| ---------A 
        côté du Maupassant peintre des " pêqueux " 
        et paysans normands, des chasseurs et des canotiers, des courtisanes et 
        des gens du monde, il y a, chacun le sait, un autre Maupassant, un voyageur 
        qui montre l'utilité et -vante le charme de la " vie errante 
        ".---------Dès 
        la publication de Boule de Suif en effet, voici l'ex-employé 
        besogneux de Ministère, inconnu la veille- et pour cause ,-devenu 
        -brusquement eélèbre. Or, parmi la somptueuse et _fulgurante, 
        production de deux cent soixante nouvelles et contes, de sept grands romans, 
        de trois pièces die théâtre, d'un volume de vers, 
        réalisée dans une seule décade (1880-1890), figurent 
        précisément trois livres de voyages. S'il n'est, à 
        vrai dire, que deux de ces derniers : Au Soleil (1884) et 
         la Vie Errante (1890) qui intéressent expressément 
        l'Algérie, il faut leur ajouter quelques nouvelles comme l'Orient, 
         Marroca, un Soir ou Allouma, 
        lesquelles viennent heureusement apporter leur contribution au thème 
        nord-africain chez l'auteur de " Bel Ami ".
 ---------On 
        voudrait donc ici, étudier justement moins la valeur documentaire 
        de ces ouvrages sur l'Algérie, que déterminer l'influence 
        que les trois randonnées accomplies par Guy de Maupassant en Afrique 
        du Nord, au cours des années 1881, 1887-1888 et 1890, exercèrent 
        tant sur l'homme que sur l'aeuvre du plus grand novellière français.
 I. - MAUPASSANT 
        ET LA " VIE ERRANTE ". ---------Pourquoi, 
        en pleine période de succès littéraire, Maupassant 
        s'évade-t-il, en 1881 de Paris, où il est en passe de devenir 
        l'auteur à la mode ? Il nous l'explique lui-même à 
        la première page d'Au Soleil :« La 
        vie si courte, si longue, devient parfois insupportable. Elle se déroule 
        toujours pareille, avec la mort au bout... Quoi que nous fassions, nous 
        mourrons. Quoi que nous croyions, quoi que nous pensions, nous mourrons. 
        Et il semble qu'on va mourir demain sans rien connaitrç encore, 
        bien que dégoûté de tout ce qu'on connaît. Alors 
        on se sent écrasé sous le sentiment de " l'éternelle 
        misère de tout ", de l'impuissance 
        humaine et de la monotonie des actions... Tout logis qu'on habite longtemps 
        devient prison. Oh ! Fuir ! partir ! fuir les lieux connus, les hommes, 
        les mouvements pareils aux mêmes heures, et les, mêmes pensées, 
        surtout !... "---------Une 
        occasion s'offre d'ailleurs au romancier pour entreprendré une 
        randonnée qui complètera ses croisières en Méditerranée, 
        et ses voyages en Corse et en Italie. En effet le journal " Le 
        Gaulois " qui vient de se l'attacher, après le succès 
        de " Boule de Suif ", le charge d'un reportage 
        sur le soulèvement àes Ouled-Sidi-Cheikh dans la province 
        oranaise ; sédition qui, écrit Maupassant, " donnait 
        à ce moment à l'Algérie un attrait particulier. L'insaisissable 
        Bou-Amama, , conduisait cette campagne fantastique qui a fait dire, écrire 
        et commettre tant de sottises. On affirmait que les populations musulmanes 
        préparaient une insurrection générale... Il devenait 
        extrêmement curieux de voir l'Arabe à ce moment, de comprendre 
        son âme... "
 ---------A 
        une époque de l'année où l'on fuit plutôt la 
        fournaise africaine, Maupassant quitte donc Paris. C'est le 6 juillet 
        1881. " Je voulais voir cette terre du soleil 
        et du sable en plein été, sous la pesante chaleur, clans 
        l'éblouissement furieux de la lumière " 
        . Il va, au moins sur ce point, être comblé. Il passera trois 
        mois en Algérie ravi, dès l'arrivée à Alger 
        par cette ville dont la beauté singulière " 
        a passé ses attentes ". Il se dirige aussitôt 
        sur i'Oranie ; note, au cours de son voyage, " les 
        campements indigènes aux huttes de toile brune, entourées 
        de broussailles sèches " ; " les hameaux d'agriculteurs 
        sous la tente dans... la plaine jaune, interminable " 
        du Chéliff, avec une température caniculaire qu'aggrave 
        le siroco (49" à l'ombre, à Orléansville). Débarqué 
        du tortillard à Saïda, Maupassant mentionne que cette ville 
        autour de laquelle rode Bou-Amama, " ne 
        semble habitée que par des généraux. Ils sont au 
        moins dix ou douze et paraissent toujours en conciliabule. On a envie 
        de leur crier : " Où est, aujourd'hui Bou'Amama, mon général 
        ?... Mais, de l'aventurier insurgé, aucunes nouvelles 
        précises que celles de ses récents forfaits : le massacre 
        des ouvriers espagnols des chantiers d'alfa de Khalfallah, près 
        du Kreider. Profitant d'un train allant ravitailler les troupes campées 
        le long des chotts, Maupassant arrive sur les chantiers dévastés 
        : " des pierres brûlées, des 
        ossements d'hommes... ; des chameaux morts, toujours dépecés 
        par les vautours . Une chaleur si ardente que l' on pousse un cri si la 
        main rencontre l'acier des armes ".
 ---------En 
        définitive, " bien malin celui qui 
        dirait, même aujourd'hui, ce qu'était Bou-Amarra. Cet insaisissable 
        farceur, après avoir affolé notre armée d'Afrique, 
        a disparu si complètement qu'on commence à supposer qu'il 
        n'a jamais existé.
 *********** ---------Rentré 
        à Alger, l'écrivain assiste à des cérémonies 
        de Ramadan ; décrit, comme il se doit, la Kasbah et grâce 
        aux officiers des Bureaux Arabes visite la province. Il- descend sur l'inquiétant 
        Boghari " où se produisent toujours 
        les premiers symptômes des insurrections ", et où 
        il respire l'haleine du Sud en observant les Danseuses Ouled Naïl. 
        En compagnie de deux lieutenants, il traverse les pistes du Zar'ez ; attentif 
        au décor naturel, aux phénomènes de lumière, 
        de mirage ; atteint Djelfa, " vilaine petite 
        ville à la française ", repart, par les 
        solitudes du Hodna, pour Bou-Saâda au " paysage 
        de rêve ".---------Il 
        parcourt ensuite la Kabylie, en ce moment, " 
        un pays flambant " avec les incendies de forêts 
        autour de Bougie " allumés par les 
        Kabyles " poursuit son voyage sur Sétif, Constantine, 
        " la cité phénomène, 
        Constantine l'étrange ", et regagne enfin la France, 
        sur le Kléber par Bône.
 ---------Toutefois, 
        Maupassant n'oubliera plus l'Algérie. Tel de ses Contes évoquera 
        " cette terre d'Afrique qui m'attirait depuis 
        si longtemps (et où) l'on aime furieusement ". 
        Dans tel autre il rappellera " la chaleur 
        légère, une- chaleur ailée (qui) nous caressait la 
        peau. Et parfois des souffles plus chauds, pesants, où passait 
        une odeur vague, l'odeur de l'Afrique semblaient l'haleine proche du désert, 
        venue par-dessus ies cimes de l'Atlas... " Par ailleurs, 
        on se souvient que dans l'un de ses romans, " Bel Ami ", 
        paru en 1884, le héros Georges Duroy commence sa carrière 
        de journaliste par ses propres " souvenirs 
        d'un ancien-chasseur d'Afrique ".
 ---------Puis, 
        parce qu'il conserve la nostalgie de ce pays ; qu'à maintes reprises, 
        il a formulé le souhait de vivre dans " un 
        pays clair et chaud, un pays jaune... ", Maupassant repart 
        pour l'Afrique du Nord, d'Octobre 1887 à Janvier 1888, en compagnie 
        de son fidèle valet de chambre François Tassart, grâce 
        auquel nous avons une relation parallèle, une version ingénue 
        et supplémentaire de la Vie Errante . Cette fois, 
        l'écrivain partagera son séjour entre l'Algérie et 
        la Tunisie bien qu'il ait songé à s'installer à Alger 
        pour tout l'hiver et même y faire venir sa mère. Si, sur 
        le premier de ce pays, ses notes sont, ici, assez brèves, nous 
        savons, par exemple, grâce à François, que, descendu 
        à l'hôtel de l'Oasis, il a, le 14 octobre, avec Masque ray, 
        visité le Cap 
        Matifou, s'exaltant devant " 
        cette mer, ce ciel ; jamais je n'ai rien vu d'aussi captivant... " 
        Nous apprenons qu'il fut reçu, à plusieurs. reprises, au 
        Palais d'Eté, chez le Gouverneur Général Tirman ; 
        que bientôt fatigué par cette ville, il ira aux eaux d'Hammam-Righa 
        ; puis, peu satisfait de sa cure, qu'il revient à Alger d'où 
        il part pour Tunis ;- " on a dit à 
        Monsieur que le climat y est plus humide et moins énervant qu'ers 
        Algérie ".
 ---------En 
        dépit de l'odeur nauséabonde de son lac, Tunis apparaîtra 
        à Maupassant comme la cité " 
        la plus saisissante et la plus attachante " ; infiniment 
        pittoresque avec ses races, ses souks, ses coutumes. Il visitera ensuite 
        Kairouan, notant l'impression de tristesse qui se dégage de cette 
        ville sainte, il parcourra le fameux domaine de 140.000 hectares de l'Enfida... 
        Il pousse jusqu'à Sfax, revient par mer à Sousse, s'installe 
        à Tunis, en visite la banlieue, notainraent Carthage, " vraie 
        déception pour mon maître " que séduit 
        àu contraire la capitale de la Régence : " 
        Quelle drôle de ville dit-il à François, avec les 
        mélanges de races et de coutumes !... Nous y reviendrons plus tard 
        passer quelques mois... "
 ---------Encore 
        que François Tassart,(( Souvenirs sur Guy de Maupassant 
        par François, son valet de chambre (1883-1893). Plon-Nourrit 8è 
        ed.). toujours si minutieux n'en fasse pas état, une lettre 
        adressée de Constantine à sa mère, montre que Maupassant 
        est revenu en Algérie une. troisième fois, en octobre 1890. 
        Brève fugue sans doute, en compagnie de Mme X... qui ne dépassa 
        point Biskra, puisque l'écrivain se trouve à Lyon le mois 
        suivant, pour l'anniversaire de la mort d'Hervé son frère... 
        " C'est un long séjour qu'il me faudrait 
        ici... ", note cet homme de quarante ans, qui pressent 
        peut-être, mais ne peut savoir formellement qu'il est à quatorze 
        mois de la maison de santé ét à moins de trois ans 
        d'une mort abominable.
 II.-L'ALGERIE 
        SELON MAUPASSANT. ---------" 
        Au Soleil " résulte, avons-nous dit, d'un reportage 
        dont les notes de voyage mises en forme se doublent, comme dans la Vie 
        Errante et l'es nouvelles précitées, de considérations 
        sur la politique nord,afriçalné.;D'où un certain 
        intérêt documentaire de ces ouvrages ; intérêt 
        accru du fait qu'à la différence de tel ou tel de ses confrères 
        et devanciers, un Louis Veuillot ou un Xavier Marmier voyageant à 
        la suite de Bugeaud ou de Salvandy ; Guy de Maupassant pour son compte, 
        demeure un voyageur indépendant, absolument libre de ses mouvements, 
        allant où le mène sa curiosité, et, sans le moindre 
        mandat dont se fût d'ailleurs offusquée sa nature ombrageuse.---------Il 
        n'a, du reste, aucun parti-pris, ni aucun projet 
        littéraire précis et, en dehors des articles qu'il adresse 
        à son 'journal, il n'est pas, comme Ernest Feydau, voyageur nanti 
        d'une mission " aux trois quarts officielle 
        ", venu en Algérie, comme dit P.Martino, " chercher 
        un livre à effets ". Sa relation conserve donc 
        l'esprit de sincérité et de modestie, la sobriété 
        de plume convenant à celui qui, fidèle à la leçon 
        de Flaubert, se contenta d'essayer, pour rendre exactement, de bien voir, 
        et de traduire ce qu'il nomme " l'humble vérité ".
 ---------Puisque 
        Maupassant était venu pour parier aux lecteurs de son journal de 
        l'insurrection du SudOranais, son propos l'amène à rechercher 
        les causes de ce soulèvement, donc, à analyser la politique 
        suivie en Algérie. Or, si le jugement qu'il rapporte cle cette 
        enquête est assez sévère quant à l'insécurité 
        du bled algérien, au moment où Maupassant le parcourait 
        ; si les critiques qu'il formule à l'endroit de cette politique 
        étaient alors sérieusement fondées, la relation de 
        l'écrivain d'Au Soleil n'offre guère aujourd'hui, sur ce 
        point précis, qu'un intérêt " historique " 
        et du reste assez banal, en dépit de l'impartialité de ces 
        notes de voyage. Maupassant n'a d'ailleurs, en conclusion, nulle peine 
        à " constater cependant que, depuis 
        quelques années, des hommes fort capables, très experts 
        dans toutes les questions de culture, semblent avoir fait entrer la colonie 
        dans une voie sensiblement meilleure. L'Algérie devient productive 
        sous les efforts des derniers venus. La population qui se forme ne travaille 
        plus seulement pour des intérêts personnels, mais aussi pour 
        les intérêts français... " En définitive, 
        la clairvoyance de Maupassant ne semble guère en défaut 
        que lorsqu'il vante, sans doute par rapport à la petite colonisation 
        officielle d'Algérie, la grande colonisation privée en Tunisie, 
        la seule dont il ait eu l'occasion de voir le fonctionnement en Afrique 
        du. Nord : il s'agit de la visite de cet immense domaine de 140.000 hectares 
        de la Société Franco-Africaine à l'Enfida. On sait 
        comment, sans s'être un seul instant préoccupé de 
        peuplement français et de mise en valeur européenne, cette 
        vaste entreprise capitaliste s'est effritée, " 
        sous les assauts répétés de la colonisation ". 
        ( En 1928, réduit 8 81.000 hectares. V. René 
        Passeron : Les Grandes Sociétés et la colonisation dans 
        l'Afrique du Nord. Alger 1925.). De même, il est regrettable 
        que Maupassant. assimilant le peuple arabe d'Algérie à des 
        Caraïbes ou à des Indiens, ait émis à son sujet 
        de singulier pronostic : " il est certain 
        que la population primitive (il veut sans doute dire, le peuple du bled) 
        disparaîtra peu à peu ; il est indubitable que cette disparition 
        sera fort utile à l'Algérie, mais il est révoltant 
        qu'elle ait lieu dans les conditions où elle s'accomplit ".
 
 |   | ---------Mais 
        sont-ce d'aussi brefs séjour, d'ailleurs limités quant à 
        l'itinéraire et aux sources d'investigations qui puissent, à 
        un écrivain métropolitain non averti de questions économiques 
        et sociales, permettre de porter un jugement définitif sur une 
        uvre infiniment complexe et de longue haleine ? Tel qu'elle se présente, 
        en tout cas, la relation de Maupassant reste digne de considération. 
        Elle n'est pas indigne d'être versée au dossier historique 
        de l'Algérie, vue par un reporter de 1881 qui a observé, 
        avec sérieux, ce problème algérien traité 
        quelques années plus tôt si légèrement par 
        Daudet, dans une couvre bouffonne que l'auteur de Tartarin qualifiait 
        lui-même d' " éclat de rire " de " galéjade 
        " ( V. J. Caillat Le Voyage d'Alphonse Daudet en Algerie. 
        Alger 1924). III. -- L'ALGERIE, 
        SOURCE D'INSPIRATION LITTÉRAIRE POUR MAUPASSANT. ---------C'est 
        du point de vue littéraire que les ouvrages nord-africains de Maupassant 
        sont, à notre avis, d'un intérêt capital. En effet 
        l'Algérie a, en quelque sorte, donné à Maupassant 
        l'occasion de se confronter avec lui-même face à un décor 
        et un monde nouveaux, accru sa personnalité et enrichi son pouvoir 
        d'expression. Ce qui nous a valu, tant sur l'homme que sur l'écrivain 
        des confidences précieuses et des pages vraiment originales d'accent.---------Sur 
        l'homme d'abord, par-mainte notation, on entre dans l'intimité 
        de cet écrivain soi-disant impassible ; de ce " terrien " 
        devenu " mondain " qui était aussi, et surtout peut-être 
        un obsédé de la vie errante. Errant pour échapper 
        aux " lieux connus " aux " mêmes pensées ". 
        Et, malgré l'horreur que lui inspiraient les déplacements, 
        " c'est en allant loin, écrivait-il, 
        qu'on comprend bien comme tout est proche et court et vide ; c'est en 
        cherchant l'inconnu qu'on s'aperçoit bien comme tout est médiocre 
        et vite fini ; c'est en parcourant la terre qu'on voit bien comme elle 
        est petite et sans cesse à peu près pareille ".
 ---------Maupassant 
        cède donc au démon du voyage, ne serait-ce que pour essayer 
        d'échapper à son irrémédiable pessimisme après 
        les croisières, après la Corse et l'Italie, s'imposera la 
        curiosité du Désert, lequel, avec son immensité nue 
        et silencieuse, le déroulement de ses dunes, ses horizons infinis 
        lui rappelle la mer " lorsqu'on s'enfonce... 
        dans le silence, sur cette eau, loin du port "... " 
        Je me sentais attiré vers l'Afrique par 
        un impérieux besoin, par la nostalgie du Désert ignoré... 
        " Et encore : " Elle est 
        monotone, toujours pareille, toujours calcinée et morte, cette 
        terre ; et là, pourtant, on ne désire rien, on n'aspire 
        à rien. Ce paysage calme, ruisselant de lumière et désolé, 
        suffit à l'oeil, suffit à la pensée, satisfait les 
        sens et le rêve, parce qu'il est complet, absolu, et qu'on ne pourrait 
        le concevoir autrement... " Au fait, le royaume des sables 
        africains ne serait-il pas la vraie patrie de l'homme qui, en 1890, las 
        de tout, écrivait à sa mère : " c'est 
        là (Biskra) que j'espère goûter le désert, 
        car ce pays a vraiment pour moi une saveur unique ".
 ---------Ici, 
        cheminant à travers ces mornes étendues, l'écrivain 
        peut se repaître de mirages et de solitude aucun bruit, sinon parfois 
        à proximité des dunes, dans une direction indéterminée, 
        le " tambour (qui) bat, le mystérieux 
        tambour des dunes " ce " mirage du son ". Aucune vie : 
        la mort partout, au contraire, dans le désert homicide : débris 
        de caravanes, squelettes d'hommes, de chameaux, et ce chien
 tapi contre un roc, la gueule ouverte, les crocs luisants, incapable de 
        remuer une patte, il tendu sur deux vautours qui, près de 
        lui, épluchaient leurs plumes en attendant sa mort... 
        " Enfin, " l'énorme soleil s'élève 
        au-dessus de cette terre qu'il a dévastée et il semble déjà 
        la regarder en maître, comme pour voir si rien de vivant n'existe 
        plus... "
 ---------A 
        ces sensations de peur, de détresse et de mort, Maupassant cède 
        avec complaisance, puisqu'elles nourrissent son incurable mélancolie 
        et ce désir conscient qu'il entretient avec une amère volupté, 
        voyageant sans cesse, d'espérer trouver un coin du monde où 
        il possédera plus étroitement la Nature ", cherchant 
        à " s'absorber en elle 
        "... (1).
 ---------N'oublions 
        pas, d'autre part, que ce Maupassant qui reconnaissait " être 
        de la famille des écorchés " et subissait 
        l'hérédité de la névrose maternelle, ne se 
        sent bien nulle part. S'il a de brusques et joyeux enthousiasmes, non 
        seulement, l'ennui, mais encore la maladie, le chassent du lieu où 
        il croit pouvoir quelque peu séjourner. Les souvenirs de François 
        Tassart nous le montrent quêtant la santé aux eaux d'Hammam-Righa 
        puis, dépité de ces bains qui " 
        lui font plutôt du mal ", partant pour la Tunisie 
        où, écrira Maupassant " l'air 
        est plus doux, plus apaisant aux nerfs surexcités ".
 ---------Cependant, 
        à noter le frémissement constant de cet esprit qui est venu 
        chercher en Afrique un dérivatif- à ses obsédantes 
        inquiétudes, si l'âme est malade, l'intelligence reste parfaitement 
        lucide et saine : le contact avec un ciel et des hommes si différents 
        de sa Normandie le dote d'un sens critique, d'un humour parfois dont bénéficiera 
        sa plume. Il est loin de fuir la société, si virile, des 
        officiers et des administrateurs. Aux conversations du Gouverneur Général 
        Tirman qui lui avait " expliqué ses 
        vues sur l'Algérie, sur les barrages à construire, l'abandon 
        du budget à la colonie, la question des chemins de fer, etc... 
        " il montre un vif intérêt. Sa mémoire étonnante 
        enregistre tout ce qu'il voit et entend, ici et là. Le bon Tassart 
        le verra même, un jour, parfaitement heureux, à Boghar, lorsque 
        M. Chambige, l'administrateur civil, organisera une fantasia en son honneur 
        : " Je puis dire que c'est là, dans 
        une vapeur de chaleur douce, que j'ai vu le plus de joie sur le visage 
        de l'auteur d'Au Soleil. "
 ---------Il 
        n'arrête d'ailleurs point, malgré des journées souvent 
        épuisantes"son travail d'écrivain : " 
        Comme j'avais peu marché dans la journée, j'écrivis 
        une partie de la nuit ", note-t-il un soir où il 
        a parcouru le Hodna. " Monsieur travaille 
        de plus en plus ", lit-on dans les Souvenirs de François 
        à la date du 23 décembre, il a écrit trente-sept 
        pages de papier dans sa journée... " Et, pour s'en excuser 
        : " ce sont, dit Maupassant, des récits 
        de voyages ; cela me vient tout seul, sans chercher... "
 ---------D'autre 
        part, même en Algérie, il n'oublie pas son oeuvre qui l'attend 
        de l'autre côté de l'eau. Jules Lemaitre, alors professeur 
        à l'École des Lettres d'Alger, a rappelé la visite 
        que lui fit, à son passage de 1881, l' " auteur 
        de Boule de Suif, lequel n'était pas encore parvenu à donner 
        à son (futur) récit une forme qui le satisfît ". 
        " J'interrogeais poliment Maupassant sur ses travaux. Il me dit qu'il 
        était en train d'écrire une longue nouvelle dont la première 
        partie se passait dans un mauvais lieu et la seconde dans une église... 
        "
 Toujours laborieux, lors de son second voyage, se trouvant à Tunis, 
        Maupassant songe à écrire, plus tard, un ouvrage sur, cette 
        " drôle de ville " ; " je 
        veux tirer un roman intéressant de ce fouillis ; il sera amusant 
        à écrire et d'un haut comique... "
 ---------Voilà 
        qui eût réjoui son " parrain " Flaubert. Mais Flaubert 
        qui le forma si bien, n'est pas là ! Et l'on ne saurait trop le 
        regretter, car il est permis d'imaginer la curieuse correspondance qui 
        se serait échangée entre le Sage de Croisset, toujours féru 
        d'Orient, et le disciple qui venait de découvrir l' " Orient 
        africain ".
 ---------Mais 
        en 1881, Maupassant n'a-t-il pas, lui-même, déjà la 
        maîtrise ? Quelque réduite qu'elle se présente, la 
        partie de son uvre qui a trait à l'Afrique du Nord, en atteste. 
        Grâce à elle, l'auteur d'Au Soleil mérite de figurer 
        parmi les meilleurs écrivains nord-africains. D'abord, pour l'exactitude 
        et, le charme pittoresque et neuf de ces pages, encore qu'avec plus de 
        discrétion qu'un Fromentin ou un Gautier (sans oublier 
        Goncourt, DA n°44), Maupassant, peintre aussi bien doué 
        que ces deux devanciers, se soit là-bas, abstenu de . se " 
        flanquer des ventrées de couleur locale ", comme, 
        en Égypte, son bon maître Flaubert.
 ---------Ensuite, 
        pour l'originalité de ses notations " humaines " touchant 
        par exemple la sensualité diffuse et profonde de ces pays d'Orient 
        où l'on jouit de " quatre ou cinq 
        épouses "... l'Orient avec ses femmes ardentes 
        : ... " je les voyais, écrit-il un 
        soir à Bougie, depuis la naissance du monde, évoquées..., 
        surgissant autour de nous dans cette nuit d'Orient les filles, les belles 
        filles à l'âme vile qui, comme les bêtes, ignorant 
        l'âge du mâle, furent dociles à ses désirs séniles... 
        "
 ---------Et 
        surtout, pour la façon si personnelle dont Maupassant a saisi l'impression 
        physique, douloureuse, et traduit le poignant climat moral du Désert. 
        Exprimé ainsi, d'une manière inédite, par un écrivain 
        de grande classe, le Sud, le Désert deviennent ainsi autre chose 
        que le thème pictural si magnifiquement développé 
        par le maître Fromentin. Car il ouvre, à l'âme rongée 
        de pensées, de désirs insatisfaits et d'ennui, les portes 
        infinies d'un " monde nouveau " ; d'un essentiel refuge avec 
        le suprême renoncement. Très différente est ainsi 
        la notion du Désert, chez Maupassant, ce Grand Silence des Sables 
        dans ce qu'il a d'infiniment désolé, d'ésotérique 
        et d'absolu en même temps que d'attirant, si on la compare à 
        l'idée, si stimulante au contraire, si tonique en définitive 
        pour l'esprit et pour la volonté que se font du Désert des 
        hommes de foi qui, qui, Sahariens volontaires, ne cessent, comme un' P. 
        de Foucauld ou un Ernest Psichari, de, trouver en lui une " nourriture 
        " au sens gidien du terme et d'être là-bas des hommes 
        de pensée et d'action. La " saveur unique " du Désert, 
        du Désert bienfaisant par l'anéantissement de l'être 
        dans l'inhumanité des sables, voilà la leçon " 
        littéraire " qu'enseigne Maupassant. Pus encore qu'un reportage 
        sur la sédition de Bou-Amama ; sur les incendies de Kabylie et 
        sur les avatars de la colonisation en Algérie, c'était lui-même 
        que Maupassant déjà malade allait chercher bien au-delà 
        d'Alger, " plus loin, au Sud... "
 ---------C'est 
        pourquoi l'on ne saurait comprendre vraiment Maupassant voyageur, si l'on 
        traitait seulement ses pages nord-africaines comme d'honnêtes notes 
        de voyages. Et, de son côté, l'Afrique du Nord, l'Algérie 
        en particulier, doit lui être reconnaissante d'avoir su rendre avec 
        bonheur quelques-uns de ses aspects pittoresques ou humains, de même 
        que certaines interprétations originales des mornes étendues 
        sahariennes.
 AIMÉ DUPUYAncien Inspecteur Général
 de l'Enseignement des Indigènes
 en Algérie
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