---------C'est
sans doute un lieu commun de dire que le genre de vie et l'activité
humaine - l'agriculture en première ligne - sont étroitement
liés au climat et aux vicissitudes atmosphériques. Ceci
est cependant tout particulièrement vrai en ce qui concerne l'Algérie,
où des régions peu distantes les unes (les autres présentent
de violents contrastes de climat, et où les années successives
diffèrent souvent entre elles au point qu'il faut bien se garder
d'attribuer aux moyennes climatologiques une signification qu'elles ne
sauraient avoir. La connaissance de ces contrastes, dans le temps comme
dans l'espace, est indispensable à qui veut tirer un parti rationnel
des richesses du pays.
---------Le
climat de l'Algérie n'était connu, avant 1830, que dans
ses très grandes lignes ; signalons ici le " Tableau du
Royaume, de la Ville d'Alger et de ses environs " de Renaudot,
et l' " Aperçu historique, statistique et topographique
sur l'État d'Alger ", ouvrages parus tous deux en 1830,
destinés à documenter le public français sur la nouvelle
province et qui consacrent quelques pages à la description de son
climat.
---------Les
observations météorologiques commencèrent en Algérie
bientôt après le débarquement. Le deuxième
numéro de l' " Estafette d'Alger ", journal du
corps expéditionnaire imprimé le 5 juillet 1830 au camp
(le Sidi-Ferruch, donne déjà un tableau de températures
relevées à Sidi-Ferruch... mais on sait que le N° 3
de ce journal ne fut jamais tiré.
---------La
Commission Scientifique de l'Algérie, instituée en 1837,
confia à ses membres Aimé et Deneveu le soin d'organiser
des observations météorologiques " sur
tous les points occupés par nos troupes ". Le Maréchal
Bugeaud, dont on évoque forcément le nom en parlant de la
Météorologie au cours (le la conquête de l'Algérie,
ne paraît s'être intéressé à cette science
que dans la mesure où elle lui permettait de tirer des indications
sur le temps à venir : ne recommandait-il pas à ses officiers
avec insistance - pour ne pas dire davantage - de consulter le baromètre
avant d'engager une campagne, et surtout d'appliquer la règle devenue
célèbre sous le nom de " règle
du Maréchal Bugeaud ", mais qui est en réalité
sans doute tirée d'un ouvrage du R.P. Toaldo, savant jésuite
italien. Elle attribue à la Lune une influence sur les changements
de temps, a encore de nos jours des adeptes aussi fervents que le fut
le Père Bugeaud, mais n'a pas résisté à un
examen critique approfondi.
---------Vers
1855, des instructions du Maréchal Vaillant, alors Ministre de
la Guerre - et à qui le rapport de Le Verrier, relatif au naufrage
du " Henri IV ", sur les côtes de Crimée, avait
montré le rôle que la météorologie était
appelé à jouer - " assurèrent
pour l'avenir aux observations météorologiques la régularité
et l'ensemble nécessaires pour que ces intéressants travaux
soient dignes d'attirer et de fixer l'attention des météorologistes
". Aussi vit-on le réseau des stations météorologiques
s'organiser peu à peu, et s'étendre à mesure que
se poursuivait la conquête de l'Algérie. En 1860, on comptait,
dans toute l'Algérie, une trentaine de stations ; leur nombre n'a
cessé de croître jusqu'à nos jours. et l'on en compte
actuellement environ 450 parmi lesquelles 75 fournissent toutes les observation;
météorologiques courantes, 4o donnent température,
humidité, pluie, les autres uniquement la pluie. Sur les 75 stations
mentionnées en premier lieu, une trentaine, installées pour
la plupart sur les aérodromes et au Sahara, ressortissent à
la Météorologie Nationale (ex-O.N.M.), et participent à
la protection de la navigation aérienne ; ce même organisme
est chargé d'assurer la prévision du temps en Algérie.
---------Les
autres stations dépendent de l'Institut de Météorologie
et de Physique du Globe de l'Algérie, connu autrefois sous le nom
de Service Météorologique de l'Algérie, et qui en
assure le contrôle avec le concours du Service de la Colonisation
et de l'Hydraulique ; les observateurs sont tous bénévoles,
:nais touchent une indemnité à la vérité minime
en comparaison du travail qui leur est demandé. Aussi leur recrutement
rencontre-t-il souvent des difficultés préjudiciables à
la continuité des mesures. Rendons un juste hommage à tous
ceux qui, malgré cela, assurent avec zèle et dévouement
les observations dont ils ont accepté la charge.
---------Les
stations sahariennes elles-mêmes sont parfois fermées faute
de personnel, privant les services de prévision du temps de renseignements,
cependant essentiels, relatifs à ces régions. Peut-être
pourra-t-on un jour parer à cette carence grâce aux stations
météorologiques automatiques, qui émettent à
heure fixe des signaux radiotélégraphiques indiquant la
valeur des principaux éléments météorologiques
pression, température, humidité, vent.
---------La
connaissance du climat saharien a beaucoup progressé depuis la
création, en 1932, de l'Observatoire de Tamanrasset,
rattaché à l'Institut de Météorologie
et de Physique du Globe. Situé en plein Hoggar sous le tropique
du Cancer, et à 1.400 mètres d'altitude, il participe à
la fois du climat nordsaharien qui est sous la dépendance des centres
d'action de l'hémisphère boréal, et du climat soudanais
que caractérise la mousson du Golfe de Guinée ; les sommets
du Hoggar, dominant Tamanrasset (le plus de 1.000 m., constituent des
sites remarquables pour des mesures actinométriques ou autres,
dans un air exceptionnellement pur et sec.
---------Mais
les attributions de l'Observatoire de Tamanrasset,
comme celles de l'Institut dont il dépend, ne se limitent pas à
la Météorologie : les éléments du champ magnétiques
terrestre sont enregistrés en permanence à Tamanrasset,
ainsi qu'à El-Abiod-Sidi-Cheikh, dans cette dernière station
avec le concours dévoué et éclairé des Petits
Frères du P. de Foucauld ; d'autres stations magnétiques
doivent être créées à Béni-Abbès
en collaboration avec le Centre National de la Recherche
Scientifique, ainsi que dans l'Atlas tellien ; ces enregistrements,
d'un intérêt théorique en soi, permettent en outre
la réduction et la comparaison des mesures magnétiques de
campagne faites par le personnel de l'Institut, et servent à l'établissement
des cartes magnétiques du pays. Signalons aussi l'installation
récente, à Tamanrasset, de 2 séismographes à
amplification électromagnétique et enregistrement photographique,
et d'un séismographe du même type à Alger, venant
utilement compléter celui qui fonctionne depuis de longues années
à l'Observatoire de Bouzaréa.(voir)
---------Ainsi,
par les différentes branches de son activité dont nous avons
énuméré les principales, l'Institut de Météorologie
et de Physique du Globe de l'Algérie contribue pour sa part à
l'exploration physique du Globe.
****************
---------De
ces différents chapitres de la géophysique, c'est sans doute
la météorologie qui présente l'intérêt
pratique le plus immédiat. L'aviation ne peut se concevoir sans
le secours de la " Météo " qui permet au pilote
de choisir la route la plus appropriée, voire d'annuler un départ
en cas de mauvais temps ; de multiples usagers consultent régulièrement
les prévisions du temps ; enfin la climatologie guide l'agriculteur
dans le choix des cultures, et renseigne l'hydraulicien sur la quantité
d'eau qu'il peut espérer recueillir dans un bassin versant, donc
sur l'opportunité de construire un barrage-réservoir clans
tel ou tel site. Les observations météorologiques effectuées
en Algérie depuis plus d'un siècle ont permis de dresser
un tableau de la climatologie de ce pays ; nous en donnons ci-après
les lignes principales.
---------Le
climat de l'Algérie est essentiellement méditerranéen,
c'est-à-dire caractérisé par des étés
chauds et secs et des hivers pluvieux. Mais sous ce qualificatif général,
on est appelé à distinguer une grande diversité de
climats régionaux, déterminés par la situation géographique
et par l'orographie de l'Algérie. Celle-ci est bordée au
Nord par la Méditerranée, relativement fraîche en
été, relativement chaude en hiver, au Sud par le Sahara
où la température est élevée en moyenne, mais
très variable dans le temps ; il en résulte pour les différentes
parties de l'Algérie, soumise à ces deux influences, des
écarts de température considérables, et essentiellement
variables d'une saison à l'autre (ce qui se traduit par une déformation
des courbes isothermes). Les importantes chaînes de l'Atlas tellien
et de l'Atlas saharien qui traversent le pays d'Ouest en Est contribuent
pour leur part à différencier les climats en abaissant la
température de l'air, et en augmentant les précipitations
aux dépens des régions situées plus au Sud. Cette
diversité des climats régionaux et locaux entraîne
la bigarrure de la carte agricole de l'Algérie.
---------Tout
le littoral bénéficie d'un climat doux et régulier,
dû à l'influence modératrice de la mer. Les températures
moyennes y sont sensiblement les mêmes de l'Ouest à l'Est,
et en un point donné la température varie relativement peu
entre le jour et la nuit comme entre l'hiver et l'été. Elle
ne s'abaisse que très rarement au-dessous de o°, et les gelées
blanches y sont rares. Aussi la culture des primeurs constitue-t-elle
une des principales richesses de cette étroite bande côtière
; les agrumes,, moins sensibles au froid - ne serait-ce que grâce
à la plus grande hauteur des arbres au-dessus du sol - s'accommodent
du climat déjà plus rigoureux des plaines intérieures
voisines de la mer, comme celles du Sig et de l'Habra, du Chéliff
et de la Mitidja. Certes, parfois le sirocco, vent du Sud brûlant
et sec, souffle avec force sur le littoral ; le contraste n'en est que
plus fort avec le temps habituellement humide, dû à la brise
marine, et qui rend pénible en été le séjour
au bord de la mer : nombreux sont ceux qui, selon une expression triviale
mais parlante, aiment mieux " rôtir
dans l'intérieur du pays que cuire sur le littoral ".
|
|
---------A
mesure qu'on s'éloigne de la mer, son effet régulateur s'atténue,
et, à la faveur d'une moindre nébulosité et d'une
plus grande sécheresse de l'air, le contraste de température
entre le jour et la nuit augmente, comme aussi celui entre les différentes
saisons ; la température moyenne s'abaisse en même temps
qu'augmente l'altitude, et les gelées hivernales sont fréquentes
dans les régions élevées de l'Atlas et sur les Hautes
Plaines : des température de - 12° et même de - 15°
y ont été enregistrées.
----------La
plaine du Chéliff peut être considérée comme
une " curiosité météorologique
" de l'Algérie, par les écarts de température
considérables que l'on y rencontre. Distante de la mer de moins
de 5o km., elle est cependant soustraite à l'influence maritime
par la chaîne du Dahra qui la borde au Nord. L'important massif
de l'Ouarsenis qui la domine au Sud augmente les effets du sirocco, les
masses d'air transportées des Hautes Plaines s'échauffant
en même temps qu'elles s'abaissent vers la plaine du Chéliff.
Enfin on trouve confirmée ici la loi générale suivant
laquelle toute forme concave du terrain - vallée, cuvette - entraîne
de fortes variations de température,
---------Ce
sont particulièrement les températures maxima observées
dans la plaine du Chéliff qui sont élevées : 50°3
à Ard-el-Beïda près d'Orléansville, 48°5
aux Attafs, 46°3 à Duperré. D'autre part l'amplitude
annuelle, autrement dit la différence entre les températures
moyennes du mois le plus chaud et du mois le plus froid, est forte : ce
nombre est de 21°8 à Duperré, de 20°2 à Orléansville.
Rappelons que l'on désigne généralement un climat
comme " continental " ou
" extrême " à
partir d'une amplitude annuelle de 200 : la plaine du Chéliff constitue
un petit îlot (le climat continental au milieu d'un climat tempéré,
le climat continental ne commençant ailleurs qu'au Sud de l'Atlas
tellien, voire des Hautes Plaines.
---------Au
delà de l'Atlas saharien, on observe les mêmes fortes amplitudes
thermiques, niais des températures plus élevées dues
à la moindre altitude et aussi à la latitude plus basse
: Touggourt est un exemple typique du climat nord-saharien, avec des maxima
absolus voisins de 5o°, alors que dans l'Algérie septentrionale
ceux-ci dépassent rarement le 45°. La faible humidité
atmosphérique permet un rayonnement intense, et les nuits peuvent
être très fraîches.
*******************
---------Mais
c'est surtout la répartition des chutes de pluie qui détermine
l'aspect de la campagne algérienne : voisine de 2.500 m/m dans
les montagnes boisées des Babors, donc vraisemblablement supérieure
à celle des régions les plus arrosées de la Métropole,
la tranche de pluie annuelle décroît à mesure que
l'on avance vers le Sud et tombe à moins de 100 m/m au Sud de l'Atlas
saharien, cette valeur étant habituellement considérée
comme marquant le début du désert.
---------A
la décroissance des pluies du Nord au Sud se superpose une décroissance
de l'Est à l'Ouest. Si le Tell constantinois nous fournit les records
pluviométriques (le l'Algérie, le département d'Oran
est, à altitude égale, beaucoup plus sec, avec non loin
de la côte de vastes régions à caractère nettement
steppique et où l'on recueille en moyenne moins de 400 m/m de pluie
; ce n'est que grâce à la construction des barrages-réservoirs
que la culture des agrumes a pu y prendre un essor remarquable, ,,'t faire
la richesse du pays. Au contraire les Hautes Plaines constantinoises et
le Sersou - pays essentiellement céréalicoles et ayant eux
aussi une pluviométrie voisine (le 400 m/m - peuvent enregistrer
de mauvaises récoltes occasionnées par un déficit
pluviométrique ou par une mauvaise répartition des pluies
sur le cycle végétatif.
---------Enfin
la pluie augmente, comme il est normal, avec l'altitude, et est plus élevée
sur les versants Nord exposés aux vents humides ; les massifs montagneux
projettent leur " ombre pluviale
" sur les régions placées sous leur vent. On a, à
ce sujet, quelques exemples typiques en Algérie ; le plus caractéristique
est la rapide décroissance de la pluie, lorsqu'on franchit le Djurdjura
du Nord au Sud : de 1.100 m/m à Michelet elle passe à 570
m/m à Maillot et à 400 m/m à El-Esnam, décroissance
beaucoup plus forte que celle qui serait due à la différence
d'altitude ; l'aridité de la région des
Portes de Fer témoigne de cette rareté des pluies. On observe
une décroissance analogue de la pluie entre Miliana (950 m/m) et
Affreville (475 m/m).
---------Mais
" les années se suivent et ne se
ressemblent pas ". A Alger où la hauteur de pluie
est en moyenne de 762 m/m (supérieure à celle de Paris,
et avec des pluies s'échelonnant en gros sur 8 mois), les années
minima et maxima ont été de 508 et de 1.134 m/m, c'est-à-dire
dans un rapport de 1 à 2,24 ; au Cap Falcon près d'Oran
(moyenne 322 m/m), les chiffres correspondants sont 181 et 579, rapport
1 à 3,19 ; à Touggourt (moyenne 58 m/m ), 14 et 126 m/m,
rapport 1à 9. L'irrégularité des pluies, définie
par le rapport des tranches annuelles extrêmes, croît donc
avec le degré d'aridité d'une région. A mesure que
s'étendront les périmètres d'irrigation, les agriculteurs
pourront de mieux
en mieux se défendre contre les méfaits de la sécheresse.
Cependant ces périmètres ne sauraient recouvrir la totalité
du pays, ni intéresser toutes les cultures, et l'on ne peut que
souhaiter que les expériences, actuellement poursuivies, de production
artificielle de la pluie donnent des résultats encourageants, et
que ces méthodes puissent dans un proche avenir entrer dans la
pratique.
---------La
répercussion des précipitations atmosphériques sur
les récoltes est montrée dans le graphique ci-joint qui
met en parallèle le rendement moyen des blés et orges de
1939 à 1949, et les conditions météorologiques :
température et pluie, comparées aux normales correspondantes.
Les températures supérieures à la normale et les
pluies déficitaires sont pointées toutes deux dans le même
sens (vers le bas), pour montrer la, corrélation fréquente
entre ces deux éléments. Les rendements ont été
calculés d'après les données du Gouvernement Général
de l'Algérie (Service de la Statistique Générale
et Direction de l'Agriculture) : en 1949 le rendement moyen, non pointé
sur le graphique, a été de 5,8 quintaux par hectare.
---------Ainsi
qu'on le voit, la corrélation entre pluviosité et rendement
est étroite, les années pluvieuses donnant les récoltes
les plus abondantes. Seule la campagne 1940-1941 a donné des rendements
notablement supérieurs à ceux qu'on pouvait attendre des
totaux pluviométriques, ceci grâce à une répartition
extrêmement favorable des pluies sur la période végétative
: abondantes pluies d'automne et de printemps, séparées
par un hiver sec.
---------Nous
indiquerons pour terminer comme particularité du climat algérien
la fréquence des chutes de pluie intenses, pouvant occasionner
d'importants dégâts ; ceux-ci sont généralement
d'autant plus graves que le pays est moins boisé, que par conséquent
le ruissellement est plus fort. A ce sujet, on ne peut pas ne pas citer
les pluies diluviennes qui se sont abattues en novembre 1927 sur 1'Oranie.
et ont causé la rupture du barrage de l'Oued Fergoug et l'inondation
de Perrégaux et de Mostaganem. Au cours de la nuit du 25 au
26, on a recueilli 144 mm au barrage de l'Oued Fergoug, 132 m/m à
Mascara, etc... ; dans les 4 jours allant du 25 au 28 novembre, ces 2
stations ont totalisé respectivement 330 et 381 m/m, soit les 77
et 75 % de leurs tranches annuelles moyennes.
---------On
a sans doute d'autres exemples de chutes de pluies aussi abondantes sinon
davantage : Bessombourg dans le massif de Collo, plus de 428 m/m en 3
jours ; Miliana, 422 m/m en 4 jours ; massif du Djendjen, 358 m/m en 3
jours : les dégâts ont cependant été beaucoup
moins importants, pour des raisons diverses tenant tant aux pluies elles-mêmes
qu'à la configuration des bassins versants, niais aussi parce que
ces dernières régions sont couvertes de forêts. Les
efforts poursuivis par le Service de la Défense et de la Restauration
des sols montrent suffisamment l'importance que les Pouvoirs Publics attachent
au reboisement de l'Algérie, seul moyen d'atténuer sinon
d'éviter des catastrophes comme celle que nous venons de rappeler.
P. SELTZER.
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