Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : villes d'Algérie
Hippone la Royale
4 pages, plan, photos - n°47 - 30 juin 1950

------Hippone est assurément la ville de l'Afrique du Nord qui peut revendiquer la plus lointaine origine. On s'accorde généralement pour faire remonter au XIIè siècle avant notre ère sa fondation par les Phéniciens quand même on n'en attribue pas le mérite aux Egéo-Crétois, ces " peuples de la mer " qui, dès le 3è millénaire, entretinrent incontestablement des relations avec les Lybiens autochtones. L'importance des vestiges préhistoriques subsistant dans la région suffirait d'ailleurs à attester la densité remarquable d'un peuplement primitif que viendra confirmer par la suite le nombre inusité des inscriptions lybiques retrouvées autour d'Hippone.

mise sur site le 22-02-2005
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HISTOIRE de la VILLE ANTIQUE


LES ORIGINES.
----------Hippone est assurément la ville de l'Afrique du Nord qui peut revendiquer la plus lointaine origine. On s'accorde généralement pour faire remonter au XII' siècle avant notre ère sa fondation par les Phéniciens quand même on n'en attribue pas le mérite aux Egéo-Crétois, ces " peuples de la mer " qui, dès le 3' millénaire, entretinrent incontestablement des relations avec les Libyens autochtones. L'importance des vestiges préhistoriques subsistant dans la région suffirait d'ailleurs à attester la densité remarquable d'un peuplement primitif que viendra confirmer par la suite le nombre inusité des inscriptions libiques retrouvées autour d'Hippone.
----------Il ne pouvait guère en être autrement, si l'on tient compte des avantages qu'offrait, au long d'un littoral assez pauvre en refuges naturels - " mare importuosum ", disait Salluste - la courbe harmonieuse d'un golfe largement ouvert entre le Cap de Garde et le Cap Rose, mais si bien protégé des vents d'Ouest et du Nord-ouest qu'il passe encore pour l'un des mouillages les plus sûrs d'Algérie, si l'on tient compte en outre des ressources qu'on pouvait déjà tirer d'une plaine étonnamment fertile, bien irriguée par des cours d'eau que l'été ne parvient pas à tarir et d'un arrière-pays de collines mesurées et' de forêts profondes abritant une faune infiniment variée, recelant en outre des richesses minérales considérables. De tout temps, cette région privilégiée " la plus verte, la plus fleurie, la plus pastorale de l'Algérie ", a pu écrire Loti, a fait l'admiration de tous ceux qui l'on visitée et les vieux écrivains arabes eux-mêmes, qui ne l'ont connue qu'après les pires dévastations, ElBekri. Ibn-Haucal, Léon l'Africain, ont été unanimes à en exalter les mérites.
----------On ne peut s'étonner que, dans ces conditions, les premiers navigateurs assez hardis pour s'aventurer loin de leurs bases, aient trouvé matière à y commercer fructueusement avec les indigènes et à y établir un premier comptoir maritime, bien avant la fondation de Carthage et peut-être même, avant les temps historiques, à l'époque lointaine où les deux collines qui encadraient Hippone étaient encore insulaires. La Boudjimah, qui contourne la plus haute de ces collines, offrait alors un estuaire qui s'enfonçait profondément dans les terres et dont l'embouchure " gâtée ensuite par la grande quantité de lest que les vaisseaux y ont jeté ", écrivait le D' Shaw au XVIII' siècle, n'en a pas moins constitué le port initial de Bône, comme il avait dû former celui d'Hippone.
----------En dépit des flots d'encre qu'il a fait couler, le nom même de la ville perpétué jusqu'à nous dans le nom moderne de BONE, et dont l'explication hellénique n'est qu'un absurde calembour, n'apporte étymologiquement, aucune indication certaine sur la véritable origine. Ses interprétations ont été innombrables mais la plus simple paraît bien être encore celle que nous apporte le mot phénicien Ubbôn, qui signifie Golfe, Abri. C'est également celle qui paraît donner une signification rationnelle à Hippo Diarrytos, l'actuelle Bizerte, son homonyme et peut-être sa contemporaine.

HIPPONE A L'ÉPOQUE PUNIQUE.

----------En dépit de quelques vestiges énigmatiques, l'obscurité la plus complète règne encore sur les premiers siècles d'existence de la cité. Pour la situer historiquement, il faut attendre l'époque où, sans eu subir entièrement l'hégémonie, elle allie plus ou moins sa fortune à celle de la Carthage punique. Elle paraît bien avoir été la ville dont Eumachus, un général d'Agathocle, le Syracusain, s'empara à la fin du IVè siècle avant notre ère. On a prétendu d'autre part que Gaïa, roi des Massyles, le père de Aasinissa, qui, dès la première guerre punique, s'était dressé contre Carthage, en avait fait sa capitale, et que ce serait dès cette époque qu'elle aurait reçu cette épithète prestigieuse de Royale - Hippo Régius - sous laquelle elle allait être désignée par la suite, mais nous n'en avons aucun témoignage décisif.
----------Tout au plus savons-nous que placée tour à tour entre les mains de l'alliée de Carthage, Syphax, roi des Masaesyles, puis entre celles de l'allié des Romains. Masinissa, époux successifs de la belle et malheureuse Sophonisbe, elle eut à subir le contrecoup des guerres puniques, avec, en 20ç avant notre ère, le pillage en règle que lui infligea par surprise le Romain Gaius Laelius, qui en remporta force butin avant que Masinissa ait pu s'y opposer.
----------La défaite et la destruction définitive de Carthage, en 146 avant notre ère, ne (levait pas abolir pour autant l'influence punique que des siècles de relations commerciales avaient malgré tout implantée à Hippone ; la riche cité d'Annibal, en dépit (le son mercantilisme, était en outre détentrice d'une culture dont les rois de Numidie. Hiempsal en particulier, n'avaient pas manqué de subir le prestige et qu'ils maintinrent ensuite dans leur royaume.

LE ROYAUME BERBÈRE INDÉPENDANT.
----------Pendant tout un siècle, après la chute de Carthage, Hippone va demeurer sous le sceptre des rois (le Numidie, à la différence d'Hippo Diarrytos, englobée tout aussitôt dans la nouvelle province romaine. Si l'on accorde quelque créance au témoignage de Silius Italicus, elle devait même être alors une des résidences préférées de ces vieux souverains berbères, dont les monnaies, timbrées (lu cheval galopant, se retrouvent encore assez fréquemment dans son sol.
----------La lutte impitoyable engagée par Rome contre Jugurtha, coupable du meurtre de ses neveux, les deux fils du roi Micipsa, qui se termina en 104 avant notre ère, par sa défaite et sa capture, ne semblent même pas l'avoir atteinte non plus qu'avoir diminué son essor. D'ores et déjà, elle était appelée logiquement à prospérer, dans le cadre (lu royaume autochtone indépendant, si les possesseurs de ce royaume, impuissants à conserver une prudente neutralité, ne s'étaient laisséentraîner dans les funestes guerres civiles qui sonnèrent le glas (le la République romaine. César, vainqueur (le Pompée à Thapsus, en 46 avant notre ère, mit la main sur le royaume de Juba tel, qui s'était déclaré en faveur de son adversaire. Tuba 1er ne voulut pas survivre à sa défaite. à l'exemple du Chef du parti pompéien, i Impérator bletellus Scipio, qui, face à ses assaillants, se poignarda et se précipita volontairement dans les flots, en pleine rade d'Hippone.. L'annexion pure et simple qui s'en suivit, la transformation (lu royaume humide en une province nouvelle, -l'Africa Nova, avec Salluste comme premier Gouverneur, allait faire désormais d'Hippone une ville romaine.

HIPPONE ROMAINE.
----------Mais Hippone était une ville qui avait déjà un long passé, une population homogène et policée, une physionomie originale. Par là même elle se distinguera toujours des cités à la naissance desquelles ont présidé rituellement les augures romains, ou des colonies militaires, telles que Timgad. Lambèse, Djemila, fondées ensuite par les Empereurs pour (les besoins stratégiques. Elle n'avait pas été non plus livrée, comme Cirta, à la soldatesque de Sittius. Jamais elle ne sera peuplée de vétérans ; elle ne recevra même pas de garnison, tout au plus des forces (le police, puisqu'elle fait partie de la Proconsulaire, riche province entièrement pacifiée, gouvernée par le Proconsul qu'y délègue le Sénat, et dont un des trois légats réside dans ses murs. Les cadres seuls (le la haute administration sont, comme lui, venus de Rome : c'est sur place, parmi les gens du pays, que sont recrutés leurs collaborateurs. La romanisation de ces autochtones se fera d'enthousiasme sans aucune espèce de contrainte, comme, peu à peu, celle de tous les habitants du nouveau " municipe " ; par une simple fiction juridique, mais qui ne leur en permettra pas moins de se proclamer fièrement " cives romani ", et de jouir de tous les privilèges des Romains authentiques, leur ville ne tardera d'ailleurs pas, dès les Antonins, à être promue à la dignité de " colonie ". C'est un honneur auquel aspiraient dès lors tous les Africains.
----------Un tel loyalisme, qui n'altère en rien le caractère intime de la race, se conçoit aisément quand on constate à quel point la " paix romaine ", ses méthodes, son labeur raisonné ont aidé à la mise en valeur complète (le la région et lui ont assuré, dans le calme et la sécurité, un magnifique essor économique. Or, Hippone en était le débouché naturel ; le procurateur impérial administrant les circonscriptions d'Hippone et de Theveste y résidait ; elle participait au ravitaillement de la Ville Eternelle, avec ses greniers publics, les " horrea sacra ", et elle n'exportait pas seulement des céréales, mais de l'huile, du vin, (les raisins, des fruits de toute espèce, des bois précieux, des marbres, de l'ivoire, des bœufs, des moutons, des bêtes fauves pour les jeux du cirque ; elle était un des centres d'élevage de ces merveilleux chevaux numides, les purs-sang de l'époque, qui allaient triompher sur tous les hippodromes. Toute la campagne environnante était couverte de propriétés agricoles dont l'importance, le nombre, l'opulence devaient dépasser celles des domaines qui font actuellement l'orgueil de la plaine de Bône.
----------Et si la commune, dont tous les habitants étaient inscrits dans la tribu Quirina, s'étendait à 32 km. à l'Ouest et à plus de 5o km. à l'Est, la ville elle-même, couvrant plus de 6o ha., sans compter les faubourgs, desservie par huit grands-routes qui la reliaient à Carthage, à Cirta, à Thagaste, à Rusicade, s'embellissait en proportion et se couvrait de monuments somptueux, dès le 1er siècle. On verra plus loin les vestiges importants qu'on commence à y retrouver. Elle n'abritait pas seulement dans ses murs un conseil des décurions, des édiles, des duumvirs, un pontife, des flammes perpétuels ; on y comptait également une élite intellectuelle, une élite artistique, dont le goût raffiné a laissé maintes traces ; on y trouvait des philosophes, dont l'un s'appelait Fronton, comme le précepteur de Marc-Aurèle.

L'HIPPONE CHRÉTIENNE.
----------Mais c'est le christianisme qui devait, malgré tout, lui assurer la renommée universelle à laquelle Hippone a dû de survivre à sa totale destruction dans la mémoire des hommes. Elle semblait avoir atteint à son apogée sous le règne des Sévère, les Empereurs Africains et, de fait, en cette Afrique latine que la crise économique et les troubles de la fin du III' siècle allaient précipiter vers le déclin, sa décadence matérielle était inéluctable.
----------Mais c'est en ces heures de plus en plus tragiques, après les persécutions, après le martyre de son premier évêque Saint Théogènes, en 259, avec trente-cinq autres chrétiens, puis ceux de ses successeurs à l'épiscopat, Léontius, en 303, Fidentius, le premier des " Vingt Martyrs " en 304, après le, exactions des donatistes et des " circoncellions ", qu'allait s'allumer et resplendir la flamme inextinguible qui fit d'Hippone, sous l'épiscopat de son génial enfant Saint Augustin, le foyer de la chrétienté battue en brèche à Rome même, le haut-lieu d'où partirent pendant quarante ans les leçons définitives qui ont à jamais marqué la pensée occidentale, le rempart suprême, enfin. de la civilisation gréco-romaine contre la barbarie.

L'HIPPONE VANDALE.
----------En effet ce sont les murs d'Hippone qui seuls continrent pendant quatorze mois les hordes envahisseuses des Vandales venus d'Espagne et débarqués en Oranie en 429. Si Saint Augustin mourut pendant le siège, le 28 avril 430, la ville ne fut en définitive occupée, sans avoir été prise d'assaut, que par une sorte d'armistice. Cet armistice ne la préserva évidemment pas des déprédations et des pillages inévitables, mais il ne lui en permit pas moins de jouer à nouveau le rôle de capitale et d'abriter la cour de Gensérie jusqu'en 439, époque où le roi vandale s'empara traîtreusement de Carthage. C'est à Hippone que Gensérie avait conclu, en 435, le traité de paix qui le faisait, du moins théoriquement. le vassal de l'Empire, et c'est sans doute à Hippone, cité de luxe et de plaisir, que les Barbares commencèrent à perdre leur rudesse et leur valeur combative, en y menant, aux Thermes, au Théâtre, au Cirque, et clans les somptueuses villas, l'existence efféminée que nous a dépeinte Procope.
----------On sait combien ces nouvelles " délices de Capoue " furent fatales aux envahisseurs, combien ils turent impuissants, en dépit de quelques sursauts, et malgré leurs répressions incohérentes, leurs persécutions maladroites, ou peut-être à cause d'elles, à endiguer les révoltes des populations africaines. Ils n'ont pas seulement contribué à délatiniser et déchristianiser une population encore superficiellement assimilée et dont la civilisation romaine n'avait pas eu le temps d'atténuer le particularisme foncier. Ils sont responsables du réveil de l'anarchie berbère, dont les excès achevèrent de désoler un pays auquel tous les efforts des Byzantins ne devaient plus parvenir à rendre l'ancienne prospérité.

L'HIPPONE BYZANTINE.
----------Il n'en reste pas moins que le débarquement en Afrique de l'armée byzantine de Bélisaire en 430, sa victoire foudroyante à Tricamarum, puis la reddition du dernier roi vandale, Gelimer, qui avait vainement tenté de faire passer d'Hippone en Espagne le navire où, dès les premiers revers, il avait amassé le fruit de ses rapines, délivra le pays d'une emprise germanique dont l'effondrement immédiat et la totale disparition ont prouvé la précarité. Mais il était trop tard pour replacer l'Afrique latine clans le cours normal de son destin.
----------Hippone a bien pu connaître, pendant deux siècles encore, une apparence de prospérité ; elle a pu faire encore, jusqu'à la fin du VIIe siècle, figure de place forte, avec ses remparts respectés, la citadelle avancée de Fossola, qui complétait à l'Est son système défensif, et la forteresse qui devait alors couronner la plus haute de ses collines. Elle a pu servir de refuge aux Berbères, après la prise de Carthage par Hassan en 698, avoir même conservé, après les grandes invasions arabes, un semblant d'existence, à côté de Bône-la-Neuve, au XIe siècle, ainsi que l'affirme El-Bekri. Mais il ne subsistait plus rien en elle de ce qui fait l'âme d'une cité. " Victime des coups du sort... ", a pu écrire Abou-Mohammed El Abderi, ses plaines qui s'épanouissent au soleil dans une heureuse fertilité ont été repliées par la main impitoyable des catastrophes... On se sent le cœur serré en contemplant l'aspect lugubre que le destin 'a répandu sur la ville ". Et le déplacement du lit de la Seybouse, en inondant ses ruines et en contraignant ses derniers occupants de fortune à l'évacuer entièrement, ne fit qu'ensevelir un cadavre, en qui le dernier souffle de l'Esprit antique avait depuis longtemps expiré.

II. - Les RUINES

----------Les ruines d'Hippone avaient connu jusqu'à nos jours une double infortune. On avait été Jusqu'à nier qu'il pût en subsister le moindre vestige, sur la foi de Possidius, qui affirmait la mise à feu, sinon à sang, de la ville par les Vandales, sur la foi .de Léon l'Africain qui prétendait qu'Othman, troisième Khalife après Mahomet, l'avait complètement rasée vers 650 pour bâtir la ville nouvelle de Bône avec ses débris. Aussi la Commission chargée en 1837 d'explorer les sites historiques de l'Afrique du Nord, ne retrouvant plus, à l'emplacement d'Hippone, qu'une sylve sauvage et totalement déserte, ne vit-elle aucun inconvénient à en laisser aliéner les terrains au profit de petites propriétés maraîchères, sur lesquelles l'extension industrielle de la ville de Bône ne tarda pas ' à exercer une main-mise encore plus redoutable, puisqu'elle risquait d'anéantir, et. en tous cas, de soustraire définitivement à toute possibilité d'investigations ultérieures un sous-sol aussi précieux qu'un reliquaire et dont, seuls, quelques hasards, puis de timides sondages, entravés et limités par de multiples servitudes, mirent en évidence la richesse archéologique. Le programme d'expropriation puis d'achats successifs de terrains, entamé dès 1925 et poursuivi opiniâtrement par la Direction (les Antiquités (le l'Algérie, vient seulement d'aboutir à sa complète réalisation, et si 25 ha. acquis par l'État sont désormais sauvegardés et vont pouvoir faire l'objet de fouilles méthodiques. celles-ci sont à peine ébauchées encore et la plus grande partie de la cité antique reste à peu près entièrement à découvrir.

Emplacement de la Ville Antique.
----------Des deux rivières dont les embouchures encadrent les ruines, l'une, la Seybouse (l'Ubus flumen de la table de Peutinger) se jetait autrefois à la mer à plusde 8 km. à l'Est : quant à la Boudjimah, encore enjambée par un pont romain en dos d'âne long de 98 m, elle débouchait ainsi qu'il a été dit, dans ce qui est actuellement la petite darse du port moderne de Bône, après avoir constitué vraisemblablement l'entrée même de l'ancien port.

La Colline dite de Saint-Augustin.
----------Haute de 55 m. surplombant cette rivière qui la contournait à l'Ouest, elle dominait la ville. Le nombre considérable de stèles saturnines qui ont été retrouvées sur ses pentes, certains tombeaux puniques, creusés dans le roc, quantité de tombes moins anciennes permettent de supposer qu'elle était initialement couronnée par un temple dédié à Baal-Saturne et qu'elle dût demeurer de tout temps un haut lieu religieusement consacré, où la construction de la basilique actuelle, tout en détruisant malheureusement les massives fondations byzantines qui s'y voyaient encore. n'en a somme toute pas trahi la séculaire affectation.
----------C'est à mi-hauteur, au flanc N.-E. de cette colline, qu'un aqueduc. dont on retrouve plusieurs arcades, amenait les eaux de l'Edough, la montagne voisine, dans les vastes citernes d'Hadrien, restaurées en 1893, d'une contenance de 12.000 m3. et qui furent pendant bien longtemps les seuls vestiges apparents de l'ancienne ville.

 

-Le Théâtre.
----------Au pied du versant oriental du même mamelon, on a découvert récemment un Théâtre du ter siècle, dont le style hellénistique rappelle celui du Théâtre de Dionysos à Athènes. Un chemin rural, dont le déclassement est envisagé, recouvre encore malheureusement une partie de la scène, mais la courbe parfaite de l'hémicycle creusé à flanc de colline, le galbe inusuel des cinq premières rangées (le gradins, évidés à la base, qui subsistent avec les six escaliers qui les desservaient, l'ampleur de l'orchestra et l'ingénieux agencement du proscenium, avec son alternance de bas-reliefs saillants et rentrants, à élégante ornementation géométrique, ainsi que sa décoration centrale, dont restent une Ménade en proie au délire bachique et un Apollon porte-lyre, composent un ensemble infiniment harmonieux auquel une abside latérale dallée (le marbre et ornée de bases de statues vient encore apporter de l'ampleur.

Le Forum.
----------Un peu plus à l'Est, de l'autre côté du même chemin rural, la mise au jour du Forum d'Hippone est presque entièrement achevée. On peut d'ores et déjà le considérer comme le plus vaste et le plus ancien de l'Afrique du Nord, avec ses 76 m. de longueur, ses 43 m. de largeur, la monumentale inscription dédicatoire qui traverse l'aréa et qui porte le nom de C. PACCIUS AFRICANUS, Patron du Municipe et Proconsul, ignoré jusqu'ici en cette qualité, mais dont nous savons par Tacite qu'il était Sénateur au temps de Néron, et, enfin, par une inscription toute récente de Leptis Magna, qu'il était Proconsul d'Afrique en 78, sous Vespasien. L'ancienneté de ce Forum s'est d'ailleurs encore trouvée confirmée par la découverte d'une base de statue dédiée à l'Empereur Claude et datant du second semestre 42, d'une tête (le marbre de Vespasien dont aucune autre effigie de l'Empereur n'égale l'étonnante facture et le puissant réalisme, et, plus encore, de celle d'un trophée (le bronze, haut de 2 m. 50, retenu comme une pièce unique, qui paraît avoir commémoré la victoire de César sur Juba 1er. l'allié (lu parti pompéien, et l'annexion par Rome de la Numidie.
----------Si le dégagement des abords de l'aréa n'a encore permis de découvrir aucun des monuments traditionnels qui (levaient l'encadrer, nous n'en avons pas moins déjà mis au jour une importante partie de la colonnade (lu péristyle, avec les temples qui ouvraient sur le long côté Est, (les fragments de statues monumentales, des bases (le statues dédiées à Septime-Sévère, à Gordien, à Hadrien, à un nouveau Proconsul d'Afrique également ignoré jusqu'ici, M. AURELIUS CONSIUS QUARTUS. dont nous apprenons qu'il avait été auparavant " corrector Flamini e et Piceni ", corrector Venetie et Istriæ", " consularis Belgicæ primæ ", puis vicaire des Espagnes, d'autres bases de statues, enfin, dédiées à (le riches citoyens d'Hippone, au premier rang desquelles figurent un fils de Sénateur et un certain CELER qui était peut-être le fils d'un Proconsul d'Afrique du même nom. et dont l'œuvre et la famille reçoivent, en hexamètre, formant acrostiche, des louanges hyperboliques.
----------Sur trois au moins des côtés du Forum, on retrouve les larges voies, robustement dallées et dotées d'un égout médian encore intact, qui les desservait ; le quatrième côté reste à dégager. Le grand Cardo, le grand Decumanus, bordés l'un et l'autre d'arcades, se rencontraient à l'entrée Est du péristyle et formaient, après l'angle Nord, une sorte de carrefour qu'ornait une fontaine monumentale en hémicycle. Au centre de l'aréa du Forum, on peut voir (le massifs piédestaux et la base d'un petit monument à colonnes auquel on accédait par des degrés.
----------En suivant le grand Decumanus, qui semble se diriger vers la colline du Gharf-el-Artran, on retrouve l'amorce à angles droits des rues secondaires, parallèles au grand Cardo, qui, à intervalles réguliers, aboutissaient au Decumanus en venant (lu Sud. Sur cette dernière voie, maintenant dégagée ,sur une centaine (le mètres, a été découvert un fort beau masque (le Gorgone en marbre, haut de un mètre, dont la bouche largement ouverte donnait passage aux eaux d'une fontaine publique.

Quartier de l'Emporium.
----------Rien ne s'oppose à ce que soit poursuivi désormais, dans la limite des crédits accordés à notre chantier, le dégagement de cette artère essentielle, dont il est probable que c'est un autre tronçon qui, à 200 m. environ plus à l'Est, a été découvert en flanc de la seconde colline, celle du Gharfel-Artran, qui, haute de 34 m.. dominait le quartier du front de mer.
----------Après avoir contourné un ensemble d'édifices chrétiens, dont nous parlerons plus loin, cette voie s'infléchit vers le Nord dans la direction des Grands Thermes parallèlement à une muraille massive descendant jusqu'à plus de 6 m. de profondeur, au niveau (lu sable marin, et à laquelle son apparence cyclopéenne a fait longtemps assigner la plus vertigineuse antiquité. En fait, elle vient se raccorder à un autre construction de grand appareil, moins archaïque d'aspect, et décorée d'un triple phallus, qui, en dessous des villas romaine; auxquelles elle a servi postérieurement d'assise, aboutit à un ensemble monumental, en énormes pierres de taille à bossage, habilement imbriquées. sans le moindre mortier, et dont le compartimentage rectangulaire intérieur, la descente en plan incliné qui le flanque à l'Est, l'adossement aux flancs rocheux (le la colline nous révèlent sans doute les imposants soubassements des entrepôts primitifs. Les coussinets trapéziques à ornements lotiformes retrouvés à la base paraissent d'ailleurs bien être (le style punique.

Les villas.
----------Les entrepôts, première fondation des " horrea sacra " (le l'époque impériale, avaient évidemment été édifiés aux abords immédiats de l'ancien littoral, que les oscillations (lu niveau de la Méditerranée ont dît quelque peu modifier au cours des siècles. Par la suite, à des niveaux plus élevés, de somptueuses villas ont envahi tout ce secteur, au point (le se superposer jusqu'à marquer six époque. allant du 1er au V" siècle. En dépit de leur enchevêtrement et (les remaniements dont elles ont été l'objet, le plan de ces villas, construites évidemment dans un quartier particulièrement recherché, apparaît encore assez distinctement.
----------Les mosaïques qui les ornaient comptent parmi les plus belles qu'on ait retrouvées en Afrique du Nord, tant en raison (le la richesse exceptionnelle (le leur polychromie, où toutes les gammes de vert, notamment, sont représentées, qu'en raison de leur exécution.
----------Au premier rang des mosaïques simplement ornementales. il convient de citer celle que timbre l'inscription " Isgunte nica " et, parmi les mosaïques à personnages, celle de " La pêche dans le port d'Hippone " et celle de l'Amphitrite encadrée d'une frise de dauphins et coquillages, avec, à chaque angle, une saisissante tête d'Océanus. Toutes trois appartenaient à une villa du II" siècle qui, plus tard. a été recouverte par une nouvelle villa, dont le tablinum s'ornait de la fameuse mosaïque de la Chasse et le triclinium (le la mosaïque aux médaillons consacrés à tout ce qui, perdreau, canard, pageot. homard, écrevisses, asperges, pièces montées, pouvait combler la table des gourmets de l'époque. ----------A une villa du III"" siècle appartenait la mosaïque d'Apollon-Melkhart. avec sa danseuse. sa musicienne. ses masques tragiques et comiques, et enfin à une villa d'un siècle postérieur, la splendide mosaïque dite " le Triomphe d'Amphitrite " ou " les Néreides ".

Les Edifices chrétiens.
----------Il est à remarquer qu'aucune rue ne paraît avoir desservi ces riches habitations dont les façades avaient vue sur la mer. La voie dont il a été parlé plus haut passe à une trentaine de mètres à l'Ouest, à un niveau un peu supérieur, avec un court embranchement aboutissant à une construction adossée à la colline, peut être une nouvelle fontaine ornementale. Les édifices que l'artère principale longe ensuite et qui font l'objet des fouilles actuellement en cours occupent, à gauche de celle-ci. un espace déjà considérable.
----------Or ce sont, en dehors de quelques épitaphes et quelques fragments d'arceaux trouvés aux usines Borgeaud, au Sud du Gharf-el-Artran, les seuls vestiges indubitablement chrétiens découverts jusqu'à présent à Hippone, et cela ne peut manquer de surprendre quand on songe à l'importance qu'eut la ville épiscopale de Saint-Augustin, aux cinq basiliques ou chapelles qu'elle comptait alors, sans compter la Basilique donatiste, aux monastères d'hommes et de femmes qu'y fonda le grand Docteur, aux importants conciles qui y furent tenus, dont celui d'octobre 393 qui put réunir jusqu'à 320 évêques dans la Basilique de la Paix. Tout en ce domaine reste par conséquent à découvrir.
----------En tous cas, s'il n'a pas encore été possible d'identifier le sanctuaire en cours de dégagement, nous pouvons du moins affirmer que nous nous trouvons en présence d'un important édifice chrétien, étant donné ses dimensions : nef longue de 42 m à triple travée, prolongée par l'abside du presbytérium, profonde de 7 m et flanquée de ses deux sacristies. Bâtiments annexes, sur le côté droit, comprenant un baptistère. un consignatorium à abside, de petits thermes, un atrium dallé de marbre et pourvu d'un lavacrum à margelle de marbre archi-usée, encadré d'un quadruple portique à pavement de mosaïques dont les toits étaient soutenus par huit colonnes.
----------Tout le sol était pavé de riches mosaïques d'époques différentes, plus ou moins détériorées par les innombrables tombeaux de basse époque qui, sans souci du moindre alignement, ont été creusés au hasard des travées, tombeaux des misérables et derniers fidèles qui ont dû tenir à être inhumés "ad sanctos " ; on retrouve néanmoins d'importants vestiges de curieuses mosaïques tombales antérieures, timbrées de la croix monogrammatique, portant la formule rituelle " ... fidelis requiescit in pace.Amen ", enrichies d'ingénieux encadrements, où l'on retrouve toutes les formes (le la croix et aussi les oiseaux symboliques : paons, canards, colombes, etc... Une des mosaïques tombales nous donne même le nom d'une s Presbiterissa ". nouveauté en matière d'épigraphie. Et l'on est amené à se demander si. sous le règne (le Genseric, dont on sait qu'à la prise de Carthage i1 transféra au culte arien toutes les basiliques de cette ville, le même sort n'a pas été réservé à notre sanctuaire. d'autant qu'on y a trouvé en plus (le tombes grossières à l'aspect nettement dolménique, la sépulture plus soignée d'une Suève, Ermengon, épouse d'Ingomar. ayant pris la place d'une sépulture à mosaïques antérieure. Mais une dalle byzantine à croix monogrammatique. portant le nom d'une " Margarita fidelis " découverte en dernier lieu près de l'abside, suffit à attester le retour ultérieur au culte catholique de cette église. Il faut en attendre la mise au jour complète pour se faire une opinion définitive.
----------Il est probable qu'une partie de ces constructions n'avait pas à l'origine une affectation religieuse et que, villas païennes en premier lieu, elles ont été l'objet d'un legs comme ceux dont Saint Augustin a fait fréquemment mention. En effet, entre l'atrium à aspect claustral et la nef du sanctuaire principal, se trouvent quelques salles mosaïquées dont l'une a pour décor le sujet des neuf Muses, d'ailleurs beaucoup plus richement traité que la mosaïque analogue, provenant d'une villa de 'Physdrus, , qu'on peut voir au Musée du Bardo, à Tunis. Nous retrouvons également ici, comme à Thysdrus, une salle dont le pavement de mosaïque représente, mais avec infiniment plus de fantaisie et d'élégance, le sujet classique des "Amours et des Vendanges" pouvait à la rigueur ne pas paraître déplacé dans un sanctuaire chrétien, puisque ce thème continua à être exploité aux premiers temps de l'Église, qui transforma, sans trop choquer, ces jeunes Amours ailés. et insexues en Anges. Il y de nombreux exemples en Italie de cette adaptation à l'art Chrétien des motifs chers à l'art pompéien.

Les Grands Thermes.
----------On espère pouvoir relier avant peu ce secteur de fouilles et celui qui, plus au nord, à l'extrême pointe des terrains acquis par l'État, permet la mise au jour progressive des Grands Thermes publics de la ville.
----------Nous savons par une inscription monumentale que cet important établissement balnéaire fut édifié aux frais (le la cité et dédié à Septime-Sévère. sous le règne de Caracalla. Sur l'imposant massif de briques et (le maçonnerie qui, à plus de 8 m de hauteur, surplombe l'ensemble des ruines et dont la haute paroi occidentale s'incurve pour donner passage à la cheminée centrale des foyers, on distingue encore parfaitement les points de départ des voûtes qui, à l'Est et au Sud, couvraient les salles chauffées. Tout autour gisent, en blocs énormes. des quartiers de ces voûtes écroulées. sous la chute desquels avait été ensevelie la totalité de l'édifice. Il a fallu leur laborieux enlèvement pour faire reparaître le grand caldarium, avec son laconicum en hémicycle, son labrum, ses deux étuves latérales, ses salles annexes pareillement chauffées, aux doubles parois garnies (le bouches verticales (le chaleur, au pavé (le marbre porté par (les piliers d'hypocauste souvent intacts ; le tout est encadré par un couloir -de service à la voûte en quart (le cercle, descendant aux salles souterraines voûtées en arête qui ont résisté au formidable effondrement des étages supérieurs ; se prolongeant sous tout l'édifice, elles paraissent bien avoir été. (lu moins f l'origine, les chambres d'arrivée des eaux.
----------Au niveau (les salles chauffées, on retrouve. après les salles (le transition, le grand frigidarium, dont une partie seulement a pu être jusqu'ici dégagée (les blocs de maçonnerie qui l'encombrent et dont quelques-uns ont conservé les traces des mosaïques à éclatantes polychromies qui devaient décorer les voûtes. Cette salle, de dimensions imposantes, formait un vaste rectangle flanqué (le piscines froides en demi-cercle, et prolongé du côté des salles chauffées par un hémicycle. Au long des parois (le marbre safrané se dressaient des statues monumentales dont quatre ont déjà été retrouvées : un Esculape médiocre, mais, par contre, une statue de Minerve, signée et une statue d'Hercule rappelant le type de l'Hercule Farnèse, qui peuvent compter parmi les plus beaux spécimens de la statuaire antique retrouvés en Algérie. Ce ne sont certainement pas des œuvres africaines et encore moins la statue tout récemment découverte, une Aphrodite légèrement voilée, du type dit de Mélos, taillée clans le Paros le plus pur et le plus translucide, (lui suffirait à elle-seule à attester le goût raffiné (les citoyens d'Hippone. Cinq autres bases, d'ordre toscan, devaient porter des statues plus petites, offertes en exécution du testament de L. Asellius Honoratus, de la tribu Quirina. Il y en avait d'autres encore, une à un philosophe stoïcien, d'Hippone, Domitius Fronton, une à un Patron de la Colonie. L. Barburius Juvenis, fils d'un Sénateur, et la liste est sans doute loin d'en être close.
----------L'acquisition par l'Etat des terrains où se trouvaient ces thermes est encore toute récente et le, fouilles qui y ont été entreprises sont encore loin d'être achevées. C'est ainsi qu'on commence à peine à dégager l'esplanade dallée de marbre et ornée de colonnes cannelées qui devait former, après l'entrée latérale des salles froides, une sorte de promenoir régnant autour de l'ensemble de l'édifice. Tel quel il apparaît déjà, néanmoins, comme un des établissements balnéaires les mieux conservés et les plus complets que nous aient révélés les villes antiques d'Afrique du Nord.

Le futur Musée.
----------Les ruines qui couvraient la colline du Gharf-el-Artran ont été sacrifiées, il y a plus d'un siècle, par le génie militaire, qui a eu la malencontreuse idée d'y construire un pénitencier. Du moins les solides bâtiments qui en subsistent vont-ils y permettre l'aménagement d'un Musée, qui aura l'avantage de dominer les ruines et d'offrir aux visiteurs un panorama sur la campagne et sur la mer absolument unique.
----------De riches collections de mosaïques, de lampes antiques, de monnaies, d'inscriptions pourront v être présentées. C'est à Hippone qu'on pourra voir une importante série de stèles lybiques ou lybicoromaines retrouvées dans les environs, une série plus riche encore de stèles saturnines, de cippes funéraires païens ou chrétiens, dont certains portent de curieuses épitaphes, des autels au Dieu Mercure. le monument funèbre d'un prêtre de Saturne, de riches sarcophages, dont celui qui représente un combat d'Amazones, etc... Tout le passé d'une ville qui a duré près de deux mille ans et qui semblait n'avoir laissé aucune trace sera évoqué ainsi en un saisissant raccourci, bien fait pour donner matière à de précieux enseignements, à de nobles et fécondes méditations.

Erwan MAREC,
Directeur des Fouilles d'Hippone.

Statue d'hercule
Statue d'hercule
trouvée dans les Grands thermes (fouilles 1925-26)