----------Le
Sahara, pour être, par excellence, le pays de l'aridité,
a fait germer une abondante littérature: Nous ne voulons point,
naturellement, parler des volumes consacrés à l'histoire,
à la géographie, aux sciences du désert, ni même
des récits de voyage, mais seulement des uvres proprement
littéraires. Celles-ci sont nombreuses : qu'il suffise de citer
d'emblée Fromentin, Maupassant, Jean Aicard,
Francis Jammes, André Gide, Ernest Psichari, Pierre Benoît,
Joseph Peyré, bien d'autres encore, que nous évoquerons
au cours de cette rapide étude.
----------Il
s'agit, évidemment, d'une littérature récente, puisque
le Sahara n'a commencé à s'entrouvrir aux Européens
qu'au début du siècle dernier. C'est par l'Égypte,
plus facilement accessible, que le désert s'est tout d'abord révélé.
L'expédition d'Égypte et son cortège de savants touchèrent
au Sahara, par le Nil, cinquante ans avant que les troupes de Bugeaud
n'y abordassent par l'Algérie. Faut-il rappeler que c'est Bonaparte
qui, en 1799, suscita la première grande exploration saharienne
en accordant aide et protection au jeune Allemand Hornemann qui, partant
du Caire, réussit à traverser le Sahara central et mourut
non loin du lac Tchad ?
Les Romantiques ne tardèrent pas à s'emparer du désert.
Le thème était favorable à leur recherche d'orientalisme.
Faute de documents précis, ils fixèrent une suite de "
clichés " conventionnels qui ont eu la vie dure. Ils meublèrent
ainsi le désert d'animaux et de plantes qui n'existaient que dans
leur imagination poétique.
----------C'est
d'abord le fameux " lion des sables " ; le " roi des déserts
", qui hantera plus tard Tartarin et se trouve déjà
chez Musset, dans Rolla
----------"Sur
le rocher brûlant
----------"
Les lions hérissés dorment en grommelant.
----------Ce
rude animal se devait tout naturellement d'avoir sa place dans Les lions
de la Légende des Siècles
----------"
Malheur à qui tombait sous sa patte au
poil rude
----------"Et
c'était un lion des sables.
----------Mêmes
licences -- poétiques, bien entendu - avec la géographie
botanique. Dans Rolla, Musset parle froidement des "
chameliers passant sous les platanes
". Il est vrai que la rime est bonne pour - caravanes ".
----------Quant
au palmier, il n'est pas oublié. Le premier de nos poètes
qui en ait parlé est sans doute Saint-Amant, l'écrivain
du grand siècle qui ait le plus couru le monde. Au cours d'un voyage
vers la côte d'Afrique, en 1626, il fit escale aux Canaries, et,
dans son poème L'Automne aux Canaries, il a cette
jolie notation :
----------"
...les nobles palmiers, sacrés à
la victoire,
----------"
Se courbent sous des fruits qu'au miel nous égalons.
----------Le
romantisme, s'emparant du palmier, l'a accommodé de toutes manières.
Victor Hugo parle des palmiers chevelus
" et, ailleurs, les compare ,à des aigrettes. Musset,
lui aussi, évoque leurs " longs cheveux ". Théophile
Gautier les assimilera plus tard à des " crabes
végétaux ".
----------Le
désert -- ne disons même pas : le Sahara - demeurera ainsi
purement conventionnel jusqu'à la seconde moitié du XIX'""
siècle. Mais toute la gamme des épithètes, des adjectifs,
des comparaisons se sera déjà épuisée sous
la plume des romantiques. Pour Musset, le désert " roule
les flots silencieux de son linceul mouvant " ; pour Vigny il
est " profond " avec des " plaines torrides
" et des " sables arides ; pour Châteaubriand "
l'âme de la solitude y soupire " ; pour Hugo, il est
" vaste. aride, infranchissable " ; c'est :
----------"...
le noir chaos
----------"
Toujours inépuisable
----------"
En monstres, en fléaux.
----------Il
restera à Flaubert d'évoquer
dans Salambo " , la contrée des sables et des
épouvantements" - et à Théophile
Gautier de parler du désert " stérile, muet,
infini "..
**********
----------Il
n'est pas jusqu'à Balzac qui n'ait
écrit sur le désert. Il s'agit d'un récit généralement
peu connu daté de 1832, et intitulé : " Une passion
dans le désert ". Balzac imagine qu'un soldat provençal,
qui faisait partie de l'expédition entreprise par Desaix dans la
Haute-Egypte, est tombé aux mains des Arabes, qui l'ont conduit
dans les déserts. Ce soldat réussit à se sauver,
mais il est perdu dans le Sahara il se met à l'ombre des palmiers
et, note Balzac, " il regarda ces arbres
solitaires et tressaillit. Ils lui rappelèrent les fûts élégants
et couronnés de longues feuilles qui distinguent les colonnes sarrasines
de la cathédrale d'Arles ". Une nuit, il se réveille
: une énorme panthère est couchée près de
lui ; ne pouvant la tuer, il la flatte, il la caresse et l'homme et la
bête deviennent les meilleurs amis du monde. Mais, ajoute Balzac,
cette passion finit " comme finissent toutes
les grandes passions : par un malentendu " ; la panthère
mord le soldat à la cuisse et celui-ci la poignarde.
----------Quand
cet excellent soldat rentre dans son pays, il raconte son histoire.
----------J'ai
fait depuis, dit-il, la guerre en Allemagne, en Espagne, en Russie, en
France ; j'ai bien promené mon cadavre, je n'ai rien vu de semblable
au désert... Ah ! c'est que cela est bien beau.
-----------
Qu'y sentiez-vous ? lui demande-t-on.
-----------Oh
! cela ne se dit pas, répond-il. Dans le désert, voyez-vous,
il y a tout et il n'y a rien.
-----------Mais
encore expliquez-vous ?
----------
-Eh bien, répond-il, en laissant échapper un geste d'impatience,
c'est Dieu sans les hommes.
----------Flaubert,
de son côté, dans le voyage en Égypte qu'il fit avec
Maxime du Camp en 1849-1850. aborda le désert et il s'extasia volontiers
sur son imagerie. En voyant les palmiers avec leurs grappes de dattes,
il évoque la comparaison de Sancho dans les Noces de Gamache
: " O la belle fille qui s'avance avec ses
pendants d'oreilles, comme un palmier de dattes ". Il
contemple un chameau aux trois-quarts rongé sur le bord de la piste,
vision classique du Sahara qui sera tant exploitée par les reporters,
les amateurs de Kodak et les cinéastes. Un jour, il dresse sa tente
non loin des Pyramides, s'endort dans sa pelisse en écoutant les
Arabes chanter des chants monotones et note complaisamment :"Voilà
la vie du désert ".
----------Mais
ce ne sont là que des notations passagères, des fragments.
En 1856, paraît le premier ouvrage inspiré par le Sahara.
Récit de voyage, sans doute, mais qui prend place dans les grandes
uvres littéraires françaises. C'est " Un
été dans le Sahara " de
Fromentin.
----------Avant
de parler de cet ouvrage capital, l'on s'en voudrait, en respectant l'ordre
chronologique de ne pas dire - ne serait-ce qu'à titre de curiosité
- un mot du musicien Félicien David et
de son ode symphonique intitulée Le Désert, qui est sans
doute la seule uvre musicale qui ait été consacrée
au Sahara.
----------Ce
fut bien une curieuse figure que celle de Félicien David qui, à
l'âge de 20 ans, s'enrôla sous la bannière du Saint-Simonisme
et composa la musique des hymnes religieux du Père Enfantin.
----------Très
jeune, il s'embarqua avec deux camarades saint-simoniens, se rendit à
Constantinople, voyagea en Orient et séjourna au Caire, où
Méhémet-Ali, le bon tyran d'Egypte, fut séduit par
son talent. Félicien David toucha alors au Sahara égyptien.
Il rapporta de ce contact avec ce désert une impression très
forte et, en 1843, il écrivit la partition du Désert. Cette
uvre remporta un énorme succès, tant en France qu'à
l'étranger. On peut sourire aujourd'hui de cette musique qui "
date " singulièrement. C'est, en tous cas, de la belle musique
descriptive, dont Borodine nous donnera, plus tard, une réplique
pour les steppes de l'Asie centrale. Les principaux épisodes sont
intitulés : " Marche de la caravane ",
" La tempête au désert ", "
La nuit ", " La liberté au désert
". " La rêverie du soir " Le
leverr du soleil","Chant du Muezzin ",
Départ de la caravane ".
----------La
poésie est uvre d'un certain Colin
qui ne semble pas avoir laissé de trace dans les anthologies
poétiques. Il faut avouer, il est vrai, que c'est la poésie
de bazar oriental. L'auteur n'a cependant pas craint d'en enrichir exagérément
l'uvre de Félicien David, car il lui a fourni non seulement
le texte de chants, mais également celui des parties parlées
qui sont assez abondantes.
----------Mais
revenons-en à Fromentin. Celui-ci avait trente-six ans quand il
accomplit le voyage de Laghouat. Son métier n'était pas
d'écrire ; ce peintre, qui commettra plus tard ce chef-d'uvre
qu'est Dominique, n'avait encore rien publié. Un été
dans le Sahara est la juxtaposition de lettres familières
écrites à un ami, Armand du Mesnil.
----------Laghouat,
la première des oasis sahariennes au sud d'Alger, venait d'être
prise d'assaut par les troupes françaises lorsque Fromentin y aborda
; il sera le premier à pouvoir livrer au grand public une image
vraie du Sahara. On est frappé de l'honnêteté, de
la sincérité du récit.
----------Au
premier contact, il note : " ... Le Sahara,
très simple et très beau, est peu propre à charmer...
C'est une terre sans grâce, sans douceurs ". Mais,
peu à peu, le ciel, la lumière, le silence éveillent
en lui d'intenses émotions et il avoue : " L'impression
qui résulte de ce tableau ardent et inanimé, composé
de soleil, d'étendue et de solitude, est poignante et ne saurait
être comparée à aucune autre ". Et,
à la fin du volume, il s'écrie : " Il
y a dans ce pays je ne sais quoi d'incomparable qui me le fait chérir
".
----------Un
été dans le Sahara reste, on le sait, le classique
du désert, tant par sa vérité et la richesse des
descriptions que par l'élégance sobre du style. Grâce
à Fromentin, le grand désert, à peine entr'ouvert
a la France, entrait dans la littérature par un ouvrage magistral,
qui, un siècle après, n'a rien perdu de sa force et de sa
beauté. Certes, le Laghouat de Fromentin n'est plus. C'était
alors une ville à moitié morte et de mort violente, un poste
avancé du désert. Aujourd'hui elle a pris les allures d'une
sous-préfecture, avec hôtels luxueux et tous les stigmates
d'un modernisme avancé. On y arrive par une belle i route nationale
et, dans les garages de la ville, s'alignent les cars confortables qui
assurent le service de l'Extrême-Sud, du Hoggar, de l'Afrique Noire.
Fromentin a suscité bien des vocations sahariennes ; à ce
titre, il est responsable, pour une bonne part, de ce désert apprivoisé,
humanisé et mécanisé, que son âme d'artiste
n'eut sans doute point souhaité.
----------Cinq
ans après le mémorable voyage de Fromentin à Laghouat,
Alphonse Daudet se rendait en Algérie où il passa
deux mois. De ce voyage -- qui fut cantonné à l'Algérie
du Nord - Daudet rapporta les éléments de son Tartarin.
Le Tarasconnais rêve du Sahara ; avant de s'embarquer pour l'Afrique,
dans sa petite maison au baobab, il lit les récits de René
Caillé et d'Henri Duveyrier. A
Miliana, il réalise un de ses rêves les plus chers
: il achète ce chameau, à bord duquel, d'ailleurs, victime
du tangage," il bafouera la France ",
selon l'amusante et pudique expression de Daudet.
----------Tartarin,
à la recherche du lion, pousse vers le Sud. Néanmoins, il
ne quitte pas la vallée du Cheliff - ce qui n'empêchera pas
le Tarasconnais, revenu dans sa bonne ville, de commencer le récit
de ses grandes chasses par la fameuse phrase : " Figurez-vous
qu'un certain soir, en plein Sahara...
----------A
la fin du XIX'°" siècle, quelques écrivains viennent
prendre leur baptême du désert dans des oasis proches du
Nord, notamment Bou-Saâda et Biskra. C'est le cas, en particulier,
de Guy de Maupassant, qui avait été
envoyé comme reporter en Algérie en 1881, lors de l'insurrection
de Bou-Amama et qui réunit plus tard ses chroniques en un recueil
intitulé Au Soleil.
----------Certes,
Au Soleil n'est pas un chef-d'uvre du récit
de voyage. C'est un bon reportage, c'est tout. Il nous promène
à Alger, à Boghari, en Kabylie, à Constantine et,
à la vérité, ne touche guère au désert
qu'à Bou-Saâda ; c'est assez cependant pour permettre à
Maupassant de parler des dangers des vipères à corne, de
la flamme implacable qui incendie les dunes et des squelettes de chameaux
qui jalonnent les pistes.
----------Maupassant
évoquera volontiers, plus tard, dans quelques-unes de ses rouvres,
ce Sahara qu'il avait cependant à peine abordé.
----------C'est
ainsi que Bel-Ami, avant de gagner Paris où il réussira
une carrière brillante et imprévue de journaliste et d'homme
politique, a été sous-officier au Sahara ; il rappelle volontiers
sa vie dans le désert et sa maîtresse, Mme de Marelle, convertie
sans doute par ses chaleureuses évocations, lui murmure, dans un
moment d'intime abandon, cette confidence : " Tu
ne sais pas, mon chéri, j'ai rêvé de toi, j'ai rêvé
que nous faisions un grand voyage, toux les deux, sur un chameau. Il avait
deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse et
nous traversions le désert. Nous avions emporté lies sandwiches
dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette
sur nos bosses. " Mme de Marelle connaît peut-être
l'amour, mais, en tout cas, moins bien ,la zoologie, car elle ignore que
le chameau d'Afrique n'a pas deux bosses, mais bien une seule.
C'est au Sahara que Maupassant a emprunté le thème de deux
de ses nouvelles les plus pathétiques. L'une, intitulée
: La peur qui a été publiée dans le
recueil Les Contes de la Bécasse, relate cet étrange
phénomène que l'on appelle le tambour des sables l'autre,
sous le titre L'horrible, a paru dans les Contes du
jour et de la nuit. Quelques hommes, après un dîner,
à l'approche d'une nuit tiède, évoquent des spectacles
d'horreur. L'un d'eux, un officier, relate le massacre de la mission Flatters,
les survivants s'entre-tuant pour se dévorer. Il y a là
quelques pages puissantes, peut-être les plus vigoureusement condensées
qui aient jamais été écrites sur ce grand drame au
désert.
*****************
----------Au
lendemain de la catastrophe de la mission Flatters, le Sahara se replie
sur lui-même. L'exploration du désert marque un point mort.
Et la littéraire saharienne n'est guère alors représentée
que par un recueil de Jean Aicard.
----------Celui-ci
a touché au désert au cours d'un voyage en Algérie
accompli en 1888. L'ouvrage, bien oublié aujourd'hui, qu'il en
a rapporté et qui est dédié à Pierre Loti,
a pour titre Au bord du désert. Il contient un nombre
assez imposant de poèmes sur le Sahara. L'un d'eux n'est pas sans
intérêt : il est intitulé : " Chant des
explorateurs ". C'est une imprécation contre les Touareg
qui ont massacré la mission Flatters. Les malheureux habitants
du Hoggar sont plutôt malmenés : ils sont traités
de
"chacals, de buveurs de sang, de pillards,
de bandits, d'écumeurs ".
----------"
Ils peuvent, ces Touareg à faces renégates,
----------"
Tatoués d'une croix au front, crier " Allah "
----------"
Et se nourrir de sang lorsqu'il n'ont plus de dattes.
----------"Nous
nettoierons le haut désert de ces pirates.
----------"
Oui, les chacals fuiront, quand les chiens seront là.
----------Mais,
soulagé par de telles explosions, Jean Aicard se laisse aller à
des rêveries humanitaires qui sont plus paisibles. Il s'écrie
----------"
Les dunes des déserts mêmes seront semées ;
----------" Le grain de notre
amour lèvera sur le roc.
----------Pour
l'auteur de Maurin des Maures, quand le désert sera
pacifié, il sera une école de générosité,
de grandeur. Dans sa dédicace à Pierre Loti, Jean Aicard
souligne que le désert enseigne les mêmes
choses que la mer : " La simplicité et la grandeur, le mépris,,
l'oubli plutôt, des bassesses et des jalousies, la patience, l'acceptation
de la vie et de la mort ".
----------Les
poètes se suivent et ne se ressemblent pas... Voici que Francis
Jammes aborde au Sahara en 1896 en compagnie d'André
Gide, déjà saharien fervent, comme nous le verrons
plus loin. Quittant son Béarn, Jammes a accompli un petit voyage
touristique à l'orée du désert, à Biskra,
dans l'oasis voisine de Chetrna et à Touggourt, glanant quelques
impressions qui se trouvent transcrites dans Le Roman du Lièvre.
L'auteur, on le sait, a réuni dans ce livre un certain nombre de
contes et de récits c'est sous le titre de " Notes sur
des oasis et sur Alger " qu'il a groupé les images
littéraires rapportées du désert.
----------Francis
Jammes fait du lyrisme à chaque ligne. Dans l'oasis de Chetrna,
il a vu des " jeunes filles qui vivent en
des jardins où règne- un éternel crépuscule
" et des jeunes gens qui étaient " beaux
et tristes " ; l'auteur ajoute, au sujet de ces derniers,
cette image qui laisse assez perplexe :"ils
ressemblent à des amphores de bronze et de neige dont la ligne
ondulerait lentement ". Par surcroît, ils "
évoquaient des Aladins mystérieux,
des lampes d'or, des palais blancs ".
----------Au
demeurant, ce contact du Sud provoque, chez Francis Jammes, une émotion
sans égale, soulignée par un emploi méthodique de
superlatifs et de comparaisons hardies. Les petites Arabes de Chetrna
sont : "filles de l'immortelle beauté
" ; les chameaux chargés de guenilles " s'enfuient
vers l'infini ". Et. ajoute Francis Jammes, "
nos âmes fleurissaient comme les magnolias d'un jardin de volupté
".
----------Piquant
vers le Sud, vers Touggourt, Francis Jammes se persuade qu'il est entré
dans le vrai Sahara : il sacrifie à la grandiloquence de quelques
clichés, qu'il croit obligatoires. Il a, pour le désert,
de mots accablants, qui donnent soif : " La
mort était partout... Désolation des désolations...
Désert implacable... Le terrible rien ". Et, forcément,
il n'a pas tardé à voir un mirage : cela faisait sans doute
partie du programme. Francis Jammes a vu tout un album d'images, une accumulation
extraordinaire de paysages, dont la simple énumération est
longue. Mais voici plutôt la dernière vision du mirage :"
Des constructions s'élevèrent. Elles évoquaient des
villes mortes, des villes de l'Indus abandon" nées
des hommes, des palais de marbre où des singes adroits et mystérieux
se seraient retirés pour y mener, loin des multitudes, une vie
de volupté, pour se bercer, au soir, des grognements des crocodiles
dans les réservoirs croupis tachés de poissons d'or.
"
----------Et
notez bien que le soleil était sans violence puisque Francis Jammes
assure que " régnait un ciel d'une
infinie douceur, pâle et bleu comme une tempe de vierge
". Qu'eût-ce été si le soleil avait été
intense...
----------André
Gide, lui-même semble avoir été frappé - et,
qui sait ? peut-être importuné - par le lyrisme de Francis
Jammes: car, dans les feuilles de route d'Amyntas. évoquant la
plénitude d'une nuit sublime du Sud, il note "
...même Jammes se tait..."
**************************
----------Mais
après ces petits rôles, après ces écrivains
dont 1'uvre ne porte, malgré tout, du Sahara qu'une empreinte
accessoire, on en arrive à trois grands cas " littéraires
et psychologiques à la fois, à ce qu'on a pu appeler les
trois " miraculés " du désert : Isabelle
Eberhardt, Ernest Psichari et André Gide.
----------Isabelle
Eberhardt était née en 1877 de parents
russes ; sa mère était divorcée d'un général
de l'armée impériale et son père était un
nihiliste, ancien pope, qui vivait à Genève. Fille d'exilée,
elle sera elle-même une déracinée, une errante. A
vingt ans, elle s'installe à Bône avec sa mère, ne
tarde pas à se convertir à l'Islam et commence une vie sans
sagesse.
|
|
----------Il
y a un " cas " Isabelle Eberhardt ; il est discuté ;
on l'a expliqué de bien des manières. Les biographes se
sont disputés. A la vérité, Isabelle Eberhardt présente
l'image même de la complexité, de la contradiction. Raoul
Stéphan, dans le solide ouvrage qu'il lui a consacré, a
pu écrire : " Elle tient de l'enfant
et du monstre... En elle cohabitent_ la vierge romanesque et la garçonne.
" Elle est même androgyne ; cette fille, passionnée
et sensuelle, aime à revêtir un costume masculin ; elle paraît
en cavalier, quelquefois en matelot ; à un banquet organisé
par la presse à Alger, en l'honneur du Président de la République
Émile Loubet, elle cause un grand scandale en venant en costume
arabe masculin.
----------A
la mort de sa mère, Isabelle Eberhardt décide de partir
dans le Sud. Déjà, Lady Stanhope, nièce de William
Pitt, avait réalisé en Syrie le rêve de chevaucher
en arabe dans le désert. Isabelle suivra son exemple. En 1899 -
elle a vingt-deux ans - elle prend contact avec le Sahara. C'est une véritable
révélation pour cette déracinée, inquiète
et insatiable. Le miracle se produit à El-Oued, l'oasis aux palmeraies
creusées dans les sables, aux incomparables petites maisons.blanches
à coupoles surgissant au milieu de l'immense étendue de
sable qui s'étend entre Touggourt et le Sud-Tunisien. Isabelle
Eberhardt consignera plus tard :
" Tout d'abord El-Oued fut une révélation
de beauté visuelle et de mystère profond, la prise de possession
de mon être errant et inquiet par un aspect de la terre que je n'avais
pas soupçonné... Il est, je crois, des heures prédestinées,
des instants très mystérieusement privilégiés
où certaines contrées, certains sites, nous révèlent
la vision juste, unique, ineffaçable. Ainsi, ma première
vision d'El-Oued fut une révélation complète, définitive
de ce pays âpre et splendide, de sa beauté étrange
et de son immense tristesse aussi. "
----------Par
la suite, Isabelle Eberhardt touchera barre en Europe, mais, invinciblement,
reviendra au Sahara. Elle se donne à un indigène, un sous-officier,
de spahis, qu'elle épousera plus tard. Sans doute y at-il une attirance
de communauté entre son âme assoiffée et cette terre
déshéritée et ardente. C'est au désert, à
Aïn-Séfra, dans le Sud-Oranais, qu'elle mourra tragiquement
à l'âge de vingt-sept ans. Un violent orage fit déborder
l'oued qui rompit ses rives et ravagea le village. Elle tenta de sauver
son mari, mais la maison s'écroula sur elle et son corps fut noyé
dans le torrent de boue. Le général Lyautey, qui commandait
alors le Sud-Oranais, la fit inhumer dans le petit cimetière d'Aïn-Séfra,
auprès de la dune et face au désert qu'elle avait tant aimé.
----------Quand
elle mourut, Isabelle Eberhardt n'avait encore rien publié en librairie.
Ses récits de voyage, ses nouvelles, étaient épars
dans les revues et dans les journaux ; on retrouva des manuscrits dans
les ruines de sa maison d'Aïn-Séfra. La matière ainsi
réunie a fourni plusieurs volumes dont Notes de route,
Pages d'Islam, Dans l'ombre chaude de l'islam
et Mes journaliers prennent place, pour tout ou partie,
dans la littérature saharienne. Il est remarquable de constater
que cette femme russe maniait la langue française avec une sûreté
et une habileté qui lui donnent une place honorable dans notre
littérature. En tout cas, l'auteur dépasse et surpasse l'oeuvre.
Isabelle Eberhardt est la Saharienne par excellence, sa sensibilité
a trouvé son épanouissement au désert ; c'est là
que son appétit insatiable a ou se satisfaire et que ses tourments
ont pu s'apaiser
----------O
Sahara, note-t-elle quelque part dans
ses Journaliers, Sahara menaçant,
cachant ta belle âme sombre en tes solitudes inhospitalières
et mornes ! Oui, j'aime ce pays du sable et de la pierre, ce pays des
chameaux et des hommes primitifs. "
********************
----------Nous
ne retracerons pas ici la vie d'Ernest Psichari.
On connaît au moins dans ses grandes lignes, :'existence,
d'une brièveté tragique, de ce petit-fils de Renan qui,
après sa licence de philosophie, s'engagea comme simple canonnier
dans l'artillerie coloniale, trouva la foi sur la terre d'Afrique, partit
à la guerre comme à une croisade et mourut noblement en
août 1914 à l'âge de trente ans.
----------Dès
son adolescence, il avait publié des vers subtils. En 1908, après
son séjour au Congo avec la mission Lenfant, il écrivit
Terres de Soleil et de Sommeil dont la prose est singulièrement
fluide et harmonieuse.
----------Il
s'attache tout de suite à l'Afrique, mais c'est le Sahara qui va
marquer le sommet de sa vie. En 1909, il est affecté en Mauritanie
où il demeurera jusqu'en 1912. Il y mènera la vie d'un officier
colonial, faisant des reconnaissances, se heurtant à des rezzous,
pacifiant. Dès son premier contact avec le désert, il écrit
: " Voilà la vraie vie. Quand on
a connu cela, on se dit qu'on peut mourir et que l'on a assez vécu
". On lui confie le commandement d'un goum de l'Adrar
; il note alors : " Quand on a connu l'inexplicable
attirance du désert, on comprend mieux ce qu'il y a de doux et
de mystérieux dans ce mot de Saharien. "
----------Plus
tard, il consignera : " C'est si beau, le
désert, et c'est une tentation si frénétique que
d'y aller, que d'y vivre, que d'y faire d'enivrants parcours, ! Il y a
des heures uniques dont je ne suis pas encore blasé après
deux ans. Cette centaine d'hommes que je commande, qui sont à moi,
que je peux mener au désastre si j'ai un mauvais guide, ou si je
me trompe, et qui ne seraient rien sans moi et qui seraient proprement
comme le bateau en mer privé de son capitaine, cette vie libre
à la fois nonchalante et active, cette silencieuse vie dans le
déroulement des sables, j'aime tant cela et tant d'autres choses
que je ne peux dire. "
----------Le
voyage du centurion, et Les voix qui
crient dans le désert, dans lesquels Psichari a relaté
le récit de sa conversion, sont deux livres d'exaltation saharienne.
Nous n'aurons pas l'ambition d'évoquer les vertus et les certitudes
que Psichari exigea du désert et obtint de lui. Dans Les
Voix qui crient dans le désert, il avoue y avoir trouvé
" le vrai, le bien, le beau et rien plus
". Au Sahara, il a réussi à se séparer
du monde, et, tout en menant une vie rude, dans l'attente du danger, à
méditer et, comme il le dit lui-même " à
exalter ce qu'il y a de meilleur en lui ". Il y a plus
: il a été séduit par le mysticisme des Maures ou,
du moins, leur religiosité. Le spectacle de l'Islam a été,
pour beaucoup, dans son ' adoption de la solution chrétienne. Le
voyage au Maroc de Foucauld avait, vingt-cinq ans auparavant, marqué
une semblable évolution religieuse de la part de celui qui devait
finir en ermite au Hoggar.
----------Les
Voix qui crient dans le désert ou Le voyage du centurion
comptent parmi les grandes oeuvres qu'ait inspirées le
Sahara. Et l'on ne doit pas oublier que ces livres furent écrits
par un auteur de vingt-cinq ans, qui n'est point un' témoin passif
du Sahara, un peintre à la manière d'un Fromentin, mais,
au contraire, un homme, un soldat qui bouillonne, qui lutte, qui demande
au désert plus que des sensations de rétine et des éblouissements
visuels.
****************
----------Est-il
besoin de rappeler la place que tient le Sahara dans l'uvre d'André
Gide ? Marceline et Michel de l'immoraliste sont inséparables
de Biskra. Les notations du désert qui achèvent Les nourritures
terrestres sont, d'autre part, longuement développées dans
Amyntas. Gide est allé plusieurs fois au Sahara, mais son
Sahara est bien délimité ; c'est celui de la province de
Constantine. Il est allé à Biskra, la première fois
en 1893 (il avait vingt-quatre ans). et il y est revenu fidèlement
à plusieurs reprises ; il est allé aussi à Touggourt.
----------Comment
Gide a-t-il été conduit vers l'Afrique ? Il en a fait la
révélation dans un article de Fontaine. De bonne heure,
Gide fut attiré par les voyages. Un de ses cousins, qui était
naturaliste et qui cinglait vers l'Islande et Terre-Neuve pour étudier
les murs des morues et les déplacements de leurs bancs, proposa
de l'entraîner vers les mers nordiques. Gide hésita, mais
l'attrait de l'Afrique l'emporta ; il assure que sa destinée fut
aiguillée par une petite phrase de Rabelais dont, tout jeune, il
avait lu la citation dans la correspondance de Flaubert : " L'Afrique
apporte toujours quelque chose de rare " Nous nous demandons,
d'ailleurs, si cette citation est exacte et si elle est bien de Rabelais
; ne s'agirait-il pas plutôt du mot de Jean Temporal, au milieu
du XVI""' siècle : " Toujours
Aphrique apporte cas nouveaux ". Peu importe au demeurant
: Gide partit pour l'Afrique ; pendant cinquante ans, il n'allait cesser
d'y revenir.
----------L'on
a noté que Gide ne semblait guère avoir admis de ferveur
stable que pour le Sahara. Il y trouve l'épanouissement de tous
ses désirs. Dans l'Immoraliste Michel évoquant
des promenades dans tous les jardins de Biskra, déclare : "
J'oubliais ma fatigue et ma gêne. Je marchais
dans une sorte d'extase, d'allégresse silencieuse, d'exaltation
des sens, de la chair. "
----------Gide
a des mots passionnés pour parler du désert ; il avoue dans
l'Immoraliste : " Toute autre terre m'ennuie
", et dans Amyntas " Je
sentais que j'aimais ce pays plus qu'aucun autre pays peut-être
". Dans Les nourritures terrestres, il s'écrie
: "Âpre terre, terre sans bonté,
sans douceur, terre de passion, de ferveur, terre aimée des prophètes
-- ah douloureux désert, désert de gloire, je t'ai passionnément
aimé."
----------Et
nous ne rappellerons pas cette litanie lyrique du désert qui s'égrène
à la fin des Nourritures terrestres : "
désert d'alfa... désert de pierre.... désert d'argile...
désert de sable... ". Alain
Fournier, après avoir lu ces pages, avouait dans une des
ses Lettres au petit B. : " C'est à
pleurer de désir d'y aller, d'y souffrir, d'y avoir soif. "
----------L'exotisme
de Gide n'a aucune parenté avec les autres exotismes littéraires
qui ont pris pour thème le Sahara. Pour Gide, le Sahara n'est pas
un simple décor dans lequel il se meut en étranger ; il
s'y intègre pleinement, il y vit de tout son coeur. Il passera
des heures auprès des gardiens de chèvres et les écoute
jouer de la flûte, il se repaît de la musique des nègres
des oasis, il s'attarde aux campements des nomades. Il trouve, dans les
étendues mortes du Sahara, aussi bien que dans la menue vie des
oasis, les thèmes ou du moins les prétextes les plus parfaits
de poétisation ; vent léger dans les palmes, jardins pleins
de silences et de frémissements, buées des matins du désert.
vides nuancés des immensités, sables bruissants au vent.
----------Mais,
au delà de l'adhésion poétique, il y a les thèmes
profonds que Gide a découverts dans le Sahara et que résume
cette phrase écrite à Biskra : " Que
viens-je encore chercher ici ? Peut-être ainsi qu'un corps brûlant
trouve joie à se plonger nu dans l'eau froide, mon esprit dépouillé
de tout, trempe dans le désert glacé sa ferveur.
" Le dénuement purifiant du Sahara, Gide l'évoque constamment.
Il parle des " propositions mortelles du
désert ", de la " grandeur
tragique des oasis" de " l'idée
de la mort qui vous poursuit dans le désert ".
Dans l'Immoraliste, il qualifie le désert de "
pays de mortelle gloire et d'intolérable
splendeur " . Dans Amyntas. il déclare
: " Ce que j'aime de ce pays, je sens bien
que c'est la hideur même, l'intempérie."
*******************
----------Jusqu'à
une date relativement récente, le Sahara et sa littérature
restaient affaire d'initiés et n'étaient guère voués
qu'à un public relativement restreint.
----------En
1920, paraissait l'Atlantide, qui allait donner une romanesque
image du désert à des millions de lecteurs.
Il y a dans l'Atlantide de l'invraisemblable, du vraisemblable et du vrai.
Il est facile de retrouveles sources de documentation de Pierre
Benoît. L'existence du palais d'Antinéa sur une montagne
du Hoggar est inspirée de la légende qui auréole
la Garet-el-Djenoun, un des pics les plus ardus du Hoggar. au sommet duquel
les Touareg situent une oasis mystérieuse. Cette montagne a été
gravie pour la première fois en 1935 par l'expédition alpine
du Hoggar, qui n'a point trouvé de palais ou d'oasis enchantés
au sommet de la garet, mais, seulement, un mouflon qui défiait
les alpinistes.
----------Pierre
Benoît fait d'Antinéa la fille d'une grande coquette du second
Empire et d'un chef touareg qui l'aurait connue à Paris, au cours
d'un voyage officiel, et l'aurait emmenée au Hoggar. Cet épisode
r un fond véridique : il est exact, en effet, qu'un grand personnage
targui, le cheikh Othman, qui avait accueilli au Sahara l'explorateur
allemand Barth et le voyageur français Duveyrier, vint à
la cour de Napoléon III. Le séjour à Paris de cet
homme voilé fit sensation. Le targui était un homme habile
que la civilisation européenne n'effrayait point : la tradition
rapporte qu'il avait ouvert un bal aux Tuileries, avec l'impératrice
Eugénie. Par contre, rien ne permet d'affirmer qu'Othman ou les
hommes rie sa suite aient été séduits par quelque
Parisienne facile...
----------Pierre
Benoît a fait de très larges emprunts aux Touareg du Nord
de Duveyrier et il en a même transcrit quelques passages à
peu près intégralement. L'inscription en tifinar, traduisant
le nom d'Antinéa et que Morhange et Saint-Avit découvrent
en plein Hoggar, est composée avec les lettres indiquées
dans l'alphabet dressé par Duveyrier. Un spécialiste du
tifinar, à qui nous avons soumis cette inscription, nous a donné,
à son sujet, une docte consultation : si brève soit-elle,
il y a découvert six fautes majeures. Au demeurant, le nom même
d'Antinéa se prête mal à une graphie en tifinar, car
il n'est pas conforme à la phonétique targuie. Peu importe,
Pierre Benoît est un romancier, mais il n'a pas la prétention
d'être un linguiste ou un ethnologue.
----------Peu
de romans ont eu, nous l'avons dit, une telle vogue. Le nom d'Antinéa
s'est perpétué dans le monde entier par des réclames
publicitaires, par des chansons et par deux films, l'un tourné
par Napiherkowska, l'autre par Brigite Helm. Le Sahara central, le désert
si attirant du Hoggar et des Touareg devenait populaire sous une image
qui est, certes, souvent fausse mais qui incontestablement a constitué
une des plus formidables propagandes qui aient jamais pu être imaginées
pour le désert.
----------En
1931. paraissait l'Escadron Blanc de Joseph
Peyré. C'est une histoire vraie et même vécue.
C'est,
on le sait, un récit très simple, très dépouillé.
Une formation méhariste du poste d'Adrar est envoyée à
la poursuite d'un rezzou beraber dans l'Ouest saharien.. Peyré
nous décrit le cortège hallucinant de ces silhouettes blanches
dressées sur les méhara, qui errent à travers les
sables, les regs caillouteux ou les pierrailles, à la recherche
des traces. Les jours passent, interminables ; un des deux officiers meurt,
les bêtes épuisées chancellent et s'abattent. C'est
la fatigue, c'est la soif. Au quarante-deuxième jour de la poursuite,
l'escadron blanc rencontre enfin le rezzou et, dans un dernier sursaut,
le met en déroute.
----------Il
n'y a, dans le récit de Peyré, aucune grandiloquence, aucune
recherche systématique de l'effet. Au dire même des Sahariens,
nul mieux que cet écrivain n'a su rendre, par une déclaration
dépouillée mais singulièrement évocatrice,
les exigences du désert, ses pistes arides et mortelles et l'âpreté
de ses jours monotones.
----------Après
l'Escadron Blanc, Joseph Peyré a publié le
Chef à l'étoile d'argent et Sous l'étendard
vert qui évoquent également des épisodes
de l'histoire saharienne. Ces deux récits se situent dans le cadre
de la grande révolte qui secoua le Sahara lors de la grande guerre
et dont un des moments les plus pathétiques fut le siège
de l'oasis de Djanet défendue par une poignée de Français
héroïques. Par la suite, Peyré devait nous donner encore
d'autres romans ou récits sahariens : Coups durs, Croix du Sud,
Proie des Ombres, Sahara éternel, ce dernier volume contenant une
intéressante carte de géographie littéraire de l'oeuvre
saharienne de Peyré.
*********************
----------Depuis
vingt-cinq ans, le Sahara s'est méthodiquement ouvert à
l'automobile, a été jalonné d'hôtels ; il est
devenu accueillant et s'est humanisé. Les académiciens eux-mêmes
s'y aventurent. C'est la meilleure consécration... L'habit vert
fleurit dans les solitudes arides et porte ses fruits -- en l'espèce
quelques récit de voyages aimables et colorés.
----------C'est
ainsi qu'André Chevrillon, en 1923,
va à Ghardaïa, la célèbre cité mozabite,
et tente d'en décrire la société cristallisée
dans son ouvrage intitulé Les Puritains du désert.
----------Si
André Chevrillon s'est arrêté à Ghardaïa,
Charles le Goffic, lui, a poussé trois cents kilomètres
plus au Sud, jusqu'à l'oasis d'El-Goléa. Ce voyage dont
il a rapporté un ouvrage descriptif intitulé La rose
des sables, il l'a accompli à l'occasion d'un " Congrès
de la rose et de l'oranger ", qui s'est tenu à El-GOléa
et où il se trouvait égaré parmi une équipes
de botanistes et de techniciens.
----------Emile
Henriot, de son côté, a fait, en 1934,
un bref circuit touristique en Algérie et dans le Sahara algérien
; il en a rapporté son beau récit Vers l'Oasis qui
évoque Touggourt, Ouargla, El-Oued et Ghardaïa.
----------Chevrillon,le
Goffic, Emile Henriot et d'autres encore sont partis à la conquête
du Sahara dans de confortables automobiles et leurs récits se ressentent
évidemment de la rapidité de leur moyen de transport.
----------Il
y a ainsi plusieurs ères littéraires au Sahara : celle du
cheval ou du chameau, qu'illustre Fromentin ; celle de la patache qu'emprunte
André Gide pour se rendre à Biskra et à Touggourt
; celle de l'auto qui, à partir de 1925 environ, conduit au désert
une véritable ruée d'écrivains.
----------Mais
une dernière époque s'est ouverte : celle du Sahara aéronautique.
Et celle-là aussi a ses auteurs. On sait la véritable épopée
qu'a constituée la création de la ligne aérienne
Casablanca-Dakar par dessus le Sahara occidental insoumis ; elle fut marquée
par de pathétiques aventures : aviateurs massacrés ou capturés
par les Maures, bourlingués jusqu'au rachat. Mermoz et d'autres
grands pionniers de l'aviation française furent de ceux-là.
----------Cette
épopée proprement saharienne fut célébrée
par Kessel notamment dans Vent de Sable
et, surtout, par Saint-Exupéry, qui
en fut à la fois l'acteur et l'historiographe. Nous ne retracerons
pas ici la place immense et décisive qu'occupe le désert
dans l'oeuvre de " Saint-Ex ". Elle mériterait une longue
étude dont il serait prétentieux de donner même les
simples contours.
----------La
rapide esquisse que nous venons de tracer permet ainsi de juger de l'importance
qu'occupe le Sahara dans notre littérature ; l'obsession du Sud
a hanté nos écrivains, comme elle a hanté nos explorateurs,
nos soldats, nos missionnaires. Jadis, les peuples rivaux nous ont, dans
le partage de l'Afrique, abandonné le Sahara en se riant du coq
gaulois qui userait ses ergots sur les sables du désert. La France
a puisé, dans ces terres, quelques-unes de ses plus riches ressources
de talent et de méditation.,
Henri-Paul EYDOUX.
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