| -SALDAE 
        : BOUGIE ANTIQUE.
 -------On ne peut imaginer que le site de 
        Bougie n'ait pas attiré l'attention des marins de Carthage, que 
        le meilleur refuge de la côte nord-africaine n'ait pas vu les caboteurs 
        phéniciens venir mouiller dans ses eaux calmes à l'abri 
        du cap Carbon. A l'aurore de l'ère chrétienne, le nom de 
        Saldae, Bougie antique, apparaît dans Strabon et dans Pline l'Ancien. 
        Elle fait alors partie du domaine de Juba, le roi de Cherchel. L'empereur 
        Auguste y fonde une colonie en y installant des vétérans. 
        Une inscription du second siècle la qualifiera de " civitas 
        splendidissima ", où s'exprime sans doute l'enthousiasme 
        un peu complaisant d'un Salditanien fier de sa ville natale. En fait, 
        Saldae semble avoir vécu des jours sans gloire jusqu'au moyen âge 
        musulman.
 
 BOUGIE MUSULMANE.
 
 -------Au XIè siècle, le géographe 
        El-Bekri la mentionne comme une ville fort ancienne offrant une bonne 
        station maritime d'hivernage et en partie peuplée d'Andalous, ainsi 
        que maints autres ports algériens. On retiendra ces relations avec 
        l'Espagne, dont plus d'une page de son histoire seront marquées.
 -------Cependant, dès le temps d'El-Bekri, 
        de graves événements étaient intervenus, qui allaient 
        ouvrir pour l'antique Saldae une ère nouvelle. Le milieu du XIè 
        siècle avait vu l'invasion hilâlienne, l'entrée en 
        scène des Arabes nomades arrivés d'Égypte et la ruine 
        du royaume des Zirides de Kairouan. Ce fut un sauve-qui-peut de la vieille 
        cité tunisienne, dont profita tout d'abord la capitale rivale, 
        la Qal'a des Hammâd. Retranchée dans les montagnes au Sud 
        de Sétif, la Qal'a reçut les réfugiés, marchands, 
        artisans, avec leurs richesses et leur industrie. Héritage éphémère 
        : le XIè siècle n'était pas achevé que la 
        vague arabe, poussant vers l'Ouest, déferlait sur le royaume des 
        Beni Hammâd. La venue des nomades pillards rendait la vie impossible 
        aux agriculteurs isolés, ainsi que la circulation sur les routes 
        et le ravitaillement des centres urbains. De même que les Emirs 
        de Kairouan avaient quitté leur ville et avaient fixé leur 
        résidence à Mahdiya, sur a côte tunisienne, de même 
        les Beni Hammâd émigrèrent vers la côte algérienne 
        et vinrent habiter Bougie, où ils se sentaient plus à l'abri 
        de la menace périodique des nomades arabes.
 -------En fait, durant la plus grande partie 
        du XIIè siècle, le royaume des Beni Hammâd eut deux 
        capitales, la Qal'a et Bougie, qu'unissait une voie jalonnée de 
        relais fortifiés. Tandis que la Qal'a, la citadelle héréditaire, 
        continuait de vivre et voyait même ses ateliers et ses bazars jouir 
        d'un reste d'activité, prolongement de ses beaux jours, l'installation 
        des Emirs à Bougie orientait les espoirs de ses maîtres vers 
        la mer, vers le commerce maritime et la piraterie.
 
 EN-NACIRIYA - BOUGIE, CAPITALE HAMMADITE.
 
 -------C'est donc, en l'an 1067, un nouveau 
        chapitre qui s'ouvre dans l'histoire de la ville et, en quelque sorte, 
        une nouvelle fondation. Le sultan Hammâdide En-Nâcir y construit 
        un palais, le château de la Perle, qu'il vient habiter. Cependant 
        il ne suffisait pas d'une demeure princière pour créer une 
        cité viable. Des exemptions d'impôts y attirèrent 
        les Kabyles de la région, les Bejâya, dont le port algérien 
        devait conserver le nom en dépit d'En-Nâcir, qui voulait 
        l'appeler En-Nâciriya. L'Emir espérait pour. sa capitale 
        un avenir glorieux qui perpétuerait sa mémoire. La légende 
        veut qu'il ait reçu d'un ascète une cuisante leçon 
        d'humilité. Monté dans une barque avec le pieux Sidi-Touati, 
        il croisait devant Bougie et, contemplant son uvre, il se réjouissait 
        dans son cur. Alors le saint homme tendit devant les yeux du prince 
        son burnous criblé de trous, au travers desquels la ville apparut 
        telle que les vicissitudes de l'histoire devaient la faire, ses murs démantelés 
        et ses palais en ruine.
 -------Vingt ans après, l'exode des 
        Beni Hammâd s'affirme avec le fils et successeur d'En-Nâcir, 
        le sultan El-Mancour, qui bâtit deux palais nouveaux, e château 
        de l'Etoile (?) et le château d'Amimoun, il édifie une grande 
        mosquée, plante des jardins et pourvoit sans doute sa capitale 
        de solides remparts. -------Que reste-t-il 
        de tout cela ?
 -------On ne peut douter que la ville des 
        Beni Hamnmâd fut notablement plus étendue que la ville moderne. 
        La superficie était plus du double, si le plateau dit " des 
        ruines " qui descend des hauteurs du Gouraya, en faisait partie. 
        Une muraille de moellons, flanquée de bastions rectangulaires, 
        se suit le long des pentes à travers les cultures. Des palais, 
        seuls les noms ont survécu et Féraud les a localisés 
        avec quelque vraisemblance grâce aux traditions qu'il a pu recueillir. 
        Le château d'Amimoun s'élevait non loin du tombeau de Sidi 
        Touati. Le fort Barrai a succédé au palais de l'Etoile. 
        Quant au château de la Perle, il occupait l'emplacement des casernes 
        de, Bridja. La grande mosquée (les Hammâdides a peutêtre 
        précédé la mosquée actuelle, mais rien ne 
        subsiste de l'édifice primitif, dont un texte arabe nous donne 
        une description inutilisable. Un des seuls témoins de la ville 
        du moyen âge est, outre des citernes de l'ancienne Saldae en partie 
        restaurée par les Beni Hammâdd la porte dite Sarrazine qui 
        s'ouvre au fond du port.
 -------De même que l'arche maintenant 
        effondrée qui donnait entrée dans le port tunisien de Mahdiya, 
        de même que Bâb el-Mrissa de Salé, la Porte Sarrazine 
        (le Bougie est une porte de la mer. Avant que des alluvions aient enterré 
        sa base, elle livrait passage aux bateaux venant s'abriter dans la darse, 
        aujourd'hui comblée, qui se creuse en arrière. Bateaux (le 
        commerce. bateaux de corsaires entraient tour à tour avec leurs 
        mâts dressés et leurs voiles tendues sous la grande voûte 
        de briques, et l'on débarquait sur le quai les marchandises et 
        le produit des razzias, où les captifs tenaient une place de choix. 
        Le pays en contenait d'assez nombreux, et leur existence est attestée 
        par un des documents les plus, curieux, voire un des plus émouvants 
        qu'ait enregistrés l'histoire du moyen âge berbère.
 -------C'est une lettre du pape Grégoire 
        VII, datée de 1076. Le souverain pontife répond au sultan 
        Hammâdide En-Nâcir " roi de la Mauritanie et de la 
        province de Sétif ". qui lui avait demandé de consacrer 
        un évêque capable de veiller aux intérêts des 
        communautés chrétiennes vivant encore dans ses états 
        et qui avait manifesté l'intention de racheter de ses deniers les 
        captifs chrétiens qui s'y trouveraient détenus. Nous n'avons 
        pas conservé la lettre d'En-Nâcir, mais la lettre du pape 
        nous en apporte l'écho et elle est d'un ton cordial et d'une délicatesse 
        d'accent qui dépassent singulièrement les politesses protocolaires. 
        " Jamais, dit Mas-Latrie, qui a publié 
        ce document d'archives, jamais pontife romain n'a aussi affectueusement 
        marqué sa sympathie à un prince musulman ; jamais surtout 
        nous n'avons remarqué qu'un pape ait exprimé avec cette 
        effusion intime et ces ménagements la croyance commune des Musulmans 
        et des Chrétiens au même Dieu unique et éternel. servi 
        et honoré par des cultes respectables quoique divers. 
        "
 -------Le dernier quart du XIè siècle 
        et la première moitié du furent, à n'en pas douter, 
        l'âge d'or de Bougie. Pour Edrisi, le géographe du roi normand 
        Roger Il de Sicile, elle apparaît comme la plus, prestigieuse et 
        la plus prospère de l'Afrique du Nord. Ce prestige, sinon cette 
        prospérité, prit fin en XIè quand Bougie tomba au 
        pouvoir de nouveaux maîtres.
 -------L'Afrique du Nord, dont toute la partie 
        orientale avait subi l'expansion désastreuse des Arabes pillards, 
        avait vu successivement deux empires s'édifier dans sa partie occidentale 
        : celui des Almoravides, nomades sahariens, parents des actuels Touareg 
        et porteurs comme eux du voile noir, puis celui de, Almohades. montagnards 
        (lu Haut-Atlas marocain. Ce furent ceux-ci qui s'emparèrent de 
        Bougie. Le dernier des sultans Hammâdides " eut 
        à peine le temps -de s'embarquer avec ses trésors dans deux 
        navires qu'il tenait toujours prêts en cas de revers 
        ".
 
 BOUGIE ALMOHADE.
 
 -------On conçoit la déchéance 
        morale que représentait pour l'ancienne capitale la mainmise almohade, 
        qui en faisait un chef-lieu de province excentrique dépendant de 
        Marrakech. Elle explique en partie le rôle que Bougie allait jouer 
        à la fin du XIIè siècle. Par un beau jour du printemps 
        de l'année 1185, une flottille apparut au large. Elle franchit 
        la passe. Des hommes voilés en débarquèrent. Or le 
        gouverneur Almohade se trouvait justement en tournée avec les troupes 
        de la garnison et la ville était privée (le défenseurs. 
        On a quelque raison de croire que ce débarquement n'était 
        pas une surprise pour tout le monde et que les hommes voilés, authentiques 
        Almoravides venus des îles Baléares pour relever en Afrique 
        du Nord la fortune de ceux que les Almohades avaient naguère supplantés, 
        comptaient des amis dans la place et étaient renseignés 
        par clés gens tout disposés à venger leur cause perdue. 
        Cette opération, si bien conduite par les deux fières Beni 
        Ghaniva. nc devait pas aboutir à une restauration almoravide ; 
        niais la plus grande partie de l'Afrique du Nord en ressentit les effets. 
        Du Sud tunisien, où les Beni Ghaniva s'étaient transportés. 
        ils organisèrent. avec l'aide des Arabes nomades, toujours prêts 
        à profiter du désordre, (les campagnes de razzias, qui durèrent 
        près de cinquante ans et semèrent de ruines, la Tunisie 
        et l' Algèrie actuelles, pour tout (lire un épisode à 
        retardement de la désastreuse invasion hilâlienne.
 -------Bougie, qui, au premier acte du drame, 
        avait en son heure historique, était redevenue chef-lieu almohade 
        et n'avait en somme pas trop à s'en plaindre. Vers l'an 1200 , 
        un des gouverneur envoyés par Marrakech y restaurait le Badi et 
        le Rafi.
 |  | -------C'étaient 
        deux beaux jardins, jadis plantés par les Beni Hammad sur les deux 
        rives de la Soummâm, à la fois propriétés de 
        rapport et parcs d'agrément comme les aguedals marocains. Le Rafi 
        touchait au rempart occidental de la cité cri contrebas du château 
        (le l'Étoile et (le la Casbah. Une estampe du début du XVIè 
        siècle nous le montrera encore entouré de murs, avec ses 
        bosquets et ses allées.
 BOUGIE, VILLE HAFCITE.
 
 -------Bien que l'Empire almohade eut surmonté 
        la crise provoquée par les Beni Ghaniya. cette crise avait hâté 
        sa chute ou mieux son démembrement. Dans la première moitié 
        du XIIè siècle, Tunis, Tlemcen et Fès devenaient 
        les capitales de trois royaumes. Bougie était rattachée 
        au royaume des Hafcides de Tunis. Comme précédemment, elle 
        faisait figure de chef-lieu de province excentrique : cependant le changement 
        du centre imposait une nouvelle orientation à son histoire. Située 
        sur les confins du royaume tunisien, elle constituait le plus souvent 
        l'apanage du dauphin Hafcide. qui, suivant ]'usage. se montrait impatient 
        de régner. Fréquemment les armées de ce prince sortirent 
        de Bougie pour lui conquérir un trône. Elle était 
        d'autre part convoitée par les rois de Tlemcen. L'annexion de Bougie 
        fut leur rêve maintes fois entrevu et jamais réalisé.
 --------Mais 
        ce qui constituait le caractère permanent de la cité, c'était, 
        comme par le passé, la vie maritime. Bougie avait ses ateliers 
        de construction navale, où les bois des montagnes kabyles étaient 
        mis en uvre. Les armateurs bougiotes étaient connus dans 
        toute la Méditerranée.. Certaines matières premières 
        étaient presque des spécialités (le leur exportation 
        le plomb, l'écorce, l'alun, les raisins secs et la cire qui, transformée 
        en chandelles, (levait sans doute valoir leur nom à nos bougies 
        européennes. Quant aux objets fabriqués en nombre très 
        réduit, on a tout lieu de croire que la céramique y tenait 
        une place honorable. Un texte de 1312 - l'inventaire d'une pharmacie de 
        Gênes - mentionne des pots de faïence dorée de Bougie. 
        Des fouilles pratiquées dans le vieux Marseille ont exhumé 
        (les fragments (le vaisselle apparemment créée dans notre 
        ville.
 -------Elle était d'autre part une 
        des principales voies d'accès des importations (lu monde occidental 
        en Afrique du Nord. Vénitiens, Pisans, Génois, Marseillais, 
        Catalans, y avaient leurs fondoucs - hôtelleries et entrepôts 
        - ; on y vendait de tout. même du vin, apporté par ceux de 
        Marseille et qui trouvait des acheteurs non seulement parmi les Chrétiens, 
        mais aussi, dans quelques tavernes tolérées par l'autorité 
        du pays, parmi les Musulmans peu scrupuleux.
 -------Ce dernier trait, dont il ne convient 
        pas d'exagérer l'importance. nous aide à évoquer 
        le climat (le cette grande ville maritime, où la vie était 
        facile et les murs sans rigueur. Dès le temps des Hamunâdides, 
        I'bn Toûmert, le fondateur ascétique rie la secte Ahnahade, 
        avait été scandalisé par le spectacle (le la rue 
        où se promenaient des hommes vêtus de tuniques et coiffés 
        (le turbans d'une élégance condamnable, chaussés 
        de sandales aux lanières dorées. Sa vertu intransigeante 
        s'était déchaînée contre les luths et les bouteilles 
        de vin. A ce tableau, que nous devons au disciple du maître, le 
        mémorialiste El Beidak, répond celui que nous présente, 
        quatre siècles plus tard, le voyageur Léon l'Africain. " 
        Les citoyens, dit-il, sont assez joyeux qui ne tâchent à 
        autre chose qu'à se donner du bon temps et à vivre joyeusement, 
        tellement qu'il n'y a celui qui ne sache sonner d'instruments musicaux 
        et baller ".
 -------On aurait d'ailleurs tort (le croire 
        que les Bougiotes du moyen-âge se complaisaient uniquement aux divertissements 
        frivoles. Pour s'en convaincre, i n'est que de feuilleter l'ouvrage d'El-Ghobrini, 
        qui, vivant à Bougie au XIIIè siècle, énumère 
        cent quatre de ses concitoyens s'étant distingués dans l'histoire, 
        le droit, la médecine et la poésie ou y ayant enseigné 
        les sciences religieuses, tel le plus illustre, le mystique Sidi Bou Medien.
 
 -------Ce dernier était un Andalous. 
        Bougie en comptait beaucoup et c'était là, nous le savons, 
        l'héritage d'une longue tradition. Sous les Hafcides en particulier, 
        elle semble avoir été la principale porte d'entrée 
        des Musulmans d'Espagne chassés de leur pays par la " Reconquête 
        " chrétienne. Ceux d'entre eux qui faisaient partie de l'élite 
        transplantaient dans cette cité de Berbérie la belle culture 
        hispano-mauresque et la gentillesse de manières des vieilles sociétés 
        citadines.
 -------Ils y apportaient aussi leur rancune 
        de déracinés contre les infidèles auteurs de leur 
        exil. Les marins andalous furent, à n'en pas douter, les plus ardents 
        à faire fleurir la guerre sainte sous la forme déjà 
        traditionnelle de la piraterie. Ibn-Khaldoun place vers 1360 une recrudescence 
        de l'activité des corsaires et il nous en décrit les curieuses 
        modalités. L'entreprise est en quelque sorte montée par 
        actions. Une société arme le navire et choisit les hommes 
        d'équipage. Ceux-ci, d'une bravoure éprouvée, font 
        des débarquements sur les côtes d'Europe et raflent tout 
        ce qui leur tombe sous la main. Ils attaquent aussi les bateaux chrétiens 
        et rentrent à Bougie, leur cale pleine de butin et de prisonniers. 
        La ville est remplie de captifs. " Les rues 
        retentissent du bruit de leurs chaînes, surtout quand ces malheureux 
        chargés de fers et de carcans se rendent à leur tâche 
        journalière ".
 BOUGIE, VILLE ESPAGNOLE.-------La descente des Espagnols, en 1510, 
        eut tout le caractère d'une représaille. La prise de la 
        ville par Pierre de Navarre changea naturellement le cours de ses destinées. 
        Moins libéral que ses anciens maîtres, qui y avaient toléré 
        d'assez nombreuses colonies chrétiennes. Ferdinand le Catholique 
        voulut faire de Bougie une cité exclusivement chrétienne. 
        Elle le fut, et se maintint, comme un défi héroïque 
        mais sans profit, aux portes de la Berbèrie musulmane. Les essais 
        que l'on tenta pour encourager le commerce avec la mère-patrie 
        n'eurent pas de suite, faute de rapports avec l'arrière pays. Etroitement 
        surveillés par les Berbères, qui tenaient les vieilles forteresses 
        de la vallée de la Soummam, tenus d'autre part en haleine par les 
        corsaires turcs, que l'on croyait toujours près d'apparaître 
        dans le golfe, les Espagnols demeurèrent pendant presque un demi-siècle 
        campés sur la terre infidèle, sans s'aventurer au-delà 
        de l'enceinte réduite dans laquelle ils s'étaient murés. 
        Lorsqu'en 1555, après une défense glorieuse, Don Luis de 
        Peralta fut contraint de rendre son dernier bastion au pacha d'Alger. 
        Salah Raïs. la ville était dépouillée de tout 
        ce qui avait fait jadis sa vie et sa splendeur.
 
 BOUGIE, VILLE TURQUE.
 
 -------Bougie ne pouvait espérer de 
        retrouver sous ses maîtres turcs la prospérité de 
        jadis ; et les janissaires qui occupaient ses trois forts vécurent 
        un peu comme y avaient vécu les Espagnols. Le pays kabyle d'alentour 
        leur échappait. Au reste. si les Kabyles venaient commercer avec 
        les Bougiotes. ils ne s'aventuraient guère dans la ville. Passé 
        l'heure du marché, on se séparait en hâte, " 
        afin, dit d'Arvieux, d'éviter 
        les querelles ".
 -------La marine de Bougie végétait. 
        L'autorité jalouse et soupçonneuse des Algérois redoutait 
        la concurrence de ceux qui les avaient précédés dans 
        l'exercice lucratif de la course, et les petits bateaux qui sortaient 
        du port devaient se contenter du cabotage sur les côtes de Berbérie. 
        Cependant Bougie continuait à jouer son rôle de chantier 
        de construction navale que lui valaient les belles forêts de la 
        région. Les Turcs d'Alger, pour qui l'on travaillait, avaient commis 
        à la surveillance de la Karasta, - exploitation des bois - un personnage 
        religieux de la famille des Amokran, et ils s'efforçaient de l'attacher 
        à leur service en lui prodiguant des marques de respect et en lui 
        attribuant d'abondants revenus.
 -------Quant à la ville elle-même, 
        elle portait tous les signes d'une décadence irrémédiable. 
        " A Bougie, écrira au 
        XVIIIè siècle le voyageur Peyssonnel. 
        tout tombe en ruine, car les Turcs ne réparent rien 
        ". Qui en 1833 aurait pu reconnaître dans ce grand village 
        assez misérable, surveillé par cent cinquante janissaires, 
        la capitale élégante et cultivée des Beni Hammàd, 
        l'objet de la convoitise des rois de Tlemcen, le port vivant et cosmopolite 
        des gouverneurs Hafcides, ou même le camp retranché de Ferdinand 
        le Catholique et de Charles Quint ?
 G. MARÇAISMembre de l'institut
 
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