se remettre à descendre. Il
ne faut évidemment chercher dans ces ruelles ni trottoirs ni chaussées,
elles sont faites pour les piétons ; aucun attelage ne peut les
emprunter, seuls quelques petits ânes, avec leur chargement de provisions,
gravissent les pentes du " djebel ". Il n'y a ni places, ni
jardins, ni promenades dans le vieil Alger, les espaces libres à
l'extérieur de la maison sont inutiles. celui qui veut se promener
n'a qu'à sortir de la ville.
---------Peut-on
considérer comme des exceptions à cette absence de place
publique - et encore faut-il beaucoup de bonne volonté pour baptiser
place publique de petits espaces libres de 100 à 200 m2 - la
place de la Djenina qui existe encore, celle du marché des
esclaves, le Badestant et l'ancienne place Mahon aujourd'hui
réduite de moitié par la construction d'une nouvelle voie
sur l'emplacement de l'ancien quartier de la Marine ? Une autre place
plus petite encore occupait l'actuelle rue du Divan, c'était
la place des Caravanes. Notons que toutes ces places se trouvaient
dans la partie basse de la ville et répondaient à une fonction
le plus souvent commerciale. Dans la ville haute aucun espace libre ne
peut être considéré comme place, il n'y a à
proprement parler, que des carrefours, le plus célèbre étant
sans conteste celui de la rue Kléber. Sur un banc de maçonnerie
qui longe la base des murs, assis, accroupis, étendus, des musulmans
se reposent là. Incomparable carrefour qui fera l'admiration de
Fromentin. " C'est
ici le dernier refuge de la vie arabe, le cur du vieil Alger, et
je ne connais pas de lieu de conversation plus retiré, ni plus
frais, ni mieux disposé. Un coin de lumière, un endroit
clos d'où la vue peut s'étendre, un séjour étroit
; avec le plaisir de respirer l'air du large et de regarder loin. Pour
qu'on puise au besoin s'y passer du reste du monde, il y a là une
mosquée, des barbiers et des cafés". Il
y a d'autres carrefours ayant comme celui de la rue Kléber un café,
comme par exemple celui des rues de la Gazelle et du Chameau ;
dans celui des rues Kléber et du Lion se trouvait une ancienne
forge. Les bâtisseurs de l'ancienne Casbah ont négligé
les espaces libres, car la campagne s'ouvrait à quelques minutes
de la ville, et nombreux étaient les habitants qui possédaient
leur petit jardin ; tout Maure avait aux environs de la ville une maison
de campagne dans un site admirablement choisi, avec des fleurs et de nombreux
arbres fruitiers : amandiers, figuiers, et vieux cyprès. Notons
aussi que l'existence des cours intérieures diminue l'importance
du problème des espaces libres dans une ville arabe.
---------Ainsi
la Casbah forme une masse compacte, sans plan d'ensemble ; on a construit
là où il y avait un emplacement disponible. Il fallait avant
tout se presser à l'abri des remparts. Les ruelles étaient
seulement conçues pour permettre la circulation des piétons
et des cavaliers.
L'HABITATION.
---------Il y a
dans la Casbah, deux types de maisons mauresques : Ed-dar,
la maison proprement dite, et la douéra,
maisonnette accolée à la première, quelquefois
indépendante. ---------Notons
aussi que " Ed-dar " lorsqu'elle est vaste et bien construite
peut constituer un véritable palais.
---------Nous
trouvons aussi la maison européenne, tout étonnée
d'être perchée sur les hauteurs dans les quartiers qui ne
lui conviennent pas et au milieu d'une architecture qui n'est pas la sienne.
---------Haédo
notait que la plupart des maisons étaient très jolies. Et
parmi les détails qui l'ont frappés, il note l'existence
de la cour spacieuse, décorée avec goût et ornée
sur ses parois de carreaux de faïence de diverses couleurs et des
corridors qui ressemblent aux cloîtres des monastères. Il
remarque aussi que chaque maison a généralement son puits
et souvent sa citerne. Elles sont construites avec les matériaux
qui abondent dans les environs d'Alger. On utilisa le tuf pour les soubassements,
et les murs furent en briques rouges séchées au soleil ou
cuites. Les pierres provenant des ruines romaines de Rusgunial et parfois
même de celles de Tipasa fournissaient un matériau de construction
très apprécié. On faisait venir le bois nécessaire
des plus proches forêts du département, celles de Cherchell,
du Zaccar. Les rondins du thuya étaient particulièrement
utilisés surtout pour supporter les encorbellements.
---------Les
deux types de maisons n'avaient pas la même destination et répondaient
à des genres de vie différents.
---------Ed-dar
était essentiellement une maison bourgeoise, c'était le
type le plus répandu. Elle abritait généralement
une seule famille et c'est là un trait important : Les Musulmans,
pour ce qui est de la vie familiale, n'aiment pas la promiscuité
et ne veulent pas laisser an étranger cohabiter avec eu ; il y
a donc dans ce désir à vouloir habiter seul une question
d'honneur, un sentiment d'égoïsme aristocratique si l'on peut
dire, et surtout le désir de ne rien laisser paraître de
l'intimité familiale, surtout de l'intimité féminine.
Cette coutume se retrouve d'ailleurs dans toutes les vieilles villes musulmanes
où la bourgeoisie arabe a maintenu sa fortune, et dans certaines
villes on considère encore aujourd'hui, tel propriétaire
qui a des locataires dans sa maison, comme quelqu'un qui ne tient pas
aux traditions et qui est par conséquent peu respectable.
---------Ed-diar,
les plus importantes constituent de véritables palais servant de
résidence au Dey, aux membres de sa famille ou même à
de simples corsaires qui, après leurs longue tournée, fatigués
de la course, éprouvent le besoin de se reposer dans des maisons
de marbre où rien n'est négligé pour rendre le séjour
délicieux. Ne citons que les principaux palais, ceux qu'on peut
visiter aujourd'hui : Dar Aziza Bey, propriétéde
la fille d'un Dey, femme du Bey de Constantine, palais devenu aujourd'hui
archevêché, l'ancienne demeure luxueuse de Hassan Pacha,
simple particulier d'El--Djezaïr, palais très restauré,
qui constitue aujourd'hui le palais d'hiver ; Dar Mustapha Pacha,
construite par le Dey en 1798 ; la Bibliothèque Nationale installée
dans le palais construit en 1800 par le Dey Mustapha. Cette dernière
demeure peut être considérée comme le modèle
des palais d'Alger. Au-dessus de l'entrée il y a un auvent à
tuiles vertes. La grande porte de bois massif a deux heurtoirs et une
grille à travers laquelle l'on peut voir le personnage oui désire
entrer. Une fois la porte franchie on entre dans un premier vestibule
flanqué de deux niches : le second vestibule forme la " sqifa
" proprement dite, rectangle de 8 m. x 3 m. 60 avec aux côtés
des niches, des colonnades à cannelures, au fond, un portique à
trois arcades. Il y a dans cette sgifa de nombreux placages de faïence.
---------La
cour forme un carré de plus de 7 m. de côté avec deux
étages de galeries en arcades sur chaque côté et en
son milieu jaillit le classique jet d'eau.
---------L'escalier
est revêtu de marbre et est bordé de plusieurs niches à
arcades, il aboutit au " Foqâni " où une
magnifique balustrade borde la galerie de ce premier étage. ---------Les
boiseries et les portes sont magnifiques, elles furent exécutées
par l'ancien amin des menuisiers, le célèbre Lablatchi.
---------Ed-dar,
maison plus commune, moins richement décorée et de formes
plus modestes, n'en constitue pas moins un palais en plus petit. Ces maisons
sont assez répandues dans la Casbah, on peut en compter jusqu'à
trois tous les cent mètres et dans l'ensemble elles ne dépassent
pas les deux cents. Ainsi le long de la rue Sidi Abdallah, rue
des Bouchers, (près de 60 m. de long) on en compte quatre. Voici
le type de cette maison bourgeoise : du dehors, la maison se présente
comme une grande masse blanchie à la chaux. De rares ouvertures,
le plus souvent avec un grillage ou des barreaux, sont pratiquées
dans les murs. Rien ne permet de deviner comment est organisé l'intérieur.
Rien du dehors ne laisse supposer qu'il y a à l'intérieur
un patio rempli de lumière --- petite cour d'un petit palais où
quelquefois le classique jet d'eau laisse retomber ses gouttelettes sur
un beau marbre blanc. Dans certaines maisons la grosse porte massive de
bois sculpté, avec des motifs obtenus avec des sortes de pitons
en cuivre. laisse seulement supposer un intérieur agréable.
Deux heurtoirs, l'un pour les piétons, L'autre pour lies cavaliers,
permettent aux visiteurs de s'annoncer et aux gens de l'intérieur
de lui faire ouvrir la porte. Notons que le heurtoir supérieur
a disparu de la plupart des portes, des maisons de la haute ville, car
les cavaliers ne circulent plus. Un corridor sépare la porte d'entrée
d'une autre porte, celle de la squifa. Le corridor est souvent
long, tortueux, ressemblant à une véritable galerie souterraine,
telle maison de la rue Porte-Neuve a, par exemple, une galerie
de près d'une dizaine de mètres de long. Une demi obscurité
y règne et contribue à donner à. l'étranger
le sentiment de pénétrer dans une demeure mystérieuse
et la conviction d'avoir affaire à un monde hermétiquement
fermé. Cette croyance en un vestibule mystérieux est d'ailleurs
habilement entretenue par les vieilles mères chez les enfants à
qui l'on fait croire que des " Djins " sévères
punissent les méchants garçons qui sortiraient de la maison
sans la permission de leurs parents. Quelques vieilles y croient d'ailleurs
réellement et l'on voit souvent des bouteilles remplies d'eau pure
ou d'eau de mer suspendues au plafond pour éloigner le "
mauvais sort. ". Il y a quelquefois dans les murs des niches
aménagées en banquette où, comme dans une salle d'attente,
les visiteurs attendent qu'on veuille bien les recevoir, que les femmes
aient fini de mettre un peu d'ordre clans la cour et se retirent dans
leurs chambres particulières. Les murs dans les maisons riches
sont recouverts de faïence, de marbre ou simplement de carreaux.
---------La
deuxième porte d'ailleurs sépare la Sqifa de la cour, les
deux portes sont agencées de telle façon que même
si elles s'ouvrent simultanément, l'intérieur de la maison
reste caché aux yeux des curieux, passants, ou même visiteurs
indiscrets. Cette porte a souvent un judas afin que, les femmes lorsqu'elles
sont seules dans la maison, puissent facilement reconnaître si c'est
bien un membre de la famille qui s'annonce.
---------Nous
voilà enfin dans ce large patio, de forme carrée ou rectangulaire,
où l'air et la lumière pénètre à flot.
---------Les
musulmans aiment particulièrement les maisons à ciel ouvert,
et ils ont conservé ce plan gréco-romain dans les régions
où il y a en hiver beaucoup de neige, Médéa, Miliana
par exemple ; et s'ils ne peuvent avoir beaucoup d'espace ils aiment du
moins voir le bleu de la voûte céleste. La cour est de dimensions
variables : 2 m. à 4 m de côté paraît être
la moyenne quoiqu'il y ait des cours pouvant avoir jusqu'à 10 m.
de côté.
---------Le
jet d'eau classique qu'on cite toujours dans les descriptions de maisons
mauresques est plus rare qu'on ne croit ; on ne le trouve que dans les
maisons les plus importantes et dans la Casbah on en compte à peine
une dizaine qui en sont pourvues. Le carrelage est généralement
blanc dans les maisons importantes, le plus souvent en marbre reflétant
la lumière et augmentant ainsi la luminosité. Tout autour
il y a un couloir de 1 m., 1 m. 50 de large (shîn) véritable
portique avec des arcs soutenus par des colonnades en marbre ou en pierre
pouvant servir d'antichambre aux pièces du bas si l'on prend la
peine d'étendre un voile sur le morceau de bois qui relie les chapiteaux.
Les pièces latérales, une de chaque côté de
la cour, quatre au maximum, servaient de chambres à provisions,
celles à manger en général, de chambres où
pouvait se faire un travail grossier quelquefois même la cuisine
quand le temps ne permettait pas de la faire sous le portique. Ce sont
les pièces les plus sombres. C'est dans la cour que se trouvent
le puits ou la citerne, souvent les deux, cette eau n'étant pas
utilisée pour la boisson mais pour les travaux ménagers.
---------A
l'étage supérieur (El-Foqani) se présente
sur le même plan et est ordonné de la même façon,
une galerie au-dessus du shin de la cour avec des voûtes et des
colonnades reliées par une balustrade, le dorboz, en bois massif
richement sculpté avec aux quatre coins de petites plates-formes
supportant de nombreux pots de fleurs, où le jasmin voisine avec
l'oeillet et le basilic. Tout autour, comme dans la cour il y a des pièces.
Il n'y a généralement pas de deuxième étage,
l'on accède, immédiatement après, à la terrasse
où il y a une ou deux pièces et de nombreuses petites plates-formes,
dont la plus haute s'appelle " stcha " (petite terrasse). La
terrasse constitue la partie la plus importante de la maison, Blanchie,
tenue proprement, c'est l'endroit où l'on passe des après-midi
exquis à bavarder, tricoter ou simplement regarder les flots bleus
en contemplant leurs reflets et en laissant libre cours à l'imagination.
---------Les
pièces portent des noms différents selon l'étage,
celles du bas s'appellent biout, celles du fokani rhorfas
et celles de la terrasse : menazehs.
--------Elles
ont à peu près la même forme, rectangulaire, larges
de 2 m. 50 à 3 mètres et longues de 7 à 10 mètres
; certaines sont plus longues. Pourquoi ces pièces ont-elles une
forme rectangulaire et sont-elles souvent plusieurs fois plus longues
que larges, jusqu'à 7 fois quelquefois ? Il y a en premier, le
plan général de la maison qui oblige à construire
des pièces tout autour de la cour, et la largeur de la pièce,
à moins que la surface occupée par la maison soit considérable,
ne peut pas être importante. D'autre part la longueur des rondins
de thuya qui servaient à soutenir le plafond ne permettaient pas
de construire des pièces ayant une largeur supérieure à
2 m. 50, 3 mètres. Le mobilier arabe, les divans, les nombreux
matelas sur lesquels les Musulmans aiment s'étendre conviennent
parfaitement aux dimensions de ces pièces.
---------Elles
ne reçoivent la lumière, tout au moins celle du bas, que
par la porte et une ou deux fenêtres donnant sur la cour ; les rhorfas
peuvent en avoir une sur la rue, mais toutes les précautions sont
prises pour que du dehors on ne puisse rien voir de ce qui se passe à
l'intérieur : petites dimensions de la fenêtre (0 m. 50 de
côté de moyenne), barreaux de fer, lattes de bois entrecroisées
et rideaux arrêtent les regards indiscrets. Les menazehs sont les
plus aérés. Les portes sont à deux battants et sont
en bois sculpté, quelquefois une portière appelée
" Khkha permet le passage sans ouvrir les deux battants. Au-dessus
de la porte, deux ou trois ouvertures de forme restangulaire et surmontées
d'un arc en plein cintre, permettent la circulation de l'air lorsque les
portes et les fenêtres sont fermées.
---------Dans
les murs sont pratiqués parfois des recoins, ces sortes de placards
portent les plats, les bols et différents ustensiles de cuisine
; d'autres sont plus larges et ont à la base un bloc de maçonnerie
sur lequel un simple matelas peut figurer un lit. Dans le fond de la pièce,
à mi-hauteur du mur, deux ou trois poutres placées dans
le sens de la largeur, permettent, avec l'aide de quelques planches, de
constituer ce qu'on appelle une " sedda ", surtout dans les
pièces du bas et les rhorfas. Ces seddas constituent une petite
pièce surélevée où l'on met les provisions
et le gros matériel ; à la rigueur, elles peuvent servir
de chambrette pour enfants ou pour vieilles personnes. Dans certaines
pièces une porte intérieure donne accès à
une autre chambre de dimensions réduites, 2 m. sur 2 m. en moyenne
et plus basse, 2 m. à 2 m. 50, qui sert soit de grenier, soit de
balle pour travaux ménagers. Toutes les pièces, si elles
ont la même forme, ne se ressemblent pas dans le détail,
elles ont des dimensions très différentes selon l'importance
de la maison. Les murs de certaines sont simples, tandis que dans d'autres,
de nombreux défoncements à arcades sont ouverts à
l'intérieur de:s murs et servent de recoins pour canapé,
de placards, etc... Il y a dans une maison moyenne : 8 à 10 chambres
; on en trouve sur les trois côtés du carré de la
cour. Le long du quatrième côté du carré se
trouvent la buanderie, le puits, la citerne, etc..., ce dernier mur étant
souvent commun avec la maison contiguë.
---------En
pénétrant dans ces maisons, ce qui frappe le plus, contrastant
avec la demi-obscurité de la rue et de la sqifa, c'est ce monde
de lumière, cette impression de fraîcheur, de calme et de
tranquillité, qui expliquent l'engouement des corsaires barbaresques
pour ces demeures construites pour la plupart par eux.
---------A
côté de cette maison bourgeoise, il y a la petite maison
plus commune ; de dimensions plus modestes ; la cour a entre 4 et 5 mètres
de côté. Les dimensions des chambres dont la longueur correspond
souvent à la longueur du côté de la cour, sont aussi
réduites ; elles sont moins hautes, les chambres du bas sont franchement
obscures. Pas d'éléments décoratifs luxueux, pas
de riches faïences, la cour est recouverte de simples carreaux ;
un aspect très modeste, voilà leur caractéristique
; ces maisons étaient habitées par des familles de commerçants
ou d'artisans qui, sans être très riches, vivaient assez
dignement.
---------La
douéra, par contre, est vraiment une maisonnette. La
porte, de 2 mètres de haut permet à peine à un homme
de franchir le seuil, un escalier étroit, sombre, où il
faut plusieurs fois se baisser si l'on ne veut pas heurter le plafond,
conduit à une courette dont les dimensions sont très réduites
; des cours de 2 mètres de côté ne sont pas rares
; les chambres ont souvent 3 m. sur 1 m. 50 à 2,m. Obscurité,
étroitesse, voilà les deux caractéristiques de la
douéra qui abritait soit une famille de serviteurs, soit des gens
très pauvres.
Notons que la ville a été presque entièrement détruite
par un tremblement de terre en 1716, et on peut dire qu'elle date de cette
époque, et les " influences architecturales
qu'elle a subies sont celles de son maître le Turc, et de son fournisseur
l'Italien qui lui envoyait ses marbres, ses faïences et ses glaces
(Guiauchain).
---------Il
est difficile d'étudier l'habitation indigène dans la Casbah,
sans parler des maisons de campagne.
---------Tout
Maure possédait aux environs de la ville une maison de campagne.
Dans un site admirable, au milieu de nombreux arbres fruitiers, amandiers,
figuiers, surtout, et de fleurs toujours cultivées avec amour par
les Maures, s'élevait le Djenane, le jardin avec des maisons
construites suivant un plan très ancien légué par
les Grecs et les Romains : cour intérieure entourée de portiques,
sur laquelle les pièces d'habitation analogues à la maison
citadine prennent air et lumière. Ces pièces ont souvent
en leur milieu un avant-corps carré avec petites fenêtres
sur chacun de ses trois côtés ; ces avant-corps constituent
de véritables " moucharabia " avec vue sur la
mer. Dans la cour on retrouve le classique jet d'eau et des parterres
de fleurs où le jasmin mêle sa blancheur et son parfum délicat
à l'éclat de l'oeillet et à sa suave odeur. Et c'est
dans ce cadre que le Maure passait les plus belles journées de
l'année, du Printemps surtout ; ne regagnant la maison citadine
qu'à l'approche de la mauvaise saison ou lorsque ses occupations
professionnelles l'y obligeaient. Et la maison de campagne formait un
complément nécessaire à la maison citadine ; la Casbah
étant la résidence d'hiver des riches Maures.
DES CARACTERES URBAINS
DU VIEIL ALGER ET DE QUELQUES PROBLÈMES CONCERNANT LA VIE COMMUNAUTAIRE
---------Toute agglomération
humaine suppose un minimum d'organisation, et la résolution en
commun d'un certain nombre de problèmes concernant la communauté.
Dans l'agglomération urbaine les problèmes sont plus nombreux,
plus difficiles à résoudre que dans les agglomérations
rurales ; en outre, la solution qu'ils exigent nécessite beaucoup
plus de moyens. En Ifrikya, le rempart, obstacle interdisant l'accès
de la ville aux ennemis possibles, est le signe qui le premier distingue
l'agglomération urbaine. En Orient, et il faut considérer
le vieil Alger comme une ville orientale, " une
mosquée et un marché permanent, accessoirement un bain,
donnent à une agglomération le caractère urbain (Despois
.-"Kairouan": origine et évolution d'une ancienne capitale
musulmane. ) ", et pour les temps modernes il faudrait y ajouter
plusieurs cafés maures. Nous avons déjà parlé
du rempart de la ville et de l'excellente position défensive qu'avait
le vieil Alger. Les Mosquées y sont nombreuses. Haédo en
signale une " centaine, grandes ou petites,
bâties par des Maures, des Turcs ou des Rénégats,
dotées de rentes plus ou moins considérables ",
servant à acheter le matériel nécessaire et à
entretenir le personnel religieux. La plus ancienne, la Grande Mosquée
qui date du XI"" siècle et la Mosquée Ed-Djedid
construite en 1660, sont les seules qui existent encore dans la ville
basse et qui sont affectées au culte musulman, les autres ayant
été désaffectées, ou parfois détruites
du fait de percement de voies nouvelles, ou transformées en églises.
Certaines par contre ont été restaurées par le Génie
militaire. Ces deux mosquées sont celles qui sont actuellement
les plus fréquentées, la plupart des habitants de la Casbah
travaillant dans la ville européenne ont pris l'habitude de passer
par la place du Gouvernement avant de regagner leur domicile ; ils préfèrent
alors faire leur prière dans l'une de ces grandes mosquées.
Dans la haute ville trois grandes et anciennes mosquées : celle
de Sidi-Ramdane, mosquée berbère, édifiée
avant l'arrivée des Turcs, la plus ancienne après la grande
mosquée, Djama Safîr, fondée en 1534 par un
renégat, Safîr ben Abdallah et la mosquée de Sidi
Mhamed El Cherif, qui renferme la sépulture d'un saint mort
en 1541, l'année de l'expédition de Charles Quint ; cette
dernière, située au carrefour de la rue Kléber, ajoute
avec son minaret et son silence religieux au charme de ce lieu. Outre
ces importantes mosquées, il y a de petits sanctuaires : Sidi
bou Guedour, la mosquée où l'on enseigne le Coran dans
la rue Kléber, celle de la rue Sidi Abdallah, le marabout du
cimetière Ben Ali, dans la rue N'fissa et la mosquée
Sidi Abderrahmane qui avec ses nombreux mausolées, ses jardins,
est l'une des plus pittoresques et des plus jolies.
---------Si
ces mosquées constituaient d'importants lieux de réunion,
elles ne reçoivent actuellement une grande foule de fidèles
que pour la prière du Vendredi. Il y a à cela plusieurs
raisons : les Musulmans qui autrefois avaient leur boutique d'artisan
dans la Casbah quittaient facilement à l'heure de la prière
leur échoppe pour aller à la Mosquée. Aujourd'hui
la plupart travaillent en dehors de la Casbah et un patron permet difficilement
à son employé de quitter deux ou trois fois par jour son
travail. D'autre part, la foi n'étant pas aussi vive qu'autrefois,
nombreux sont ceux qui, aux grandes réunions religieuses préfèrent
les réunions du café maure ou les discussions des meetings
politiques. Là aussi le temps a modifié les coutumes.
---------Alger
comptait de nombreux marchés permanents ; dans une ville où
l'on craignait beaucoup une attaque étrangère ou même
des tribus belliqueuses, le ravitaillement a une importance primordiale.
La Mitidja, le Sahel, fournissaient fruits et légumes à
la capitale." La campagne qui avoisine Alger,
écrit en 1831, dans son livre " Sur Alger ", Jules Marnier,
s'étend sur un rayon de quatre lieues,
elle est très riche et très fertile, on assure qu'il y plus
de 20.000 jardins et maisons de campagne ". De plus, de
nombreux bédouins, venaient vendre les produits de leur pays. D'importants
marchés se tenaient au voisinage des portes Bab-Azoun et Bab-el-Oued.
L'existence de nombreux souks, caractéristiques des pays d'Orient
atteste de l'importance du commerce intérieur.
---------Les
bains maures sont les édifices que toute ville, où habitent
des familles bourgeoises doit avoir, car dans l'habitation mauresque aucune
pièce n'est prévue pour servir de salle de bain. Les bains
maures d'Alger ont été construits par des Pachas et des
riches maures, ils étaient fréquentés par les habitants
d'Alger, à l'exception des Juifs. On en trouve encore près
d'une dizaine dans la haute ville, quelques-uns plus récents dans
la basse ville ; l'un des plus anciens, le Hammam Sidna, rue de
l'Etat-Major, est encore tel que l'a décrit Haédo. Fréquentés
l'après-midi par les femmes, ils le sont le matin et le soir par
les hommes.
---------L'existence
d'une bourgeoisie commerçante ou artisane contribue aussi par ses
murs citadines et raffinées à donner à la ville
un caractère urbain.
---------En
l'absence des promenades publiques, il fallait un lieu pour se réunir
en dehors de la pieuse austérité des mosquées, et
voilà pourquoi les cafés maures étaient si bien aménagés
dans le vieil Alger. Situés dans la basse ville, ayant vue sur
la mer, ou dans quelque carrefour comme celui de la rue Kléber,
bien décorés, avec à l'entrée un pot d'oeillets
et un pied de basilic, une cage où un canari fait entendre son
chant, les cafés maures constituent un délicieux lieu de
repos et d'oisiveté ; assis sur les banquettes qui garnissaient
le pourtour du café, ou simplement étendus sur une natte,
fumant le narghilé et dégustant sa tasse de café,
le Maure passait là d'agréables moments.
---------L'approvisionnement
en eau est le problème qui sans doute attira le plus l'attention
des anciens maîtres d'Alger. Haédo note en 1580 l'existence
de six fontaines dont l'eau provient d'une immense source qui prend naissance
à une demi-lieue au Sud d'Alger et qui par des conduites tantôt
à l'air libre passe au pied de la montagne (Fort l'Empereur) et
qui, au-dessous de la Porte Neuve se divise pour alimenter les six fontaines.
---------Les
Maures venus d'Espagne dotèrent la ville d'aqueducs ; les principaux,
ceux qui furent trouvés par les Français en 1830 sont ceux
du Hamma long de 5 km. et entrant dans la ville par le quartier
Bab-Azoun, du Télemly (voir)(2
km.) commençant près de l'actuel Palais d'Eté et
arrivant dans la cité par la Porte Neuve, de Birtraria venant
de la vallée de Fort l'Empereur et pénétrant dans
Alger du côté de Bab-el-Oued, et d'Aïn Zeboudja
(fontaine de l'olivier sauvage) s'amorçant à Ben-Aknoun,
arrivant en ville par les Tagarins et la Casbah.
---------A
l'intérieur de la ville on comptait en 1830 près de 150
fontaines dont la plupart étaient des fondations pieuses. Scellées
dans les murailles, des jarres qu'on remplissait régulièrement
permettaient elles aussi aux passants de se désaltérer.
---------Les
fontaines mauresques, constituaient de véritables petits monuments
publics ; blanches, brodées d'arabesques, avec des panneaux de
mosaïques et de faïence hispano-mauresque, surmontées
souvent d'auvent sculpté à tuiles vertes. elles constituaient
" pour l'Arabe une chose des plus précieuses
pour laquelle il professe une sorte de culte " (Klein:
Feuillets d'El djezair).
---------D'autre
part, comme en cas d'attaque il était facile de couper l'eau, l'administration
turque avait obligé les propriétaires de maisons à
creuser un puits et construire une citerne. Et aujourd'hui presque toutes
les maisons mauresques en sont munies. Cette eau ne sert d'ailleurs qu'aux
usages domestiques et n'est pas utilisée pour la boisson. Il ne
suffit pas de ravitailler la ville, il s'agit aussi d'assurer l'évacuation
des déchets de toutes sortes. Les Turcs avaient construit des égouts
: simples, fossés étroits à section rectangulaire
variable de 0 m. 40 à 0m 50 de hauteur (certains cependant avaient
même jusqu'à1 m. 20 de hauteur), recouverts de dalles ; l'écoulement
des déchets vers la mer était favorisé par la déclivité
du terrain. Ils furent certes trouvés en mauvais état mais
leur existence atteste le caractère urbain du vieil Alger.
Il n'y avait pas de service de nettoiement bien organisé, devant
chaque maison des auges à immondices étaient aménagées.
Elles étaient recouvertes d'une voûtelette, et recevaient
les détritus de la rue que chaque propriétaire était
tenu de faire disparaître sous peine de bastonnade ou d'amende.
---------Alger,
au temps des Turcs, n'était pas éclairée ; il était
défendu de circuler après huit heures du soir. Et l'on punissait
de 500 coups de bâton les délinquants. Une nouba sonnait
une retraite interdisant la circulation, elle partait de l'actuelle rue
Kataroudjil (de Katta Redjel, coupe-jambe).
---------Sans
trop s'approfondir sur ces questions, l'on peut dire qu'El-Djezaïr
depuis sa fondation a des caractères urbains certains. Ses maîtres
se sont occupés de nombreux problèmes touchant à
l'hygiène et à l'embellissement de la ville cl qui ne se
posaient pas avec autant d'acuitédans les agglomérations
rurales d'Ifrikiya.
SOCIETE ALGÉROISE
EN 1830.
---------Quels sont
les différents éléments qui composent la population
d'Alger en 1830 ? Sans remonter aux premiers jours de la fondation de
la ville, essayons de voir du moins la composition de la population avant
la conquête française, lors du règne des Deys ; car
c'est sous cette sorte de République militaire que s'est façonnée
la société d'El-Djezaïr. Les Turcs forment une minorité
qui n'est généralement que de passage dans la ville, quelques-uns
seulement ont contracté des alliances avec des Maures. Ils viennent
à Alger attirés par le renom et par les richesses de la
ville, ils forment l'ossature de l'administration du Beylak, et en Alger,
ils cherchaient surtout à faire fortune ; leurs alliances avec
les Maures étaient intéressées car elles leur permettaient
d'accumuler de grandes richesses, les propriétés des Maures
étant inviolables. Les Koulouglis nés de ces alliances perdaient
un peu de ce caractère mâle et aventurier du Turc et subissaient
plus ou moins l'influence de la mollesse du Maure.
---------Les
Janissaires, ramassis de toutes les races, des
gens sans murs ni loi, formaient une classe très indisciplinée,
prête à la révolte, profitant toujours des intrigues
du palais pour se faire réserver la meilleure place et tirer le
plus de bénéfice du trésor public.
---------Alger
était une ville habitée pour les trois quarts par les Maures
qui constituaient l'élément principal et le fond de la population
de la ville. Ce sont à l'origine les anciens habitants de la Mauritanie
sur lesquels lors de plusieurs invasions est venu se greffer le sang arabe
; Maures et Arabes firent ensemble la conquête de l'Espagne et lorsque
la " Reconquista " les en délogea, ils s'installèrent
clans les principales villes d'Afrique du Nord. C'est ce qui explique
que la plupart des villes musulmanes d'Algérie comme Nédroma,
Tlemcen, Médéa, Miliana pour ne citer que celles qui sont
les plus proches de l'Andalousie, aient un cachet maure que l'on retrouve
dans l'habitat, les coutumes et même le genre de vie des Maures
exclus de tout emploi civil, sauf certaines exceptions dont ils bénéficiaient
grâce à leur fortune, détenaient toute l'industrie
locale entre leurs mains. C'est le petit peuple d'artisans, boutiquiers.
c'est le tisserand qui non seulement manie l'aiguille, fait des habits
aussi bien de femme que d'homme, mais qui les teint, les lave. C'est lui
qui possède les secrets de la broderie. sait agencer les fils d'or
et d'argent. Sans grande activité physique, assis à la turque,
les pieds croisés du matin jusqu'au soir dans la boutique, il est
très habile de ses doigts, sait recréer dans ses broderies,
ses bijoux ou ses poteries, comme une sorte de réminiscence du
luxe et de la magnificence de la lointaine Andalousie, la délicatesse
d'une arabesque et la grâce d'un oiseau d'or ou d'argent. Il s'adonne
aussi au commerce et c'est lui qui revend à toute la population
ce dont elle a besoin ; lui seul s'adonne encore aux lettres et c'est
le Maure encore qui enseigne aux enfants les secrets du Coran.
---------A
côté des Maures quelques Arabes qui venaient de leurs
douars où ils vivaient en plein champ sous la tente. Ils forment
un violent contraste avec les Maures. L'Arabe cavalier, amoureux d'espace,
portant des vêtements amples et larges, guerrier dans l'âme
éprouve un certain dédain pour le Maure sédentaire,
n'ayant pour horizon que la mer qui fait face à sa boutique, étriqué
dans ses vêtements, mesquin dans ses coutumes. Les Arabes n'étaient
pas. très nombreux dans la ville, car ne venaient que ceux qui
n'avaient pu vivre dans leurs champs, ils habitaient dans des gourbis
de paille, adossés aux murs de la ville, et même sous les
porches des maisons.
---------Les
Kabyles, comme les Arabes, étaient amenés à la
ville par nécessité. Leurs montagnes n'ayant pas suffi à
les nourrir. Nombreux étaient ceux qui gagnaient leur vie en se
mettant au service des riches Maures ou Turcs d'Alger, en ramant sur les
galères ou comme les zouaouas en servant comme soldats. Les plus
heureux étaient ceux qui venaient vendre de l'huile. des figues,
du charbon, des herbages. etc...
---------D'autres
émigrés, venus des différents coins de l'Algérie
ou même du Soudan complétaient cette population ; il y avait
des juifs ; ils avaient la plupart des boutiques. vendaient de
la mercerie ou d'autres petits objets qu'ils achetaient aux corsaires.
De nombreux juifs étaient bijoutiers ; ils parlaient l'arabe et
s'habillaient comme les Maures - la couleur noire leur était réservée
-. Des juifs originaires de l'Afrique même, constituaient l'élément
ancien, ils avaient adopté les murs et coutumes du pays et
vivaient dans la servitude ; des immigrants étaient venus d'Espagne,
une première fois en 1287 des Baléares, Alphonse d'Aragon
ayant interdit tout autre culte catholique ; puis en 1391, conduits par
le s Rabbins des juifs plus riches ayant des habitudes de commerce et
d'industrie ; puis en 1492, la plus importante immigration ; par la suite
les juifs arrivèrent des principaux pays de l'Europe, d'Italie
surtout.
---------Les
Biskris venus de leur lointaine oasis étaient surtout employés
comme portefaix ou comme porteurs d'eau ; les Mozabites formaient
une véritable communauté qui avait reçu des Turcs
un monopole : ils étaient épiciers, marchands de tissus,
tenanciers de bains maures, gargotiers.
---------Les
nègres, venus du Soudan, une douzaine de mille environ, vivaient
dans les différentes familles maures ; ils faisaient partie de
la famille et vivaient comme domestiques ; ils étaient bien traités,
pouvaient se marier, et même libres, certains n'ont pas voulu quitter
leur nouvelle famille. Certains travaillaient comme hommes libres, ils
étaient le plus souvent marchands de chaux et avaient des sortes
d'entreprises de blanchiment.
---------Les
Chrétiens étant en nombre très limité,
la plupart agents consulaires ou commerciaux ; les captifs par
contre étaient en grand nombre, atteignant à certaines époques
jusqu'à 25.000, certains étaient dans les prisons, d'autres
pouvaient circuler en ville et avaient ainsi une demi-liberté,
les plus malheureux étaient ceux qui ramaient sur les galères.
---------Telle
était la société algéroise avant l'entrée
des Français.
Mahfoud KADDACHE
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