Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : lettres
Balzac et l'Algérie
4 pages - n°52 - 1er mars 1951

....ce Balzac qui avait, le premier de son temps, aperçu, bien au-delà d'un " incident militaire ", les " résultats immenses " de l'Affaire d'Alger ...

mise sur site le 24 - 02-2001
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--------Si le Gobseck de Balzac, avec la liquidation financière de Saint-Domingue, " perle des Antilles ", représente, du point de vue de l'histoire coloniale, la fin de notre premier empire d'outre-mer, le grand romancier va témoigner, dans d'autres ouvrages, de sa foi en une nouvelle formule d'expansion transmarine. Aux environs de 1830, en effet, ce ne sont plus ni " les Indes ", ni " l'Amérique ", qui sollicitent les candidats au départ, mais bien l'Afrique - " ces quelques sables conquis en Afrique ", - ces "Indes Françaises à cinquante lieues de la Métropole ", selon le mot de l'explorateur-colon Duchassaing. Or, il se trouve que Balzac, Balzac le Voyant, a tout de suite pressenti ; dès lors, aussitôt annoncé cette phase méditerranéenne de l'expansion française venant brusquement se substituer à notre traditionnelle tentation des pays transatlantiques. Très symptomatiqueà cet égard est - datant la fin de la Restauration - l'aveu de Gaston de Nueil à Madame de Bauséant, dans La Femme Abandonnée... " ne concevant point la vie sans vous, j'ai pris la résolution de quitter la France et d'aller jouer mon existence jusqu'à ce que je la perde dans quelque entreprise impossible aux Indes, en Afrique, je ne sais où... " Ainsi, par l'affaire africaine, s'illustre cette remarque souvent faite à propos de Balzac, cet " historien " dont la " vision " précède l'Histoire, devinant aujourd'hui l'événement de demain. Attentif d'ailleurs aux moindres avertissements de cette Histoire, car, il faut le lire, à part Vigny, se demandant, sans d'ailleurs insister, " pourquoi cette expédition fait si peu de bruit ", Balzac sera, au milieu de l'indifférence générale de l'opinion publique, le seul, parmi les écrivains de l'époque, - grands ou médiocres, - à avoir discerné en l'affaire, d'Alger autre chose qu'un incident militaire, dans une lettre à Victor Rattier du 21 juillet 1830 à avoir conçu l'idée et formulé l'espoir d'un établissement national durable sur le sol africain. Lui, Balzac, estime qu'il y a là, si " Dieu le veut ", une colonie en puissance : " Ah ! écrit-il, ironique, eu directeur de la Silhouette, que les caricatures de Monnier sont spirituelles : un Souvenir d'Alger (1Paru dans La Silhouette du, 2me semestre 1830.) est admirable ! Dieu veuille que sa prévision soit fausse, que nous ayons là une colonie et que nous rendions à la civilisation ces beaux pays... " Certes, le croquis caustique de Henri Monnier n'a rien d'une invitation au départ pour les peintres qui vont aller à la recherche de l'Algérie...

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--------Dès le début, donc, Balzac se montre franc et actif partisan de la conquête, le légitimiste qu'il est en train de devenir s'opposant ici, non seulement aux autres écrivains de l'époque, mais plus encore aux journalistes et économistes libéraux qui ne voient dans l'aventure africaine qu'un désagréable et onéreux legs de la Restauration ( V. Ch. A. Julien : L'Avenir d'Alger et l'opposition des journalistes et des économistes libéraux en 1830, Oran 1922).
--------Mais ce n'est pas précisément dans la Comédie Humaine qu'il manifeste sa foi " coloniale ", encore que, çà et là, il souligne amèrement l'indifférence profonde de cette petite bourgeoisie si représentative de la pensée du " Français moyen ", laquelle " triomphe dans (son) coin, des triomphes d'Alger, de Constantine, de Lisbonne, déplorant également la mort de Napoléon... " remplissant " les fonctions du chœur antique ", mais se " partageant encore entre les raisons de l'opposition et celles du gouvernement... " Ce " girouettisme " assez innocent traduit bien l'apathie foncière du bourgeois à l'endroit de la chose publique, et ici, en particulier, à l'égard d'une affaire d'intérêt national, comme en 1830, la prise - d'Alger, ou en 1837, celle de Constantine.
--------Le sentiment de Balzac sur la question, il faut le rechercher déjà à la date du 21 avril 1830, dans un article consacré à un modeste " Vocabulaire franco-algérien " ( Vocabulaire franco-algérien suivi de dialogues. (Le feuilleton N° 8, 21 avril 1830, p. 31.) L'article commence ainsi " Il pleut aujourd'hui des ouvrages sur Alger, à voir le catalogue de tout ce qui se publie sur cette ville, on ne sera plus tenté de dire que les Français ne voyagent point, il n'y a pas de journal qui n'ait ses colonnes remplies de notices sur Alger. pas:, d'éditeur qui ne.. nous offre _quelque description du pays, pas de géographe qui n'étale la carte du. littoral et les plans de le ville...). composé comme beaucoup du même
genre, à l'usage du corps expéditionnaire. Puis, dans un passage de l'Enquête sur la Politique des Deux Ministères (Chez A. Levasseur, 1831), d'avril 1831, où il reproche, à Laffite comme à Casimir-Périer, c'est-à-dire au parti du Mouvement comme à celui de la Résistance, de n' avoir pas vu et compris qu'au premier rang des grands travaux nationaux urgents, il y avait, avant même "une marine à faire, des routes et des canaux à entreprendre ", " - la colonisation de l'Afrique à continuer ".
--------Il faut retrouver la pensée de Balzac surtout dans sa Chronique de Paris, hebdomadaire qu'il créa vers 1835, et en particuliers, à travers les 41 Lettres que, s'étant chargé de la politique extérieure, lui-même rédigea du 21 février au 24 juillet 1836. Voyons donc comment, presque jour par jour, lui apparaît, sous le gouvernement général de Clauzel, le problème des " Etablissements français en Afrique ".

--------2 MARS. - " Il y a, écrit-il, de gros avantages ù recueillir, pour la France, de la province d'Alger mais nos possessions ne seront rien tant que les ports de l'Algérie ne seront pas des établissements aussi considérables que ceux de Brest et de Toulon. C'était dans cette pensée que le gouvernement de Charles X avait conçu de se faire céder, en paiement de la dette d'Espagne, les îles Mayorque et Minorque, afin d'établir une ligne maritime formidable... "

--------6 MARS. - Balzac souligne la nécessité, pour la France, de conclure avec l'Égypte, une alliance... "les intérêts du midi de la France, nos possessions d'Alger nécessitent si bien cette alliance qu'il est extraordinaire qu'elle ne soit pas plus étroite... "

--------13 MARS. - " ...quelques journaux s'alarment du retrait de nos troupes (alors qu') " il faudrait, au contraire, en envoyer, pour assurer à la France la possession d'une des plus belles conquêtes qu'elle ait jamais faites, et dont les résultats seront immenses... Loin de réduire l'occupation au littoral de l'ancienne régence, il y est prouvé que les intérêts de la France exigent la conquête de Constantine. La France ne pense donc pas à ce que peut être Alger un jour ?... ; - (LesAnglais) n'ont-ils pas su persuader à la France qu'elle n'avait pas le génie colonisateur ? Ne cherche-t-on pas à nous convaincre qu'Alger nous est nuisible ? Alger, un royaume aussi fertile, aussi beau que la France, qui met à notre porte les produits des deux Indes, qui peut valoir un jour les colonies anglaises, et que l'on voudrait nous voir abandonner ! ... "

--------17 MARS. - Balzac s'élève une fois de plus contre la ladrerie stupide du Parlement à propos "des dépenses d'Alger, chapitre du budget qui aurait donné lieu aux discussions les plus longues et les plus animées " et emploie ici l'expression si heureuse de" seconde France " qui " entrera peut-être dans les compensations de l'avenir... "

--------24 MARS. - Balzac songeant aux prolongements de la future Algérie, s'inquiète de l'immixtion des États-Unis dans le bassin occidental de la Méditerranée : " Voici bientôt quinze ans qu'appuyée par la Russie, l'Union continue son projet avec persévérance de s'installer au Maroc, dans la baie d'Angera... "

--------3 AVRIL. - " Il ne faut pas oublier que si l'intérêt bien entendu de la France doit l'engager à favoriser la Russie (Contre la Turquie dont la France redoute qu'elle reprenne son ascendant sur les régences, parce que. de la, eue pourrait menacer la colonie d'Alger...) ce penchant ne doit pas aller jusqu'à lui laisser les facultés de se substituer à la France dans la Méditerranée dont la Restauration voulait faire un lac français..." Par ailleurs, dans le même article, et après la sédition de Bône, Balzac remarque " tous les efforts faits par l'Angleterre pour l'empêcher de tirer parti de sa belle conquête... (Mais aussi), pourquoi n'y a-t-il pas un préfet maritime à Alger ? Pourquoi n'y a-t-il pas une marine ? " Et voici les mots essentiels et prophétiques qui montrent un Balzac " colonialiste " de grande classe :... ?~ A quelle -influence obéit-on en négligeant l'avenir de cette grande contrée ? Une armée et une marine imposantes y- attireraient les émigrants de l'Allemagne, des colons et des capitaux... " Voilà ainsi, évoquée après la conquête, la période fructueuse de la mise en valeur.

--------15 MAI. - Il revient sur"la politiqueégoïste des États-Unis", approuvant le gouvernement d' " avoir compris toute l'importance qu'il y a à faire refuser par l'empereur du Maroc la concession qui lui était demandée... "

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30 JUIN " on a des nouvelles de la colonie de Bône ; une attaque des Arabes a permis de constater que rien n'était fini encore dans cette colonie d'Afrique " on ne veut pas assez se persuader qu'il faut un vaste développement de forces si-on désire 'dominer-les Arabes. Ce n'est pas en se montrant avare de quelques centaines de mille francs qu'on pourra parvenir à- coloniser le sol de l'Afrique... Le tiers parti va conquérir la colonie d'Afrique. M. Baude va être commissaire de cette- colonie, et le maréchal Clauzel dispute pied à pied: l'étendue de ses pouvoirs...

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--------Rien de plus net, donc, que l'attitude politique de Balzac vis à vis du problème africain. Son opinion si vigoureuse, s'affirme encore, en dehors de l'éphémère Chronique de Paris, au moment où va s'achever la pacification entreprise par Bugeaud. Balzac insistera de plus sur l'intérêt d'une occupation définitive de l'Algérie par la France. Le 23 novembre 1846, en effet, il écrit à Madame Hanska : " Tout est fort, tout est réel en ce moment-ci. Le port d'Alger terminé, nous avons un second Toulon devant Gibraltar; nous avançons dans la domination de la Méditerranée. S'il (Louis Philippe) empaume Mehemet Ali comme il a fait du bey de Tunis (1), la Méditerranée est toute entière à la France en cas de guerre. C'est une grande conquête, faite moralement, sans avoir tiré un coup de canon. Nous venons, d'ailleurs, de faire un pas de géant en Algérie par le déplacement des centres d'action militaires, c'est la conquête consolidée et la révolte rendue impossible..." (1: Allusion à l'étroite politique de Louis-Philippe.. à l'égard d'Ahmed, bey de Tunis, -1 le roi des Français reçut a Paris. avec les plus grands honneurs et avec la considération réservée aux souverains éclairés, ce prince dont les prétentions assez ridicules et les " réalisations introduites dans son pays sont, pour l'historien de la Régence. l'occasion de rappeler de plaisantes anecdotes.)

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--------Après cet hommage, tardif mais chaleureux à la politique méditerranéenne de la Monarchie de Juillet, on pourrait croire que Balzac va faire aux " Etablissements français en Afrique " une place de choix dans son oeuvre. Il est hors de doute qu'il y a songé, puisque dans le fameux Catalogue de 1845, des "Ouvrages " que contiendra la Comédie Humaine figurent au nombre des Scènes de la Vie militaire sous le n°98 : l'Emir et 100 : Le Corsaire algérien. Mais probablement, des sujets plus pressants ou des engagements avec les éditeurs l'obligèrent-ils à ajourner la réalisation de ces Scènes Algériennes, car il n'aurait certainement pas manqué, à cette occasion, de mettre à profit, non seulement l'énorme " littérature " du temps, favorable ou hostile à la colonisation de " L'Afrique " ( V. Ch. Tailliard ; L'Algérie dans la Littérature Française . 1925), mais encore les deux ouvrages si exacts et si pleins d'humour que son ancien camarade de Vendôme, Barchou de Penhoën, aide-camp de Berthezène, écrivit à la suite de sa campagne en Alger ( V. notre article Les débuts de l'Affaire d'Alger vus par un aide-de-camp de Berthezéne in L'information historique. septembre-octobre 1950.).

 

---------En tout cas, le peu que nous ayons sur l'Algérie d'alors se trouve consigné dans la Cousine Bette On se souvient que le baron Hulot, directeur général au Ministère de la Guerre, criblé de dettes par suite de sa liaison avec l'insatiable Mme Marneffe, expédie, là-bas, comme fournisseur aux Armées, son vieil oncle, Fischer, lequel ne tarde pas à se compromettre dans de scabreux trafics de graines et de fourrages. Grand scandale évoqué par la presse. Suicide de l'honnête et malheureux Fischer. Condamnation d'un vague garde-magasin pour ne pas laisser apparaître le véritable concussionnaire, le directeur Hulot, lui-même. Et tout cet épisode de la Cousine Bette reste très expressif de l'histoire algérienne d'alors, avec comme l'écrit Balzac, ce tableau si animé des déchirements intestins qui tiraillent encore aujourd'hui (1846) le gouvernement de l'Algérie entre le civil et le militaire...
--------Est-ce à dire que ces pages d'une remarquable densité, suffiraient pour un Tableau de L'Algérie à la veille du jour où, l'ayant enfin conquise et pacifiée, Bugeaud allait quitter cette terre qui, après dix huit années d'incertitudes et de luttes, prenait enfin figure de colonie ? Il est curieux à ce sujet de remarquer le peu d'estime et de sympathie que Balzac porte au vainqueur de l'Isly. Pour lui, le " maréchal auquel nous devons la conquête de l'Afrique ", c'est Bourmont et non Bugeaud ; celui-ci reste pour l'écrivain " légitimiste " geôlier de la duchesse de Berry, " le général des rues de Paris... ". il faut ajouter à la décharge de Balzac qu'il écrivait cela en juin 1836, et qu'il aurait peut-être, par la suite, enfin rendu justice (comme il le fit pour Louis-Philippe) au véritable " Maréchal ".
--------En tout cas, en 1836, c'est un fait que Balzac ne portait pas Bugeaud dans son cœur. Or, il est assez piquant d'apprendre, par un article peu connu et qu'a bien voulu nous communiquer son auteur,. M. Marcel Bouteron, le Grand Maître des études Balzaciennes, que le sujet du Colonel Chabert, récemment mis à la scène, était, au contraire, tenu en haute estime par les soldats... de Bugeaud lui-même. Voici le texte de cet article, paru dans la Presse du 22 décembre 1927 sous ce titre : BALZAC A TLEMCEN.

-------" Le 19 juin 1836, le général Bugeaud partait d'Oran, à la tête de 6.000 hommes pour aller délivrele Méchouar, citadelle de Tlemcen, où le commandant Cavaignac, avec quelques centaines d'hommes. était assiégé par l'armée d'Abd-el-Kader. A l'arrivée de Bugeaud, le 25 juin, l'émir leva le camp, et se retira vers la Tafna, tandis que Cavaignac, et une partie de la garnison se portaient au-devant des libérateurs ". C'était la première fois qu'ils communiquaient avec l'armée française depuis cinq mois qu'ils étaient enfermés dans le Méchouar. Aussi, écrivait un lieutenant de Bugeaud, l'on pense se faire une idée de la joie qu'éprouva cette malheureuse garnison en revoyant les frères d'armes qui lui apportaient des subsistances. Elle était à la demi-ration de pain d'orge depuis deux mois. Les officiers de même que les soldats, étaient maigres et pâles mais ils conservaient la fermeté dévouée qui les avait portés à s'offrir au maréchal Clauzel pour occuper ce poste. Si des hommes de cette trempe avaient pu se laisser aller au découragement, ils eussent été soutenus par leur chef, le Commandant Cavaignac qui exerçait sur eux l'empire d'une âme forte, intelligente et élevée ".
--------Mais l'admiration des arrivants fut surpassée par leur étonnement lorsque s'offrit à leurs yeux, placardée sur un olivier, l'affiche suivante
--------Sans la permission de M. le Maire, aujourd'hui 25 juin 1836, les comédiens ordinaires de la troupe du Méchouar donneront, en l'honneur de l'arrivée de la colonne d'Oran, une représentation composée de:
La première et unique représentation de


LE COLONEL CHABERT
pièce en 3 actes

raccommodée et arrangée en un acte par les hommes du bataillon doués de la meilleure mémoire et anciens bacheliers (sic).
--------" Ainsi, malgré les rigueurs et leur position, les soldats de Cavaignac avaient, à leur usage, mis en scène la fameuse histoire du Colonel Chabert, écrite par Balzac en 1832 et dont Jacques Arago et Louis Luvine avaient tiré, pour le Vaudeville, en 1834 (2 juillet) deux actes mêlés de chants.
--------" Bugeaud avec tout son Etat-Major et quatre mille soldats, assistaient au spectacle. Le rôle de la colonelle fut joué par un soldat imberbe ; celui du colonel, par un vieux sous-officier. Les soldats n'aimant pas les pièces qui finissent mal, la Comtesse Féraud (l'ex-colonelle) fut, à la fin de l'acte, restituée à son premier mari, le brave Chabert dont elle s'était crue veuve.
--------Le spectacle fut interrompu un instant par un incident peu commun au théâtre. On entendit tout à coup le bruit d'une détonation et une balle siffla par-dessus les spectateurs. Un factionnaire perché sur un mur et qui suivait attentivement le jeu des acteurs, se retourna furieux, épaula, lâcha un coup de fusil en criant : Eh ! là-bas, attendez au moins que la représentation soit terminée ! Puis se retournant vers les acteurs, il reprit : " Ne vous dérangez pas ce n'est rien ! "
--------" Tandis qu'à Tlemcen, le Colonel. Chabert connaissait les triomphes de la scène, Balzac, en Touraine, ignorant de cette gloire militaire, goûtait quelques jours de repos sous les ombrages du château de Saché. Ignorant et ingrat ! Lisez ce qu'il écrivait, quatre jours plus tard, le 29 juin, dans la Chronique de Paris " le Général Bugeaud fait un peu de sentimentalité et d'obstentation dans l'armée qu'il commande les officiers, habitués aux coups de feu des Arabes, se moquent du général des rues de Paris (2). Bugeaud qui venait de l'applaudir à Tlemcen... etc... "
(2) Extrait de la Chronique du 30 juin, plus haut citée,

--------Ajoutons que ce n'est pas seulement dans la Cousine Bette que passent les souvenirs de la campagne d'Algérie. Ici et là, on rencontre telle notation, tel épisode qui permet de montrer que Balzac-romancier ou épistolier ne cessait de s'intéresser au problème africain autant que Balzac-journaliste. --------D'abord, l'Afrique ne représente-t-elle pas, pour lui, la grande aventure ? Il est caractéristique de souligner à cet égard que la lettre enthousiaste (Du 21 juillet 1830 â Victor Rattier.) où s'insère le passage sur la conquête d'Alger, dont nous parlions plus haut, est précisément celle, si souvent et incomplètement citée, où Balzac exaltait, au début " la vie de Mohican " pour, par contraste, conclure aux pauvres joies que procurent " une écritoire. une plume et la rue Saint-Denis ".
--------En second lieu, du moment où , quelque part, il y a, dans son siècle, des hommes et qui agissent, Balzac affirme sa présence. Or, Alger, est, pour ces soldats de la conquête, donc pour Balzac, un magnifique champ d'action. Il y conduit alors plus d'un de ses personnages : Ursule Mirouet va à Toulon souhaiter bonne chance au jeune aspirant Savinien de Portendière qui, quelques jours plus tard, " prendra Alger ". Excellente occasion, pour un Savinien perdu de dettes, de se réhabiliter par une action d'éclat ; de même que, pour un étourdi comme Oscar Husson, lequel en revient un bras en moins, gradé et muni d'un peu plus de cervelle. A cette affaire de la Macta, le fils unique de Mme de Sérisy reste sur le champ de bataille ( Un début dans la vie.). Le Commandant Charles Keller trouve là-bas une fin glorieuse et le colonel Philippe Bridau y rencontre la mort cruelle qui convient à un soudard de son espèce ( La Rabouilleuse. ). On meurt beaucoup en Alger ! Cependant Jacques Brigaut fiancé de Pierrette, parti désespéré en Afrique, après la mort de son amie, parvient à y faire carrière brillante et d'ailleurs méritée ( La Duchesse de Langeais .). " La conquête d'Alger " offrit d'ailleurs à telle classe de la Société, comme ces aristocrates émigrés à l'intérieur, boudant la France nouvelle, " les moyens qui lui restaient de se nationaliser et de faire encore reconnaître ses titres ".

--------Il est donc étonnant de ne point voir celui qui avait si complaisamment décrit " les corsaires en gants jaunes ", attiré par la curieuse figure des de Tonnac, de Vialar, de Mir, de Saint-Guilhem... ; ces grands colons du début, que l'on nommait, de même, en Alger, " les colons en gants jaunes et chapeau de soie ". Ces pionniers enthousiastes, dont plus d'un était ou Saint-Simonien ou Fourieriste, - de vrais romantiques de la " colonisation ", - travaillant au surplus de leurs mains autant qu'ils " rêvaient de vastes entreprises en y perdant leurs capitaux, s'accrochaient tout comme les premiers paysans venus de France, aux coteaux du Sahel, à l'infecte Mitidja, aux plaines d'Oran et de Bône - ; et ils eussent fourni au " créateur " du médecin Benassis, les prototypes de bien vigoureux portraits. Mais le seul civil que Balzac ait songé à envoyer en Afrique, c'est le sinistre Marneffe dont l'administration de la guerre débarrassa les Hulot en le chargeant, après la grave affaire Fischer, d'aller organiser " un bureau des subsistances en Afrique ". L'idée est cocasse ; mais Balzac on le sait, ne manque pas d'humour. Sans compter qu'il n'est que trop exact que mainte administration considérait toujours, même sous Bugeaud. l'Algérie comme un dépotoir pour ses mauvais sujets.

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--------Notons enfin qu'à propos de ces " Etablissements français en Afrique, l'Indigène n'apparaît guère, à travers Balzac, qu'incidemment, et sous une forme assez antipathique, si l'on en jugeait exclusivement d'après maintes épithètes accolées, au cours de son oeuvre, au vocable d'Arabe ou de Bedouin. Par exemple, dans la Cousine Bette... " Je suis allé payer pour toi le Bédouin qui a commis un crime de lèse-génie en te coffrant... " Ou encore... " Mille francs est mon maximum !... Comme vous vous posez en ami chargé d'une commission, vous pourrez influencer cet Arabe de Touraine !... " (Lettre au V°de Courteilles, in Courrier Balzacien, mai 1949).

--------Toutefois, ces expressions fort discourtoises de bédouin ", " d'arabe " de " juif ", de " mahumetische " à l'endroit des indigènes, Balzac en laisse bien entendu, la responsabilité aux Gobseck et autres corsaires, qui eurent plus ou moins affaire aux populations d'outre-mer. Au surplus, le romancier des Paysans estime, assez judicieusement que nos campagnes métropolitaines ont, elles aussi, leurs " Mohicans. Peaux-Rouges" et autres indigènes. Enfin, il lui est arrivé un jour, de réhabiliter l'Indigène en la personne de cet Arabe de Nubie qui, en une heure critique, donne, au désert, au général explorateur de Montriveau, une haute leçon de sagesse autant que de courage (La Duchesse de Langeais).
--------Telles sont, à propos de l'Algérie, les remarques suggérées par une lecture attentive de notre grand Balzac. De ce Balzac qui avait, le premier de son temps, aperçu, bien au-delà d'un " incident militaire ", les " résultats immenses " de l'Affaire d'Alger .

Aimé DUPUY
Ancien Inspecteur Général
de l'Enseignement des Indigènes en Algérie