HISTOIRE de la VILLE
ANTIQUE
LES ORIGINES.
----------Hippone est assurément la
ville de l'Afrique du Nord qui peut revendiquer la plus lointaine origine.
On s'accorde généralement pour faire remonter au XII' siècle
avant notre ère sa fondation par les Phéniciens quand même
on n'en attribue pas le mérite aux Egéo-Crétois,
ces " peuples de la mer " qui, dès le 3' millénaire,
entretinrent incontestablement des relations avec les Libyens autochtones.
L'importance des vestiges préhistoriques subsistant dans la région
suffirait d'ailleurs à attester la densité remarquable d'un
peuplement primitif que viendra confirmer par la suite le nombre inusité
des inscriptions libiques retrouvées autour d'Hippone.
----------Il ne pouvait guère en être
autrement, si l'on tient compte des avantages qu'offrait, au long d'un
littoral assez pauvre en refuges naturels - " mare importuosum
", disait Salluste - la courbe harmonieuse d'un golfe largement ouvert
entre le Cap de Garde et le Cap
Rose, mais si bien protégé des vents d'Ouest et du
Nord-ouest qu'il passe encore pour l'un des mouillages les plus sûrs
d'Algérie, si l'on tient compte en outre des ressources qu'on pouvait
déjà tirer d'une plaine étonnamment fertile, bien
irriguée par des cours d'eau que l'été ne parvient
pas à tarir et d'un arrière-pays de collines mesurées
et' de forêts profondes abritant une faune infiniment variée,
recelant en outre des richesses minérales considérables.
De tout temps, cette région privilégiée " la
plus verte, la plus fleurie, la plus pastorale de l'Algérie
", a pu écrire Loti, a fait l'admiration de tous ceux qui
l'on visitée et les vieux écrivains arabes eux-mêmes,
qui ne l'ont connue qu'après les pires dévastations, ElBekri.
Ibn-Haucal, Léon l'Africain, ont été unanimes à
en exalter les mérites.
----------On ne peut s'étonner que,
dans ces conditions, les premiers navigateurs assez hardis pour s'aventurer
loin de leurs bases, aient trouvé matière à y commercer
fructueusement avec les indigènes et à y établir
un premier comptoir maritime, bien avant la fondation de Carthage et peut-être
même, avant les temps historiques, à l'époque lointaine
où les deux collines qui encadraient Hippone étaient encore
insulaires. La Boudjimah, qui contourne la plus haute de ces collines,
offrait alors un estuaire qui s'enfonçait profondément dans
les terres et dont l'embouchure " gâtée
ensuite par la grande quantité de lest que les vaisseaux y ont
jeté ", écrivait le D' Shaw au XVIII' siècle,
n'en a pas moins constitué le port initial de Bône, comme
il avait dû former celui d'Hippone.
----------En dépit des flots d'encre
qu'il a fait couler, le nom même de la ville perpétué
jusqu'à nous dans le nom moderne de BONE, et dont l'explication
hellénique n'est qu'un absurde calembour, n'apporte étymologiquement,
aucune indication certaine sur la véritable origine. Ses interprétations
ont été innombrables mais la plus simple paraît bien
être encore celle que nous apporte le mot phénicien Ubbôn,
qui signifie Golfe, Abri. C'est également celle qui paraît
donner une signification rationnelle à Hippo Diarrytos, l'actuelle
Bizerte, son homonyme et peut-être sa contemporaine.
HIPPONE A L'ÉPOQUE PUNIQUE.
----------En dépit
de quelques vestiges énigmatiques, l'obscurité la plus complète
règne encore sur les premiers siècles d'existence de la
cité. Pour la situer historiquement, il faut attendre l'époque
où, sans eu subir entièrement l'hégémonie,
elle allie plus ou moins sa fortune à celle de la Carthage punique.
Elle paraît bien avoir été la ville dont Eumachus,
un général d'Agathocle, le Syracusain, s'empara à
la fin du IVè siècle avant notre ère. On a prétendu
d'autre part que Gaïa, roi des Massyles, le père de Aasinissa,
qui, dès la première guerre punique, s'était dressé
contre Carthage, en avait fait sa capitale, et que ce serait dès
cette époque qu'elle aurait reçu cette épithète
prestigieuse de Royale - Hippo Régius - sous laquelle elle allait
être désignée par la suite, mais nous n'en avons aucun
témoignage décisif.
----------Tout au plus savons-nous que placée
tour à tour entre les mains de l'alliée de Carthage, Syphax,
roi des Masaesyles, puis entre celles de l'allié des Romains. Masinissa,
époux successifs de la belle et malheureuse Sophonisbe, elle eut
à subir le contrecoup des guerres puniques, avec, en 20ç
avant notre ère, le pillage en règle que lui infligea par
surprise le Romain Gaius Laelius, qui en remporta force butin avant que
Masinissa ait pu s'y opposer.
----------La défaite et la destruction
définitive de Carthage, en 146 avant notre ère, ne (levait
pas abolir pour autant l'influence punique que des siècles de relations
commerciales avaient malgré tout implantée à Hippone
; la riche cité d'Annibal, en dépit (le son mercantilisme,
était en outre détentrice d'une culture dont les rois de
Numidie. Hiempsal en particulier, n'avaient pas manqué de subir
le prestige et qu'ils maintinrent ensuite dans leur royaume.
LE ROYAUME BERBÈRE INDÉPENDANT.
----------Pendant
tout un siècle, après la chute de Carthage, Hippone va demeurer
sous le sceptre des rois (le Numidie, à la différence d'Hippo
Diarrytos, englobée tout aussitôt dans la nouvelle province
romaine. Si l'on accorde quelque créance au témoignage de
Silius Italicus, elle devait même être alors une des résidences
préférées de ces vieux souverains berbères,
dont les monnaies, timbrées (lu cheval galopant, se retrouvent
encore assez fréquemment dans son sol.
----------La lutte impitoyable engagée
par Rome contre Jugurtha, coupable du meurtre de ses neveux, les deux
fils du roi Micipsa, qui se termina en 104 avant notre ère, par
sa défaite et sa capture, ne semblent même pas l'avoir atteinte
non plus qu'avoir diminué son essor. D'ores et déjà,
elle était appelée logiquement à prospérer,
dans le cadre (lu royaume autochtone indépendant, si les possesseurs
de ce royaume, impuissants à conserver une prudente neutralité,
ne s'étaient laisséentraîner dans les funestes guerres
civiles qui sonnèrent le glas (le la République romaine.
César, vainqueur (le Pompée à Thapsus, en 46 avant
notre ère, mit la main sur le royaume de Juba tel, qui s'était
déclaré en faveur de son adversaire. Tuba 1er ne voulut
pas survivre à sa défaite. à l'exemple du Chef du
parti pompéien, i Impérator bletellus Scipio, qui, face
à ses assaillants, se poignarda et se précipita volontairement
dans les flots, en pleine rade d'Hippone.. L'annexion pure et simple qui
s'en suivit, la transformation (lu royaume humide en une province nouvelle,
-l'Africa Nova, avec Salluste comme premier Gouverneur, allait
faire désormais d'Hippone une ville romaine.
HIPPONE ROMAINE.
----------Mais Hippone était une ville
qui avait déjà un long passé, une population homogène
et policée, une physionomie originale. Par là même
elle se distinguera toujours des cités à la naissance desquelles
ont présidé rituellement les augures romains, ou des colonies
militaires, telles que Timgad. Lambèse, Djemila, fondées
ensuite par les Empereurs pour (les besoins stratégiques. Elle
n'avait pas été non plus livrée, comme Cirta, à
la soldatesque de Sittius. Jamais elle ne sera peuplée de vétérans
; elle ne recevra même pas de garnison, tout au plus des forces
(le police, puisqu'elle fait partie de la Proconsulaire, riche province
entièrement pacifiée, gouvernée par le Proconsul
qu'y délègue le Sénat, et dont un des trois légats
réside dans ses murs. Les cadres seuls (le la haute administration
sont, comme lui, venus de Rome : c'est sur place, parmi les gens du pays,
que sont recrutés leurs collaborateurs. La romanisation de ces
autochtones se fera d'enthousiasme sans aucune espèce de contrainte,
comme, peu à peu, celle de tous les habitants du nouveau "
municipe " ; par une simple fiction juridique, mais qui ne
leur en permettra pas moins de se proclamer fièrement " cives
romani ", et de jouir de tous les privilèges des Romains
authentiques, leur ville ne tardera d'ailleurs pas, dès les Antonins,
à être promue à la dignité de " colonie
". C'est un honneur auquel aspiraient dès lors tous les Africains.
----------Un tel loyalisme, qui n'altère
en rien le caractère intime de la race, se conçoit aisément
quand on constate à quel point la " paix romaine ",
ses méthodes, son labeur raisonné ont aidé à
la mise en valeur complète (le la région et lui ont assuré,
dans le calme et la sécurité, un magnifique essor économique.
Or, Hippone en était le débouché naturel ; le procurateur
impérial administrant les circonscriptions d'Hippone et de Theveste
y résidait ; elle participait au ravitaillement de la Ville Eternelle,
avec ses greniers publics, les " horrea sacra ", et elle
n'exportait pas seulement des céréales, mais de l'huile,
du vin, (les raisins, des fruits de toute espèce, des bois précieux,
des marbres, de l'ivoire, des bufs, des moutons, des bêtes
fauves pour les jeux du cirque ; elle était un des centres d'élevage
de ces merveilleux chevaux numides, les purs-sang de l'époque,
qui allaient triompher sur tous les hippodromes. Toute la campagne environnante
était couverte de propriétés agricoles dont l'importance,
le nombre, l'opulence devaient dépasser celles des domaines qui
font actuellement l'orgueil de la plaine de Bône.
----------Et si la commune, dont tous les
habitants étaient inscrits dans la tribu Quirina, s'étendait
à 32 km. à l'Ouest et à plus de 5o km. à l'Est,
la ville elle-même, couvrant plus de 6o ha., sans compter les faubourgs,
desservie par huit grands-routes qui la reliaient à Carthage, à
Cirta, à Thagaste, à Rusicade, s'embellissait en proportion
et se couvrait de monuments somptueux, dès le 1er siècle.
On verra plus loin les vestiges importants qu'on commence à y retrouver.
Elle n'abritait pas seulement dans ses murs un conseil des décurions,
des édiles, des duumvirs, un pontife, des flammes perpétuels
; on y comptait également une élite intellectuelle, une
élite artistique, dont le goût raffiné a laissé
maintes traces ; on y trouvait des philosophes, dont l'un s'appelait Fronton,
comme le précepteur de Marc-Aurèle.
L'HIPPONE CHRÉTIENNE.
----------Mais c'est le christianisme qui
devait, malgré tout, lui assurer la renommée universelle
à laquelle Hippone a dû de survivre à sa totale destruction
dans la mémoire des hommes. Elle semblait avoir atteint à
son apogée sous le règne des Sévère, les Empereurs
Africains et, de fait, en cette Afrique latine que la crise économique
et les troubles de la fin du III' siècle allaient précipiter
vers le déclin, sa décadence matérielle était
inéluctable.
----------Mais c'est en ces heures de plus
en plus tragiques, après les persécutions, après
le martyre de son premier évêque Saint Théogènes,
en 259, avec trente-cinq autres chrétiens, puis ceux de ses successeurs
à l'épiscopat, Léontius, en 303, Fidentius,
le premier des " Vingt Martyrs " en 304, après
le, exactions des donatistes et des " circoncellions ",
qu'allait s'allumer et resplendir la flamme inextinguible qui fit d'Hippone,
sous l'épiscopat de son génial enfant Saint Augustin, le
foyer de la chrétienté battue en brèche à
Rome même, le haut-lieu d'où partirent pendant quarante ans
les leçons définitives qui ont à jamais marqué
la pensée occidentale, le rempart suprême, enfin. de la civilisation
gréco-romaine contre la barbarie.
L'HIPPONE VANDALE.
----------En effet ce sont les murs d'Hippone
qui seuls continrent pendant quatorze mois les hordes envahisseuses des
Vandales venus d'Espagne et débarqués en Oranie en 429.
Si Saint Augustin mourut pendant le siège, le 28 avril 430, la
ville ne fut en définitive occupée, sans avoir été
prise d'assaut, que par une sorte d'armistice. Cet armistice ne la préserva
évidemment pas des déprédations et des pillages inévitables,
mais il ne lui en permit pas moins de jouer à nouveau le rôle
de capitale et d'abriter la cour de Gensérie jusqu'en 439, époque
où le roi vandale s'empara traîtreusement de Carthage. C'est
à Hippone que Gensérie avait conclu, en 435, le traité
de paix qui le faisait, du moins théoriquement. le vassal de l'Empire,
et c'est sans doute à Hippone, cité de luxe et de plaisir,
que les Barbares commencèrent à perdre leur rudesse et leur
valeur combative, en y menant, aux Thermes, au Théâtre, au
Cirque, et clans les somptueuses villas, l'existence efféminée
que nous a dépeinte Procope.
----------On sait combien ces nouvelles "
délices de Capoue " furent fatales aux envahisseurs, combien
ils turent impuissants, en dépit de quelques sursauts, et malgré
leurs répressions incohérentes, leurs persécutions
maladroites, ou peut-être à cause d'elles, à endiguer
les révoltes des populations africaines. Ils n'ont pas seulement
contribué à délatiniser et déchristianiser
une population encore superficiellement assimilée et dont la civilisation
romaine n'avait pas eu le temps d'atténuer le particularisme foncier.
Ils sont responsables du réveil de l'anarchie berbère, dont
les excès achevèrent de désoler un pays auquel tous
les efforts des Byzantins ne devaient plus parvenir à rendre l'ancienne
prospérité.
L'HIPPONE BYZANTINE.
----------Il
n'en reste pas moins que le débarquement en Afrique de l'armée
byzantine de Bélisaire en 430, sa victoire foudroyante à
Tricamarum, puis la reddition du dernier roi vandale, Gelimer, qui avait
vainement tenté de faire passer d'Hippone en Espagne le navire
où, dès les premiers revers, il avait amassé le fruit
de ses rapines, délivra le pays d'une emprise germanique dont l'effondrement
immédiat et la totale disparition ont prouvé la précarité.
Mais il était trop tard pour replacer l'Afrique latine clans le
cours normal de son destin.
----------Hippone a bien pu connaître,
pendant deux siècles encore, une apparence de prospérité
; elle a pu faire encore, jusqu'à la fin du VIIe siècle,
figure de place forte, avec ses remparts respectés, la citadelle
avancée de Fossola, qui complétait à l'Est son système
défensif, et la forteresse qui devait alors couronner la plus haute
de ses collines. Elle a pu servir de refuge aux Berbères, après
la prise de Carthage par Hassan en 698, avoir même conservé,
après les grandes invasions arabes, un semblant d'existence, à
côté de Bône-la-Neuve, au XIe siècle, ainsi
que l'affirme El-Bekri. Mais il ne subsistait plus rien en elle de ce
qui fait l'âme d'une cité. " Victime
des coups du sort... ", a pu écrire Abou-Mohammed
El Abderi, ses plaines qui s'épanouissent
au soleil dans une heureuse fertilité ont été repliées
par la main impitoyable des catastrophes... On se sent le cur serré
en contemplant l'aspect lugubre que le destin 'a répandu sur la
ville ". Et le déplacement du lit de la Seybouse,
en inondant ses ruines et en contraignant ses derniers occupants de fortune
à l'évacuer entièrement, ne fit qu'ensevelir un cadavre,
en qui le dernier souffle de l'Esprit antique avait depuis longtemps expiré.
II. - Les RUINES
----------Les ruines d'Hippone
avaient connu jusqu'à nos jours une double infortune. On avait
été Jusqu'à nier qu'il pût en subsister le
moindre vestige, sur la foi de Possidius, qui affirmait la mise à
feu, sinon à sang, de la ville par les Vandales, sur la foi .de
Léon l'Africain qui prétendait qu'Othman, troisième
Khalife après Mahomet, l'avait complètement rasée
vers 650 pour bâtir la ville nouvelle de Bône avec ses débris.
Aussi la Commission chargée en 1837 d'explorer les sites historiques
de l'Afrique du Nord, ne retrouvant plus, à l'emplacement d'Hippone,
qu'une sylve sauvage et totalement déserte, ne vit-elle aucun inconvénient
à en laisser aliéner les terrains au profit de petites propriétés
maraîchères, sur lesquelles l'extension industrielle de la
ville de Bône ne tarda pas ' à exercer une main-mise encore
plus redoutable, puisqu'elle risquait d'anéantir, et. en tous cas,
de soustraire définitivement à toute possibilité
d'investigations ultérieures un sous-sol aussi précieux
qu'un reliquaire et dont, seuls, quelques hasards, puis de timides sondages,
entravés et limités par de multiples servitudes, mirent
en évidence la richesse archéologique. Le programme d'expropriation
puis d'achats successifs de terrains, entamé dès 1925 et
poursuivi opiniâtrement par la Direction (les Antiquités
(le l'Algérie, vient seulement d'aboutir à sa complète
réalisation, et si 25 ha. acquis par l'État sont désormais
sauvegardés et vont pouvoir faire l'objet de fouilles méthodiques.
celles-ci sont à peine ébauchées encore et la plus
grande partie de la cité antique reste à peu près
entièrement à découvrir.
Emplacement de la Ville Antique.
----------Des deux rivières dont les
embouchures encadrent les ruines, l'une, la Seybouse (l'Ubus flumen
de la table de Peutinger) se jetait autrefois à la mer à
plusde 8 km. à l'Est : quant à la Boudjimah, encore
enjambée par un pont romain en dos d'âne long de 98 m, elle
débouchait ainsi qu'il a été dit, dans ce qui est
actuellement la petite darse du port moderne de Bône, après
avoir constitué vraisemblablement l'entrée même de
l'ancien port.
La Colline dite de Saint-Augustin.
----------Haute de 55 m. surplombant cette
rivière qui la contournait à l'Ouest, elle dominait la ville.
Le nombre considérable de stèles saturnines qui ont été
retrouvées sur ses pentes, certains tombeaux puniques, creusés
dans le roc, quantité de tombes moins anciennes permettent de supposer
qu'elle était initialement couronnée par un temple dédié
à Baal-Saturne et qu'elle dût demeurer de tout temps un haut
lieu religieusement consacré, où la construction de la basilique
actuelle, tout en détruisant malheureusement les massives fondations
byzantines qui s'y voyaient encore. n'en a somme toute pas trahi la séculaire
affectation.
----------C'est à mi-hauteur, au flanc
N.-E. de cette colline, qu'un aqueduc. dont on retrouve plusieurs arcades,
amenait les eaux de l'Edough, la montagne voisine, dans les vastes citernes
d'Hadrien, restaurées en 1893, d'une contenance de 12.000 m3. et
qui furent pendant bien longtemps les seuls vestiges apparents de l'ancienne
ville.
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-Le
Théâtre.
----------Au pied du versant oriental du
même mamelon, on a découvert récemment un Théâtre
du ter siècle, dont le style hellénistique rappelle celui
du Théâtre de Dionysos à Athènes. Un chemin
rural, dont le déclassement est envisagé, recouvre encore
malheureusement une partie de la scène, mais la courbe parfaite
de l'hémicycle creusé à flanc de colline, le galbe
inusuel des cinq premières rangées (le gradins, évidés
à la base, qui subsistent avec les six escaliers qui les desservaient,
l'ampleur de l'orchestra et l'ingénieux agencement du proscenium,
avec son alternance de bas-reliefs saillants et rentrants, à élégante
ornementation géométrique, ainsi que sa décoration
centrale, dont restent une Ménade en proie au délire bachique
et un Apollon porte-lyre, composent un ensemble infiniment harmonieux
auquel une abside latérale dallée (le marbre et ornée
de bases de statues vient encore apporter de l'ampleur.
Le Forum.
----------Un peu plus à l'Est, de
l'autre côté du même chemin rural, la mise au jour
du Forum d'Hippone est presque entièrement achevée. On peut
d'ores et déjà le considérer comme le plus vaste
et le plus ancien de l'Afrique du Nord, avec ses 76 m. de longueur, ses
43 m. de largeur, la monumentale inscription dédicatoire qui traverse
l'aréa et qui porte le nom de C. PACCIUS AFRICANUS, Patron du Municipe
et Proconsul, ignoré jusqu'ici en cette qualité, mais dont
nous savons par Tacite qu'il était Sénateur au temps de
Néron, et, enfin, par une inscription toute récente de Leptis
Magna, qu'il était Proconsul d'Afrique en 78, sous Vespasien. L'ancienneté
de ce Forum s'est d'ailleurs encore trouvée confirmée par
la découverte d'une base de statue dédiée à
l'Empereur Claude et datant du second semestre 42, d'une tête (le
marbre de Vespasien dont aucune autre effigie de l'Empereur n'égale
l'étonnante facture et le puissant réalisme, et, plus encore,
de celle d'un trophée (le bronze, haut de 2 m. 50, retenu comme
une pièce unique, qui paraît avoir commémoré
la victoire de César sur Juba 1er. l'allié (lu parti pompéien,
et l'annexion par Rome de la Numidie.
----------Si le dégagement des abords
de l'aréa n'a encore permis de découvrir aucun des monuments
traditionnels qui (levaient l'encadrer, nous n'en avons pas moins déjà
mis au jour une importante partie de la colonnade (lu péristyle,
avec les temples qui ouvraient sur le long côté Est, (les
fragments de statues monumentales, des bases (le statues dédiées
à Septime-Sévère, à Gordien, à Hadrien,
à un nouveau Proconsul d'Afrique également ignoré
jusqu'ici, M. AURELIUS CONSIUS QUARTUS. dont nous apprenons qu'il avait
été auparavant " corrector Flamini e et Piceni
", corrector Venetie et Istriæ", " consularis
Belgicæ primæ ", puis vicaire des Espagnes, d'autres
bases de statues, enfin, dédiées à (le riches citoyens
d'Hippone, au premier rang desquelles figurent un fils de Sénateur
et un certain CELER qui était peut-être le fils d'un Proconsul
d'Afrique du même nom. et dont l'uvre et la famille reçoivent,
en hexamètre, formant acrostiche, des louanges hyperboliques.
----------Sur trois au moins des côtés
du Forum, on retrouve les larges voies, robustement dallées et
dotées d'un égout médian encore intact, qui les desservait
; le quatrième côté reste à dégager.
Le grand Cardo, le grand Decumanus, bordés l'un et l'autre d'arcades,
se rencontraient à l'entrée Est du péristyle et formaient,
après l'angle Nord, une sorte de carrefour qu'ornait une fontaine
monumentale en hémicycle. Au centre de l'aréa du Forum,
on peut voir (le massifs piédestaux et la base d'un petit monument
à colonnes auquel on accédait par des degrés.
----------En suivant le grand Decumanus,
qui semble se diriger vers la colline du Gharf-el-Artran, on retrouve
l'amorce à angles droits des rues secondaires, parallèles
au grand Cardo, qui, à intervalles réguliers, aboutissaient
au Decumanus en venant (lu Sud. Sur cette dernière voie, maintenant
dégagée ,sur une centaine (le mètres, a été
découvert un fort beau masque (le Gorgone en marbre, haut de un
mètre, dont la bouche largement ouverte donnait passage aux eaux
d'une fontaine publique.
Quartier de l'Emporium.
----------Rien ne s'oppose à ce que
soit poursuivi désormais, dans la limite des crédits accordés
à notre chantier, le dégagement de cette artère essentielle,
dont il est probable que c'est un autre tronçon qui, à 200
m. environ plus à l'Est, a été découvert en
flanc de la seconde colline, celle du Gharfel-Artran, qui, haute de 34
m.. dominait le quartier du front de mer.
----------Après avoir contourné
un ensemble d'édifices chrétiens, dont nous parlerons plus
loin, cette voie s'infléchit vers le Nord dans la direction des
Grands Thermes parallèlement à une muraille massive descendant
jusqu'à plus de 6 m. de profondeur, au niveau (lu sable marin,
et à laquelle son apparence cyclopéenne a fait longtemps
assigner la plus vertigineuse antiquité. En fait, elle vient se
raccorder à un autre construction de grand appareil, moins archaïque
d'aspect, et décorée d'un triple phallus, qui, en dessous
des villas romaine; auxquelles elle a servi postérieurement d'assise,
aboutit à un ensemble monumental, en énormes pierres de
taille à bossage, habilement imbriquées. sans le moindre
mortier, et dont le compartimentage rectangulaire intérieur, la
descente en plan incliné qui le flanque à l'Est, l'adossement
aux flancs rocheux (le la colline nous révèlent sans doute
les imposants soubassements des entrepôts primitifs. Les coussinets
trapéziques à ornements lotiformes retrouvés à
la base paraissent d'ailleurs bien être (le style punique.
Les villas.
----------Les entrepôts, première
fondation des " horrea sacra " (le l'époque impériale,
avaient évidemment été édifiés aux
abords immédiats de l'ancien littoral, que les oscillations (lu
niveau de la Méditerranée ont dît quelque peu modifier
au cours des siècles. Par la suite, à des niveaux plus élevés,
de somptueuses villas ont envahi tout ce secteur, au point (le se superposer
jusqu'à marquer six époque. allant du 1er au V" siècle.
En dépit de leur enchevêtrement et (les remaniements dont
elles ont été l'objet, le plan de ces villas, construites
évidemment dans un quartier particulièrement recherché,
apparaît encore assez distinctement.
----------Les mosaïques qui les ornaient
comptent parmi les plus belles qu'on ait retrouvées en Afrique
du Nord, tant en raison (le la richesse exceptionnelle (le leur polychromie,
où toutes les gammes de vert, notamment, sont représentées,
qu'en raison de leur exécution.
----------Au premier rang des mosaïques
simplement ornementales. il convient de citer celle que timbre l'inscription
" Isgunte nica " et, parmi les mosaïques à
personnages, celle de " La pêche dans le port d'Hippone
" et celle de l'Amphitrite encadrée d'une frise de dauphins
et coquillages, avec, à chaque angle, une saisissante tête
d'Océanus. Toutes trois appartenaient à une villa du II"
siècle qui, plus tard. a été recouverte par une nouvelle
villa, dont le tablinum s'ornait de la fameuse mosaïque de la Chasse
et le triclinium (le la mosaïque aux médaillons consacrés
à tout ce qui, perdreau, canard, pageot. homard, écrevisses,
asperges, pièces montées, pouvait combler la table des gourmets
de l'époque. ----------A une villa
du III"" siècle appartenait la mosaïque d'Apollon-Melkhart.
avec sa danseuse. sa musicienne. ses masques tragiques et comiques, et
enfin à une villa d'un siècle postérieur, la splendide
mosaïque dite " le Triomphe d'Amphitrite " ou "
les Néreides ".
Les Edifices chrétiens.
----------Il est à remarquer qu'aucune
rue ne paraît avoir desservi ces riches habitations dont les façades
avaient vue sur la mer. La voie dont il a été parlé
plus haut passe à une trentaine de mètres à l'Ouest,
à un niveau un peu supérieur, avec un court embranchement
aboutissant à une construction adossée à la colline,
peut être une nouvelle fontaine ornementale. Les édifices
que l'artère principale longe ensuite et qui font l'objet des fouilles
actuellement en cours occupent, à gauche de celle-ci. un espace
déjà considérable.
----------Or ce sont, en dehors de quelques
épitaphes et quelques fragments d'arceaux trouvés aux usines
Borgeaud, au Sud du Gharf-el-Artran, les seuls vestiges indubitablement
chrétiens découverts jusqu'à présent à
Hippone, et cela ne peut manquer de surprendre quand on songe à
l'importance qu'eut la ville épiscopale de Saint-Augustin, aux
cinq basiliques ou chapelles qu'elle comptait alors, sans compter la Basilique
donatiste, aux monastères d'hommes et de femmes qu'y fonda le grand
Docteur, aux importants conciles qui y furent tenus, dont celui d'octobre
393 qui put réunir jusqu'à 320 évêques dans
la Basilique de la Paix. Tout en ce domaine reste par conséquent
à découvrir.
----------En tous cas, s'il n'a pas encore
été possible d'identifier le sanctuaire en cours de dégagement,
nous pouvons du moins affirmer que nous nous trouvons en présence
d'un important édifice chrétien, étant donné
ses dimensions : nef longue de 42 m à triple travée, prolongée
par l'abside du presbytérium, profonde de 7 m et flanquée
de ses deux sacristies. Bâtiments annexes, sur le côté
droit, comprenant un baptistère. un consignatorium à abside,
de petits thermes, un atrium dallé de marbre et pourvu d'un lavacrum
à margelle de marbre archi-usée, encadré d'un quadruple
portique à pavement de mosaïques dont les toits étaient
soutenus par huit colonnes.
----------Tout le sol était pavé
de riches mosaïques d'époques différentes, plus ou
moins détériorées par les innombrables tombeaux de
basse époque qui, sans souci du moindre alignement, ont été
creusés au hasard des travées, tombeaux des misérables
et derniers fidèles qui ont dû tenir à être
inhumés "ad sanctos " ; on retrouve néanmoins
d'importants vestiges de curieuses mosaïques tombales antérieures,
timbrées de la croix monogrammatique, portant la formule rituelle
" ... fidelis requiescit in pace.Amen ", enrichies d'ingénieux
encadrements, où l'on retrouve toutes les formes (le la croix et
aussi les oiseaux symboliques : paons, canards, colombes, etc... Une des
mosaïques tombales nous donne même le nom d'une s Presbiterissa
". nouveauté en matière d'épigraphie. Et l'on
est amené à se demander si. sous le règne (le Genseric,
dont on sait qu'à la prise de Carthage i1 transféra au culte
arien toutes les basiliques de cette ville, le même sort n'a pas
été réservé à notre sanctuaire. d'autant
qu'on y a trouvé en plus (le tombes grossières à
l'aspect nettement dolménique, la sépulture plus soignée
d'une Suève, Ermengon, épouse d'Ingomar. ayant pris la place
d'une sépulture à mosaïques antérieure. Mais
une dalle byzantine à croix monogrammatique. portant le nom d'une
" Margarita fidelis " découverte en dernier lieu près
de l'abside, suffit à attester le retour ultérieur au culte
catholique de cette église. Il faut en attendre la mise au jour
complète pour se faire une opinion définitive.
----------Il est probable qu'une partie de
ces constructions n'avait pas à l'origine une affectation religieuse
et que, villas païennes en premier lieu, elles ont été
l'objet d'un legs comme ceux dont Saint Augustin a fait fréquemment
mention. En effet, entre l'atrium à aspect claustral et la nef
du sanctuaire principal, se trouvent quelques salles mosaïquées
dont l'une a pour décor le sujet des neuf Muses, d'ailleurs beaucoup
plus richement traité que la mosaïque analogue, provenant
d'une villa de 'Physdrus, , qu'on peut voir au Musée du Bardo,
à Tunis. Nous retrouvons également ici, comme à Thysdrus,
une salle dont le pavement de mosaïque représente, mais avec
infiniment plus de fantaisie et d'élégance, le sujet classique
des "Amours et des Vendanges" pouvait à la rigueur
ne pas paraître déplacé dans un sanctuaire chrétien,
puisque ce thème continua à être exploité aux
premiers temps de l'Église, qui transforma, sans trop choquer,
ces jeunes Amours ailés. et insexues en Anges. Il y de nombreux
exemples en Italie de cette adaptation à l'art Chrétien
des motifs chers à l'art pompéien.
Les Grands Thermes.
----------On
espère pouvoir relier avant peu ce secteur de fouilles et celui
qui, plus au nord, à l'extrême pointe des terrains acquis
par l'État, permet la mise au jour progressive des Grands Thermes
publics de la ville.
----------Nous savons par une inscription
monumentale que cet important établissement balnéaire fut
édifié aux frais (le la cité et dédié
à Septime-Sévère. sous le règne de Caracalla.
Sur l'imposant massif de briques et (le maçonnerie qui, à
plus de 8 m de hauteur, surplombe l'ensemble des ruines et dont la haute
paroi occidentale s'incurve pour donner passage à la cheminée
centrale des foyers, on distingue encore parfaitement les points de départ
des voûtes qui, à l'Est et au Sud, couvraient les salles
chauffées. Tout autour gisent, en blocs énormes. des quartiers
de ces voûtes écroulées. sous la chute desquels avait
été ensevelie la totalité de l'édifice. Il
a fallu leur laborieux enlèvement pour faire reparaître le
grand caldarium, avec son laconicum en hémicycle, son labrum, ses
deux étuves latérales, ses salles annexes pareillement chauffées,
aux doubles parois garnies (le bouches verticales (le chaleur, au pavé
(le marbre porté par (les piliers d'hypocauste souvent intacts
; le tout est encadré par un couloir -de service à la voûte
en quart (le cercle, descendant aux salles souterraines voûtées
en arête qui ont résisté au formidable effondrement
des étages supérieurs ; se prolongeant sous tout l'édifice,
elles paraissent bien avoir été. (lu moins f l'origine,
les chambres d'arrivée des eaux.
----------Au niveau (les salles chauffées,
on retrouve. après les salles (le transition, le grand frigidarium,
dont une partie seulement a pu être jusqu'ici dégagée
(les blocs de maçonnerie qui l'encombrent et dont quelques-uns
ont conservé les traces des mosaïques à éclatantes
polychromies qui devaient décorer les voûtes. Cette salle,
de dimensions imposantes, formait un vaste rectangle flanqué (le
piscines froides en demi-cercle, et prolongé du côté
des salles chauffées par un hémicycle. Au long des parois
(le marbre safrané se dressaient des statues monumentales dont
quatre ont déjà été retrouvées : un
Esculape médiocre, mais, par contre, une statue de Minerve, signée
et une statue d'Hercule rappelant le type de l'Hercule Farnèse,
qui peuvent compter parmi les plus beaux spécimens de la statuaire
antique retrouvés en Algérie. Ce ne sont certainement pas
des uvres africaines et encore moins la statue tout récemment
découverte, une Aphrodite légèrement voilée,
du type dit de Mélos, taillée clans le Paros le plus pur
et le plus translucide, (lui suffirait à elle-seule à attester
le goût raffiné (les citoyens d'Hippone. Cinq autres bases,
d'ordre toscan, devaient porter des statues plus petites, offertes en
exécution du testament de L. Asellius Honoratus, de la tribu Quirina.
Il y en avait d'autres encore, une à un philosophe stoïcien,
d'Hippone, Domitius Fronton, une à un Patron de la Colonie. L.
Barburius Juvenis, fils d'un Sénateur, et la liste est sans doute
loin d'en être close.
----------L'acquisition par l'Etat des terrains
où se trouvaient ces thermes est encore toute récente et
le, fouilles qui y ont été entreprises sont encore loin
d'être achevées. C'est ainsi qu'on commence à peine
à dégager l'esplanade dallée de marbre et ornée
de colonnes cannelées qui devait former, après l'entrée
latérale des salles froides, une sorte de promenoir régnant
autour de l'ensemble de l'édifice. Tel quel il apparaît déjà,
néanmoins, comme un des établissements balnéaires
les mieux conservés et les plus complets que nous aient révélés
les villes antiques d'Afrique du Nord.
Le futur Musée.
----------Les ruines qui couvraient la colline
du Gharf-el-Artran ont été sacrifiées, il y a plus
d'un siècle, par le génie militaire, qui a eu la malencontreuse
idée d'y construire un pénitencier. Du moins les solides
bâtiments qui en subsistent vont-ils y permettre l'aménagement
d'un Musée, qui aura l'avantage de dominer les ruines et d'offrir
aux visiteurs un panorama sur la campagne et sur la mer absolument unique.
----------De riches collections de mosaïques,
de lampes antiques, de monnaies, d'inscriptions pourront v être
présentées. C'est à Hippone qu'on pourra voir une
importante série de stèles lybiques ou lybicoromaines retrouvées
dans les environs, une série plus riche encore de stèles
saturnines, de cippes funéraires païens ou chrétiens,
dont certains portent de curieuses épitaphes, des autels au Dieu
Mercure. le monument funèbre d'un prêtre de Saturne, de riches
sarcophages, dont celui qui représente un combat d'Amazones, etc...
Tout le passé d'une ville qui a duré près de deux
mille ans et qui semblait n'avoir laissé aucune trace sera évoqué
ainsi en un saisissant raccourci, bien fait pour donner matière
à de précieux enseignements, à de nobles et fécondes
méditations.
Erwan MAREC,
Directeur des Fouilles d'Hippone.
Statue
d'hercule
trouvée dans les Grands thermes (fouilles 1925-26)
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